Le milliardaire et ses associés de la Silicon Valley ont atterri dans la capitale et ont immédiatement entrepris de réduire la taille du gouvernement fédéral, reprenant le scénario qu’il avait utilisé après avoir acheté Twitter en 2022.Theodore Schleifer et Madeleine Ngo, The New York Times, 29/1/2025
Kirsten Grind et Ryan Mac ont contribué à ce reportage.
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Theodore Schleifer est un journaliste qui couvre les milliardaires et leur impact sur le monde pour le Times.
Madeleine Ngo couvre la politique économique usaméricaine et son impact sur la population à travers le pays.
Elon Musk, à
gauche, à Washington la veille de l’investiture du président Trump. M. Musk s’est
vu attribuer un bureau dans l’aile ouest, où il dirige le soi-disant
Département de l’efficacité gouvernementale. Photo Doug Mills/The New York
Times
Vendredi 24 janvier dans l’ après-midi, la personne la plus riche du monde s’est présentée dans ce qui semble être l’une des agences les plus ennuyeuses du monde pour exiger une liste.
Elon Musk
était arrivé au Bureau de la gestion du personnel, une agence au nom banal qui
détient un vaste pouvoir de supervision de la main-d’œuvre civile fédérale. Au
cours du premier mandat du président Trump, le dirigeant de la nation a utilisé
l’agence pour imposer la loyauté à son programme. Pendant son second mandat, il
semble que Musk pourrait essayer d’utiliser le bureau pour imposer sa propre
vision des choses.
Musk a
débarqué à Washington avec une foule d’amis et d’employés rémunérés, déterminé
à laisser rapidement son empreinte. Jamais auparavant dans l’histoire moderne,
quelqu’un d’aussi riche n’avait joué un rôle aussi actif dans le gouvernement usaméricain,
Musk se rendant omniprésent à Washington depuis son arrivée pour l’investiture
de Trump. Son avion n’a pas redécollé.
Dès le
premier jour de Trump, ce dernier a donné du pouvoir à Musk en créant le
soi-disant Département de l’efficacité gouvernementale, une initiative de
réduction des coûts menée par le milliardaire de la technologie. Trump a donné
au groupe le pouvoir de travailler sur un plan visant, entre autres, à réduire
la taille de la main-d’œuvre fédérale.
Se rendant à
Washington avec la détermination et la bravade qui le caractérisent, Musk
reprend les tactiques qu’il a déployées chez Twitter, qu’il avait racheté en
2022. Il a mis à profit tout le poids de son réseau dans la Silicon Valley, en
nommant certains des mêmes dirigeants qui ont licencié 80 % du personnel du
réseau social, et en utilisant même les mêmes objets de courriel. Il a promis «
des réductions massives d’effectifs dans toute la bureaucratie fédérale », et
il s’empresse maintenant de le faire.
L’approche de réduction des coûts de Musk, qui consiste à sabrer d’abord et à réparer ensuite, a été intentionnelle tout au long de sa carrière. Et certaines des premières mesures prises par l’administration Trump pour geler le financement des programmes fédéraux et inciter les fonctionnaires à démissionner ont semé la confusion ou sont contestées en justice. (Mercredi 29 janvier, la Maison Blanche est revenue sur un décret qui gelait des milliers de milliards de dollars de subventions et de prêts fédéraux).
Mais Musk
veut un changement radical - et il va de l’avant.
Cet article
est basé sur des entretiens avec une douzaine de personnes informées de la
façon dont Musk a passé sa première semaine à Washington, qui ont toutes
insisté pour garder l’anonymat car elles n’étaient pas autorisées à parler de
ses activités.
Scott Kupor, le candidat de Trump à la direction du Bureau de la gestion du personnel, en 2017. Kupor est associé gérant de la société de capital-risque Andreessen Horowitz. Photo Kevin Lamarque/Reuters
Les alliés de Musk pour superviser la main-d’œuvre
Vendredi, M.
Musk s’est présenté au Theodore Roosevelt Federal Building et a demandé aux employés
du Bureau de la gestion du personnel de lui fournir une liste des directeurs
des systèmes d’information fédéraux. Cette demande reflète le fait que les
projets de Musk semblent fortement impliquer l’agence, qui devrait être dirigée
par l’un de ses partisans, Scott Kupor, un investisseur en capital-risque de la
Silicon Valley chez Andreessen Horowitz, qui attend la confirmation du Sénat.
Musk,
cependant, ne perd pas de temps avant l’arrivée de Kupor.
Plusieurs
des principaux collaborateurs de Musk ont obtenu des postes de conseillers
principaux au Bureau de la gestion du personnel. Parmi eux, Brian Bjelde, un
responsable des ressources humaines chez SpaceX qui qui se présente lui-même
comme le 14e employé de l’entreprise
et qui a joué un rôle dans le rachat de Twitter par Musk, où il a contribué à
procéder à des licenciements massifs. Riccardo Biasini, un dirigeant de la
Boring Company, la société de construction de tunnels de Musk, a également rejoint
son équipe chez Twitter.
Mais l’allié
le plus puissant de Musk au sein du Bureau de la gestion du personnel est
Anthony Armstrong, un banquier spécialisé dans les technologies de pointe chez
Morgan Stanley, qui a travaillé sur l’acquisition de Twitter par le
milliardaire en 2022.
Musk semble
même avoir pris le contrôle des communications internes. Mardi soir, un courriel
du Bureau de la gestion du personnel a
proposé à environ deux millions d’employés fédéraux la possibilité de
démissionner et d’être payés jusqu’à la fin du mois de septembre. Le courriel
avait pour objet : “Fork in the road” [Bifurcation]. C’était exactement l’objet
que Musk avait utilisé pour encourager les employés de Twitter à démissionner
en novembre 2022.
La plupart
des personnes que Musk a fait venir à Washington sont de jeunes ingénieurs qui
ne le connaissaient pas mais qui ont accepté des semaines de travail de 80
heures et sont déployés dans des agences fédérales.
Mais il ne
fait pas facilement confiance aux nouvelles personnes, et il fait donc
largement appel à son entourage proche.
Parmi ses
confidents dans sa vaste guerre contre la bureaucratie figurent l’investisseur
Antonio Gracias, ancien membre du conseil d’administration de Tesla, et
Terrence O’Shaughnessy, général quatre étoiles à la retraite de l’armée de l’air,
qui est l’un des principaux conseillers de Musk chez SpaceX. Musk a fait
pression sur O’Shaughnessy pour qu’il occupe des postes administratifs, et
le général a déclaré à d’autres personnes qu’il était envisagé comme remplaçant
potentiel de Pete Hegseth lors de la turbulente
mais fructueuse tentative de ce dernier de diriger le Pentagone.
Baris Akis, dirigeant
d’une société de capital-risque de la Silicon Valley né en Turquie et diplômé
de Stanford en 2016, est l’une des nouvelles personnes à avoir gagné la
confiance de Musk.
Akis n’avait
pas de relation significative avec Musk jusqu’à il y a quelques semaines. Mais
il a été profondément impliqué dans la transition de Trump, en y consacrant peut-être
plus d’heures que tout autre leader technologique en dehors de Musk - et il est
devenu le bras droit de Steve Davis, un lieutenant de Musk qui a supervisé le
département de l’efficacité gouvernementale.
Davis et Akis
ont été très impliqués dans le Bureau de la gestion du personnel ces dernières
semaines. Mais aucun d’eux n’y travaille réellement. Davis passe aujourd’hui
une grande partie de son temps à la General Services Administration, qui aide à
gérer les agences fédérales et qui est probablement la prochaine cible de la
guerre de Musk contre la bureaucratie.
À la General
Services Administration, Musk a nommé Thomas Shedd, ingénieur logiciel chez
Tesla, au poste de directeur
des « Services de transformation technologique ».
Amanda
Scales, une autre alliée de Musk, qui a travaillé pour le milliardaire et,
avant cela, pour Akis, a joué un rôle particulièrement visible au sein du
Bureau de gestion du personnel. Les
agences fédérales ont été invitées à envoyer à Mme Scales une liste des
travailleurs qui sont encore en période d’essai - et sont donc plus faciles à
licencier.
Mme Scales a
été nommée chef de cabinet de l’agence à un moment où celle-ci n’a pas de
directeur à temps plein, et elle a suscité beaucoup de colère en ligne en tant
que visage des réductions proposées par Trump dans les effectifs fédéraux.
L’équipe de Musk a pris le contrôle de l’ United States Digital Service le premier jour de l’administration Trump. L’unité a depuis été rebaptisée « U.S. DOGE Service ». Photo Eric Lee/The New York Times
Empreintes digitales sur des décisions clés
À
Washington, Musk est à la fois une
célébrité et un bureaucrate, parfois simultanément.
À un moment
donné, lui et plusieurs de ses amis milliardaires, dont Gracias, se mêlaient
aux personnalités de l’establishment de Washington lors du dîner annuel de l’Alfalfa
Club, où plusieurs participants ont enfreint la politique non écrite de l’événement
interdisant les téléphones portables et l’ont assailli pour des selfies. Lors d’un
autre, il a été aperçu dans le mess de la Maison Blanche, où une vingtaine de
membres du personnel mangent des sandwichs entre deux réunions - mais
contrairement à Musk, la plupart ne retournent pas dans un bureau de l’aile
ouest pour aider à superviser ce que M. Trump dit être une équipe de 40
personnes exécutant ses ordres.
Musk s’est
retrouvé concentré sur les manœuvres bureaucratiques dès sa première semaine.
Son équipe s’est
donné pour priorité de trouver un moyen d’envoyer un courriel à l’ensemble des
2,3 millions d’employés civils fédéraux en une seule fois, ce qui est facile à
faire dans une entreprise comme Tesla, mais plus difficile à réaliser pour l’ensemble
de la vaste main-d’œuvre fédérale, dans laquelle les agences ne peuvent
généralement envoyer des courriels qu’à leurs propres employés. Le Bureau de
gestion du personnel a pu utiliser cette liste pour diffuser son mémo mardi
soir.
Tout cela
dans le but d’atteindre les 2 000 milliards de dollars d’économies annuelles
que Musk avait initialement annoncées grâce à l’utilisation de la technologie,
à la déréglementation et aux coupes budgétaires (il a récemment revu son
estimation à la baisse, la rapprochant de 1 000 milliards de dollars). Dans
plusieurs messages publiés sur X depuis l’investiture de Trump, le département
de l’efficacité gouvernementale s’est vanté de plus de 500 millions de dollars
d’économies immédiates grâce à la réduction des initiatives DEI [Diversité,
équité et inclusion] et à la renégociation des baux de bureaux inutilisés,
que les responsables ont qualifiés de « priorité initiale » du groupe.
Le premier
jour de l’administration Trump, l’équipe de Musk a repris l’United States
Digital [Service service numérique des USA], une unité du bureau exécutif du
président qui a été rebaptisée « service DOGE des USA ». Les quelque 200
employés du service s’attendent à des licenciements massifs, et un autre
dirigeant de la Silicon Valley, Tom Krause, a mené des entretiens avec des
employés. Entre autres questions, Krause a demandé aux employés ce qui les
rendait exceptionnels et qui étaient les meilleurs travailleurs de l’agence.
L’équipe de Musk
a également pris en charge toute une série de fonctions, notamment celles de
membres du personnel informatique et de détectives. Trump a déclaré que le
travail de Musk consistait notamment à exécuter ses ordres exécutifs. Musk a
donc essayé de déployer ses ingénieurs pour trouver des moyens de couper le
flux d’argent du département du Trésor vers tout ce que Trump veut priver de
financement.
Les alliés
de Musk au sein du département de l’efficacité gouvernementale et de la Maison
Blanche affirment avoir mis fin à une tentative de certains employés fédéraux
de transférer rapidement de l’argent à l’Organisation mondiale de la santé
juste après que Trump eut déclaré qu’il retirait les USA de l’agence mondiale.
Leurs affirmations n’ont pas pu être vérifiées immédiatement.
Le soir où M. Trump a accordé sa grâce aux personnes accusées de l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole, Paul Ingrassia, à gauche, un agent de liaison de la Maison Blanche auprès du ministère de la Justice, a affirmé qu’« Elon Musk en savait beaucoup à ce sujet et en était le cerveau ». Photo Graham Dickie/The New York Times
Et selon au
moins un assistant de Trump, Musk a également joué un rôle dans la grâce
accordée par le président aux personnes accusées de l’attaque du Capitole du 6
janvier 2021.
Le soir de
la libération des prisonniers, Paul Ingrassia, un agent de liaison de la Maison
Blanche auprès du ministère de la Justice, a déclaré à une foule dans une
prison de Washington qu’« Elon Musk en savait beaucoup sur cette affaire et en
était le cerveau ».
À côté d’
Ingrassia se trouvait un assistant de Musk : Christopher Stanley, qui a
travaillé comme ingénieur en sécurité chez SpaceX et X et a récemment été muté
à un poste « à la Maison Blanche », a déclaré Ingrassia. Stanley s’est plaint
sur les réseaux sociaux de l’éthique de travail des employés fédéraux et du
temps qu’ils mettent à répondre aux courriels depuis son arrivée à Washington.
Musk est
peut-être un peu trop zélé, mais il est généralement apprécié par le cercle
restreint de Trump, envoyant des mèmes par SMS et échangeant des informations
avec des membres du personnel qui ne lui arrivent même pas à la cheville. Il ne
trouve pas ça indigne de lui : dans une conversation avec un ami, il semblait
presque étonné de sa fortune.
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