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10/10/2022

BARAN QAMISLO
"Femme, Vie, Liberté" : le slogan qui fait vaciller les régimes

Baran Qamişlo , DinamoPress.it, 7/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La révolte au Rojhelat, la résistance civile au Kurdistan du Nord et en Turquie, la résistance dans les montagnes, la révolution du Rojava sont interconnectées, et sont une source d’inspiration pour révoltes qui ont éclaté en Iran. Malheureusement, même la répression, toujours plus violente et préventive, a les mêmes connotations.


Le slogan kurde Jin, Jîyan, Azadî, né au Rojava, s’est répandu dans tout l’Iran dans sa version persane, Zan, Zendegi, Azadi (les langues kurdes et le persan appartiennent au même groupe de langues dites indo-iraniennes). Ci-dessus une fresque murale de Btoy, sur la Schwendergasse à Vienne (Autriche). Ci-dessous une variante iranienne émanant d’un groupe d’artistes anonymes


La mort de Masha/Jina Amini, une Kurde de 22 ans, tombée dans le coma après avoir été tabassée par la police des mœurs iranienne une fois interpellée parce qu'elle avait été surprise dans une rue de Téhéran « portant mal son hijab », a déclenché une série de protestations qui ont entraîné une révolte impliquant toutes les grandes villes iraniennes et de l'est du Kurdistan.

La vague de protestations a ouvert la boîte de Pandore, mettant en lumière une à une toutes les questions non résolues de l'État iranien.

Si le thème le plus évident sur les places ces jours-ci est la répression sociale et politique à laquelle sont soumises surtout les femmes, la rue a exprimé un ras-le-bol généralisé à l'égard de la République islamique et de ses dirigeants : un fait emblématique de cela a été l’incendie par les manifestants du monument à la mémoire de  Qasem Soleimani à Kerman, sa ville natale.

Soleimani a été général des Niru-ye Qods, communément appelées « Forces Quds », la branche des Gardiens de la Révolution (IRGC) qui s'occupe du soutien militaire et politique aux groupes pro-iraniens en dehors des frontières nationales. « Le commandant de l'ombre », comme il a été défini par la presse, est considéré comme l'esprit derrière les vingt dernières années d'influence politique dans la région et le stratège derrière les victoires militaires iraniennes en Irak, à travers les milices chiites rassemblées dans les Hachd al-Chaabi (Forces de mobilisation populaire), et en Syrie aux côtés de Bachar Al Assad,  jusqu'à son assassinat en janvier 2020 par un drone usaméricain à l'aéroport de Bagdad.

Dans ce contexte, l'un des thèmes en suspens depuis longtemps qui mettent maintenant le feu aux poudres, en particulier dans le nord-est, est la répression de l'identité kurde. Comme c'est la coutume pour les Kurdes dans les quatre parties occupées du Kurdistan, la jeune femme tuée avait deux prénoms : Masha sur les documents délivrés par les autorités et Jina, le nom sous lequel elle est connue à Saqqez, la ville où elle vivait, prénom que les parents n'ont pas été autorisés à enregistrer officiellement parce que kurde.

Saqqez fait partie de la région historiquement identifiée comme Rojhelat (du kurmanji « Est », littéralement « Soleil levant »), où vivent environ 10 millions de Kurdes. Dans sa capitale historique, la ville de Mahabad, a été fondée en 1946 sous la direction de Qazi Muhammed, la première république kurde indépendante, bien que de courte durée, appelée « République du Kurdistan ».

Bien que les Kurdes du Rojhelat aient participé activement à la révolution contre la monarchie, mouvement populaire hétérogène à l'origine, ils furent exclus de l’« Assemblée des experts » chargée de rédiger la nouvelle constitution à la chute de la dynastie Palhavi.

Quand les partis kurdes ont dénoncé le fait, l’ayatollah Khomeiny a répondu en lançant une fatwa dans laquelle il a appelé au jihad contre les dissidents, accusés de vouloir « diviser les musulmans avec des demandes nationalistes ». C’est alors qu’a commencé une campagne de guérilla menée par les partis kurdes, qui a pris fin en 1989, lorsque le secrétaire du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (KDPI), Abdul Rahman Ghassemlou, a été assassiné par des agents iraniens munis de passeports diplomatiques, à Vienne où il devait entamer des négociations de paix avec Téhéran.

Au cours des 30 dernières années, la République islamique a opté pour une approche de la question kurde en quelque sorte opposée à celle de l'État turc et plus proche de l'approche du gouvernement syrien. Alors qu'en Turquie le mot Kurdistan est un tabou imprononçable en public, en Iran, il existe même une province appelée Kurdistan mais qui couvre environ un sixième du territoire habité par la population kurde et n’a aucun statut spécial ou d'autonomie de prévu.

Au lieu des fameux « gardes de village », des milices paramilitaires formées de tribus kurdes collaborationnistes, utilisées par le gouvernement turc pour contrôler militairement le territoire du Kurdistan du Nord, l'État iranien a intégré de nombreux Kurdes dans les structures militaires officielles. Même dans les Pasdaran (Gardiens de la Révolution), des unités de contre-guérilla composées exclusivement de Kurdes ont été formées, qu’on peut voir parfois endossant des uniformes typiques de guérilleros.

Plusieurs partis d’opposition opèrent au Rojhelat à la fois comme structures politiques et comme mouvements de guérilla, certains suivant la tradition du nationalisme kurde comme le KDPI ou comme la Komala, organisation maoïste devenue au fil des ans social-démocrate.

Deux organisations sont regroupées dans la KCK (Koma Civakên Kurdistanê, Union des communautés du Kurdistan) , la structure politique et de coordination qui s'inspire du paradigme du confédéralisme démocratique théorisé par le fondateur du PKK, Abdullah Öcalan. L'une est le Parti de la vie libre du Kurdistan (PJAK, Partiya Jiyana Azad a Kurdistanê), centre idéologique et d'autodéfense, l’autre est le KODAR (Komalgeyê Demokratîk û Azadê Rojhilatê Kûrdistanê, Société démocratique et libre du Rojhelat), organisation politique de la société civile.

Les forces armées iraniennes, à quelques exceptions près, évitent la confrontation militaire, bien que certains partis, comme le KDPI, comptent sur une force armée très réduite, au point que leur aile militaire pourrait être considérée comme symbolique.

Cette ligne a été choisie pour ne pas commettre la même erreur que l'État turc, qui, avec ses politiques de guerre ouverte au peuple kurde au cours des 30 dernières années, a alimenté la colère de milliers de jeunes Kurdes qui ont rejoint la guérilla. Les Kurdes expliquent cette stratégie en utilisant un vieux dicton : « Les Turcs essaieront de vous tuer avec l'épée, les Perses le feront avec le sucre ».

Derrière cette apparente tolérance se cache en effet une machine répressive plus silencieuse mais tout aussi effrayante : selon l’agence des droits humains Hengaw, en août 2022 64 citoyens kurdes ont été condamnés à mort et pendus pour des délits politiques, 121 militants ont été condamnés à mort avec peine en suspens ou ont disparu, 16 sont morts en cellule, 34 ont été condamnés à mort pour des délits de droit commun et 290 kolbars, travailleur·ses transportant des marchandises à travers la frontière entre l'Iran et l'Irak, ont été tué·es ou gravement blessé·es par les tirs des gardes-frontières.

Il faut également tenir compte du fait que, bien que la Turquie et l’Iran soient en conflit pour l’hégémonie dans la région, les agences de renseignement des deux pays collaborent activement à la répression du mouvement kurde. Un exemple est l’assassinat du commandant du PJAK Rezan Javid (nom de code de Youssef Rabbani).

Rezan se trouvait à Qamişlo, au Rojava, lorsque, le 6 août 2022, lors d'une visite diplomatique visant à observer l’évolution de la révolution et à renforcer la lutte à Rojhelat, il a été assassiné par un drone turc télécommandé par les services de renseignement iraniens.

Bien que les organisations kurdes au Rojhelat n'aient pas été dans une phase de confrontation militaire avec la République islamique ces dernières années, le travail politique de la KCK ne s'est jamais arrêté. C'est pour cette raison qu’aujourd’hui la répression de l'identité kurde, le mouvement de libération du Kurdistan et le paradigme conçu par Ocalan, en particulier les théories développées par le mouvement des femmes kurdes, sont des éléments fondamentaux de la crise en Iran.

Pas seulement parce que ces dernières années, des centaines de Kurdes du Rojhelat sont arrivés au Rojava pour combattre aux côtés de la révolution, assimilant ses principes, alors que beaucoup d'autres se trouvent encore dans les montagnes du Kurdistan à la frontière entre la Turquie et l'Irak, engagés dans la résistance contre l’invasion turque.

En général, le mouvement de libération du Kurdistan, en particulier après la révolution au Rojava, a inspiré d'autres peuples de la région avant même d'être connu en Occident. L'un des premiers martyrs internationaux au Rojava sous le nom de bataille Aryel Botan, tombé en mai 2015, s'appelait, avant de rejoindre les YPG, Mihemed Hisen Kerim, et était originaire de Téhéran.

Un indice de l'importance particulière de la question kurde dans ces événements se trouve dans la gestion de la situation par les autorités iraniennes. Bien qu'extrêmement violente, la répression que subissent les manifestants dans tout le pays, qui a déjà coûté la vie à des dizaines de personnes, n'est pas un phénomène unique dans l'histoire récente.

« Nous avons repoussé l'ennemi » (Khamenei, en 2019, après la répression des protestations contre l’explosion des prix du carburant)-Dessin de Touka Neyestani

Déjà en 2019, la hausse des prix du carburant jusqu'à 200% avait déclenché une série de protestations qui ont débouché sur une révolte de près de six mois et dont le bilan, encore incertain aujourd'hui, fut d'environ 1500 victimes. Ces jours-ci, cependant, parallèlement à la militarisation des lieux publics dans tout l’Iran, l’armée a lancé une série d'actions militaires préventives contre les organisations kurdes.

Depuis plusieurs jours, l’artillerie iranienne bombarde les montagnes de la région du Kurdistan d’Irak (KRI) refuge historique de la guérilla et, à travers les médias et avec des denses lancers aériens de tracts, les Pasdaran ont intimé à la population civile d'évacuer les zones du KRI où se trouvent des bases des partis kurdes dans la clandestinité, procédure généralement antérieure à une incursion militaire.

La révolte au Rojhelat, la résistance civile au Kurdistan du Nord et en Turquie, la résistance dans les montagnes et la révolution du Rojava sont interconnectées.

 La révolution des femmes au Rojava a créé un précédent fondamental dans l'histoire de la région, en particulier dans les États-nations où se trouve une partie du Kurdistan. Le destin des mouvements sociaux dans cette partie du monde est entrelacé avec le destin du Kurdistan et de son mouvement de libération, et ce n'est pas un hasard si aujourd'hui, sur les places de Saqqez, Mahabad, Sanadaj et Téhéran, est scandé le slogan symbole du mouvement des femmes kurdes, tiré des écrits d'Abdullah Öcalan.

Le même cri que l'on entendait sur les champs de bataille de Raqqa et d'Afrin résonne aujourd'hui à Zap, Metina et Avasin : Jin, Jîyan, Azadî. Femme, Vie, Liberté.

 

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