La campagne transnationale présumée d’assassinats et d’intimidation visant les dissidents sikhs est loin d’être finie
Murtaza
Hussain, Drop Site News,
14/2/2025
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Murtaza Hussain est un journaliste d’origine pakistanaise qui a grandi à Toronto et vit aujourd’hui à New York. Après avoir travaillé au site ouèbe The Intercept, il contribue au nouveau site créé par Jeremy Scahill et Ryan Grim, Drop Site News. @MazMHussain
Dans l’après-midi
du 22 décembre 2024, un véhicule blanc s’est arrêté devant les portes de la
maison de l’activiste politique Pritpal Singh à Fremont, en Californie. Les
images de sécurité fournies à Drop Site montrent un homme se garant devant la
propriété, située dans un cul de sac tranquille de la banlieue, sortant de son
véhicule, prenant plusieurs photos de la maison de Singh et des environs, avant
de s’éloigner après avoir été remarqué par des voisins sortant de chez eux.
M. Singh est
un organisateur usaméricain d’origine sikh qui avait déjà précédemment été averti par le FBI que
sa vie était en danger. Ces avertissements ont été émis après une série d’assassinats
et de tentatives d’assassinat d’autres militants sikhs en Amérique du Nord en
2023, qui, selon les USA et le Canada, auraient été orchestrés par des agents
des services de renseignement indiens et dirigés par de hauts responsables du
gouvernement Modi.
Alors que le
président Donald Trump fait la cour au premier ministre indien Narendra Modi à
Washington cette semaine, des agents des forces de l’ordre enquêtent pour
savoir si des personnes travaillant pour le gouvernement indien continuent de
cibler les USAméricains sikhs dans le cadre d’une série de fusillades, de
menaces et d’incidents d’intimidation non élucidés dans plusieurs pays.
Ces
incidents feraient partie d’une campagne mondiale orchestrée par le
gouvernement indien pour cibler les dissidents à l’étranger, notamment aux USA,
au Royaume-Uni et au Canada. L’Inde est actuellement dirigée par un
gouvernement nationaliste religieux qui a adopté une ligne dure à l’égard du
séparatisme et des mouvements politiques basés sur les minorités dans le pays.
Singh, qui milite
pour les droits des Sikhs et l’indépendance politique, a reçu plusieurs
notifications du FBI concernant des menaces de mort. Le FBI et d’autres agences
de renseignement usaméricaines appliquent une politique connue sous le nom de « devoir
d’avertissement », qui les oblige à fournir des informations sur une
menace imminente pour la vie d’un individu. À peu près à la même époque, M.
Singh a fait état de plusieurs cas où des personnes se sont rendues à son
domicile.
« Nous
avons cinq cas de surveillance suspecte à mon domicile, dont trois au cours des
dernières semaines. D’après ce que nous avons appris grâce à l’alerte du FBI,
nous pensons que cette surveillance est liée au gang de Modi », a déclaré
M. Singh. « Il est stupéfiant d’apprendre du FBI que l’on est la cible d’un
gouvernement étranger alors que l’on pensait être en sécurité chez soi en tant
que citoyen usaméricain ».
Les
militants sikhs en Occident affirment depuis des années qu’ils sont la cible d’attaques
de la part du gouvernement indien, y compris de meurtres présumés. Les
militants visés sont pour la plupart des partisans de la création d’un État
sikh séparatiste en Inde, une cause qui a déclenché une insurrection militante
à l’intérieur de l’Inde dans les années 1980, mais qui est restée largement en
sommeil depuis, vivant principalement comme un thème d’activisme politique de
la diaspora.
L’année
dernière, le gouvernement canadien a publié une série de déclarations publiques
sans précédent, accusant l’Inde d’avoir mené pendant des années une campagne de
meurtres, d’incendies criminels, d’extorsions, de violations de domicile et de
harcèlement politique à l’encontre des militants sikhs dans ce pays. Selon le
gouvernement canadien, cette campagne comprenait les meurtres d’au moins deux
hommes, Hardeep Singh Nijjar et Sukhdool Singh Gill, tous deux tués par balles
lors d’assassinats perpétrés par des gangs qui, selon le Canada, auraient été
dirigés par de hauts responsables du gouvernement indien.

Cette
campagne de violence s’est étendue au territoire usaméricain, selon un acte d’accusation
usaméricain.
En 2024, le ministère usaméricain de la justice a inculpé Vikash Yadav, un agent de renseignement indien accusé d’avoir orchestré un projet d’assassinat visant un citoyen usaméricain à New York la même année. Selon le ministère de la justice, le complot visant à tuer Gurpatwant Singh Pannun, conseiller général de l’organisation séparatiste sikh Sikhs For Justice, n’a été déjoué que lorsque le tueur à gages chargé de l’exécuter s’est avéré être un agent infiltré de la DEA. Un autre homme, Nikhil Gupta, attend actuellement d’être jugé aux USA pour son implication dans cette tentative d’assassinat ratée. L’acte d’accusation contre Gupta laisse entendre que de nombreux autres assassinats ont pu être planifiés après celui de Pannun, Gupta ayant déclaré à l’agent infiltré : “Nous avons tellement de cibles”.
M. Singh et
d’autres militants sikhs usaméricains qui ont parlé à Drop Site ont déclaré qu’ils
continuaient à être pris pour cible depuis que le FBI a déjoué la tentative d’attentat
contre M. Pannun. Le FBI a refusé de commenter cette histoire, mais les
informations examinées par Drop Site indiquent que le bureau enquête toujours
activement sur les menaces à l’encontre de Singh et de sa famille.
« Juste
un avertissement pour vous »
Les USA et l’Inde
se sont rapprochés au cours des administrations Trump et Biden, les deux pays
coordonnant une stratégie commune pour faire face à l’influence chinoise dans
la région Asie-Pacifique. En 2023, Narendra Modi s’est rendu aux USA pour une
visite programmée, quelques jours seulement après l’assassinat de Nijjar. En
septembre dernier, le président Joe Biden a de nouveau rencontré Modi, alors
que l’assassinat et les accusations du Canada sur l’implication de l’Inde
avaient déjà été rendus publics.
« L’administration
Biden a enhardi Modi. Deux jours après l’assassinat de Nijjar, Modi a été
accueilli aux USA par une session conjointe du Congrès et une réception sur
tapis rouge à la Maison Blanche », dit Arjun Sethi, avocat spécialisé dans
les droits humains et professeur de droit à l’université de Georgetown.
Ajit Doval
Les
fonctionnaires canadiens, quant à eux, ont lancé l’accusation selon laquelle la campagne transnationale visant les
activistes sikhs se déroule au plus haut niveau du gouvernement indien et qu’elle
implique directement le chef de la sécurité nationale, Ajit Doval, et le
puissant ministre de l’intérieur, Amit Shah, un proche confident de Modi. À la
suite des meurtres de Nijjar et de Gill, le Canada a expulsé six diplomates
indiens du pays, dont le haut-commissaire de l’Inde au Canada, Sanjay Kumar
Verma.
Le
gouvernement indien a vigoureusement nié les accusations selon lesquelles ses
diplomates auraient été impliqués dans des activités violentes, les dénonçant
comme "absurdes" et attribuant toute action de ce type à des éléments
malhonnêtes des services de sécurité.
En juin
2023, quelques jours seulement après la mort par balle de Nijjar au Canada, un
militant sikh de Sacramento nommé Bobby Singh (sans lien de parenté avec
Pritpal Singh) a reçu un texto menaçant provenant d’un numéro anonyme. « Juste
un petit avertissement pour toi. Tu es le prochain aux USA. Nous avons tous les
outils nécessaires pour résoudre les problèmes », disait le message, qui
se terminait par une phrase couramment utilisée par les nationalistes indiens,
“Jai Hind” [Vive l’Inde].
Le FBI a
ensuite appelé M. Singh, a raconté celui-ci à Drop Site, et lui a dit que sa
vie était menacée. « Ils m’ont dit que de nombreuses menaces potentielles
pesaient actuellement sur certains activistes en Californie et sur la côte Est »,
a déclaré M. Singh. « Ils m’ont dit que ma vie était en danger et que je
devais être prudent ».
Puis, en
août 2024, Satinder Pal Singh Raju, un militant sikh proche de Nijjar et de
Pannun, a été la cible d’une fusillade. Raju roulait sur une autoroute près de
Sacramento lorsqu’un autre véhicule s’est arrêté à côté de lui et a ouvert le
feu, le forçant à quitter la route pour s’engager dans un fossé.
M. Raju a
survécu à cette attaque qui, selon lui et d’autres personnes, serait liée à la
même campagne visant les dissidents sikhs. « C’est un miracle que nous
ayons survécu à cette attaque directe », a-t-il déclaré à des journalistes locaux
après la fusillade.
Outre les
meurtres de Nijjar et de Gill en 2023, les militants affirment que le
gouvernement indien a été impliqué dans un certain nombre d’autres morts
suspectes et de meurtres dans des pays occidentaux au cours des dernières
années, bien que ces cas n’aient pas été confirmés par les autorités.
En 2022, un
Canadien sikh nommé Ripudaman Singh Malik a été abattu devant l’entreprise
familiale. Malik avait été acquitté de son implication dans l’attentat à la
bombe meurtrier contre un vol d’Air India en 1985, qui aurait été perpétré par
des militants sikhs. En octobre 2023, la famille du militant sikh britannique
Avtar Singh Khanda a également demandé une enquête sur sa mort, affirmant qu’il
était tombé malade et qu’il était mort empoisonné par des agents des services
de renseignement indiens, à la suite d’une série de menaces de mort.
À la suite
des attaques contre les sikhs et d’autres incidents au cours desquels des
dissidents ont été pris pour cible par des gouvernements étrangers, la
commission des affaires étrangères du Sénat usaméricain a organisé des
auditions sur ce qu’elle appelle la « répression transnationale ».
Cependant,
les analystes craignent qu’avec l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle
administration qui a des liens étroits avec l’Inde et qui a fait de la
réorganisation du FBI et d’autres bureaucraties en sa faveur une priorité, l’accent
mis sur la protection des sikhs aux USA contre de futures violences soit revu à
la baisse.
« Selon
la plupart des témoignages, le FBI a fait du bon travail en communiquant aux
sikhs d’USAmérique des renseignements exploitables selon lesquels il y avait de
réelles menaces contre leur vie. Mais l’administration Trump semble maintenant
mettre moins l’accent sur la répression transnationale », dit Sethi. « Nous
pourrions très bien nous retrouver à l’avenir dans une situation où des
personnes aux USA qui critiquent le régime de Modi pourraient être en danger,
et le FBI et d’autres autorités le savent, mais ne fournissent pas d’informations
opportunes et précises à ces personnes pour qu’elles puissent se protéger ».
Bien qu’un
grand nombre de personnes aient reçu ces avertissements au cours des deux
dernières années, les cibles n’ont pas reçu d’instructions sur ce qu’elles
devaient faire, si ce n’est de surveiller leur environnement et d’appeler le
FBI si quelque chose se produisait. Nombreux sont ceux qui craignent que le
gouvernement indien attende simplement son heure avant d’intensifier une
campagne qui a déjà coûté la vie à plusieurs dissidents.
« Nous
exhortons le président Trump à se tenir à nos côtés et à veiller à ce que le
FBI et le DHS [ministère de l’Intérieur] prennent des mesures décisives pour
protéger notre communauté des intimidations étrangères », a déclaré
Pritpal Singh. « Le sol usaméricain n’est pas un champ de bataille pour l’agression
de l’Inde ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire