Gideon
Levy & Alex
Levac (photos), Haaretz , 7/10/2022 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Muhammad
Awad, un travailleur social de 36 ans et père de trois enfants, était en route
pour acheter des articles pour son nouveau magasin de téléphones cellulaires,
lorsque sa voiture est entrée en collision avec un véhicule de police garé. Les
soldats ont immédiatement tiré et l'ont tué ; ils disent que c'était une «
attaque-bélier ». Dans son village, on est convaincus que c'était un accident.
Affiche commémorative pour Muhammad
Awad (avec cravate rouge). Les funérailles devront attendre qu'Israël relâche
son corps.
Un de ses
frères endeuillés ouvre le verrou sur la porte de fer du magasin, au-dessus de
laquelle le nouveau panneau est déjà en place : Imtizaz Techno, “Excellence
technologique”. Le magasin d'électronique de Muhammad Awad devait ouvrir
dimanche dernier. À l'intérieur, lourde, omniprésente, déprimante, une odeur mêlée
de peinture fraîche et de plastique. Accrochés aux murs, il y a des accessoires
cellulaires colorés, des protections d'écran et des écouteurs, des chargeurs et
des étuis, comme on en trouve dans tous les magasins de ce genre. Tout est prêt
pour l'ouverture, qui devait avoir lieu le dimanche 25 septembre.
Vers midi,
le 24, le propriétaire de 36 ans a été abattu par des soldats des Forces de
défense israéliennes, qui l’ont pris pour un terroriste.
Maintenant,
le magasin est désert et endeuillé, dans un silence lourd et sombre. Une lampe
est suspendue à l'extérieur, au-dessus de l'entrée, allumée pendant la journée,
comme une bougie commémorative. Le magasin n'ouvrira jamais maintenant,
certainement pas sous la propriété de Muhammad Awad.
Beit Ijza
est un petit village d'environ 800 habitants situé dans l'enclave emprisonnée
de villages palestiniens au nord de Jérusalem, à côté de la colonie de Givon
Hahadasha. L'une des maisons du village est entourée de tous côtés, comme dans
une cage, accessible uniquement par un étroit passage étroite. Awad est né et a
grandi ici ; il y a environ 10 ans, il a déménagé dans le village voisin de Bir
Naballah, où il avait acheté une nouvelle maison pour sa nouvelle famille. Lui
et sa femme, Alhan, 32 ans, ont trois fils : Ali, 11 ans, Julan, 9 ans, et Abderrahmane,
4 ans. Son père, ses frères et ses sœurs sont restés dans le village ; sa mère
était morte depuis longtemps.
Muhammad Awad avec ses
enfants. Photo : famille Awad
La vie avait
commencé à sourire à la famille il y a quelques années. Awad avait travaillé
pendant 13 ans comme travailleur social à l'école primaire Ibn Khaldoun (il a
étudié ce domaine à l'Université Bir Zeit) dans le village voisin d'El Jib,
mais avait récemment décidé qu'il ouvrirait également un magasin d'électronique,
dans son lieu de naissance, à côté de la maison dans laquelle il a grandi. Les
salaires payés par l'Autorité palestinienne ont été réduits au cours des
derniers mois, et Awad a rêvé de s'établir, et de compléter ses revenus du
travail scolaire par la propriété du nouveau magasin.
Ce samedi,
il y a deux semaines, il était occupé à faire les derniers préparatifs pour
l'inauguration festive du premier et unique magasin d'électronique de Beit
Ijza. Bien que la boutique fût déjà bien approvisionnée, Awad voulait offrir
une sélection encore meilleure d'appareils et d'accessoires. En conséquence, il
s'est rendu à Qalqilyah, dans le centre de la Cisjordanie, où se trouvait son
fournisseur.
Quittant sa
maison à midi, il a d'abord rendu visite à son magasin, pour s'assurer que tout
était en ordre. De là, il s'est rendu à l'hôpital public de Ramallah, pour
rendre visite à la fille nouvelle-née de sa nièce Alina, qui était soignée en
raison de problèmes dans son tube digestif. Awad ne possédait pas de voiture – la
Hyundai Accent qu'il conduisait avait
été louée avant l'ouverture du magasin d'une entreprise dans le village voisin
de Bidu. Il a suggéré que le père de l'enfant malade prenne l'air en le
rejoignant sur la route de Qalqilyah. Cependant, Muamen, le père de 27 ans, ne
voulait pas quitter le chevet de sa fille. Awad a quitté l'hôpital à 12h40.
À 13 h20, il
a passé le dernier coup de fil de sa vie. L'appel, probablement fait pendant
qu'il conduisait, était à son oncle, Muhammad Fahin, 45 ans, pour lui demander
s'il voulait toujours qu'il lui achète le nouveau téléphone portable dont ils
avaient discuté, un iPhone 14 Pro Max. Fahin a confirmé qu'il voulait
l'appareil. Awad continua à rouler vers la ville d'Hawara, puis tourna à
l'ouest. Il s'est peut-être arrêté en cours de route, mais peu après 14 heures,
il se trouvait près du village de Tell, au sud de Naplouse, sur le chemin de
Qalqilyah. Sur l'autoroute près de la colonie de Havat Gilad se tenait une
voiture de police, et à côté de celle-ci se trouvait une voiture privée que la
police avait interceptée pour donner un PV au conducteur ou vérifier ses
papiers. Des soldats sécurisaient le véhicule de police.
Une image de la scène du
crash. La police a rapporté l'incident comme une nouvelle attaque de
voiture-bélier. Photo : famille Awad
Ce qui s'est
passé à partir du moment où la voiture d'Awad s'est approchée du véhicule de
police et s'est écrasée dessus n'est pas complètement clair. Iyad Hadad,
chercheur sur le terrain pour l'organisation israélienne de défense des droits
humains B’Tselem, poursuit son enquête. Entretemps, il n'a recueilli que des
témoignages qui lui ont été fournis de seconde main, aucun qu'il ait lui-même
recueilli.
Selon une
source, Awad n'a pas remarqué la voiture de police, et quand il a vu deux
voitures devant lui ralentir, il les a croisées à grande vitesse et s'est
écrasé contre l'avant du véhicule de police, qui se tenait sur la bretelle de
gauche de la route à deux voies, mais était garé de sorte qu'il faisait saillie
sur la voie. Un agent de sécurité de l'Autorité palestinienne qui est passé par
là, mais ne s'est pas identifié, a raconté qu'un des policiers israéliens lui
avait dit qu'il y avait eu un accident. Quand il s'est approché, un autre
policier lui a dit qu'il s'agissait d'une attaque terroriste et lui a ordonné
de partir.
Une
photographie du défunt Awad dans sa voiture le montre affaissé sur le côté
droit du siège avant, sa main protégeant apparemment sa tête, les airbags de la
Hyundai gonflés et du sang sur le siège du conducteur. Sur une autre
photographie, l'avant du véhicule de police, numéro d'immatriculation 15187, et
l'avant de la Hyundai sont visibles, deux enchevêtrements d'épaves.
À 17h30,
environ trois heures après l'accident/éperonnage, la famille d'Awad a reçu un
appel du bureau palestinien de coordination et de liaison. La partie
israélienne leur avait rapporté qu'Awad avait été tué par balle, leur a dit l’interlocuteur.
Plus tôt, à 3h10, un passant sur la route avait appelé la société de location
de voiture à Bidu pour dire qu'une Hyundai leur appartenant – selon les marques
sur la voiture – avait été impliquée dans un accident et que le conducteur
était couché mort à l'intérieur de la voiture. L'entreprise a informé le frère
d'Awad, Tarek, 33 ans, de l'identité de la victime, sur la base de ses
dossiers.
Le frère de Muhammad Awad,
Tarek .
Tarek a
immédiatement appelé son frère, mais Muhammad n'a pas répondu. Il a essayé à
plusieurs reprises jusqu'à minuit, moment où le téléphone de son frère était déchargé,
et la nouvelle qu'il était mort avait été reçue par la famille. Cela ne s'est
produit qu'à 21 heures, quand un agent de sécurité de Shin Bet a appelé la
femme d'Awad, lui a présenté ses condoléances et lui a demandé pourquoi Awad
s'était rendu à Qalqilyah. Comment l'agent a su où Awad se dirigeait ? On ne
peut pas le savoir La jeune veuve a répondu : « Tu le sais mieux que moi. »
Le Shin Bet
a également appelé un autre membre de la famille pour lui dire de ne pas
publier de textes incendiaires sur les réseaux sociaux, à moins qu'il ne veuille
se retrouver en détention administrative (incarcération sans inculpation).
Cependant, contrairement à la pratique habituelle après de véritables attentats
terroristes [sic ], aucun membre de Shin Bet ou des FDI ne s'est rendu au
domicile de la famille pour interroger les occupants sur la question de savoir
s'ils savaient quoi que ce soit à l'avance et pour examiner les lieux afin de
trouver des indices susceptibles de faire la lumière sur l'incident.
Le
porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz
: « Au cours des activités de routine conjointes des combattants des FDI et de
la police israélienne, près de la colonie de Havat Gilad dans la zone de la
brigade territoriale de Shomron [Samarie], les forces ont repéré un suspect qui
s'est précipité à leur approche et a tenté de les écraser. Le conducteur de la
voiture a été tué par balle. Les circonstances de l'événement sont en train
d'être clarifiées. »
Une tente de
protestation a été érigée à l'entrée de la rue qui mène à la maison familiale
de Beit Ijza : le village exige la restitution du corps d'Awad. Dans la tente
se trouve une grande affiche avec une photo d'Awad, l'homme de la famille : sur
ses épaules se trouve Abderrahmane, son plus jeune fils, et les deux autres
garçons le flanquent de chaque côté. Le père d'Awad, Ali, 68 ans, souffre d'une
maladie cardiaque qui s'est aggravée depuis qu'il a perdu son fils. Il a été
emmené à l'hôpital au début de la semaine et a été libéré au bout de six
heures. La veuve et les orphelins sont enfermés chez eux à Bir Naballah.
Deux avocats
palestiniens tentent de faire libérer le corps ; jusqu'à présent, sans succès.
Dans les médias israéliens la semaine dernière, on a été prompts à rapporter
une nouvelle attaque, par un terroriste de 36 ans.
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