Sa sœur a grandi dans un foyer laïc en Israël, a servi comme officière dans l’armée et aimait faire la fête. Après que la secte ultra-orthodoxe Lev Tahor l’a embrigadée, Oded Twik a traversé l’océan pour la sauver, elle et sa famille maltraitée.
Ayelett Shani, Haaretz,
8/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Je suis Oded
Twik, j’ai exactement 50 ans. Je suis marié et j’ai deux filles adorables. J’ai
un commerce de produits électriques et je dirige une quincaillerie de quartier
à Rishon Letzion.
Le
magasin dans lequel nous nous trouvons actuellement. Dites-moi, vos clients
savent-ils que le gentil monsieur qui fait des doubles de clés a mené une
opération de sauvetage des personnes des griffes de Lev Tahor – Cœur Pur -, une secte
religieuse ?
C’est un
magasin de quartier. Certains connaissent l’histoire.
Le mois
dernier, les autorités guatémaltèques ont ont exfiltré environ 200
femmes et enfants du site de la secte à Ciudad de Guatemala.. Ils étaient tous dans un
état grave, mentalement et physiquement. Les responsables locaux de l’aide
sociale et la police ont été consternés par la négligence, la violence et l’ampleur
des abus. En 2015, dans une sorte d’opération individuelle, vous avez fait
sortir du Guatemala votre sœur et sa famille, qui étaient membres de la secte.
Comment s’est-elle retrouvée impliquée dans Lev Tahor ?
Nous avons
grandi ici en Israël, dans une famille tout à fait normale. Ma sœur, qui a un
an de plus que moi, a servi dans l’armée en tant qu’officière au ministère de
la défense, à la Kirya [quartier général de la défense]. Elle aimait la vie à
Tel Aviv, elle aimait s’amuser, sortir au Coliseum Club. Après son service,
elle a décidé de faire un voyage aux USA. Elle a voyagé un peu, puis a
travaillé comme fille au pair dans une famille haredi pour payer le reste du
voyage. Au bout d’un certain temps, elle nous a soudain envoyé une photo d’un
homme à la barbe immense, qui ressemblait à [Theodor] Herzl, avec la légende
suivante : « Je me marie ». Nous avons été choqués.
Avez-vous
assisté au mariage ?
Mes parents
y sont allés [en 1987]. Mon père est revenu en état de choc. Il a dit que c’étaient
des bêtes humaines, qu’ils lui avaient rasé la tête pour qu’elle soit chauve
pour le mariage. Mais nous ne connaissions ni ne comprenions rien au monde
ultra-orthodoxe, et encore moins aux sectes. Nous nous sommes dit que si c’était
ce qui lui permettait de se sentir bien, c’était formidable. Plus tard, j’ai
découvert que le fondateur de la secte, Shlomo Helbrans, qui venait de sortir de
prison [né en Israël dans une famille laïque, il est devenu un extrémiste
religieux et a été condamné aux USA pour enlèvement et libéré en 1996], a
envoyé une entremetteuse à la famille pour laquelle elle travaillait et lui a
dit : « Je veux cette fille, je veux la marier. Même lorsque j’ai compris
ce qui se passait et que j’ai essayé de convaincre mes parents de réagir, ils
ont continué à me dire : « Qu’est-ce que tu veux d’elle ? L’essentiel est
qu’elle soit heureuse ».
Quand
avez-vous réalisé que les choses n’allaient pas si bien ?
En 2011,
nous avons rendu visite à la famille de ma femme, à Chicago. La secte était
basée à Montréal à l’époque, et j’ai décidé de profiter du voyage pour rendre
visite à ma sœur. Elle hésite et me dit : « On verra, on verra ce que mon
mari dira ». « C’est absurde », lui ai-je dit. « Je viens.
J’ai réservé une chambre d’hôtel ». Il ne m’est pas venu à l’esprit qu’elle
ne voulait vraiment pas que je vienne. J’arrive et je vois qu’elle agit
bizarrement.
De quelle
manière, par exemple ?
J’ai apporté des poupées pour ses filles et elle a pris les poupées et a commencé à les lancer contre le mur. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle faisait ça, elle m’a répondu qu’elle voulait voir de quoi elles étaient faites. Je lui ai demandé où étaient les filles plus âgées - elles n’étaient pas à la maison. Je ne les ai pas vues de toute la semaine que j’ai passée à Montréal. Le jeudi, je suis allé faire des courses avec elle. Soudain, elle me dit : « Achète-toi des choses pour shabbat ». Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai compris qu’elle n’avait même pas l’intention de m’inviter à passer le week-end avec eux, même si j’étais venu spécialement et que je logeais dans un motel. J’avais hâte que la visite se termine.
Vous êtes
rentré chez vous dans un état second.
Absolument.
Quelques jours plus tard, un homme haredi entre dans mon magasin. Je lui dis
que ma sœur est également haredi et qu’elle vit au Canada. Je lui montre des
photos de mon voyage et il devient tout pâle et dit : « Quoi ? Votre sœur
est là-bas ??? » Lorsque j’essaie de lui poser des questions, il sort de
la boutique en courant.
J’ai appelé
ma sœur et j’ai insisté aussi fort que possible, en lui demandant : « Tu
vas me dire maintenant qui dirige cet endroit ». J’ai fini par obtenir d’elle
le nom du fondateur de la secte : Shlomo Helbrans. J’ai trouvé des articles sur
lui disant qu’il abusait de ses adeptes. J’ai soudain compris ce qui se
passait. Une amie d’enfance de ma sœur m’a appelée et m’a dit que ma sœur lui
avait fait jurer de ne rien me dire, mais que ses enfants lui avaient été
enlevés et placés dans d’autres foyers, et que les filles les plus âgées, de 12
et 13 ans, étaient déjà fiancées.
Qu’avez-vous
fait ?
Je suis
devenu fou. J’ai rassemblé toutes les informations possibles. J’ai parcouru
tout le pays. J’ai rencontré des familles de membres de la secte et des
personnes qui en étaient sorties, qui m’ont raconté ce qui s’y passait. Mais je
n’avais aucune preuve concrète. Finalement, j’ai pris contact avec quelqu’un
qui s’était échappé de la secte. Il avait un disque dur avec toutes sortes de
documents. Des preuves sérieuses. Je suis allé à Copenhague pour le rencontrer,
je lui ai acheté la disquette et je l’ai apportée à la police en Israël. Ils n’avaient
aucune idée de ce que je leur demandais. J’ai engagé un avocat et j’ai pris
contact avec les autorités canadiennes. Les Canadiens ont examiné les preuves
et m’ont dit que c’était terrible, mais qu’ils n’avaient malheureusement pas de
budget pour s’en occuper.
Vous avez
donc décidé de le faire vous-même ? Pensiez-vous pouvoir réussir ?
J’en savais
assez pour comprendre que je ne parviendrais pas à briser la secte, mais je
pensais qu’il était possible de faire sortir ma sœur et ses enfants. C’est l’objectif
que je me suis fixé. En outre, ma sœur était en mauvaise posture. Elle m’avait
alors fait part de toutes sortes de pensées suicidaires qu’elle avait.
Entre-temps, la secte a quitté le Québec pour l’Ontario, et tout mon travail
avec les autorités a été réduit à néant, parce qu’il s’agissait d’une autre
province. Comme un autre pays.
J’ai décidé
de faire du bruit. Je me suis adressé aux médias. J’ai fait venir des équipes
de télévision canadiennes dans le magasin où nous nous trouvons actuellement. J’avais
les preuves que j’avais recueillies. Les médias se sont emparés de l’histoire
et j’ai pu obtenir une ordonnance du tribunal pour que ma sœur et sa famille
reviennent au Québec, mais entre-temps, la secte a compris que c’était
dangereux pour elle et a planifié de faire passer clandestinement ma sœur et sa
famille en Amérique centrale.
Une
destination chère aux criminels de guerre et aux chefs de secte.
Oui, j’ai
continué à envoyer des courriels et des messages au chef de la secte et à ses
fils, dont l’un est aujourd’hui en prison et l’autre est mort. Ils n’ont jamais
répondu, mais je leur ai écrit. Lorsque j’ai appris qu’ils partaient pour l’Amérique
centrale, je leur ai écrit : « Nous nous embarquons pour un nouveau voyage ».
Qu’est-ce
que vous leur aviez écrit jusque-là ?
Toutes
sortes de menaces. J’ai suivi leur exemple. Par exemple, j’ai utilisé toutes
sortes de malédictions tirées des Psaumes, parce que je savais que cela leur
ferait peur.
N’aviez-vous
pas peur qu’ils fassent du mal à votre sœur ?
Je l’ai mise
en garde. Je lui ai dit de ne toucher à rien : « Si quelqu’un t’apporte de
la nourriture, ne la mange pas. Ne mange que des fruits et des légumes ».
Je savais déjà qu’ils donnaient des médicaments psychiatriques aux gens, qu’ils
les rendaient fous. Alors, quand je parlais à ma sœur, je mentionnais toujours
des anecdotes : « Tu as vu ce qu’ils ont fait à Rivka ? Elle est dans un
asile d’aliénés et ils lui ont enlevé ses enfants. Ils te feront la même chose ».
Et elle
vous a cru ? Vous l’avez mise dans une situation où elle devait choisir qui
croire. Ce n’est pas facile pour les personnes en captivité mentale.
Je savais
que je ne pouvais pas me présenter et lui dire : « Écoute, tu es dans une
secte », et qu’elle s’en sortirait et dirait : « Wow, merci [de me l’avoir
dit] ». J’ai appris à travailler avec des membres de sectes, à la fois
auprès d’experts et sur Internet. J’ai parlé à ma sœur en utilisant la méthode « Quand
on est à Rome, on fait comme les Romains » : je savais que dans la secte,
ils utilisaient des menaces et lui faisaient subir un lavage de cerveau, et
donc je l’ai également menacée et lui ai fait subir un lavage de cerveau.
Pourquoi
? Ne pensiez-vous pas que la terreur psychologique de la secte était suffisante
?
J’ai appris
du plus grand d’entre eux, Shlomo Helbrans, comment le faire. Vous appelez ça
de la terreur psychologique, j’appelle ça du lavage de cerveau.
Comment
avez-vous appris ? Qu’avez-vous appris ?
Je m’y suis
mis 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 : je regardais sans cesse le contenu [en
ligne], j’écoutais les enregistrements, la façon dont il parlait avec les
Hassidim, et j’apprenais. Je voyais ce qu’il faisait. Par exemple, lorsqu’il
avait quelque chose d’important à transmettre, c’était comme un mantra. Il le
répétait encore et encore, jusqu’à ce qu’il pénètre leur esprit et devienne un
fait. J’ai été très dur lorsque j’ai parlé à ma sœur. Je lui répétais qu’elle
ne m’intéressait pas, que je me moquais de ce qui lui arrivait, mais seulement
de ce qui arrivait à ses filles. Je lui disais : « Pour qui te prends-tu,
d’ailleurs, espèce d’ordure », des trucs dans ce genre. J’ai opté pour la solution la plus extrême.
Après avoir
compris qu’elle s’était installée en Amérique centrale et qu’elle avait cessé
tout contact, j’ai commencé à la rechercher. J’ai posté des avis avec sa photo
sur les pages Facebook de tous les routards [israéliens]. Quelques jours plus
tard, quelqu’un a commencé à discuter avec moi et m’a informé qu’il voyageait
au Guatemala et qu’il se trouvait en face de ma sœur. J’ai immédiatement appelé
les autorités canadiennes et leur ai dit : « Ecoutez, la secte et ma sœur
sont à Ciudad de Guatemala. Il est de votre devoir de la ramener. Il y a une
décision de justice ». Mais une fois de plus, la réponse a été : « Nous
n’avons pas de budget ». J’ai décidé de m’adresser aux médias canadiens et
de leur donner l’information.
ça ressemble à une erreur.
Je n’avais
pas le choix. Je ne pouvais pas lutter seul contre cette bande de fous. Vous
avez raison dans le sens où je me suis tiré une balle dans le pied, car dès qu’ils
ont compris que les médias étaient sur eux, ils se sont enfuis dans un village
du peuple maya. Je les ai suivis au Guatemala. J’avais prévu d’y rester une
semaine, mais je suis finalement resté trois mois. Je suis allée voir la
communauté juive locale et Chabad, et je leur ai raconté l’histoire de ma sœur.
Je leur ai fait comprendre qu’ils devaient la sauver.
Et le
mari de votre sœur ? Où était-il ?
Ils l’avaient
séparé de la famille ; il était à Chicago, à New York, chargé de collecter des
fonds pour la secte. Il ne savait pas qu’on faisait du mal à ses enfants. Après
coup, lorsque je lui ai raconté ce qui s’était passé, il était choqué. Je lui
ai dit : « Merci beaucoup de t’être enfin réveillé ». Un peu tard.
Votre
sœur savait-elle que ses enfants étaient maltraités ?
Elle l’ignorait.
Elle était déjà captive, totalement immergée. Mais elle était au courant de la
rééducation.
La
rééducation est une pratique bien connue de Lev Tahor. Lorsqu’ils veulent punir
une famille en particulier, ils retirent les enfants de la maison et les font
servir de domestiques et de servantes à d’autres familles de la communauté.
Pourquoi ont-ils voulu punir la famille de votre sœur ? À cause de vous ?
Non. La
famille de ma sœur a été marquée parce qu’elle était considérée comme “faible”
dans la hiérarchie de la secte. Les familles ashkénazes de la secte, en
particulier celles qui sont proches du chef, sont considérées comme ayant un
statut élevé. Les Mizrahim [Juifs originaires du Moyen-Orient ou d’Afrique du
Nord] sont inférieurs aux Ashkénazes. Lorsque Helbrans est devenu religieux, il
s’est rallié à la secte ashkénaze Satmar, bien qu’il soit lui-même mizrahi.
Non
seulement les Mizrahim [avaient un statut inférieur], mais aussi les nouveaux
religieux.
Les Mizrahim
nouvellement religieux sont les plus bas de tous. Du point de vue d’Helbrans,
il était tout d’abord nécessaire d’éliminer la « semence d’Amalek »
[c’est-à-dire les parents, qu’il associe à l’ennemi des anciens Israélites]. Ce
sont des parents qui ont fait des choses terribles lorsqu’ils étaient laïcs,
mais leurs enfants sont purs. Les parents et les enfants doivent donc être
séparés.
De leur
point de vue, votre sœur était donc une question secondaire. Ils ne s’intéressaient
pas à elle, seulement aux enfants.
Absolument.
Si je n’étais pas intervenu, soit ils l’auraient assassinée physiquement, soit
ils auraient assassiné son âme, avec des abus et des pilules, pour qu’elle
finisse par se faire hospitaliser ou se suicider. L’essentiel était de se
débarrasser d’elle et de prendre les enfants.
Dans le
cadre de leur rééducation, les enfants ont été forcés de servir tout le monde
dans la maison [où ils ont été transférés], de faire le ménage et la cuisine
toute la journée, de dormir par terre et d’être soumis à des abus incessants de
la part de la maîtresse de maison. Comme Cendrillon.
Et elles
étaient aussi brutalement battues. La maîtresse de maison a jeté l’une des
filles de ma sœur dans la neige. Le soir, après que la fille avait fini de
faire le ménage, elle l’a attrapée et l’a jetée dehors en lui disant : « Tu
vas rester là, dans la neige, et si tu bouges, je te tue ». Une fille de 12 ans. Elle est restée dehors
dans la neige jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse. Elle ne se souvient pas de ce
qui s’est passé, mais elle s’est réveillée dans la maison.
Pendant
tout ce temps, la fille n’avait pas le droit de parler à sa mère, ni même de s’approcher
d’elle. Tous les autres enfants savaient qu’elle était la fille d’une paria.
Helbrans
appelait ma sœur un chat [et disait] « Ne t’approche pas du chat ».
Non seulement les enfants n’avaient pas le droit de l’approcher, mais toute la
secte l’ostracisait. On a dit à la fille que sa mère était maudite.
Comment
votre sœur parlait-elle d’Helbrans ? Le considérait-elle comme un leader ? Une
figure spirituelle ?
Elle avait
peur de parler de lui, elle avait même peur de prononcer son nom. Elle était
liée à la religion, pas à lui. Elle le détestait, mais le craignait et croyait
qu’il avait des pouvoirs spéciaux. Et il semblait pouvoir en apporter la
preuve.
Comment ?
En les
ensorcelant, comme un magicien. Il faisait des tours et ils étaient ravis ; ils
lui embrassaient les pieds. Par exemple, il se cachait dans la salle de bain et
lisait tous les journaux laïcs, puis il leur disait, par exemple, « Demain,
il y aura un tremblement de terre en Turquie » - alors que le tremblement
de terre avait déjà eu lieu. Après tout, ils étaient coupés d’Internet et du
monde, alors pour eux, c’était comme : « Wow, c’est un prophète, il est tout-puissant ».
Nous
sommes en 2014, vous êtes au Guatemala, vous savez que vos nièces subissent des
horreurs, que votre sœur est seule. Lev Tahor vit dans un village maya, dont
certains habitants ont même rejoint la secte. Vous vous rendez compte que vous
ne parviendrez pas à les exfiltrer.
Je devais
déjà rentrer chez moi, car mes affaires commençaient à s’effondrer. Avant de
repartir, j’ai contacté les médias du Guatemala et leur ai montré des preuves d’abus
- comment pouvait-il être possible que la tribu maya adopte une secte de
pédophiles ? ça a fonctionné. La
secte a été expulsée du village. Elle a loué un grand immeuble de bureaux dans
la zone industrielle et toute la secte s’est installée dans le bâtiment.
Comment
avez-vous su où ils avaient déménagé ?
J’avais un
informateur parmi les Mayas qui me tenait régulièrement au courant. Un jour, il
m’a écrit : « Votre sœur et l’un de ses fils sont sauvagement battus par
le fils d’Helbrans. Il reste là et leur donne des coups de pied, comme s’il s’agissait
d’un ballon. J’ai immédiatement dit à mon père de l’appeler sur son téléphone,
parce qu’elle refusait de me parler. Il l’a appelée et lui a dit : “Alors,
comment se sont passés tous ces passages à tabac ? Ça t’a plu ?” Elle était
stupéfaite ».
Quelques
heures plus tard, son mari m’a appelé. Avec le recul, j’ai compris qu’elle lui
avait parlé des coups. Il a dit : « Aide-moi, il faut les sauver ». « Très
bien. Va en Argentine et attends-les ; je les amènerai là-bas ». J’ai compris que c’était ma grande chance. À
ce moment-là, j’avais déjà noué des contacts - avec l’extraordinaire communauté
juive du Guatemala, avec les autorités locales - mais j’ai dit : « Assez,
je ne veux pas que quelqu’un me fasse des faveurs. Je ne veux pas des
autorités, je ne veux pas des médias. Je vais y aller maintenant et les faire
sortir par moi-même, sinon ça ne finira jamais ».
Pourquoi
pensiez-vous que vous réussiriez cette fois-ci ?
La situation
de la secte avait changé du tout au tout. Ils vivaient tous dans un seul
bâtiment, dans des conditions épouvantables. Ils n’avaient aucun moyen de
cuisiner ou de se doucher. Ils se disputaient constamment à propos de tout. Je
suis allé au Guatemala avec un de mes amis, quelqu’un qui travaillait dans le
domaine de la sécurité. Il a appelé ma sœur et l’a menacée. « Il lui a dit
: "Nous venons te chercher et cette fois, tu t’en vas ».
Pourquoi
des menaces ?
Malheureusement,
c’était le seul moyen de l’atteindre. Elle a totalement coopéré. Nous voulions
venir le soir même, mais elle a dit non, que nous devions attendre jusqu’au
samedi soir, parce que pendant le shabbat, ils prient sans arrêt, puis s’effondrent
et dorment toute la journée du lendemain.
Comment
se fait-il qu’elle ait coopéré tout d’un coup ?
Que
pouvait-elle faire d’autre ? Ses enfants étaient séparés d’elle et maltraités.
Elle et son jeune fils étaient sauvagement battus, et son mari n’était pas
vraiment au courant de toute l’histoire. Elle a craqué. Mon ami a recruté
quelques autres hommes comme lui, avec des armes. Nous avons organisé les
choses pour le samedi soir ; nous avons été sur les dents tout le week-end.
Vous l’avez
crue ? Vous lui avez fait confiance pour qu’elle vous suive ?
Je l’ai
crue. Ils n’avaient pas non plus d’endroit où s’enfuir. Nous nous sommes
arrangés pour venir à 2 heures du matin et nous avons attendu sous le bâtiment,
armés. Il était 2h05, 2h10 du matin. Personne ne descendait. J’ai commencé à
paniquer. J’ai dit que je ne partirais pas sans eux, que je prendrais d’assaut
l’endroit. Soudain, je vois son fils qui me fait signe. Comme elle l’avait dit
: le garçon sortira le premier et vous fera signe.
C’était un
moment vraiment exaltant : Il est descendu le premier, puis un autre garçon. Et
justement, ma sœur a failli tout gâcher. Elle a insisté pour ne pas partir sans
ses affaires. Qu’est-ce que c’était ? De la vaisselle. Le vieux scooter de son
fils. Tous les déchets qu’elle avait accumulés et dont elle était persuadée qu’ils
constituaient un trésor. Nous avons attendu, attendu.
Une fois la
procédure terminée, nous nous sommes rendus dans une résidence sécurisée que j’avais
louée. À la première heure du matin, nous étions déjà à l’aéroport avec nos
gardes. Nous avons pris l’avion pour l’Argentine, c’est tout.
Personne
n’est venu vous chercher ?
Des membres
de la secte ont porté plainte pour l’enlèvement d’une famille. Je ne me
souviens pas exactement, mais il semble que l’on ait tenté de nous arrêter en
chemin, au Panama, mais nous avons également surmonté cette épreuve. Lorsque
nous sommes arrivés en Argentine et que j’ai su qu’ils seraient en sécurité
dans la communauté juive de ce pays, j’ai envoyé un courriel à Helbrans : « Vous
voyez ce qui s’est passé ? Finalement, ce n’est pas moi qui les ai sauvés, c’est
G. [le mari] ». C’est ainsi que je leur ai fermé la porte, que j’ai fait
en sorte qu’ils en aient fini avec la secte.
Sortir
quelqu’un d’une secte n’est pas une mince affaire. Cela exige une action
complexe, globale et multidimensionnelle. Vous avez juste débarqué et vous les
avez sortis. Vous n’aviez pas peur que ça vous revienne en boomerang ?
Non. J’ai
fait ce que j’ai pu.
Shlomo
Helbrans, fondateur de Lev Tahor. Il a envoyé une entremetteuse à la famille pour
laquelle travaillait la sœur de Twik et lui a dit : « Je veux cette fille,
je veux la marier ». Photo Shay Fogelman
Ne
vouliez-vous pas continuer à lutter contre la secte ? De votre point de vue,
dès que votre sœur a été libérée, tout était fini ?
Certainement
pas. J’ai fait beaucoup de relations publiques. J’ai donné des conférences en
public. Nous avons créé une association à but non lucratif appelée Our Children’s
Welfare. Je me suis appuyé sur les liens que j’avais créés avec les juifs aisés
de la communauté à l’étranger. J’ai écrit un livre sur cette histoire [en
hébreu] et je l’ai distribué gratuitement, pensant que cela aiderait peut-être
quelqu’un. En réalité, j’ai également essayé d’aider quelques familles
israéliennes qui avaient des parents coincés dans la secte, mais elles se sont
méfiées de moi. Elles m’ont demandé ce que j’avais à y gagner, et j’ai laissé
tomber.
Aujourd’hui,
votre sœur vit aux USA avec sa famille et pratique un mode de vie haredi.
Ont-ils suivi un traitement, ont-ils été réhabilités ?
Malheureusement,
je n’ai pas pu les aider à suivre un traitement avec mon maigre budget. Quatre
des enfants ne sont pas réhabilités. Ils sont absolument furieux contre leurs
parents. C’est une histoire très dure.
Avez-vous
une bonne relation avec votre sœur aujourd’hui ? Comment s’explique-t-elle ce
qui s’est passé ?
Au début,
elle m’adorait, elle me regardait comme si j’étais tout-puissant. Par la suite,
la famille a commencé à se mettre en colère contre moi. Je voulais absolument
qu’ils déposent une plainte auprès de la police [contre Lev Tahor], mais à mon
grand regret, ils ont refusé. Ils avaient peur.
Qu’avez-vous
pensé lorsque vous avez appris les arrestations [des dirigeants de Lev Tahor]
au Guatemala le mois dernier [après le raid de décembre] ?
J’étais
heureux, mais j’ai aussi ressenti du désespoir. Aujourd’hui, je comprends qu’il
n’y a aucun moyen de mettre fin à cette secte. Elle ne s’arrêtera jamais. Le
fils d’Helbrans sera bientôt libéré de prison. [Shlomo Helbrans, qui s’est noyé
en 2017, a été remplacé à la tête de la secte par son fils, Nachman, qui a été
reconnu coupable de trafic d’êtres humains et de tentative d’enlèvement des
enfants de sa sœur, et a été condamné en 2022 à 12 ans de prison]. Nachman
remettra la secte sur pied. C’est une évidence pour moi. Il sera toujours
capable d’attirer les gens, de balayer les faibles dans son sillage. Je pense
qu’il n’est pas moins doué que son père.
Quel est
l’objectif de Lev Tahor - l’essence de la secte ? Elle se livre à des pratiques
extrêmes, mais son essence est religieuse ?
L’objectif
[des dirigeants] est de bien vivre aux dépens des autres. Vivre une belle vie
avec un public qui vous vénère et qui fait tout pour vous. Ce ne sont pas des
religieux. Pas vraiment. Je leur ai écrit qu’ils avaient violé les 10
commandements.
Y compris
« Tu ne commettras pas de meurtre ».
Il y a le
meurtre du corps et le meurtre de l’âme, dans lesquels ils sont experts.
Certaines personnes sont mortes parce qu’on leur a refusé des soins médicaux,
alors qu’il était clair à l’avance que cela se produirait. Ces dernières
années, la secte est devenue plus extrême. Je pense que cela est également lié
aux Mayas qui les ont rejoints. Mon informateur m’a parlé des atrocités qu’ils
ont commises et auxquelles ils ont participé. Le Guatemala n’est pas le Canada.
Dans le bon sens également, n’est-ce pas ? Pour moi, ça a joué en ma faveur. Je
savais que je pouvais y faire ce que je voulais, et c’est ce que j’ai fait.
Pourquoi
pensez-vous avoir réussi là où beaucoup d’autres familles ont échoué ?
Grâce à la
volonté, à la foi et à la patience.
Je suis
sûre que beaucoup de gens ont ça. Alors, quand vous regardez en arrière, qu’en
pensez-vous ?
La vérité, c’est
que je ne sais pas si je referais tout cela. Ma famille a payé un lourd tribut.
J’ai 50 ans et j’essaie de me reconstruire économiquement, alors que j’avais
déjà une entreprise florissante. Je ne suis plus le même Oded innocent et
gentil que j’étais. J’ai vu un mal dont je n’imaginais pas l’existence. Je sais
que je souffre d’un traumatisme. Au début, au Centre pour les victimes de
sectes, on m’a dit que ce ne sont pas seulement les membres de la secte qui
sont traumatisés, mais aussi tous ceux qui, à l’extérieur, essaient de les
aider.
Il m’a fallu
du temps pour comprendre à quel point c’était vrai. Je suis heureux d’avoir
participé à la lutte contre Lev Tahor, mais nous devons nous rendre compte qu’il
y a beaucoup d’autres sectes comme celle-ci. Beaucoup d’enfants vivent dans l’horreur.
Ils doivent tous être sauvés.
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