20/02/2025

GIDEON LEVY
Il n’y a aucun pavé de la mémoire à Gaza pour honorer la mémoire des Palestiniens morts

Gideon Levy, Haaretz, 19/02/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans le quartier berlinois de Charlottenburg, a écrit Naama Riba (Haaretz en hébreu, mardi), il y a une rue avec des dizaines de Stolpersteine, ou pavés de la mémoire, de couleur dorée, incrustés dans le trottoir en mémoire des Juifs qui y ont vécu autrefois. Le droit d’Israël à exister, a fait valoir Riba, découle des événements que ces pierres commémorent.


Les « Stolpersteine », des “pierres sur lesquelles on trébuche”, commémorent les dernières résidences volontaires de Juifs tués par les nazis. Photo Markus Schreiber/AP Photo

En revanche, dans le quartier de Rimal, à Gaza, il ne reste plus de trottoirs, seulement une dévastation totale. L’hôpital Al-Shifa de la ville a également été détruit, ainsi que des immeubles d’habitation, des écoles et des hôtels. Il n’y a pas de « Stolpersteine » dorés à Rimal pour honorer la mémoire des centaines de ses résidents palestiniens tués pendant la guerre. Si de telles pierres existaient, elles pourraient témoigner de la lutte du peuple palestinien pour un État qui le protégerait.

Mais Riba est aveugle aux ruines de Rimal et de Gaza. Elle ne voit que la façon dont les Palestiniens traitent les personnes LGBTQ+. Dans son éditorial, elle critique trois auteurs de Haaretz : Hanin Majadli, Michael Sfard et moi-même, pour avoir remis en question la légitimité de l’existence d’Israël, un État dont la justification – affirme-t-elle – réside dans les pierres de la rue Giesebrecht à Berlin-Charlottenburg.

Je n’ai jamais remis en question le droit d’Israël à exister. Ce que je remets en question, en revanche, c’est son droit d’agir comme il le fait et de commettre les atrocités qu’il commet. Ce sont les actions d’Israël qui remettent en question sa légitimité.

Depuis un siècle, les Palestiniens subissent des persécutions, des dépossessions, des meurtres et des destructions incessants. Aucun meurtre, pas même celui de l’arrière-grand-père de Riba, tué par des Arabes alors qu’il se rendait à la synagogue de Haïfa, ne peut justifier cela.

Riba se demande si l’immigration en Israël justifiait le meurtre de ceux qui y ont émigré. Mes parents ont eux aussi immigré en Israël, non pas par choix, mais pour échapper à la guerre. Ma mère est venue seule, adolescente, avec l’organisation Aliya des jeunes [Jugend-Alijah] ; mon père a passé six mois en mer sur un bateau d’immigration clandestine.

Rien n’aurait pu justifier leur meurtre. Cependant, dès le début, le sionisme a choisi la voie de l’occupation d’un territoire déjà habité par un autre peuple. Ce choix a justifié la résistance violente de ceux qui ont considéré cela comme une invasion de leur patrie.

Ni la promesse divine ni l’Holocauste ne sont des arguments assez forts pour que des gens qui vivent ici depuis des siècles renoncent à leur terre. Si des vagues de réfugiés fuyant le génocide en Afrique arrivaient ici maintenant, les Israéliens renonceraient-ils à leur terre ? C’est ainsi que les Palestiniens le voient, et avec raison.

Le fait que les Juifs aient marmonné à propos de Jérusalem pendant des générations sans tenter de s’y installer en grand nombre n’a pas suffi à convaincre les Palestiniens qui y vivent de l’abandonner. Le but du sionisme n’a jamais été de vivre à leurs côtés, mais de les déposséder. De la soi-disant conquête du travail à la judaïsation de la Galilée, en passant par l’entreprise de colonisation en Cisjordanie et l’enthousiasme d’Israël pour l’idée d’un transfert de population depuis Gaza, tout mène à la même conclusion : le but du sionisme était et est la dépossession, pas la coexistence.

Riba et ses semblables, les libéraux éclairés d’Israël, prônent ce qu’ils appellent la « séparation ». Nous sommes ici, et aussi là-bas, et les Palestiniens sont quelque part, on ne sait pas exactement où. Que restera-t-il de leurs terres ? Quand Israël leur a-t-il offert une part équitable, égale à la vaste portion que le sionisme a prise par la force ? Et, bien sûr, il y a le racisme et la condescendance qui vont avec : intégrer les Palestiniens et les Juifs dans un seul État démocratique fera sombrer les nobles Israéliens. Le primitif Mohamed fera sombrer le noble Itamar Ben-Gvir. Ces sauvages détruiront notre « villa dans la jungle ».

Palestiniens, vous ne vous êtes pas bien comportés, comme Riba s’y attendait. « La population palestinienne n’a pas fait grand-chose pour se développer en tant que nation », écrit-elle. C’est totalement inacceptable, vous ne méritez donc rien. Comportez-vous bien, et peut-être vous jetterons-nous un os : un petit bantoustan entre les colonies de Cisjordanie d’Itamar et d’Yitzhar. Un bantoustan démilitarisé, bien sûr, car seuls les Juifs sont autorisés à se défendre.

Rappelez-vous les pavés dorés à Charlottenburg. Grâce à eux, tout nous est permis, absolument tout, y compris le nettoyage ethnique, que Riba, bien sûr, met entre guillemets, et même le génocide. Après tout, son arrière-grand-père a été assassiné.



Benoît Hamet, Télérama

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