16/02/2025

GIDEON LEVY
Si quelqu’un ne doit “ni oublier ni pardonner”, ce sont les Palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 16/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Une image vaut mille mots : des centaines de détenus et de prisonniers palestiniens qui ont été libérés samedi sont vus à genoux, en prison, portant des sweatshirts blancs avec une étoile de David bleue et les mots « nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons pas ». Israël les a ainsi contraints à devenir des bannières ambulantes du sionisme sous sa forme la plus méprisable. La semaine dernière, il s’agissait de bracelets portant un message similaire : « Le “peuple éternel” n’oublie jamais, je poursuivrai et trouverai mes ennemis ».


Des prisonniers palestiniens avec des sweatshirts portant le logo de l’administration pénitentiaire israélienne et la phrase « Nous ne pardonnerons ni n’oublierons », photo publiée samedi par l’administration pénitentiaire israélienne

Le chef de l’administration pénitentiaire israélienne, Kobi Yaakobi, s’est révélé être un rédacteur publicitaire douteux. Il n’y a rien de tel que ces images ridicules pour montrer à quel point la propagande d’un État moderne peut tomber bas. L’administration pénitentiaire voulait être Hamas, mais le Hamas réussit mieux que le service, du moins dans cette bataille pour gagner les esprits. On peut également dire qu’il est plus humain. Les captifs israéliens qui sont revenus samedi avaient meilleure mine que certains des prisonniers en sweatshirts bleus et blancs.

Aussi ridicules que soient ces images, on ne peut ignorer le message qu’Israël a choisi d’attacher aux corps des prisonniers libérés : Nous n’oublierons pas. Nous ne pardonnerons pas. Nous vous poursuivrons. Le message du Hamas était le suivant : le temps presse. Même s’il s’agit d’une propagande de bas étage, on ne peut pas ignorer le message. Il est immoral d’utiliser des prisonniers comme bannière de propagande ? Alors cela s’applique aussi à nous. Leur propagande parle de fin de guerre, la nôtre parle de poursuite et de guerre sans fin, menée par le “peuple éternel” qui n’oublie pas et ne pardonne pas.

Le monde, Israël compris, a oublié l’Allemagne nazie, le Vietnam a oublié les USA, les Algériens ont oublié la France et les Indiens ont fait de même avec la Grande-Bretagne - seul le “peuple éternel” n’oubliera jamais. C’est ridicule. Si quelqu’un ne doit un jour « ni oublier ni pardonner », ce sont les Palestiniens, après 100 ans de tourments, y compris les prisonniers qui ont été libérés samedi. Ils n’oublieront pas les conditions dans lesquelles ils ont été détenus, et certains ne pardonneront pas leur détention injustifiée, sans qu’aucun procès ait jamais eu lieu dans leur cas.

Samedi, l’émotion était à nouveau à son comble, et à juste titre. Trois nouvelles vies ont été arrachées à l’enfer. L’analyste militaire Canal 12, Nir Dvori, a expliqué aux Israéliens que la libération des otages était la preuve « de la résilience de la nation israélienne », sans préciser ce qu’il entendait par là. Pour les téléspectateurs qui ont subi un lavage de cerveau et qui sont fatigués, il n’était pas nécessaire de le faire. Il a suffi au philosophe Dvori de dire à quel point nous sommes beaux. Mais tandis que tous les yeux humides étaient tournés vers la base militaire de Re’im, premier point d’arrivée des otages, puis vers le centre médical de Sheba et l’hôpital d’Ichilov, où ils ont été emmenés, 369 autres détenus et prisonniers palestiniens ont été libérés, tous des êtres humains, exactement comme nos Sagui, Iair et Sasha.

Les caméras des médias étrangers se sont moins concentrées sur les Palestiniens, tandis que les caméras israéliennes les ont presque totalement ignorés. Après tout, ce sont tous des “meurtriers”. Aucun hélicoptère ne les a attendus pour les conduire à l’hôpital, et certains ont été immédiatement expulsés de leur pays. Une minorité d’entre eux avaient du sang sur les mains, les autres étaient des prisonniers politiques, des opposants au régime. La plupart d’entre eux étaient des habitants de Gaza qui ont été pris dans cet enfer. Il est peu probable que les centaines de Gazaouis libérés samedi aient tous levé la main sur un soldat des forces de défense israéliennes ou sur des habitants des communautés frontalières d’Israël.

Certains d’entre eux ont été enlevés à Khan Younès, tout comme des Israéliens ont été enlevés à Nir Oz. Mais aux yeux d’Israël, ils faisaient tous partie de la force Nukhba du Hamas. Ils étaient également attendus par des familles enthousiastes, tout aussi enthousiastes que les familles Dekel Chen, Troufanov et Horn. Elles aussi aiment leurs enfants.

Certains d’entre eux ne savaient pas ce qu’il était advenu de leurs proches depuis le début de la guerre, tout comme nos familles ne le savaient pas. Mais alors que nos familles, comme l’ensemble de la nation, étaient autorisées à se réjouir autant qu’elles le souhaitaient, guidées par les émissions de propagande israéliennes qui transforment toute célébration humaine en un festival d’endoctrinement à la nord-coréenne, les Palestiniens se sont vu interdire de se réjouir. À Jérusalem-Est et en Cisjordanie, toute manifestation de joie a de nouveau été interdite. Ils n’avaient pas le droit d’exprimer leur joie. Notre tyrannie est si cruelle qu’elle va jusqu’à contrôler leurs émotions.

À en juger par le traitement des prisonniers (palestiniens) et des otages (israéliens) - un indice très significatif - il est difficile de savoir quelle société est la plus humaine. Israël respecte-t-il davantage la convention de Genève que le Hamas ? Il ne peut plus le prétendre. Cette dure impression ne peut plus être corrigée, pas même avec des sweatshirts frappés d’une étoile de David bleue.

 

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