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04/10/2022

KIT KLARENBERG
Petit décodage de la guerre online du Pentagone contre l'Iran

Kit Klarenberg , The Cradle, 1/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Kit Klarenberg est un journaliste d'investigation britannique dont le travail explore le rôle des services de renseignement dans la formation de la politique et des perceptions. @KitKlarenberg

PdT (Préambule du traducteur)

Tout comme Blanche-Neige voyait des nains partout, certains voient des complots partout. Je ne suis pas de ceux-là. La révolte en cours des femmes et de la jeunesse d’Iran évoque à la fois les révolutions arabes de la décennie passée et le mouvement Black Lives Matter en réaction au meurtre policier de Georg Floyd aux USA. La mort suspecte de Jhina (“Mahsa”) Amini, interpellée par la police des mœurs à Téhéran pour « port non conforme de hijab », a joué le même rôle que l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid : celui de « l’étincelle qui a mis le feu à la plaine ». Deux versions des raisons de sa mort s’opposent : d’un côté, les autorités iraniennes – qui ont diffusé une vidéo montrant une femme voilée s’écroulant tout à coup dans une salle d’attente, sans qu’il soit possible de savoir s’il s’agissait bien de Jhina Amini – affirmant que la jeune femme, épileptique, diabétique et ayant subi une opération du cerveau à l’âge de 5 ans, avait eu une attaque cardiaque ; de l’autre, la famille de Jhina et des femmes interpellées en même temps qu’elle, affirmant qu’elle a reçu des coups sur la tête de policiers des mœurs, ce qui a entraîné sa mort 2 jours plus tard. Quelle que soit la vérité, plusieurs évidences s’imposent : 1-il y a en Iran un ras-le-bol généralisé bien réel et indéniable, en particulier chez les femmes ; 2-chaque soulèvement contre le régime des ayatollahs est une occasion en or de jeter de l’huile sur le feu pour les “usual suspects”, de la CIA et du CENTCOM à la Voice of America. La CIA en particulier voudrait bien faire oublier son plus lamentable échec historique : ne pas avoir été fichue de voir venir la révolution dite islamique de 1979 et la chute de son chouchou le Chah ; 3-voir dans l’actuel soulèvement en Iran un simple complot impérialiste, une énième "révolution de couleur", relèverait de la bêtise et de la paranoïa.

Nous faisons donc confiance à l’intelligence des lecteur·rices pour faire le tri dans les intéressantes informations données ci-dessous et tirer leurs propres conclusions.-FG

D'un simple clic de bouton aux USA à la violence dans les rues de Téhéran, les dernières manifestations en Iran sont conçues et provoquées de l'extérieur


Les troubles civils en Iran en réponse à la mort récente de Mahsa Amini, 22 ans, alors qu'elle attendait [sic, NdT] dans un poste de police de Téhéran, bien que fondés sur des griefs légitimes, portent également la marque d'une guerre secrète commanditée par l'Occident, couvrant de multiples fronts.

Quelques jours seulement après le déclenchement des manifestations, le 16 septembre, le Washington Post a révélé que le Pentagone avait lancé un vaste audit de tous ses efforts de psyops [opérations psychologiques] en ligne, après qu'un certain nombre de comptes bot & trolls exploités par sa division de commandement central (CENTCOM) – qui couvre toutes les actions militaires usaméricaines en Asie occidentale, en Afrique du Nord et en Asie du Sud et centrale – avaient été exposés, puis interdits par les principaux réseaux sociaux et espaces en ligne.

Les comptes ont été décortiqués dans une enquête conjointe menée par la société de recherche sur les médias sociaux Graphika, et l'Observatoire Internet de Stanford, qui a évalué « cinq ans d'opérations d'influence secrète pro-occidentale ». [l’enquête constate que les faux comptes se présentant comme iraniens ont eu très peu de followers, et donc que leur influence a été quasiment nulle, NdT]

Publiée à la fin du mois d'août, elle a fait l'objet d'une couverture médiatique minimale en anglais à l'époque, mais elle a manifestement été remarquée, suscitant des inquiétudes au plus haut niveau du gouvernement usaméricain, ce qui a motivé l'audit.

Alors que le Washington Post suggérait sans peur du ridicule que l'ombrage du gouvernement découlait des activités manipulatrices et flagrantes du CENTCOM qui pourraient compromettre les « valeurs » usaméricaines et sa« position morale élevée », il est tout à fait clair que le véritable problème était que le CENTCOM avait été mis à poil.

#OpIran

La compétence géographique du CENTCOM inclut l'Iran, et étant donné le statut de longue date de la République islamique en tant qu'État ennemi clé des USA, il n'est peut-être pas surprenant qu'une partie importante des efforts de désinformation en ligne et de guerre psychologique de l'unité l’aient ciblée.

Une stratégie clé utilisée par les spécialistes militaires usaméricains des psyops est la création de plusieurs médias fictifs publiant des contenus en farsi. De nombreux canaux en ligne ont été maintenus pour ces plateformes, couvrant Twitter, Facebook, Instagram, YouTube et même Telegram.

Dans certains cas également, de faux journalistes et experts, avec de nombreux « followers » sur ces plateformes, ont émergé, ainsi que des photos de profil créées via l'intelligence artificielle.

Par exemple, Fahim News a prétendu fournir « des nouvelles et des informations exactes » sur les événements en Iran, en publiant des articles bien en vue déclarant que « le régime utilise tous ses efforts pour censurer et filtrer Internet », et en encourageant les lecteurs à s'en tenir aux sources en ligne en conséquence.

Pendant ce temps, Dariche News a prétendu être un « site ouèbe indépendant sans affiliation avec aucun groupe ou organisation », engagé à fournir « des nouvelles non censurées et impartiales » aux Iraniens à l'intérieur et à l'extérieur du pays, en particulier des informations sur « le rôle destructeur du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique  dans toutes les affaires et questions de l'Iran et de la région ».

Leurs chaînes YouTube respectives ont publié de nombreuses vidéos courtes, probablement dans l'espoir qu'elles seraient confondues avec du contenu organique, et virales sur d'autres réseaux sociaux. Les chercheurs ont identifié un cas où des médias avaient d'ailleurs intégré le contenu de Dariche News dans des articles.

Une armée de bots et de trolls

Certaines des fausses organisations de presse ont publié des documents originaux, mais une grande partie de leur production a été recyclée à partir de médias de propagande financés par le gouvernement usaméricain tels que Radio Farda et Voice of America Farsi.

Ils ont également repensé et partagé des articles d'Iran International, basée en Grande-Bretagne, qui semble recevoir un financement indépendant de l'Arabie saoudite, tout comme plusieurs profils bidon attachés à ces médias.

Ces faux profils publiaient fréquemment des contenus non politiques, y compris de la poésie iranienne et des photos de nourriture persane, afin d'accroître leur authenticité. Ils se sont également entretenus avec de vrais Iraniens sur Twitter, plaisantant souvent avec eux à propos de mèmes sur Internet.

Les bots & trolls du Pentagone ont utilisé différentes techniques et approches narratives pour essayer d'influencer les perceptions et susciter l'engagement. Une poignée d'entre eux défendaient des positions « intransigeantes », critiquant le gouvernement iranien pour sa politique étrangère insuffisamment “fauconnière” tout en étant excessivement réformistes et libéraux sur le plan intérieur.

Un de ces faux utilisateurs, un soi-disant « expert en science politique », a accumulé des milliers d'adeptes sur Twitter et Telegram en publiant du contenu louant le pouvoir croissant de l'islam chiite en Asie occidentale, tandis que d'autres comptes affichant une « ligne dure » louaient feu le général Qassem Soleimani du Corps des Gardiens, tué dans une frappe illégale de drones usaméricains en janvier 2020, en tant que martyr, et encourageaient le port du hijab.

Les chercheurs affirment que le but de ces efforts n'était pas clair, bien qu'une explication évidente soit que le Pentagone cherchait à favoriser le mécontentement anti-gouvernemental parmi les Iraniens conservateurs, tout en créant des listes d'«extrémistes » locaux à surveiller en ligne.

Opposition orchestrée

Cependant, la plupart des comptes liés au Pentagone ont critiqué de manière vicieuse le gouvernement iranien et les Gardiens de la Révolution. De nombreux bots & trolls du Pentagone ont cherché à rendre ces derniers responsables des pénuries de nourriture et de médicaments, les assimilant à Daech, et ont posté des vidéos de manifestants et de pillages de supermarchés iraniens sous-titrés en pachtou, en anglais et en ourdou.

Des articles plus sobres critiquaient Téhéran pour avoir redistribué de la nourriture indispensable au mouvement du Hezbollah au Liban, tandis que d'autres soulignaient des incidents embarrassants, tels qu'une panne de courant signalée qui a fait perdre un tournoi international en ligne à l'équipe d'échecs du pays.

En outre, plusieurs faux utilisateurs ont prétendu demander « justice pour les victimes de # Flight752 », faisant référence au vol Ukraine International Airlines abattu accidentellement par les Gardiens en janvier 2020.

Utilisant des hashtags tels que #PS752 et #PS752justice des centaines de fois, ils ont personnellement blâmé le Guide suprême iranien Ali Khamenei pour l'incident.

Après le déclenchement de la guerre en Ukraine en février, ces comptes ont utilisé les versions persanes des hashtags #No_To_Poutine et #No_To_War – eux-mêmes largement diffusés sur Twitter par les comptes bot & troll pro-Ukraine, selon des recherches séparées.

Les utilisateurs ont condamné le soutien verbal de Khamenei à Poutine et ont accusé l'Iran de fournir à Moscou des drones, qui auraient été utilisés pour tuer des civils.

Ils ont également diffusé le récit que la collusion de l'Iran avec la Russie entraînerait des répercussions politiques et économiques négatives pour Téhéran, tout en faisant des comparaisons peu flatteuses entre Khamenei et le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

« L’un a vendu l'Iran à la Russie et ordonné le meurtre de leurs peuples », a gazouillé un compte. « L'autre porte un uniforme de combat aux côtés de son peuple et a arrêté la colonisation de l'Ukraine par la Russie de toutes ses forces. »

Fureur dispersée

Il y a eu aussi des inventions feuilletonesques visant à nuire à la position de l'Iran dans les pays voisins et à saper son influence régionale. Une grande partie de ce travail semble avoir eu pour but de répandre la panique et l'inquiétude, et de créer un environnement hostile pour les Iraniens à l'étranger.

Par exemple, des comptes rendus ciblant des publics en Afghanistan ont affirmé que des membres de la Force Al Quds s'infiltraient à Kaboul en se faisant passer pour des journalistes afin d'écraser l'opposition aux Taliban. Ils ont également publié des articles d'un site ouèbe lié à l'armée US qui prétendaient sur la base de zéro preuve que les corps de réfugiés afghans morts en Iran étaient renvoyés chez eux avec des organes disparus.

Une autre histoire bidon préjudiciable émanant de la même source à la fin de 2021 et au début de 2022 était que les Gardiens de la Révolution forçaient les réfugiés afghans à rejoindre les milices combattant en Syrie et au Yémen, et que ceux qui refusaient étaient expulsés.

L'Irak était un pays d'un intérêt particulier pour les cyber-guerriers du Pentagone, avec des mèmes largement partagés dans tout Bagdad et au-delà décrivant l'influence des Gardiens de la Révolution dans le pays comme un fléau ravageur, et un contenu disant que les milices irakiennes, et des éléments du gouvernement, étaient des outils efficaces de Téhéran, luttant pour faire avancer les desseins impériaux de l'Iran sur l'Asie occidentale dans son ensemble.

Les milices ont également été accusées d'avoir tué des Irakiens par de tirs de roquettes, d'avoir provoqué des sécheresses en endommageant les infrastructures d'approvisionnement en eau, d'avoir introduit clandestinement des armes et du carburant en Iraq et en Syrie, et d'avoir alimenté l'épidémie de méthamphétamine.

Un autre groupe de comptes du Pentagone s'est concentré sur l'implication de l'Iran au Yémen, publiant du contenu sur les principaux réseaux sociaux critiques du gouvernement de facto dirigé par Ansarallah à Sanaa, l'accusant de bloquer délibérément les livraisons d'aide humanitaire, agissant comme un mandataire incontestable de Téhéran et du Hezbollah, et fermant des librairies, des stations de radio et d'autres institutions culturelles.

Plusieurs de leurs posts ont accusé l'Iran de la mort de civils par l'intermédiaire de mines terrestres, sur la base du fait que Téhéran pourrait les avoir fournies.

Préparation du terrain

D'autres récits de guerre psychologique du CENTCOM ont un rapport direct avec les manifestations qui ont embrasé l'Iran.

Un groupe de bots & trolls s'est particulièrement intéressé aux droits des femmes. Des dizaines de posts ont comparé les opportunités des femmes iraniennes à l'étranger avec celles d'Iran – un mème sur ce thème mettait en contraste des photos d'une astronaute avec une victime de violence conjugale – tandis que d'autres ont promu les protestations contre le hijab.

La corruption présumée du gouvernement et l'augmentation du coût de la vie ont également été soulignées à plusieurs reprises, en particulier en ce qui concerne l'alimentation et les médicaments – dont la production en Iran est contrôlée par les Gardiens de la Révolution, un fait sur lequel les opérateurs en ligne du CENTCOM ont attiré l'attention à plusieurs reprises.

Les droits des femmes, la corruption et le coût de la vie – dont l’augmentation résulte directement de l'étouffement du aux sanctions usaméricaines – sont tous des facteurs de motivation clés pour les manifestants.

Malgré les actes généralisés de violence et de vandalisme perpétrés par les émeutiers à l'encontre de civils et des autorités, comme la destruction d'une ambulance transportant des policiers loin des lieux d'une émeute, ils affirment également être motivés par des préoccupations relatives aux droits humains.

Les journalistes établis et marginaux et les experts ont rejeté comme théorie complotiste toute suggestion selon laquelle les protestations en Iran et au-delà seraient de nature autre qu'organique et populaire.

Masih Alinejad

Pourtant, la preuve évidente de la direction et du parrainage étrangers abondent, notamment dans le visage très public du mouvement anti-hijab, Masih Alinejad, qui depuis de nombreuses années a encouragé les femmes iraniennes à brûler cérémoniellement leur foulard depuis une maison-refuge sécurisée du FBI à New York, puis fait connaître en ligne les images, qui voyagent autour du monde via les médias sociaux et les médias traditionnels.

Une guerre de changement de régime par d'autres moyens

Les activités d'Alinejad ont généré une grande quantité de faussetés et une couverture médiatique crédible, sans qu'un seul journaliste ou un seul média ne se demande si son rôle éminent dans le mouvement de protestation prétendument populaire et initié localement est affilié à une ingérence étrangère hostile.

Et cela en dépit des photos d’Alinejad avec l'ancien directeur de la CIA Mike Pompeo, et du fait qu’elle a reçu un montant stupéfiant de 628 000 $ [=640 000€] en contrats du gouvernement fédéral usaméricain depuis 2015.

Une grande partie de ces fonds provenait du Broadcasting Board of Governors, l'agence gouvernementale usaméricaine qui supervise les plateformes de propagande telles que Radio Free Europe et Voice of America, qui produit une émission en farsi dirigée par Alinejad depuis sept ans.

Ces grappes de publications sur les médias sociaux peuvent sembler inoffensives et authentiques à une époque d’attrape-clics et de fake news virales, mais lorsqu'elles sont agrégées et analysées, elles forment une arme puissante et potentiellement dangereuse qui s'avère être l'une des nombreuses armes de l'arsenal de changement de régime du Pentagone.

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