07/08/2022

LISA ROZOVSKY
Les espions juifs rivaux qui ont failli changer le cours de la Seconde Guerre mondiale

Liza Rozovsky, Haaretz, 6/8/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'histoire de la rivalité acharnée entre deux agents juifs pendant la Seconde Guerre mondiale a conduit un historien à spéculer sur les nombreuses façons dont la guerre aurait pu se dérouler.

Photo : Collection Roger-Viollet via AFP

Au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, Samson Mikiciński, un homme d'affaires juif polono-russe, a sauvé de Varsovie occupée des top-modèles, des femmes de la société et des parentes de dirigeants polonais en exil et les a fait passer clandestinement à Paris. À la même époque, Edward Szarkiewicz, un juif né dans l'Oblast de Lviv [Lvov/Lwów/Lemberg] en Ukraine sous le nom de Moses Szapiro, se convertit au christianisme et opère en tant que taupe britannique au sein des services de sécurité polonais. Leur rencontre fait l'objet d'un livre récemment publié en hébreu par l'historien Yaacov Falkov, « Entre Hitler et Churchill : Deux agents juifs et les efforts déployés par les services secrets britanniques pour empêcher un accord secret entre la Pologne et les nazis » (Magnes Press).

 

Mais cette histoire d'espionnage digne d'un thriller n'est que le tremplin sur lequel Falkov - chargé de recherche à l'Institut international de lutte contre le terrorisme de l'université Reichman (Herzliya) et conférencier dans cette université et à l'université de Tel Aviv - révèle une histoire non moins surprenante et bien plus importante : une tentative de dialogue clandestin entre le gouvernement polonais en exil à Londres et l'Allemagne nazie. Selon Falkov, cette tentative a été déjouée par les services secrets britanniques, avec l'aide de Szarkiewicz.

 

La plus spectaculaire de toutes est peut-être l'hypothèse de l'auteur selon laquelle si Mikiciński n'avait pas été enlevé alors qu'il était en plein milieu des contacts entre les nazis et les dirigeants polonais en exil, le cours de la guerre aurait été différent.

 

En prélude à son récit sur l’âpre rivalité entre les deux agents juifs, Falkov raconte les tentatives répétées du Troisième Reich de conclure un accord de paix avec les Polonais et les Britanniques immédiatement après l'invasion de la Pologne, en septembre 1939. Le livre fournit des détails sur les démarches allemandes auprès des Britanniques et sur les efforts de Berlin pour parvenir à un accord avec les responsables polonais, ce qu'elle a fait dès les premiers jours de la guerre.

 

« Des affirmations et des récits sur les contacts que les nazis ont eus avec les Britanniques et les Polonais au début de la guerre, dans le but de parvenir à la paix, ont été publiés par le passé », dit Falkov, lorsque nous nous rencontrons pour parler de son livre dans un café de Tel Aviv. « Mais à mon avis, il s'agissait d'épisodes séparés et sporadiques, qui ne donnent pas un tableau complet. Je pense avoir réussi à reconstituer ce puzzle. Je pense aussi que si nous continuons à creuser, nous découvrirons d'autres témoignages ».

 

D’Istanbul à la Palestine

 

Les efforts de sauvetage de Mikiciński, un homme polyglotte et casse-cou, ressemblaient à des voyages d'agrément ou à des épisodes d'un film de Quentin Tarantino. Les femmes en fuite et le passeur se déplaçaient d'une capitale européenne à l'autre dans des voitures de luxe et des avions de ligne, logeant pendant leurs voyages dans des hôtels de luxe. La capacité de Mikiciński à franchir les frontières (Falkov écrit qu'il traversait les frontières politiques de l'Europe déchirée par la guerre comme s'il s'agissait des frontières de l'Union européenne de notre époque) a une explication relativement simple : il était habile à corrompre les bonnes personnes aux bons endroits. Une fois, ce pouvait être le diplomate chilien qui lui a délivré un passeport diplomatique de son pays lui assurant un passage sûr en Pologne, en Roumanie et en Turquie ; une autre fois, c'est un haut responsable de l'Abwehr, les services de renseignements militaires allemands, le major Heinz-Heinrich Fabian, connu sous le pseudo de « Docteur Scholtz », qui a aidé Mikiciński à entrer et à sortir sans encombre de la Pologne occupée, lui permettant d'exécuter des missions pour le compte de l'ennemi de l'Allemagne, le gouvernement polonais en exil.

 

Qu'en est-il de ses coreligionnaires ? Les recherches de Falkov montrent que Mikiciński a également aidé des Juifs - principalement, semble-t-il, des Juifs aisés - à fuir la Pologne et la Roumanie. Les Juifs plaçaient également leurs capitaux entre ses mains, afin qu'il puisse aussi les faire sortir de leurs pays d'origine, ce qui est attesté, par exemple, par les réclamations faites contre les héritiers de Mikiciński des années après sa mort.

 

Le succès de Mikiciński, qui réussit à extraire de Varsovie occupée les familles des dirigeants polonais en exil, lui vaut leur confiance. Il devint particulièrement proche du ministre de l'Intérieur en exil, Stanislaw Kot. En tant qu'envoyé de Kot, il mène des négociations avec l'ambassadeur allemand à Ankara, Franz von Papen, et avec le diplomate Emil von Rintelen, qui est un proche collaborateur du ministre allemand des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop.

 

C'est là qu'intervient l'agent double Edward Szarkiewicz, qui opère pour le compte des services secrets britanniques, en coopération avec les services secrets turcs et avec des personnalités polonaises qui luttent contre le gouvernement en exil. Szarkiewicz a découvert le lien secret entre Mikiciński et les diplomates allemands, et a géré une opération complexe à Istanbul pour torpiller les négociations.

 

Sur ordre de Londres, il a attiré Mikiciński à une réunion avec un agent des services secrets turcs au début de 1941, où le Polonais s'est vu servir du café additionné d'un sédatif.

Étonnamment, il ne s'est pas endormi comme prévu, peut-être en raison de son physique robuste. Le seul recours était de le frapper à la tête et de le droguer avec un mouchoir imbibé de chloroforme tenu sur son visage.

 

 Assommé et ligoté, Mikiciński a été transporté par avion d'Istanbul en Palestine sous l'œil vigilant de Szarkiewicz. Là-bas, pendant près de cinq mois, il a été incarcéré dans une petite cellule de la prison d'Acre, et a été interrogé à la fois par des agents britanniques et par Szarkiewicz lui-même. Même si Mikiciński souffrait de divers maux, il n'a pas craqué pendant l'interrogatoire. Il a refusé d'admettre la trahison, insistant sur le fait qu'il avait agi uniquement au nom de sa patrie, la Pologne. Falkov suppose que Szarkiewicz a exécuté Mikiciński, justifiant cette exécution par le fait que ce dernier avait tenté de s'échapper, et qu'il a ensuite fait disparaître son corps.

La prison d'Acre. Assommé et ligoté, Mikiciński y a été transporté par avion, où, selon Falkov, il a été exécuté par Szarkiewicz. Photo : Archives nationales néerlandaises

 

Ce petit mais dramatique épisode historique, dit Falkov, n'est qu'un maillon de la chaîne des tentatives infructueuses d'entamer un dialogue entre les Allemands, d'une part, et les Anglais et les Polonais, d'autre part. C'est aussi un autre exemple de la manière dont la Grande-Bretagne a manœuvré et contraint les dirigeants polonais, afin de les plier à ses objectifs.

 

D'autres preuves de ce récit peuvent être trouvées dans les événements qui se sont produits immédiatement après le meurtre présumé de Mikiciński. Les Britanniques, raconte Falkov, ont demandé à Szarkiewicz de mettre en place un réseau de renseignements parallèle aux services de renseignements militaires polonais. Il devait lui-même être le commandant de l'unité, répondre aux Britanniques, et ainsi les aider à renforcer leur contrôle sur le gouvernement polonais en exil.

 

« Je pense qu'ils avaient un plan en plusieurs étapes », dit Falkov. « D'abord, les Britanniques se sont débarrassés de Mikiciński. Ensuite, ils avaient l'intention d'entreprendre [ce qui équivalait] à un coup d'État des services de renseignement militaires contre le premier ministre polonais en exil, Wladyslaw Sikorski. Szarkiewicz devait jouer un rôle central dans ces deux efforts ».

 

Finalement, le plan n'a pas été mis en œuvre dans son intégralité. Selon Falkov, la raison en est que Sikorski, qui était trop fier et indépendant pour les Britanniques, a eu du mal à accepter leur demande de conclure une alliance avec les Soviétiques et de leur concéder des territoires polonais.

 

Dans son livre, Falkov propose un "scénario imaginaire" dans lequel il imagine ce qui aurait pu se passer si les pourparlers secrets, menés par Mikiciński, entre de hauts responsables allemands et les dirigeants polonais en exil avaient abouti. Le gouvernement polonais rentre au pays, « assume certains pouvoirs dans la gestion du "gouvernement général" établi par les nazis et, à l'été 1941, se joint aux régimes de l'Italie, de l'Espagne, de la Finlande, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Croatie, qui soutiennent militairement l'invasion allemande de l'Union soviétique ».

 

La réalisation de ce scénario « aurait-elle également modifié le destin amer des Juifs polonais » ? Falkov se pose la question et ajoute que « la sortie officielle de la Pologne de la guerre avec l'Allemagne après l'invasion de cette dernière, et l'effet restrictif que cette mesure aurait pu avoir sur le comportement de Londres et de Washington à l'égard de Berlin, aurait pu réduire la somme totale des considérations qui ont conduit à la décision des nazis d'anéantir les Juifs d'Europe, y compris les Juifs polonais, en sapant la base du puissant désir d'Hitler et des principaux membres de son régime de se venger des Britanniques et des USAméricains pour leur guerre contre le Troisième Reich ».

 

Mais comment la théorie selon laquelle l'Allemagne était prête à faire la paix avec la Pologne et ses alliés, et à se contenter de gains territoriaux et géopolitiques relativement modestes, s'accorde-t-elle avec le récit que nous avons tous appris à l'école, à savoir que Hitler voulait prendre le contrôle de la Pologne afin de créer un « espace vital » pour la nation aryenne allemande et d'asservir les Polonais slaves ?

 

« C'est compliqué », répond Falkov. « Il y avait des gens comme Alfred Rosenberg [un idéologue nazi de premier plan, chef du bureau des affaires étrangères du parti et plus tard également chef du ministère du Reich pour les territoires orientaux occupés], qui voyaient les choses de cette façon. Il y avait des voyous comme Himmler et Heydrich, qui avaient l'habitude de casser la tête des gens dans les combats de rue avec les communistes, pour qui le monde était un lieu de sang, de chair et de cruauté.

 

« Mais en même temps, poursuit-il, les élites militaires, diplomatiques et intellectuelles voyaient les choses différemment. Elles savaient qu'elles opéraient aux côtés de voyous et voulaient prendre des mesures pour éviter les erreurs. Leur objectif était de façonner la situation avant que les voyous ne prennent la barre. Elles ont compris que, du point de vue de l'Allemagne, un conflit majeur en Europe à cette époque serait une catastrophe.

 

« En outre, les [élites] avaient très peur des communistes. Et elles se considéraient comme faisant partie d'un grand bloc de régimes radicaux-conservateurs en Europe, y compris en Pologne, qui avaient un point de vue similaire. Elles entretenaient des liens très étroits avec les Polonais ; il y avait de nombreux liens de sang entre l'aristocratie polonaise et allemande ».

 

Yaacov Falkov. Il voit des ressemblances entre les dilemmes de la Pologne en temps de guerre et l'Ukraine d'aujourd'hui, et craint « une trahison rampante de l'Occident » à l'égard de cette dernière. Photo : Hadas Parush

Selon Falkov, les forces modérées du Troisième Reich auraient certainement pu se contenter de conquérir et d'annexer la Silésie, le Corridor polonais et la ville de Danzig (Gdansk) - en d'autres termes, de leur point de vue, il aurait suffi que les territoires historiquement allemands soient rendus à l'Allemagne - et d'établir un gouvernement pro-allemand dans le centre de la Pologne. Quant à Hitler, souligne Falkov, bien que dans "Mein Kampf" il ait menacé d'effacer la Pologne de la surface de la terre, il a fait un compromis en signant un pacte de non-agression avec Varsovie cinq ans avant l'invasion.

 

« Il était capable d'être pragmatique quand il le fallait, et je pense qu'il a continué à l'être à peu près jusqu'à la conférence de Wannsee [janvier 1942], ou du moins jusqu'au début de l'"Holocauste par balles" [le meurtre de masse des Juifs dans les champs de bataille de l'Union soviétique occupée, qui a débuté l'été précédent] », note Falkov. « Je pense qu'au moment de l'invasion de la Pologne, il était prêt à faire des compromis ».

 

L'invasion de l'Union soviétique était-elle aussi un exemple de comportement pragmatique de la part d'Hitler ? Et qu'en est-il de la mise en place du mécanisme d'assassinat massif des Juifs ? Falkov dit qu'en général, il ne croit pas que les dirigeants soient guidés par une idée fixe, bien que dans certaines circonstances, ils puissent être dominés par une idée obsessionnelle particulière.

 

« Dans le cas d'Hitler, dit-il, l'idée [de l'hégémonie mondiale de l'Allemagne] s'est imposée à un moment donné au cours de l'été 1941, lorsqu'il a réalisé que tous ses [autres] plans avaient échoué. Il s'est retrouvé dans une grande guerre en Europe et une guerre avec la Grande-Bretagne, à laquelle les USAméricains se sont également joints de manière effective [car ils n'étaient pas officiellement en guerre avant le 7 décembre]. Il a compris qu'il avait en Churchill un adversaire incroyablement têtu, énergique et charismatique, qui avait réussi à unir toute sa nation et à mobiliser les USAméricains et toutes les colonies britanniques - Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud.

 

« Il s'agissait déjà d'une très grande guerre, d'une histoire complètement différente, avec l'Union soviétique assise sur la barrière », poursuit-il, « et il était clair désormais qu'il devrait faire le grand écart et frapper les Soviétiques afin de les éliminer du jeu avant qu'ils ne puissent forger une alliance avec les Britanniques ».

 

Parallèlement, dit Falkov, Hitler était convaincu que les Juifs, qui, selon lui, dirigeaient l'Union soviétique, la Grande-Bretagne et les USA, étaient responsables de l'échec de ses plans militaires. « Il a fait de la lutte contre les Juifs le but ultime, car il pensait que l'anéantissement des Juifs serait une garantie de victoire, ou du moins éviterait la défaite militaire ».

 

L'alternative à une guerre qui a fait des millions de victimes et au génocide du peuple juif, dit Falkov, aurait pu prendre la forme, par exemple, la « transformation de l'Allemagne en pays le plus fort de l'espace européen, mais sans la plupart des atrocités que l'Allemagne a finalement perpétrées. C'est l'effet papillon, et les papillons étaient assez grands. Supposons que les Allemands auraient signé un traité de paix avec les Polonais. Mussolini faisait pression pour la convocation d'une conférence de paix transeuropéenne. Hitler préparait déjà l'opération Barbarossa, à partir de la fin de l'année 1940, mais soudain, une option complètement différente se serait présentée à lui : une conférence de paix, sur fond d'accord avec les Polonais. C'est une situation complètement différente ».

 

Au lieu d'une guerre totale, Falkov propose un scénario dans lequel l'Union soviétique aurait reçu un ultimatum général européen, lancé par l'Allemagne, qui aurait pu se terminer, par exemple, par une concession massive de territoires par Staline.

 

Un nouvel éclairage sur le début de la guerre

 

Né en 1972 dans la Lettonie sous contrôle soviétique, Yaacov Falkov a immigré en Israël avec sa famille à l'âge de 18 ans. Son frère cadet, Michael Falkov, était un conseiller médiatique de Benjamin Netanyahou et d'Avigdor Lieberman, qui avait créé le site d'information IzRus, lequel servait de pipeline pour acheminer des pots-de-vin à des personnalités du parti Yisrael Beiteinu de Lieberman, selon l'enquête de police et les procès pour corruption qui ont suivi. Michael a disparu sans laisser de trace en 2014.

 

Le frère aîné, Yaacov, a étudié les sciences politiques, a été correspondant pour les affaires étrangères et la sécurité pour l'hebdomadaire israélien de langue russe Novosti Nedeli et, au début des années 2000, il a été recruté comme analyste par le ministère de la Défense. Dans le cadre de ses activités liées à la sécurité, il a rédigé une thèse de doctorat, à l'université de Tel Aviv, sur l'activité de renseignement des partisans soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. En 2017, il a publié un livre, "Espions de la forêt", basé sur cette thèse. Un an plus tard, il a quitté le domaine de la sécurité afin de se consacrer pleinement à des projets universitaires.

 

Pourtant, les luttes d'espionnage et de renseignement continuent d'intriguer Falkov. « Entre Hitler et Churchill » s'inspire en partie de la correspondance et des rapports secrets des services de renseignement britanniques et polonais. Pour les trouver, Falkov a parcouru des archives en Amérique du Nord et du Sud, au Royaume-Uni, en Pologne et à Jérusalem.

 

Parmi les sources de Falkov figurent les archives de l'agence britannique d'espionnage intérieur MI5, ainsi que de l'agence d'espionnage de guerre Special Operations Executive (Direction des Opérations Spéciales, SOE), et des organisations de renseignement polonaises. Certaines de ces archives n'ont été ouvertes au public qu'il y a quelques années, et selon Falkov, peut-être par erreur, car elles révèlent les intrigues et les luttes intestines entre deux des plus proches alliés de la Seconde Guerre mondiale - la Grande-Bretagne et le gouvernement polonais en exil - et montrent le comportement de la Grande-Bretagne sous un jour très problématique.

 

Outre d'autres documents similaires anciennement classifiés, Falkov a également découvert des trésors dans des sources ouvertes. Par exemple, un rapport anonyme enterré pendant des décennies dans les archives de l'obscur Institut Jozef Pilsudski d'Amérique, à New York, qui révèle des aspects colorés de la vie et du caractère de Mikiciński, tels que son penchant pour les hôtels de luxe et son goût pour le spectacle et la bravade.

 

Danny Orbach, historien militaire à l'Université hébraïque de Jérusalem et spécialiste de l'histoire du renseignement, a récemment écrit sur le livre de Falkov sur son blog en hébreu, le félicitant pour son caractère innovant et la manière dont il nous amène à « repenser tout ce que nous savons ».

 

Le Dr Orbach, auteur du livre de 2016 "Les complots contre Hitler", écrit également que Falkov « montre la réalité non pas comme un seul chemin, mais comme une piste forestière sinueuse d'où partent des dizaines de ramifications à chaque instant. Certaines sont des tromperies, d'autres sont réelles, et on ne sait jamais laquelle aboutira à une impasse. Il [Falkov] est également expert pour décrire la complexité des relations entre les puissances, et comment des acteurs comme les Polonais - qui, de l'extérieur, semblaient unis dans leur guerre contre l'occupant nazi - étaient en réalité en conflit au point de commettre des assassinats, des meurtres et une guerre civile interne ; et comment leurs relations avec leurs hôtes britanniques étaient tendues dans la pratique ».

 

En même temps, Orbach critique la notion de Falkov d'un possible accord de paix germano- polonais, suivi de la cessation de la guerre avant qu'elle ne prenne des dimensions mondiales. « Il semble parfois que l'auteur ne fasse pas suffisamment la distinction entre, d'une part, les contacts et les tâtonnements et, d'autre part, les accords diplomatiques susceptibles de modifier la difficile réalité d'une situation de guerre mondiale en pleine escalade », écrit-il.

 


Hitler en 1933. Photo : AP

Parlant à Haaretz, Orbach a ajouté que « ce n'est pas parce que l'histoire est construite à partir d'un grand nombre de chemins qui se séparent à différents moments que tous les scénarios sont aussi défendables les uns que les autres. Le scénario que Yaacov propose avait- il une probabilité nulle ? Non. Mais elle est faible. Parfois, des scénarios improbables se concrétisent. Mais le fait que les tâtonneurs n'aient pas dépassé ce stade signifie qu'il existait des forces puissantes qui étaient très difficiles à surmonter ».

 

« Je ne prétends pas que c'est ce qui se serait passé avec certitude », répond Falkov. « Mais je vois le processus historique comme un discours ramifié avec de multiples carrefours de décision. Dans tout système complexe, si l'on modifie un petit détail, les choses peuvent commencer à évoluer dans une autre direction. Ce n'est pas pour rien que les Britanniques ont attaché une si grande importance à l'opération visant à saborder les négociations [menée par Mikiciński, comme cela ressort des documents de renseignement et des indications indirectes citées par Falkov dans le livre]. Churchill, en tant que politicien expérimenté et clairvoyant, voyait où cela pouvait mener et comprenait qu'[un accord germano-polonais] pourrait aboutir à une débâcle ».

 

Que nous pensions ou non qu'il est probable que la Seconde Guerre mondiale telle que nous la connaissons aurait pu être évitée, Falkov réussit, comme le note Orbach dans sa critique, à « présenter le début de la guerre sous un jour complètement différent - tel qu'il est apparu en temps réel », et à montrer que rien dans l'histoire n'est prédéterminé.

 

Originaire de Lettonie - l'un des pays conquis par l'Union soviétique en 1940 - Falkov dit avoir ressenti le besoin d'exprimer le narratif de l'Europe de l'Est sur la Seconde Guerre mondiale. Il fait l'éloge des Polonais pour leur attitude résolue face aux Allemands et aux Soviétiques pendant un mois entier [c'est-à-dire septembre 1939]. « Les Polonais ont réalisé à un certain moment qu'ils s'étaient comportés correctement du début à la fin, et que les Britanniques les avaient simplement trahis. Ils dialoguaient avec les Allemands, et les Polonais étaient au courant et avaient beaucoup d'appréhension ; parallèlement, les Britanniques ont forgé une alliance avec les Soviétiques dans le dos des Polonais et à leurs dépens » - en référence au fait que les Britanniques ont contraint les Polonais à accepter l'annexion de leurs territoires orientaux à l'Union soviétique.

 

Falkov trouve une similitude entre le dilemme auquel la Pologne était confrontée à l'époque et la situation actuelle de l'Ukraine. « Dans les deux cas, il y a un État relativement faible qui partage une frontière avec un État dictatorial », dit-il. « Les États occidentaux exploitent initialement ces pays faibles afin d'extorquer les régimes dictatoriaux. Lorsque ces derniers commencent à attaquer, l'Occident apporte son soutien aux États faibles : en leur fournissant des armes - dans le cas de l'Ukraine. Ou en leur permettant d'établir une armée en exil - dans le cas de la Pologne. En fin de compte, il [l'Occident] utilise ces pays et leurs citoyens pour lutter contre les régimes dictatoriaux, puis est prêt à les trahir lorsque le besoin s'en fait sentir ».

 

Falkov se dit pessimiste quant à la fourniture d'armes à l'Ukraine par l'Occident, et commence à craindre une trahison rampante de l'adversaire de la Russie par l'Occident. Loin de lui l'idée de donner des conseils aux Ukrainiens, souligne-t-il, mais il ajoute qu'il est possible que des voix émergent, et peut-être sont-elles déjà en train d'émerger, au sein du gouvernement ukrainien, appelant à des contacts directs avec la Russie, sans médiation occidentale, même au prix de concessions de grande ampleur.

 

« Il est possible qu'une faction se lève en Ukraine qui dira : 'Nous avons fait notre devoir envers le peuple et l'histoire, et maintenant, quand nous comprenons que nous sommes sur le point d'être abandonnés, le temps est venu de trouver notre Mikiciński' »

 


 

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