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22/10/2022

JOHN KIRIAKOU
Tony Blinken, l’échangiste d'armes

John Kiriakou, Consortium News, 20/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Antony Blinken s’est démené afin de trouver des armes russes pour l'Ukraine. Il a même demandé à Chypre.

 

Le secrétaire d'État usaméricain Antony Blinken lors d'un voyage à l'étranger en mai. (Département d'État, Ron Przysucha)

 

La politique étrangère, c’est compliqué.  Il y a beaucoup d'éléments mobiles et comme ce sont des êtres humains qui élaborent la politique et que des sentiments et des egos sont en jeu, c'est d'autant plus difficile.

Certains responsables politiques ont une vision à long terme, d'autres sont myopes. Ajoutez à cela le problème dont j'ai été témoin d'innombrables fois au cours de ma carrière à la C.I.A. et à la commission sénatoriale des affaires étrangères : l'insistance des diplomates usaméricains, des professionnels du renseignement et des membres du personnel de la Maison Blanche à penser qu'ils sont littéralement les personnes les plus intelligentes du monde et qu'ils savent tout. 

L'ancien président égyptien Gamal Abdel-Nasser a dit un jour :

    « Le génie des Américains, c'est qu'ils ne font jamais de geste stupide clair et net.  Vous faites toujours des actions stupides compliquées, qui font que le reste d'entre nous se demande s'il n'y a pas quelque chose qui nous échappe. »

Il avait raison.  Mais soyez assurés que la plupart du temps, les actions sont tout simplement stupides.

Le voyage sur la “migration” de Blinken 

Le commentaire de Nasser m’est revenu en mémoire il y a deux semaines lorsque le secrétaire d'État Antony Blinken a annoncé qu'il se rendrait en Colombie, au Chili et au Pérou pour discuter des “migrations”.  L'annonce m'a paru étrange car il n'y a pas beaucoup  de Colombiens, Chiliens ou Péruviens en situation irrégulière aux USA.

Aucun de ces pays ne se trouve sur la “ligne de front”  du débat sur l'immigration.  Le voyage de Blinken n'avait aucun sens. 

Ce n'est qu'après le retour de Blinken qu'une obscure publication militaire nous a donné un indice sur l'objet du voyage.  L’ Army Technology Newsletter a rapporté que Blinken avait obtenu la promesse des Colombiens d'aider les troupes ukrainiennes à éliminer les mines terrestres. 

Au Pérou, le président Pedro Castillo a accepté de faire passer au parlement une condamnation de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.  Il a refusé d'imposer des sanctions à la Russie, ce qui, selon lui, aurait constitué une violation du droit international.

Mais il a critiqué les deux parties au conflit, affirmant que la guerre a coupé les vivres aux pays et aux personnes qui en ont le plus besoin. 

 

Le secrétaire d'État Antony Blinken, le président péruvien Pedro Castillo et le ministre des affaires étrangères Cesar Landa à Lima, au Pérou, le 6 octobre (Photo Département d'État, Ron Przysucha).

 

Les Chiliens, pour leur part, étaient heureux de faire ce que Blinken voulait qu'ils fassent.

Mais ce n'était pas tout ce que Blinken avait en tête.  Il souhaitait également sonder l'intérêt pour l'échange de tout équipement russe ou soviétique ancien que ces pays pourraient avoir en leur possession afin de l'envoyer en Ukraine et de le faire remplacer par des munitions usaméricaines dernier cri. 

Le problème auquel les Ukrainiens sont confrontés est que les armes usaméricaines sont difficiles à utiliser.  Elles sont sophistiquées et compliquées.  Et les USAméricains n'ont tout simplement pas le temps de former les Ukrainiens à leur utilisation. 

Une meilleure idée, pense l'administration, est de demander aux pays du monde entier qui possèdent des armes russes de les aider.  Il n'y a pas que ces trois pays d'Amérique du Sud qu'il a sollicités.  Blinken a également demandé à l'Afrique du Sud, à la Finlande, au Cambodge, au Rwanda, au Mexique, à la République démocratique du Congo et à Chypre.  Seraient-ils prêts à envoyer leurs armes russes en Ukraine et à accepter des armes usaméricaines en retour ?

Chypre a dit non 

Selon le New York Times, la plupart de ces pays ont dit oui.  Chypre, en revanche, a dit non.  La situation de Chypre est celle à laquelle je faisais référence au début de cet article. 

La Grèce et la Turquie sont toutes deux membres de l'OTAN.  Chypre ne l'est pas [encore, NdT]. 

La Grèce et Chypre sont membres de l'Union européenne.  La Turquie ne l'est pas. 

En 1974, la Turquie a envahi Chypre et occupe depuis lors le tiers nord de l'île.  Il y a actuellement 33 000 soldats d'occupation turcs sur place.  En 1974, Henry Kissinger, qui était alors à la fois secrétaire d'État et conseiller en matière de sécurité nationale, estimait que la seule façon de mettre fin aux combats était d'imposer un embargo sur les armes aux trois pays. 

 

Drapeau turc sur une colline dans le nord de Chypre, 2009. (Dickelbers, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

La Grèce a quitté l'OTAN en signe de protestation.  L'embargo sur les armes n'a pas duré longtemps.  Il a été levé pour la Grèce et la Turquie en 1979 et la Grèce a réintégré l'OTAN.  Mais pour des raisons qui n'ont jamais été très claires, l'embargo sur les armes a été maintenu pour Chypre - jusqu'au mois dernier.  (Une explication communément citée pour l'embargo était de soutenir les efforts de réunification de Chypre facilités par les Nations unies).

 

Au cours des 48 années écoulées, Chypre a développé son économie, rejoint l'Union européenne et acheté des armes françaises et russes.  Maintenant, Tony Blinken veut qu'ils envoient ces armes russes aux Ukrainiens.

 

La semaine dernière, le parlement chypriote a posé une question rhétorique : où étaient les USA au cours des 48 dernières années, alors que quelque 1 510 Chypriotes sont toujours portés disparus et présumés morts dans l'attaque turque contre Chypre.

 

Même cinq citoyens usaméricains sont toujours portés disparus dans ce conflit.  Ils ont déclaré à Tony Blinken qu'ils avaient des problèmes plus urgents que la nationalité des armes ukrainiennes.  Ils s'inquiètent des 33 000 soldats turcs et des déclarations quotidiennes de la Turquie selon lesquelles une autre invasion pourrait être envisagée à l'approche des élections turques de l'année prochaine.

 

C'est ce que je veux dire quand je dis que les membres de l'establishment de la politique étrangère usaméricaine pensent toujours être les personnes les plus intelligentes dans la pièce.  Envahir l'Afghanistan ?  Bien sûr. Envahir l'Irak ?  Pourquoi pas ?  Mener une guerre par procuration contre la Russie ?  C'est pour protéger la liberté, non ?

 

Mais pendant ce temps, Washington intimide ses alliés en Amérique du Sud, pousse les Africains dans les bras des Chinois et maintient un embargo sur les armes de 48 ans à l'encontre d'un membre de l'Union européenne - jusqu'à ce qu'il ait besoin de quelque chose, bien sûr.  Ils n'apprendront probablement jamais.

 

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