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21/10/2022

  YANIV KUBOVICH/JACK KHOURY
La Tanière des Lions de Naplouse, un sacré casse-tête pour l’occupant israélien et l’(In)autorité palestinienne

Yaniv Kubovich et Jack Khoury, Haaretz, 12/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La “Tanière des Lions” [عرين الأسد arin al ousoud  גוב האריות gov-ha-ar-ayot, Lion’s Den] est une cellule laïque et inorganisée [une façon de parler, NdT] composée principalement de jeunes hommes palestiniens. En quelques semaines, elle est devenue le principal auteur des tirs contre les soldats israéliens autour de Naplouse
 

Des jeunes de Naplouse attaquent les forces de sécurité de l'(In)autorité palestinienne après l'arrestation de Shtayeh en début d'année. Photo : JAAFAR ASHTIYEH - AFP

Au début de 2022, les responsables de la sécurité israélienne ont noté une augmentation du nombre d'incidents de tirs dirigés contre des cibles militaires israéliennes dans la région de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie. L'augmentation des incidents a été attribuée, à l'époque, à un groupe appelé les Bataillons de Naplouse, qui avait intensifié son activité dans la vieille ville de Naplouse.

Sur la base des renseignements recueillis, les responsables de la sécurité ont manifesté un intérêt particulier pour plusieurs personnalités éminentes du groupe, et il a été décidé de prendre des mesures à leur encontre. En février, après que l'agence de sécurité Shin Bet eut déterminé que quatre membres du groupe prévoyaient d'attaquer des soldats israéliens prochainement, il a été décidé de procéder à leur assassinat ciblé.

Au cours de la journée du 8 février, les troupes de Yamam, l’unité spéciale ce contre-insurrection [“lutte contre le terrorisme”] de la police aux frontières, sont entrées dans le centre de Naplouse pour coincer la bande. Dans l’échange de tirs qui s’est ensuivi, trois membres du groupe palestinien ont été tués – Ashraf al-Mubaslat, Adham Mabrukeh et Mohammed al-Dakheel – qui étaient connus des autorités de sécurité israéliennes comme membres des Bataillons de Naplouse. Un quatrième homme, Ibrahim al-Nabulsi, qui dirigeait le groupe armé, n'était pas présent ce jour-là.

Six mois plus tard, le 9 août, les forces israéliennes ont tué al-Nabulsi, qui se cachait dans la région de Naplouse. Les Forces de défense israéliennes ont alors annoncé qu'il avait fait partie de la bande terroriste de Mabrukeh, qui n'était « pas affiliée à une organisation terroriste » [sic].

Soldats israéliens près de Naplouse, la semaine dernière. Photo  : Majdi Mohammed/AP

Un mois après la mort d'al-Nabulsi, un Israélien qui roulait en voiture près du village palestinien de Hawara en Cisjordanie a été abattu depuis un véhicule qui a fui les lieux. Un groupe appelé La Tanière des Lions, inconnu des autorités israéliennes, a revendiqué la responsabilité de la fusillade. Depuis lors, le groupe, qui a été responsable d'un grand nombre d'attaques armées dans la région de Naplouse, est devenu un problème majeur pour les forces de sécurité israéliennes et pour les forces de sécurité de l'(In)autorité palestinienne.

Les responsables de la sécurité israélienne pensent que le groupe est composé de personnes qui avaient précédemment été membres d'autres groupes et qu'une série d'événements les a amenés à se « rebaptiser » La Tanière des Lions.

Les membres du groupe sont actifs dans la région de Naplouse, principalement dans sa vieille ville et dans le camp de réfugiés de Balata, et leur objectif déclaré est d'affronter les soldats de Tsahal lorsqu'ils entrent dans la ville ou viennent escorter les juifs orthodoxes venant prier au Tombeau de Joseph à la périphérie de la ville. La plupart sont de jeunes hommes laïcs âgés de 18 à 24 ans qui ne fréquentent pas les mosquées et ne sont pas influencés par des personnalités religieuses.

Dans une conversation avec Haaretz, les membres du groupe ont reconnu que leurs opérations étaient centrées sur la réponse aux opérations de l'armée israélienne ou qu'elles étaient lancées au niveau local. « Il n'y a pas de salle d'opération au sens militaire, ni de plans ou d'objectifs officiels », disent-ils. Ils ajoutent qu'ils sont loin d'être une milice organisée et qu'ils ne mènent pas d'opérations telles que celles de la branche militaire du Hamas ou du Jihad islamique dans la bande de Gaza.

Un enregistrement attribué à al-Nabulsi, peu avant sa mort : « Je suis entouré maintenant, j'aime ma mère et je vais mourir comme un martyr. Protégez la patrie, je vous adjure tous de faire le serment de ne pas déposer les armes. »

« C'est plutôt une réponse aux forces israéliennes qui entrent à Naplouse ou des tirs au hasard sur des positions de l'armée ou des cibles de colons », affirment-ils, bien qu'il y ait parfois des tentatives de défier l'armée.

Jusqu'à il y a plusieurs mois, la plupart des membres de la Tanière étaient identifiés à la faction du Fatah qui contrôle l'(In)autorité palestinienne. Nombre d'entre eux sont également des parents de membres des forces de sécurité de l'(In)autorité palestinienne qui, par le passé, faisaient partie de la force Tanzim du Fatah ou de groupes armés qui répondaient à l'(In)autorité palestinienne et à ses forces de sécurité.

Les personnes impliquées dans la Tanière des Lions ont été stimulées par des affrontements avec les forces israéliennes dans le camp de réfugiés de Jénine. Au milieu d'une querelle interne pour le pouvoir au sein de l'(In)autorité palestinienne en prévision du moment où le Président palestinien Mahmoud Abbas ne sera plus à sa tête, et compte tenu de la situation économique difficile des Palestiniens et de la prolifération des armes dans les zones contrôlées par l'(In)autorité palestinienne, les membres de la Tanière ont compris le potentiel que les groupes armés avaient pour influencer les position des diverses factions.

Un membre de longue date du Fatah de la vieille ville de Naplouse qui connaît certains des acteurs de la Tanière a dit à Haaretz que le groupement est loin d'être une organisation hiérarchique recevant des ordres d'un centre de commandement ou d'une direction politique. « Si nous le comparons à la Brigade des Martyrs d'Al-Aqsa lors de la deuxième Intifada, quand il y avait une hiérarchie jusqu'à la tête de l'organisation, Yasser Arafat et les membres dirigeants du Fatah, dont Marouane Barghouti, maintenant c'est complètement différent », dit-il.

La Tanière des Lions, a-t-il ajouté, est un regroupement local de jeunes hommes, dont la grande majorité sont des gardiens de murs et qui proviennent de plusieurs organisations. La plupart sont affiliés au Fatah tandis que d'autres sont identifiés au Hamas, au Jihad islamique et au Front populaire de libération de la Palestine.

Stars des médias sociaux

Les autorités israéliennes ont exigé que l'(In)autorité palestinienne agisse contre la Tanière, mais le problème de l'(In)autorité palestinienne était que, contrairement à Jénine, où des hommes armés ont reçu le soutien du Jihad islamique, les lions de Naplouse sont des gens qui faisaient partie du Fatah et de l'(In)autorité palestinienne elle-même, qui ont tous décidé de se rebeller. En conséquence, l'(In)autorité palestinienne a eu du mal à agir sans porter atteinte à sa propre légitimité en Cisjordanie, car des membres de la Tanière ont affirmé que leur seul but était de protéger les habitants de Naplouse contre les soldats israéliens qui entrent dans la ville.

Ibrahim al-Nabulsi et Musab Shtayeh

Après le meurtre d'al-Nabulsi, Musab Shtayeh a assumé la responsabilité de ses membres armés. Il a commencé à multiplier les contacts organisationnels – à la fois économiques et logistiques – avec le Hamas. Et dans une certaine mesure, la Tanière des lions est devenue plus un problème pour l'(In)autorité palestinienne que pour Israël.

Les responsables du Hamas ont également compris le potentiel du nouveau groupe. Depuis que le Hamas a eu du mal à mettre en place une infrastructure de combat organisée en Cisjordanie en raison du travail des agences de sécurité israéliennes, il a utilisé les lions de la tanière comme sous-traitants en quelque sorte.

Le Hamas a payé Shtayeh pour son activité et en retour a gagné en importance sur les médias sociaux. Les jeunes laïcs armés de la Tanière ont pu utiliser les médias sociaux pour diffuser leur propagande – en particulier par le biais de TikTok [après enquête, le traducteur confirme l’affirmation d’arin al ousoud, selon laquelle il n’avait pas de compte TikTok, ce qui n’empêche pas des individus de poster des vidéos en leur faveur]. Le Hamas a également compris que ces jeunes avaient besoin de gagner leur vie et a commencé à les indemniser pour chaque vidéo qu'ils ont publiée sur leur activité. De telles vidéos ont également apporté un soutien et un financement pour la Tanière des Lions elle-même, qui s'est développée et est devenu plus forte.

Alors que les membres du groupe devenaient des stars des médias sociaux et que le lien avec le Hamas devenait plus significatif, les responsables de l'(In)autorité palestinienne ont décidé d'agir contre eux. Le 19 septembre, les forces de sécurité de l'(I)AP se sont rendues à la planque de Shtayeh à Naplouse et l'ont arrêté pour suspicion d'infractions liées aux armes et aux impôts et pour atteinte à la sécurité de l'(I)AP. Son arrestation a déclenché des affrontements qui se sont transformés en une journée de combats à Naplouse entre les forces de sécurité palestiniennes et les membres armés de la Tanière des Lions et leurs partisans locaux.

« Les Palestiniens ont également compris que Naplouse était un test important pour eux », dit une source de sécurité de haut niveau. « Il était entendu que cela impliquait des militants qui avaient fait partie du Fatah dans le passé et que le fait de ne pas s’occuper d’eux entraînerait la création d'autres groupes dans toutes les villes de Cisjordanie, qui jusqu'à présent n'ont pas pris part aux événements », a-t-il déclaré.

Malgré les protestations, l’(’I)AP a réussi à rétablir le calme et a placé Shtayeh en détention administrative [tiens, tiens, ils protestent contre la détention administrative pratiquée par les Israéliens et ils la pratiquent eux-mêmes,  de mieux en mieux, NdT].

Il y a environ deux semaines, le Président Abbas a convoqué les chefs des forces de sécurité de l'(In)autorité palestinienne pour un entretien. Certaines personnes présentes ont décrit la difficulté d'agir contre des hommes armés qui ont affirmé qu'ils agissaient principalement contre les troupes de l'armée israélienne et non contre des civils israéliens. Selon des sources, Abbas a clairement indiqué aux chefs des services de sécurité palestiniens qu'il n'était pas prêt à accepter la poursuite des activités des hommes armés qui ne sont pas soumis à l'(in)autorité de l'(In)autorité palestinienne. Il a exigé que les efforts de collecte d'armes se poursuivent et que les personnes considérées comme ce qui a été décrit comme des « militants incitant à la violence » soient arrêtées.

Les vents du changement

Les responsables de la sécurité israélienne estiment qu'Abbas a subi un changement substantiel à la suite du discours du Premier ministre Yair Lapid à l'Assemblée générale des Nations unies le mois dernier. Abbas considère l'engagement de Lapid en faveur d'une solution à deux États au conflit avec les Palestiniens comme une opportunité de créer un changement au sein de l'(I)AP et est prêt à travailler pour maintenir le dialogue avec Israël.

Selon des sources de sécurité israéliennes, l'incident de la semaine dernière au cours duquel les forces de sécurité palestiniennes ont extrait une famille juive israélienne qui était entrée à Naplouse a été un exemple de ce changement. Les forces palestiniennes ont rapidement rejoint la famille et l'ont protégée de ceux qui cherchaient à lui faire du mal. La famille a été ouvertement renvoyée en Israël – contrairement aux cas passés où des Israéliens ont été renvoyés à l’insu du public.

D'autre part, la semaine dernière, Abbas a également réprimandé publiquement le gouverneur de Naplouse Ibrahim Ramadan après que celui-ci avait fait un commentaire qui a été considéré comme controversé parmi les Palestiniens – appelant les mères palestiniennes qui envoient leurs fils dans des missions suicides des dévoyées. « Les gens pensent qu'une telle mère est une combattante, mais elle ne l'est pas. C'est une mère qui envoie son fils à la mort », a ajouté le gouverneur.


Des manifestants palestiniens protestant contre l'arrestation de deux militants palestiniens se heurtent aux forces de sécurité palestiniennes, le mois dernier à Naplouse. Photo : MOHAMAD TOROKMAN/Reuters

Des sources israéliennes ont déclaré qu'elles croyaient que le fait de réprimander publiquement le gouverneur reflétait la nécessité pour Abbas d'équilibrer ses actions pour maintenir sa légitimité à agir contre la Tanière des Lions.

Haaretz a également appris que l’(I)AP a récemment fait des efforts pour intégrer certains membres de la Tanière dans les forces de sécurité palestiniennes dans le but de les amener à se rendre et à déposer leurs armes en échange de peines de prison limitées ou d'assignation à résidence. Ils seraient ensuite intégrés dans les forces de sécurité s'ils démontrent leur engagement.

« Quiconque pense qu'il y aura en ce moment une confrontation frontale et des arrestations massives – en tenant compte de la conduite israélienne et de l'escalade grave et dangereuse contre les Palestiniens – se trompe, mais il y aura une tentative de régler leur statut », a déclaré à Haaretz un haut responsable de l'(I)AP.

Ces dernières semaines, Israël a également pris des mesures importantes pour renforcer l'(In)autorité palestinienne. Contrairement à ce qui a été fait à Jénine, les FDI se sont abstenues d'entrer à Naplouse, sauf dans les cas où des informations font état de plans visant à perpétrer des attentats terroristes. Cette politique vise à renforcer les forces de sécurité palestiniennes et non à créer une situation dans laquelle celles-ci sont contraintes d'agir conformément aux exigences d'Israël. Dans le même temps, l'(In)autorité palestinienne a commencé à agir seule contre la Tanière des Lions et n'a pas suivi les déclarations du chef d'état-major des FDI ou d'autres Israéliens appelant l'(In)autorité palestinienne à le faire.

À la suite de la guerre de l'année dernière entre Israël et le Hamas et ses alliés à Gaza, il y a eu des sondages d'opinion indiquant que 51 pour cent des Cisjordaniens soutenaient le Hamas. Maintenant, suite aux mesures de l’(I)AP et aux mesures économiques et civiles instituées par Israël, les derniers sondages ont montré une baisse du soutien au Hamas en Cisjordanie – à 32 pour cent – le niveau où il se trouvait avant la guerre de l'année dernière.

Il y a aussi des divergences d'opinion entre Palestiniens en ce qui concerne la légitimité de la Tanière des Lions. Les hommes d'affaires de Cisjordanie ont exigé que l'(In)autorité palestinienne s'occupe de ce phénomène, qui nuit aux affaires et au commerce, en particulier à Naplouse et à Jénine.

« Pensez-vous que ce sont des personnes qui seraient les porte-étendards de la résistance ? » a déclaré à Haaretz  un haut responsable de l'(In)autorité palestinienne: « [Les membres de la Tanière] sont un groupe de personnes ayant des intérêts spéciaux qui veulent de l'argent et du pouvoir. » [cause pour toi, bouffi, NdT]


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