20/03/2024

RICK STERLING
De Dallas à Gaza : L’assassinat de John Kennedy fut une bonne chose pour les dirigeants sionistes de l’État d’Israël

Rick Sterling, Mintpressnews, 13/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le président John F. Kennedy a été assassiné il y a soixante ans [22 novembre 1963]. S’il avait vécu et obtenu un second mandat, le conflit israélo-palestinien aurait évolué différemment. La voie vers l’apartheid israélien et le génocide à Gaza aurait peut-être pu être évitée.

Le président John F. Kennedy rencontre le Premier ministre israélien David Ben-Gourion à l’hôtel Waldorf de New York, le 30 mai 1961. Photo AP photoshopée par MintPress News

Au cours de son court mandat, Kennedy a considérablement modifié la politique étrangère des USA. Comme le montre le livre “JFK and the Unspeakable : Why He Died and Why It Still Matters” de James Douiglass, JFK a résisté à la CIA et au complexe militaro-industriel dans les politiques qu’il a définies à l’égard du tiers-monde et de l’Union soviétique. La guerre du Viêt Nam, l’assassinat du président indonésien Sukarno et l’hostilité persistante à l’égard de Cuba et de l’Union soviétique n’auraient pas eu lieu si Kennedy avait vécu et obtenu un second mandat.

Ce qui est moins connu, c’est que la politique de Kennedy s’est également opposée aux ambitions militaires et politiques de l’Israël sioniste. À l’époque, Israël n’existait que depuis treize ans. Il était encore en pleine évolution et la voie n’était pas encore tracée. La communauté internationale était résolue à trouver une solution de compromis concernant les réfugiés palestiniens de la Nakba de 1948. Lorsqu’Israël a attaqué l’Égypte et s’est emparé de la péninsule du Sinaï en 1956, l’administration Eisenhower a exigé qu’Israël se retire du territoire capturé. Israël s’est exécuté.

À cette époque, au début des années 1960, d’éminentes voix juives ont critiqué le racisme et la discrimination du gouvernement israélien. Des Israéliens comme Martin Buber ont attaqué Ben-Gourion et noté que « lors de la création de l’État, une égalité totale avec les citoyens juifs a été promise à la population arabe ». De nombreux Israéliens influents ont compris que leur sécurité et leur bien-être à long terme dépendaient de la recherche d’un règlement équitable avec la population palestinienne indigène.

Aux USA, la communauté juive était divisée et beaucoup étaient antisionistes. L’American Council for Judaism était influent et anti-nationaliste. Le caractère raciste et agressif d’Israël n’était pas encore gravé dans le marbre. Le soutien des Juifs usaméricains à Israël ne l’était pas non plus. Lorsque Menachem Begin est venu aux USA en 1948, d’éminentes personnalités juives, dont Albert Einstein, l’ont dénoncé. Selon eux, Begin, qui deviendra plus tard Premier ministre d’Israël, était un “terroriste” qui prêchait “un mélange d’ultra-nationalisme, de mysticisme religieux et de supériorité raciale”. De nombreux Juifs usaméricains avaient des sentiments mitigés et ne s’identifiaient pas à Israël. D’autres soutenaient Israël, mais à condition qu’il y eût une paix avec les autochtones palestiniens.

Il existe quatre domaines clés dans lesquels la politique de Kennedy différait sensiblement de celle qui a suivi sa mort.

John F. Kennedy rencontre des membres de l’American Jewish Committee dans le bureau ovale, avril 1962. Photo : Bibliothèque présidentielle JFK

 Kennedy n’était pas partial à l’égard d’Israël

L’administration Kennedy cherchait à établir de bonnes relations avec Israël et les pays arabes. Kennedy souhaitait étendre l’influence des USA à l’ensemble du Moyen-Orient, y compris aux pays amis de l’Union soviétique et en désaccord avec les partenaires de l’OTAN.

JFK a personnellement soutenu le nationalisme arabe et africain. En tant que sénateur, en 1957, il a critiqué l’administration Eisenhower pour avoir soutenu et envoyé des armes à la France dans sa guerre contre le mouvement d’indépendance algérien. Dans une présentation de 9 000 mots à la commission sénatoriale des Affaires étrangères, il a critiqué « l’impérialisme occidental » et a appelé les USA à soutenir l’indépendance de l’Algérie. Le président algérien Ben Bella, que la France avait tenté d’assassiner et qui était considéré comme beaucoup trop radical par de nombreux membres de l’OTAN, a reçu un accueil impressionnant à la Maison Blanche.

Kennedy a modifié les relations glaciales qu’il entretenait auparavant avec la République arabe unie (Égypte et Syrie) dirigée par Gamal Abdel Nasser. Pour la première fois, les USA ont approuvé des prêts en leur faveur. Kennedy a écrit des lettres respectueuses aux présidents arabes avant d’accueillir le Premier ministre israélien Ben Gourion à Washington. Les dirigeants arabes ont vu la différence et ont réagi avec reconnaissance. Ceux qui prétendent qu’il n’y avait pas de différence entre Kennedy et ses prédécesseurs ignorent que Nasser, Ben Bella et d’autres dirigeants nationalistes ont vu une grande différence.

En 1960, alors que Kennedy faisait campagne pour la présidence, il a pris la parole lors de la convention des sionistes d’Amérique. Il fait des remarques élogieuses sur Israël, mais exprime également le besoin d’amitié avec tous les peuples du Moyen-Orient. Il a déclaré que les USA devaient « agir rapidement et de manière décisive contre toute nation du Moyen-Orient qui attaque son voisin » et que « le Moyen-Orient a besoin d’eau, pas de guerre ; de tracteurs, pas de chars ; de pain, pas de bombes ».

Kennedy a dit franchement aux sionistes : « Je ne peux pas croire qu’Israël ait un réel désir de rester indéfiniment un État de garnison entouré de peur et de haine ». En maintenant l’objectivité et la neutralité sur le conflit israélo-arabe, Kennedy voulait éloigner les sionistes juifs des impulsions racistes, agressives et ultranationalistes qui nous ont conduits là où nous sommes aujourd’hui.

Kennedy voulait qu’Israël suive les règles

La deuxième différence dans la politique de Kennedy concerne le lobbying sioniste en faveur d’Israël. En vertu de la loi sur l’enregistrement des agents étrangers (FARA), les organisations qui promeuvent un gouvernement étranger ou font pression en son nom doivent s’enregistrer et rendre compte de leurs finances et de leurs activités. Sous la direction du procureur général Robert Kennedy, le ministère de la Justice a demandé à l’American Zionist Council (AZC) de s’enregistrer en tant qu’agent d’un pays étranger. L’AZC est l’organisation mère de l’American Israel Public Affairs Council (AIPAC).

Comme cela est expliqué en détail, le 21 novembre 1962, l’assistant du procureur général leur a écrit : « La réception de ces fonds provenant des sections américaines de l’Agence juive pour Israël fait du Conseil (sioniste usaméricain), un agent d’un mandant étranger.... l’enregistrement du Conseil est requis ».

L’émergence de l’influence politique israélienne a également été examinée par le Sénat. Sous l’égide du sénateur William Fulbright, la commission sénatoriale des Relations extérieures a tenu des auditions en mai et en août 1963. Elles ont révélé que les dons non imposables à l’United Jewish Appeal, censés servir à l’aide humanitaire en Israël, étaient renvoyés aux USA, où l’argent était utilisé à des fins de lobbying et de relations publiques israéliennes.

Les avocats de l’AZC gagnent du temps. Le 16 août 1963, un analyste du ministère de la Justice a examiné l’affaire et a conclu : « Le ministère devrait insister sur l’enregistrement immédiat du Conseil sioniste américain en vertu de la loi sur l’enregistrement des agents étrangers ».

Le 11 octobre, le ministère de la Justice a demandé à l’AZC de s’enregistrer et « le ministère attend une réponse de votre part dans les 72 heures ».

Le 17 octobre, un mémorandum du ministère de la Justice rapporte que les avocats de l’AZC ont plaidé pour ne pas être obligés de s’enregistrer en tant qu’agents étrangers. Ils ont proposé de fournir les informations financières nécessaires, mais que l’enregistrement en tant qu’agent étranger « serait tellement médiatisé par le Conseil américain du judaïsme qu’il finirait par détruire le mouvement sioniste ». Comme indiqué dans cette discussion, le sionisme politique n’était pas encore dominant dans la communauté juive américaine et était activement combattu par le Conseil américain du judaïsme (American Council on Judaism) et d’autres groupes juifs.

Kennedy a soutenu les droits des Palestiniens

Une troisième différence concerne les droits des Palestiniens. Bien qu’il n’ait eu que 44 ans lorsqu’il est devenu président, Kennedy avait plus d’expérience internationale que la plupart des présidents usaméricains. En 1939, il a passé deux semaines en Palestine. Il a décrit la situation et les difficultés dans une longue lettre à son père. Il écrivait : « La sympathie de la population sur place semble aller aux Arabes. Non seulement parce que les Juifs ont eu, du moins certains de leurs dirigeants, une attitude malheureusement arrogante et intransigeante, mais aussi parce qu’ils ont le sentiment qu’après tout, le pays est arabe depuis quelques centaines d’années. […] La Palestine n’appartenait pas du tout à la Grande-Bretagne ».

Dans des commentaires qui restent d’actualité, Kennedy remarque que les résidents juifs sont divisés entre un « groupe juif fortement orthodoxe, qui ne veut faire aucun compromis » et un « élément juif libéral composé du groupe le plus jeune qui craint ces réactionnaires ». Son analyse est bienveillante à l’égard des peuples juif et arabe et aborde la difficulté mais la nécessité de trouver une solution de compromis.

Au début des années 1960, le département d’État usaméricain n’était pas enfermé dans une acceptation ou une approbation partiale des politiques israéliennes. Les USA ont soutenu la résolution 194 des Nations unies, qui stipule (au paragraphe 11) que « les réfugiés qui désirent rentrer dans leurs foyers et vivre en paix avec leurs voisins doivent être autorisés à le faire le plus tôt possible, et qu’une indemnité doit être payée pour les biens de ceux qui choisissent de ne pas rentrer et pour les pertes ou les dommages matériels qui, en vertu des principes du droit international ou de l’équité, doivent être réparés par les gouvernements ou les autorités responsables ». C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le « droit au retour ».

Le président John F. Kennedy, lors du dîner de remise des prix de l’Anti-Defamation League en 1963 à Washington, D.C.

Le 21 novembre 1963, la veille de l’assassinat de Kennedy, le N.Y. Times publie deux articles qui illustrent la discorde entre Washington et Tel-Aviv. Un compte-rendu depuis les Nations unies est intitulé « Israël est en désaccord avec le groupe de l'ONU qui soutient les États-Unis sur la question des réfugiés arabes ». Il commence ainsi : « Une résolution des Etats-Unis appelant à la poursuite des efforts pour résoudre la situation difficile des réfugiés arabes palestiniens a été approuvée ce soir par 83 voix contre 1... Israël a émis le seul vote négatif....Le problème est centré sur une résolution de 1948 dont la section clé, le paragraphe 11, concerne l’avenir des Arabes qui ont été déplacés de leurs maisons par le conflit palestinien. Ils vivent dans les territoires limitrophes d’Israël .... Le texte révisé des États-Unis demande à la Commission de conciliation pour la Palestine de “poursuivre ses efforts pour la mise en œuvre du paragraphe 11” ».

Le second article du NYT est intitulé « La position des États-Unis irrite Israël ». Il rapporte de Jérusalem que « le Premier ministre Levi Eshkol a exprimé aujourd’hui son extrême dégoût pour la position des États-Unis dans le débat sur les réfugiés palestiniens.... La colère d’Israël a été transmise “dans les termes les plus vifs” à l’ambassadeur américain .... Le gouvernement israélien est contrarié par la résolution américaine présentée au comité politique de l’ONU et par les manœuvres américaines sur cette question ». Israël a été irrité et s’est opposé à cette résolution parce que l’administration Kennedy essayait de résoudre le problème des réfugiés palestiniens, y compris le droit au retour.

 

Kennedy a tenté d’arrêter le programme nucléaire israélien

Le quatrième et plus important différend entre Kennedy et les dirigeants israéliens concernait le développement d’armes nucléaires par ces derniers. Cette question était si secrète que des documents et des lettres essentiels n’ont été rendus publics que récemment.

Le président Kennedy était un fervent défenseur de la lutte contre la prolifération nucléaire. Après la crise des missiles de Cuba en 1962, il a réalisé à quel point il serait facile de déclencher, intentionnellement ou accidentellement, une guerre nucléaire catastrophique. Si les armes nucléaires étaient autorisées à se répandre dans un plus grand nombre de pays, les risques de catastrophe mondiale seraient d’autant plus grands. Il était également prédit que si Israël se dotait d’armes nucléaires, il deviendrait plus agressif et moins susceptible de parvenir à un accord de compromis concernant les réfugiés palestiniens.

Lorsque les services de renseignement ont indiqué qu’Israël essayait peut-être de fabriquer une arme nucléaire à Dimona en 1962, Kennedy était déterminé à découvrir si c’était vrai et, si c’était le cas, à l’arrêter. Cela a provoqué une intense confrontation diplomatique entre JFK et le Premier ministre israélien David Ben-Gourion. La preuve en a été récemment révélée dans l’échange de lettres entre le président Kennedy et le Premier ministre Ben-Gourion puis son successeur, Levi Eshkol. Elles portent toutes la mention “Top Secret” ou “Eyes Only”.

Il est essentiel de voir la séquence et quelques détails pour comprendre l’intensité de cette épreuve de force. Ces communications datent toutes de 1963. (Passez à la section suivante si vous souhaitez ignorer les détails décrits dans les échanges suivants, NdA).

En mars, le département d’État usaméricain a chargé l’ambassadeur des USA d’informer le gouvernement israélien que, pour des « raisons impérieuses », « le gouvernement américain demande l’accord du gouvernement israélien pour des visites semestrielles répétées à Dimona, peut-être en mai et en novembre, avec un accès complet à toutes les pièces et à tous les instruments de l’installation, par des scientifiques américains qualifiés ».

Le 19 avril, le département d’État a demandé à l’ambassadeur des USA en Israël de « faire pression » pour obtenir une « réponse affirmative » à la demande antérieure d’inspections semestrielles de Dimona.

Le 26 avril, le Premier ministre israélien Ben Gourion répond au président Kennedy. Il élude la question des inspections des installations nucléaires et exprime plutôt son inquiétude face à une récente proclamation de l’Égypte, de la Syrie et de l’Irak. Il compare le président égyptien Nasser à Hitler.


Le 4 mai, JFK répond aux préoccupations de Ben Gourion et souligne l’engagement des USA en faveur d’Israël et de la paix au Moyen-Orient. Il déclare au dirigeant israélien qu’il s’inquiète beaucoup moins d’une « attaque arabe précoce » que du « développement réussi de systèmes offensifs avancés ».

Le 8 mai, une estimation spéciale des services de renseignement nationaux a conclu qu’ « Israël a au moins l’intention de se mettre en position de produire un nombre limité d’armes » et que « à moins d’en être dissuadés par des pressions extérieures, [les Israéliens] tenteront de produire une arme au cours des prochaines années ». L’analyse prédit que si les Israéliens avaient la bombe, cela les « encouragerait à être plus audacieux dans leur utilisation des ressources conventionnelles, à la fois diplomatiques et militaires, dans leur confrontation avec les Arabes ».

Le 10 mai, le département d’État a envoyé un télégramme “Eyes Only Ambassador” à l’ambassadeur des USA en Israël. L’ambassadeur a été chargé de rappeler aux dirigeants israéliens qu’ils avaient déjà accepté les inspections semestrielles. Le télégramme indique également que les inquiétudes israéliennes concernant la mise au point d’une bombe nucléaire par les pays arabes « ne sont pas valables » car il n’existe rien de comparable au « programme israélien avancé ».

Les tensions entre l’administration Kennedy et Tel-Aviv ont poussé le lobby israélien à intensifier ses pressions sur la Maison Blanche. C’est ce que révèle un mémo TOP SECRET du Département d’État daté du 11 mai et intitulé « White House Concern with Arab-Israeli Matters » (préoccupations de la Maison Blanche pour les affaires israélo-arabes). Elle commence ainsi : « Ces dernières semaines, comme vous le savez, il est devenu de plus en plus évident que la Maison Blanche subit des pressions politiques internes de plus en plus fortes pour qu’elle adopte une politique étrangère au Proche-Orient plus conforme aux désirs d’Israël. Les Israéliens sont déterminés à utiliser la période qui les sépare de l’élection présidentielle de 1964 pour obtenir des relations plus étroites et plus sécuritaires avec les États-Unis, notamment par le biais d’une garantie de sécurité publique et de relations plus froides et plus antagonistes entre les États-Unis et la RAU [République arabe unie] ». Cette note fascinante montre l’influence d’Israël sur la politique étrangère et électorale des USA. Elle montre également les efforts de Kennedy pour atténuer cette influence tout en restant ferme sur l’arrêt de la prolifération nucléaire.

Le 12 mai 1963, Ben Gourion écrit une autre longue lettre au président Kennedy. Se soustrayant une nouvelle fois à la demande des USA, Ben Gourion déforme l’histoire, affirmant notamment que les réfugiés palestiniens ont quitté la Palestine « à la demande des dirigeants arabes" » Il compare à nouveau Nasser à Hitler et évoque le danger d’un nouvel Holocauste. Il déclare : « Monsieur le Président, mon peuple a le droit d’exister... et cette existence est en danger ».

Le 19 mai, Kennedy a répondu à Ben Gourion en soulignant l’importance qu’il accordait au fait de ne pas permettre la dissémination d’armes nucléaires. « Nous sommes préoccupés par les effets inquiétants pour la stabilité mondiale qui accompagneraient le développement d’une capacité d’armement nucléaire par Israël ». Kennedy souligne le « profond attachement à la sécurité d’Israël » mais déclare que cet attachement et ce soutien « seraient sérieusement compromis » si les USA n’étaient pas en mesure d’obtenir des informations fiables sur « les efforts d’Israël dans le domaine nucléaire ».


Le 27 mai, Ben Gourion répond à Kennedy en affirmant que le réacteur nucléaire de Dimona « sera consacré exclusivement à des fins pacifiques ». Il répond à la demande de Kennedy de visites semestrielles à partir de juin en suggérant des visites annuelles « comme celles qui ont déjà eu lieu » à partir de la fin de l’année. Cette condition est importante car la précédente « visite » à Dimona était limitée dans le temps et dans l’espace.

Le 15 juin, Kennedy écrit à Ben Gourion après avoir reçu une évaluation scientifique des exigences minimales pour l’inspection d’un site nucléaire ; après avoir accueilli favorablement les assurances de Ben Gourion que Dimona ne serait consacré qu’à des fins pacifiques, Kennedy lance un ultimatum poli. « Si les objectifs d’Israël doivent être clairs pour le monde entier au-delà de tout doute raisonnable, je pense que le calendrier qui servirait le mieux notre objectif commun serait une visite au début de cet été, une autre visite en juin 1964, puis à des intervalles de six mois ». Il précise que la “visite” doit comprendre l’accès à toutes les zones et que « suffisamment de temps doit être alloué pour un examen approfondi ».

Le 16 juin, l’ambassade des USA en Israël a annoncé que Ben Gourion avait démissionné de son poste de Premier ministre d’Israël. C’est une énorme surprise ; l’explication est que c’est pour des “raisons personnelles”. Ben-Gourion connaissait probablement le contenu de la lettre de Washington à venir (reçue à l’ambassade la veille). Sa démission a pour effet de faire gagner du temps. L’ambassadeur usaméricain Barbour a suggéré d’attendre que le « problème du cabinet soit résolu » avant d’envoyer le quasi ultimatum de JFK au prochain Premier ministre.

Kennedy n’a pas attendu longtemps. Le 4 juillet, il écrit au nouveau Premier ministre israélien, Levi Eshkol. Après avoir félicité Eshkol pour son accession au poste de Premier ministre, il va droit au but « concernant les visites américaines à l’installation nucléaire israélienne de Dimona ». Kennedy déclare : « Je regrette d’avoir à ajouter à votre fardeau trop tôt après votre entrée en fonction, mais... » Il poursuit en demandant des inspections, comme il l’a fait dans sa lettre à Ben-Gourion, et en soulignant que « le soutien à Israël pourrait être sérieusement compromis » si cela n’était pas fait.

Le 17 juillet, Eshkol écrit à Kennedy qu’il a besoin d’étudier davantage la question avant de répondre à sa demande de visiter Dimona. L’ambassadeur Barbour a ajouté qu’Eshkol s’était dit “surpris” par la déclaration de Kennedy selon laquelle l’engagement des USA envers Israël pourrait être mis en péril. Indiquant la défiance israélienne, Eshkol a dit à l’ambassadeur usaméricain : « Israël fera ce qu’il faut pour sa sécurité nationale et pour sauvegarder ses droits souverains ».

Le 19 août, Eshkol écrit à Kennedy, réitérant le “but pacifique” de Dimona et ignorant la demande d’une inspection estivale. Il propose que l’inspection ait lieu “vers la fin de 1963”.

Le 26 août, Kennedy écrit à Eshkol pour accepter la visite à la fin de l’année, tout en soulignant qu’elle devait avoir lieu « lorsque le cœur du réacteur est en train d’être chargé et avant que des risques de radiation interne ne se soient développés ». Kennedy a posé ces conditions parce qu’elles étaient essentielles pour déterminer si l’installation pouvait être utilisée pour développer une arme nucléaire.

Le 16 septembre, le département d’État a préparé un mémorandum de conversation avec un conseiller de l’ambassade britannique. Les deux parties sont préoccupées mais s’accordent sur le fait que Dimona sera visitée et inspectée « avant l’activation du réacteur ».

Après l’assassinat de JFK

Après l’accession de Lyndon Baines Johnson (LBJ) à la présidence, la politique usaméricaine au Moyen-Orient a changé de manière significative. Dès le début, LBJ a déclaré à un diplomate israélien : « Vous avez perdu un grand ami, mais vous en avez trouvé un meilleur. Mais vous en avez trouvé un meilleur ». Le quotidien israélien Haaretz affirme que « les historiens considèrent généralement Johnson comme le président le plus uniformément favorable à Israël ». Le Washington Report on Middle East Affairs écrit : « Lyndon Johnson a été le premier à aligner la politique américaine sur celle d’Israël » et « Jusqu’à la présidence de Johnson, aucune administration n’avait été aussi complètement pro-israélienne et anti-arabe que la sienne ».

Sur la question cruciale de l’inspection de Dimona, les Israéliens ont ignoré la condition de JFK, et le réacteur est devenu critique le 26 décembre. Lorsque l’inspection a eu lieu trois semaines plus tard, ils n’ont pas pu inspecter les zones qui avaient été irradiées. Un commentaire manuscrit sur le rapport indique : « Nous étions censés voir ça en premier ! ». Nous ne savons pas ce qui se serait passé si JFK avait été à la Maison Blanche, mais compte tenu de l’intensité de ses efforts et de ses convictions profondes quant aux dangers de la prolifération nucléaire, la question n’aurait pas été ignorée comme elle l’a été sous LBJ.

Sous LBJ, les relations avec l’Égypte se sont détériorées. Les USA cessent de fournir une assistance directe sous forme de prêts et de subventions à l’Égypte. Les USA se montrent de plus en plus hostiles au président Nasser, comme le souhaite le lobby israélien.

Lyndon Johnson, à droite, écoute, la tête baissée, le Premier ministre israélien Levi Eshkol, deuxième à droite, discuter avec Dean Rusk au ranch de LBJ à Stonewall, Texas, 1968. Photo | AP

Le soutien des USA à une résolution de la question des réfugiés palestiniens a diminué puis cessé.

Les efforts du ministère de la Justice pour obliger le Conseil sioniste américain à s’enregistrer en tant qu’agent étranger sont devenus de plus en plus faibles jusqu’à ce qu’ils soient abandonnés par le nouveau procureur général de LBJ, Nicholas Katzenbach. La séquence des échanges comprend :

Le 11 décembre 1963, l’avocat de l’AZC écrit au ministère de la Justice : « Notre client n’est pas prêt à s’enregistrer en tant qu’agent d’un gouvernement étranger ». Au lieu de cela, il propose de fournir “volontairement” les informations financières requises.

En janvier et février 1964, d’autres échanges ont eu lieu entre l’AZC et le ministère. L’AZC se dit préoccupé par le fait que le Conseil américain du judaïsme a déclaré publiquement que l’AZC agissait en tant qu’ « agents de propagande pour l’État d’Israël et que l’Agence juive était utilisée comme canal de financement pour l’organisation sioniste aux États-Unis ».

Au cours de l’été 1964, Nicholas Katzenbach devient procureur général. Les négociations se poursuivent. Le personnel du ministère de la Justice note que l’AZC “gagne du temps” et ne fournit pas d’informations acceptables malgré le traitement de plus en plus spécial et favorable qui lui est réservé. Au printemps 1965, le ministère de la Justice a accepté que l’AZC ne soit PAS tenue de s’enregistrer en tant qu’agent étranger. Les informations financières de l’AZC étaient conservées dans un dossier unique et extensible. En novembre 1967, l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) a demandé une exonération fiscale fédérale. Le département du Trésor l’a accordée, mais elle est antidatée de 1953 [ !!!]

Un Israël de plus en plus agressif et intransigeant

Le développement réussi d’armes nucléaires a renforcé les actions agressives d’Israël et sa réticence à résoudre la crise des réfugiés palestiniens.

Grâce aux renseignements fournis par Washington, Israël a lancé une attaque surprise contre l’Égypte, la Syrie et la Jordanie en juin 1967. La “guerre des six jours” a marqué un tournant décisif dans l’histoire du Moyen-Orient. Israël a rapidement vaincu les armées combinées non préparées. En Occident, la perception d’Israël par le public a changé du jour au lendemain. La mythologie de la supériorité militaire (et générale) d’Israël a été créée. Au sein de la population juive usaméricaine, les doutes et les inquiétudes à l’égard d’Israël se sont évaporés et le soutien est monté en flèche.

L’arrogance et la tromperie des dirigeants israéliens sont illustrées par l’attaque de l’USS Liberty pendant la guerre des Six Jours. Le navire de communication surveillait les ondes en Méditerranée orientale lorsqu’il a été attaqué par des avions et des bateaux israéliens. Trente-quatre marins usaméricains ont été tués et 172 blessés. Étonnamment, le navire a réussi à rester à flot. Le plan était manifestement de couler le navire, d’en rejeter la responsabilité sur l’Égypte et de consolider le soutien et l’hostilité des USA à l’égard de l’Égypte et de l’Union soviétique.

Lyndon Johnson a ignoré les appels à l’aide du navire en déclarant : « Je ne laisserai pas mon allié dans l’embarras ».

L’incident mortel a été dissimulé pendant des décennies.

Nous ne savons pas avec certitude ce qui se serait passé si JFK n’avait pas été assassiné. Il est possible que l’on aurait empêché Israël d’acquérir la bombe. Sans cela, ils n’auraient peut-être pas eu l’audace de lancer les attaques de 1967 contre leurs voisins, en s’emparant du Golan, de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza. Si le lobby sioniste avait dû s’enregistrer en tant qu’agent étranger, son influence aurait été modérée. Israël aurait peut-être pu trouver un arrangement raisonnable avec les Palestiniens sur un ou deux États.

Au lieu de cela, Israël s’est durci pour devenir un régime d’apartheid, commettant des massacres de plus en plus scandaleux. Comme l’avait prévenu Kennedy en 1960, Israël est devenu un « État garnison » entouré de « haine et de peur ». L’assassinat de John F. Kennedy a assuré le contrôle sioniste d’Israël, la souffrance des Palestiniens et une instabilité permanente.

Rick Sterling est un journaliste d’investigation indépendant usaméricain qui travaille dans la région de la Baie de San Franciso, en Californie, et collabore avec divers médias, dont MintPressNews à Minneapolis. Rick a grandi à Vancouver, au Canada, et a été un activiste à plein temps dans ses jeunes années ; il a fait un détour de 25 ans en travaillant comme ingénieur dans les industries de l’électronique et de l’aérospatiale, principalement à l’Université de Californie à Berkeley, et est maintenant retourné travailler à plein temps là où son cœur le porte : les causes progressistes internationales.  @ricksterling99

 

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