Ari Shavit, Haaretz, 8/1/2004
Traduit et présenté par Fausto Giudice, Tlaxcala
Benny Morris affirme qu’il a toujours été sioniste. Les gens se sont trompés en le qualifiant de post-sioniste, en pensant que son étude historique sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens avait pour but d’affaiblir l’entreprise sioniste. C’est absurde, dit Morris, c’est totalement infondé. Certains lecteurs ont simplement mal lu le livre. Ils ne l’ont pas lu avec le même détachement, la même neutralité morale que celui qui l’a écrit. Ils sont donc arrivés à la conclusion erronée que lorsque Morris décrit les actes les plus cruels perpétrés par le mouvement sioniste en 1948, il les condamne, que lorsqu’il décrit les opérations d’expulsion à grande échelle, il les dénonce. Ils ne concevaient pas que le grand documenteur des péchés du sionisme s’identifie en fait à ces péchés. Qu’il pense que certains d’entre eux, au moins, étaient inévitables.
Il y a deux ans, des voix différentes ont commencé à se faire entendre. L’historien considéré comme un gauchiste radical a soudain affirmé qu’Israël n’avait personne à qui parler. Le chercheur accusé de haïr Israël (et boycotté par l’establishment universitaire israélien) a commencé à publier des articles en faveur d’Israël dans le journal britannique The Guardian.
Alors que le citoyen Morris s’est avéré être une colombe pas tout à fait blanche comme neige, l’historien Morris a continué à travailler sur la traduction en hébreu de son énorme ouvrage « Righteous Victims : A History of the Zionist-Arab Conflict, 1881-2001 », écrit dans l’ancien style de la recherche de la paix. Dans le même temps, l’historien Morris a achevé la nouvelle version de son livre sur le problème des réfugiés, qui va renforcer les mains de ceux qui abominent Israël. Ainsi, au cours des deux dernières années, le citoyen Morris et l’historien Morris ont travaillé comme s’il n’y avait aucun lien entre eux, comme si l’un essayait de sauver ce que l’autre s’obstinait à éradiquer.
Les deux livres paraîtront le mois prochain. Le livre sur l’histoire du conflit sioniste-arabe sera publié en hébreu par Am Oved à Tel Aviv, tandis que Cambridge University Press publiera « The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited » (il a été publié à l’origine, chez CUP, en 1987). Ce livre décrit avec une précision effrayante les atrocités de la Nakba. Morris n’est-il pas effrayé par les implications politiques actuelles de son étude historique ? Ne craint-il pas d’avoir contribué à faire d’Israël un État presque paria ? Après quelques instants de dérobade, Morris admet que oui. Parfois, il est vraiment effrayé. Parfois, il se demande ce qu’il a fait.
Il est petit, rondouillard et très intense. Fils d’immigrants anglais, il est né au kibboutz Ein Hahoresh et a été membre du mouvement de jeunesse de gauche Hashomer Hatza’ir. Dans le passé, il a été journaliste au Jerusalem Post et a refusé de faire son service militaire dans les territoires occupés depuis 1967. Il est aujourd’hui professeur d’histoire à l’université Ben-Gourion du Néguev, à Be’er Sheva. Mais assis dans son fauteuil, dans son appartement de Jérusalem, il n’endosse pas le costume de l’universitaire prudent. Loin de là : Morris crache ses mots, rapidement et énergiquement, débordant parfois sur l’anglais. Il ne réfléchit pas à deux fois avant de lancer les déclarations les plus tranchantes et les plus choquantes, qui sont loin d’être politiquement correctes. Il décrit avec désinvolture des crimes de guerre horribles, peint des visions apocalyptiques le sourire aux lèvres. Il donne à l’observateur le sentiment que cet individu agité, qui a ouvert de ses propres mains la boîte de Pandore sioniste, a encore du mal à faire face à ce qu’il y a trouvé, à gérer les contradictions internes qui sont son lot et notre lot à tous.
Viol, massacre, transfert
Benny Morris, la nouvelle version de votre livre sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens doit être publiée dans le mois qui vient. Qui sera le moins satisfait de ce livre : les Israéliens ou les Palestiniens ?
« Le livre révisé est une arme à double tranchant. Il s’appuie sur de nombreux documents qui n’étaient pas à ma disposition lorsque j’ai écrit le livre original, la plupart d’entre eux provenant des archives des forces de défense israéliennes. Ces nouveaux documents montrent que les massacres perpétrés par les Israéliens ont été beaucoup plus nombreux que je ne l’avais pensé. À ma grande surprise, il y a également eu de nombreux cas de viols. Au cours des mois d’avril et de mai 1948, des unités de la Haganah [la force de “défense” d’avant la création de l’État, précurseur des FDI] ont reçu des ordres opérationnels indiquant explicitement qu’elles devaient déraciner les villageois, les expulser et détruire les villages eux-mêmes.
« En même temps, il s’est avéré qu’il y avait une série d’ordres émis par le Haut Comité arabe et par les niveaux intermédiaires palestiniens pour retirer les enfants, les femmes et les personnes âgées des villages. Ainsi, d’une part, le livre renforce l’accusation portée contre la partie sioniste, mais d’autre part, il prouve également que beaucoup de ceux qui ont quitté les villages l’ont fait avec l’encouragement de la direction palestinienne elle-même. »
Selon vos nouvelles conclusions, combien de cas de viols israéliens ont été recensés en 1948 ?
« Une douzaine. À Acre, quatre soldats ont violé une jeune fille et l’ont assassinée, ainsi que son père. À Jaffa, des soldats de la brigade Kiryati ont violé une fille et tenté d’en violer plusieurs autres. À Hunin, en Galilée, deux filles ont été violées puis assassinées. Il y a eu un ou deux cas de viol à Tantura, au sud de Haïfa. Il y a eu un cas de viol à Qula, dans le centre du pays. Dans le village d’Abu Shusha, près du kibboutz Gezer [dans la région de Ramle], il y avait quatre prisonnières, dont l’une a été violée à plusieurs reprises. Et il y a eu d’autres cas. En général, plus d’un soldat était impliqué. En général, il y avait une ou deux filles palestiniennes. Dans une grande partie des cas, l’acte s’est terminé par un meurtre. Étant donné que ni les victimes ni les violeurs n’aimaient rapporter ces événements, nous devons supposer que la douzaine de cas de viols qui ont été rapportés et que j’ai trouvés ne représentent pas toute l’histoire. Ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg ».
Selon vos conclusions, combien d’actes de massacre israéliens ont été perpétrés en 1948 ?
« Vingt-quatre. Dans certains cas, quatre ou cinq personnes ont été exécutées, dans d’autres, le nombre était de 70, 80, 100. Il y a également eu beaucoup d’exécutions arbitraires. Deux vieillards sont aperçus en train de marcher dans un champ - ils sont abattus. Une femme est trouvée dans un village abandonné - elle est abattue. Il y a des cas comme celui du village de Dawayima [dans la région d’Hébron], où une colonne est entrée dans le village avec tous les fusils et a tué tout ce qui bougeait.
« Les cas les plus graves sont ceux de Saliha (70-80 tués), Deir Yassin (100-110), Lod (250), Dawayima (des centaines) et peut-être Abu Shusha (70). Il n’y a pas de preuve sans équivoque d’un massacre à grande échelle à Tantura, mais des crimes de guerre y ont été perpétrés [cela fera l’objet d’une polémique avec Ilan Pappé, qui avait soutenu le travail d’enquête de Teddy Katz, NdT]. A Jaffa, il y a eu un massacre dont on ne savait rien jusqu’à présent. Il en va de même à Arab al Muwassi, dans le nord. Environ la moitié des actes de massacre ont été commis dans le cadre de l’opération Hiram [dans le nord, en octobre 1948] : à Safsaf, Saliha, Jish, Eilaboun, Arab al Muwasi, Deir al Asad, Majdal Krum, Sasa. Lors de l’opération Hiram, il y a eu une concentration inhabituellement élevée d’exécutions de personnes contre un mur ou à côté d’un puits, de manière ordonnée.
« Ce n’est pas un hasard. C’est un modèle. Apparemment, les différents officiers qui ont participé à l’opération ont compris que l’ordre d’expulsion qu’ils avaient reçu leur permettait d’accomplir ces actes afin d’encourager la population à prendre la route. Le fait est que personne n’a été puni pour ces actes de meurtre. Ben-Gourion a étouffé l’affaire. Il a couvert les officiers qui ont commis les massacres ».
Ce que vous me dites ici, comme si c’était en passant, c’est que dans l’opération Hiram, il y avait un ordre d’expulsion complet et explicite. Est-ce exact ?
« Oui. L’une des révélations du livre est que le 31 octobre 1948, le commandant du front nord, Moshe Carmel, a ordonné par écrit à ses unités d’accélérer l’expulsion de la population arabe. Carmel a pris cette mesure immédiatement après une visite de Ben-Gourion au Commandement du Nord à Nazareth. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que cet ordre émane de Ben-Gourion. Tout comme l’ordre d’expulsion de la ville de Lod, signé par Yitzhak Rabin, a été émis immédiatement après la visite de Ben-Gourion au quartier général de l’opération Dani [juillet 1948]. »
Êtes-vous en train de dire que Ben-Gourion était personnellement responsable d’une politique délibérée et systématique d’expulsion massive ?
« A partir d’avril 1948, Ben-Gourion projette un message de transfert. Il n’y a pas d’ordre explicite écrit de sa part, il n’y a pas de politique globale ordonnée, mais il y a une atmosphère de transfert [de population]. L’idée du transfert est dans l’air. L’ensemble des dirigeants comprend qu’il s’agit de l’idée. Le corps des officiers comprend ce qu’on attend d’eux. Sous Ben-Gourion, un consensus sur le transfert est créé ».
Ben-Gourion était un « transfériste » ?
« Bien sûr. Ben-Gourion était un transfériste. Il avait compris qu’il ne pouvait y avoir d’État juif avec une minorité arabe importante et hostile en son sein. Un tel État n’existerait pas. Il n’aurait pas pu exister.
Je ne vous entends pas le condamner.
« Ben-Gourion avait raison. S’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, un État n’aurait pas vu le jour. Cela doit être clair. Il est impossible de l’éluder. Sans le déracinement des Palestiniens, un État juif n’aurait pas vu le jour ici ».
Quand le nettoyage ethnique est justifié
Benny Morris, depuis des décennies, vous faites des recherches sur la face cachée du sionisme. Vous êtes un expert des atrocités commises en 1948. En fin de compte, justifiez-vous tout cela ? Êtes-vous un défenseur du transfert de 1948 ?
« Il n’y a aucune justification pour les actes de viol. Rien ne justifie les actes de massacre. Ce sont des crimes de guerre. Mais dans certaines conditions, l’expulsion n’est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de 1948 aient été des crimes de guerre. On ne peut pas faire une omelette sans casser des œufs. Il faut se salir les mains ».
Nous parlons du meurtre de milliers de personnes, de la destruction d’une société entière.
« Une société qui veut vous tuer vous oblige à la détruire. Quand on a le choix entre détruire ou être détruit, il vaut mieux détruire. »
Le calme avec lequel vous dites cela a quelque chose d’effrayant.
« Si vous vous attendiez à ce que j’éclate en sanglots, je suis désolé de vous décevoir. Je ne le ferai pas. »
Ainsi, lorsque les commandants de l’opération Dani observent la longue et terrible colonne des 50 000 personnes expulsées de Lod qui se dirigent vers l’est, vous vous tenez à leurs côtés ? Vous les justifiez ?
« Je les comprends tout à fait. Je comprends leurs motivations. Je ne pense pas qu’ils aient eu de remords de conscience, et à leur place, je n’aurais pas eu de remords de conscience. Sans cet acte, ils n’auraient pas gagné la guerre et l’État n’aurait pas vu le jour. »
Vous ne les condamnez pas moralement ?
« Non.
Ils ont perpétré un nettoyage ethnique.
« Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient le nettoyage ethnique. Je sais que ce terme est complètement négatif dans le narratif du XXIe siècle, mais quand le choix est entre le nettoyage ethnique et le génocide - l’anéantissement de votre peuple - je préfère le nettoyage ethnique. »
Et c’était la situation en 1948 ?
« C’était la situation. C’est ce à quoi le sionisme a été confronté. Un État juif n’aurait pas vu le jour sans le déracinement de 700 000 Palestiniens. Il était donc nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population. Il fallait nettoyer l’arrière-pays, les zones frontalières et les routes principales. Il fallait nettoyer les villages d’où l’on tirait sur nos convois et nos campements ».
Le terme « nettoyer » est terrible.
« Je sais que cela ne sonne pas bien, mais c’est le terme qu’ils utilisaient à l’époque. Je l’ai adopté à partir de tous les documents de 1948 dans lesquels je suis plongé ».
Ce que vous dites est difficile à écouter et à digérer. Vous semblez avoir le cœur dur.
« N’oubliez pas une autre chose : le peuple arabe a gagné une grande partie de la planète. Non pas grâce à ses compétences ou à ses grandes vertus, mais parce qu’il a conquis, assassiné et forcé à se convertir ceux qu’il a conquis pendant de nombreuses générations. Mais en fin de compte, les Arabes ont 22 États. Le peuple juif n’a même pas eu un seul État. Il n’y avait aucune raison au monde pour qu’il n’ait pas un seul État. C’est pourquoi, de mon point de vue, la nécessité d’établir cet État à cet endroit l’a emporté sur l’injustice qui a été faite aux Palestiniens en les déracinant.
Et d’un point de vue moral, vous n’avez aucun problème avec cet acte ?
« C’est exact. Même la grande démocratie américaine n’aurait pas pu voir le jour sans l’anéantissement des Indiens. Il y a des cas où le bien général et final justifie des actes durs et cruels qui sont commis au cours de l’histoire. »
Et dans notre cas, il justifie effectivement un transfert de population.
« C’est ce qui ressort. »
Et vous prenez ça à bras le corps ? Des crimes de guerre ? Les massacres ? Les champs brûlés et les villages dévastés de la Nakba ?
« Il faut faire la part des choses. Il s’agit de petits crimes de guerre. Si l’on prend tous les massacres et toutes les exécutions de 1948, on arrive à environ 800 personnes tuées. Par rapport aux massacres perpétrés en Bosnie, c’est une bagatelle. Par rapport aux massacres perpétrés par les Russes contre les Allemands à Stalingrad, c’est de la roupie de sansonnet. Si l’on tient compte du fait qu’il y a eu une guerre civile sanglante et que nous avons perdu 1 % de la population, on peut dire que nous nous sommes très bien comportés.
Le prochain transfert
Vous avez suivi un processus intéressant. Vous avez fait des recherches critiques sur Ben-Gourion et l’establishment sioniste, mais en fin de compte, vous vous identifiez à eux. Vous êtes aussi dur dans vos paroles qu’ils l’étaient dans leurs actes.
« Vous avez peut-être raison. Parce que j’ai étudié le conflit en profondeur, j’ai été contraint de répondre aux questions approfondies auxquelles ces personnes ont dû faire face. J’ai compris le caractère problématique de la situation à laquelle ils étaient confrontés et j’ai peut-être adopté une partie de leur univers conceptuel. Mais je ne m’identifie pas à Ben-Gourion. Je pense qu’il a commis une grave erreur historique en 1948. Bien qu’il ait compris la question démographique et la nécessité d’établir un État juif sans une importante minorité arabe, il s’est dégonflé pendant la guerre. En fin de compte, il a failli ».
Je ne suis pas sûr de comprendre. Voulez-vous dire que Ben-Gourion a commis une erreur en expulsant trop peu d’Arabes ?
« S’il était déjà engagé dans l’expulsion, il aurait peut-être dû faire un travail complet. Je sais que cela stupéfie les Arabes, les libéraux et les personnes politiquement correctes. Mais j’ai le sentiment que cet endroit serait plus calme et connaîtrait moins de souffrances si la question avait été réglée une fois pour toutes. Si Ben-Gourion avait procédé à une vaste expulsion et nettoyé tout le pays - toute la terre d’Israël, jusqu’au Jourdain. Il se peut qu’il s’agisse là de son erreur fatale. S’il avait procédé à une expulsion totale - plutôt que partielle - il aurait stabilisé l’État d’Israël pour des générations ».
J’ai du mal à croire ce que j’entends.
« Si la fin de l’histoire s’avère sombre pour les Juifs, c’est parce que Ben-Gourion n’a pas achevé le transfert en 1948. Parce qu’il a laissé une réserve démographique importante et volatile en Cisjordanie, à Gaza et en Israël même ».
À sa place, les auriez-vous tous expulsés ? Tous les Arabes du pays ?
« Mais je ne suis pas un homme d’État. Je ne me mets pas à sa place. Mais en tant qu’historien, j’affirme qu’une erreur a été commise. Oui. La non-réalisation du transfert était une erreur. »
Et aujourd’hui ? Préconisez-vous un transfert aujourd’hui ?
« Si vous me demandez si je suis favorable au transfert et à l’expulsion des Arabes de Cisjordanie, de Gaza et peut-être même de Galilée et du Triangle, je réponds que non pour le moment. Je ne suis pas disposé à être un partenaire de cet acte. Dans les circonstances actuelles, ce n’est ni moral ni réaliste. Le monde ne le permettrait pas, le monde arabe ne le permettrait pas, cela détruirait la société juive de l’intérieur. Mais je suis prêt à vous dire que dans d’autres circonstances, apocalyptiques, qui risquent de se réaliser dans cinq ou dix ans, je peux envisager des expulsions. Si nous nous trouvons avec des armes atomiques autour de nous, ou s’il y a une attaque arabe générale contre nous et une situation de guerre sur le front avec des Arabes à l’arrière qui tirent sur les convois qui vont au front, les actes d’expulsion seront tout à fait raisonnables. Ils peuvent même être indispensables ».
Y compris l’expulsion des Arabes israéliens ?
« Les Arabes israéliens sont une bombe à retardement. Leur glissement vers une palestinisation complète a fait d’eux un émissaire de l’ennemi qui est parmi nous. Ils constituent une cinquième colonne potentielle. En termes démographiques et sécuritaires, ils sont susceptibles de saper l’État. Si bien que si Israël se retrouve à nouveau dans une situation de menace existentielle, comme en 1948, il pourrait être contraint d’agir comme il l’a fait à l’époque. Si nous sommes attaqués par l’Égypte (après une révolution islamiste au Caire) et par la Syrie, et que des missiles chimiques et biologiques s’abattent sur nos villes, et qu’en même temps les Palestiniens israéliens nous attaquent par derrière, je peux imaginer une situation d’expulsion. Cela pourrait arriver. Si la menace pour Israël est existentielle, l’expulsion sera justifiée ».
Démence culturelle
En plus d’être dur, vous êtes aussi très sombre. Vous n’avez pas toujours été comme ça, n’est-ce pas ?
« Mon tournant a commencé après l’an 2000. Avant cela, je n’étais déjà pas un grand optimiste. Certes, j’ai toujours voté pour les travaillistes, Meretz ou Sheli [un parti “colombe” de la fin des années 1970], et en 1988, j’ai refusé de servir dans les territoires [occupés en 1967, NdT] et j’ai été emprisonné pour ça, mais j’ai toujours douté des intentions des Palestiniens. Les événements de Camp David et ce qui s’en est suivi ont transformé le doute en certitude. Lorsque les Palestiniens ont rejeté la proposition du [premier ministre Ehud] Barak en juillet 2000 et celle de Clinton en décembre 2000, j’ai compris qu’ils n’étaient pas disposés à accepter la solution à deux États. Ils veulent tout. Lod, Acre et Jaffa ».
Si c’est le cas, alors tout le processus d’Oslo était erroné et il y a une faille fondamentale dans toute la vision du monde du mouvement pacifiste israélien.
« Oslo devait être tenté. Mais aujourd’hui, il doit être clair que, du point de vue palestinien, Oslo était une tromperie. [Le dirigeant palestinien Yasser Arafat n’a pas changé pour le pire, Arafat nous a simplement escroqués. Il n’a jamais été sincère dans sa volonté de compromis et de conciliation ».
Croyez-vous vraiment qu’Arafat veuille nous jeter à la mer ?
« Il veut nous renvoyer en Europe, par la mer d’où nous sommes venus. Il nous considère vraiment comme un État croisé, il pense au précédent des croisés et nous souhaite une fin de croisés. Je suis certain que les services de renseignements israéliens disposent d’informations sans équivoque prouvant que, dans ses conversations internes, Arafat parle sérieusement du plan progressif [qui éliminerait Israël par étapes]. Mais le problème ne se limite pas à Arafat. L’ensemble de l’élite nationale palestinienne a tendance à nous considérer comme des croisés et est motivée par le plan par étapes. C’est pourquoi les Palestiniens ne sont pas franchement prêts à renoncer au droit au retour. Ils le conservent comme un instrument qui leur permettra de détruire l’État juif le moment venu. Ils ne peuvent tolérer l’existence d’un État juif, ni sur 80 % du territoire, ni sur 30 %. De leur point de vue, l’État palestinien doit couvrir l’ensemble de la terre d’Israël ».
Si tel est le cas, la solution à deux États n’est pas viable ; même si un traité de paix est signé, elle s’effondrera rapidement.
« Idéologiquement, je soutiens la solution à deux États. C’est la seule alternative à l’expulsion des Juifs, à l’expulsion des Palestiniens ou à la destruction totale. Mais dans la pratique, dans cette génération, un tel règlement ne tiendra pas la route. Au moins 30 à 40 % de l’opinion publique palestinienne et au moins 30 à 40 % du cœur de chaque Palestinien ne l’accepteront pas. Après une courte pause, le terrorisme reprendra et la guerre recommencera ».
Votre pronostic ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir, n’est-ce pas ?
« C’est difficile pour moi aussi. Il n’y aura pas de paix dans la génération actuelle. Il n’y aura pas de solution. Nous sommes condamnés à vivre par l’épée. Je suis déjà assez âgé, mais pour mes enfants, c’est particulièrement sombre. Je ne sais pas s’ils voudront continuer à vivre dans un endroit où il n’y a pas d’espoir. Même si Israël n’est pas détruit, nous ne connaîtrons pas une vie bonne et normale ici dans les décennies à venir.
Ces mots durs ne sont-ils pas une réaction excessive à trois dures années de terrorisme ?
« Les attentats à la bombe contre les bus et les restaurants m’ont vraiment ébranlé. Ils m’ont fait comprendre la profondeur de la haine à notre égard. Ils m’ont fait comprendre que l’hostilité des Palestiniens, des Arabes et des Musulmans à l’égard de l’existence des Juifs ici nous mène au bord de la destruction. Je ne considère pas les attentats suicides comme des actes isolés. Ils expriment la volonté profonde du peuple palestinien. C’est ce que veut la majorité des Palestiniens. Ils veulent que ce qui est arrivé au bus nous arrive à tous ».
Pourtant, nous portons nous aussi la responsabilité de la violence et de la haine : l’occupation, les barrages routiers, les fermetures, peut-être même la Nakba elle-même.
« Vous n’avez pas besoin de me le dire. J’ai fait des recherches sur l’histoire palestinienne. Je comprends très bien les raisons de la haine. Les Palestiniens se vengent non seulement du bouclage d’hier, mais aussi de la Nakba. Mais ce n’est pas une explication suffisante. Les peuples d’Afrique ont été opprimés par les puissances européennes tout comme les Palestiniens l’ont été par nous, mais je ne vois pas de terrorisme africain à Londres, Paris ou Bruxelles. Les Allemands ont tué bien plus d’entre nous que nous n’avons tué de Palestiniens, mais nous ne faisons pas exploser de bus à Munich et à Nuremberg. Il y a donc quelque chose d’autre ici, quelque chose de plus profond, qui a à voir avec l’Islam et la culture arabe ».
Essayez-vous d’affirmer que le terrorisme palestinien découle d’une sorte de problème culturel profond ?
« Il y a un problème profond dans l’Islam. C’est un monde dont les valeurs sont différentes. Un monde dans lequel la vie humaine n’a pas la même valeur qu’en Occident, dans lequel la liberté, la démocratie, l’ouverture et la créativité sont étrangères. Un monde où ceux qui ne font pas partie du camp de l’islam sont considérés comme des proies faciles. La vengeance joue également un rôle important. La vengeance joue un rôle central dans la culture tribale arabe. Par conséquent, les personnes que nous combattons et la société qui les envoie n’ont aucune inhibition morale. Si elle obtient des armes chimiques, biologiques ou atomiques, elle les utilisera. Si elle en est capable, elle commettra également un génocide ».
J’insiste sur ce point : nous sommes en grande partie responsables de la haine des Palestiniens. Après tout, vous nous avez vous-même montré que les Palestiniens ont vécu une catastrophe historique.
« C’est vrai. Mais quand on a affaire à un tueur en série, il n’est pas si important de découvrir pourquoi il est devenu un tueur en série. Ce qui est important, c’est d’emprisonner le meurtrier ou de l’exécuter. »
Expliquez l’image : qui est le tueur en série dans l’analogie ?
« Les barbares qui veulent prendre nos vies. Les personnes que la société palestinienne envoie commettre les attentats terroristes et, d’une certaine manière, la société palestinienne elle-même. En ce moment, cette société est un tueur en série. C’est une société très malade. Elle devrait être traitée comme nous traitons les individus qui sont des tueurs en série ».
Qu’est-ce que cela signifie ? Que devrions-nous faire demain matin ?
« Nous devons essayer de guérir les Palestiniens. Peut-être qu’au fil des ans, la création d’un État palestinien contribuera au processus de guérison. Mais en attendant de trouver le remède, il faut les contenir pour qu’ils ne parviennent pas à nous assassiner. »
Les enfermer ? Les mettre sous cloche ?
« Il faut leur construire une sorte de cage. Je sais que cela semble terrible. C’est vraiment cruel. Mais il n’y a pas d’autre choix. Il y a là un animal sauvage qu’il faut enfermer d’une manière ou d’une autre ».
La guerre des barbares
Benny Morris, avez-vous rejoint la droite ?
« Non, non. Je me considère toujours comme un homme de gauche. Je suis toujours favorable au principe de deux Etats pour deux peuples ».
Mais vous ne croyez pas que cette solution sera durable. Vous ne croyez pas à la paix.
« À mon avis, nous n’aurons pas la paix, non.
Alors quelle est votre solution ?
« Dans cette génération, il n’y a apparemment pas de solution. Il faut être vigilant, défendre le pays autant que possible. »
L’approche du mur de fer ?
« Oui, un mur de fer est une bonne image. Un mur de fer est la politique la plus raisonnable pour la génération à venir. Mon collègue Avi Shlein l’a bien décrit : Ce que Jabotinsky a proposé, Ben-Gourion l’a adopté. Dans les années 1950, il y a eu un conflit entre Ben-Gourion et Moshe Sharett. Ben-Gourion soutenait que les Arabes ne comprenaient que la force et que la force ultime était la seule chose qui les persuaderait d’accepter notre présence ici. Il avait raison. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas besoin de diplomatie. Tant vis-à-vis de l’Occident que pour notre propre conscience, il est important que nous nous efforcions de trouver une solution politique. Mais en fin de compte, c’est la force seule qui décidera de leur volonté de nous accepter. Seule la reconnaissance du fait qu’ils ne sont pas capables de nous vaincre ».
Pour un homme de gauche, vous parlez beaucoup comme un homme de droite, n’est-ce pas ?
« J’essaie d’être réaliste. Je sais que cela ne semble pas toujours politiquement correct, mais je pense que le politiquement correct empoisonne l’histoire dans tous les cas. Il nous empêche de voir la vérité. Je m’identifie également à Albert Camus. Il était considéré comme un homme de gauche et de haute moralité, mais lorsqu’il évoquait le problème algérien, il faisait passer sa mère avant la morale. La préservation de mon peuple est plus importante que les concepts moraux universels.
Êtes-vous un néo-conservateur ? Lisez-vous la réalité historique actuelle dans les termes de Samuel Huntington ?
« Je pense qu’il y a un choc des civilisations [comme l’affirme Huntington]. Je pense que l’Occident ressemble aujourd’hui à l’Empire romain des IVe, Ve et VIe siècles : les barbares l’attaquent et peuvent aussi le détruire ».
Les musulmans sont donc des barbares ?
« Je pense que les valeurs que j’ai mentionnées précédemment sont des valeurs de barbares - l’attitude à l’égard de la démocratie, de la liberté, de l’ouverture ; l’attitude à l’égard de la vie humaine. En ce sens, ce sont des barbares. Le monde arabe tel qu’il est aujourd’hui est barbare ».
Et selon vous, ces nouveaux barbares menacent réellement la Rome de notre temps ?
« L’Occident est plus fort mais il n’est pas sûr qu’il sache repousser cette vague de haine. Le phénomène de la pénétration massive des musulmans en Occident et de leur installation crée une dangereuse menace interne. Un processus similaire s’est produit à Rome. Ils ont laissé entrer les barbares et ils ont renversé l’empire de l’intérieur ».
Est-ce vraiment si dramatique ? L’Occident est-il vraiment en danger ?
« Oui. Je pense que la guerre entre les civilisations est la principale caractéristique du XXIe siècle. Je pense que le président Bush se trompe lorsqu’il nie l’existence même de cette guerre. Il ne s’agit pas seulement de Ben Laden. Il s’agit d’une lutte contre un monde entier qui défend d’autres valeurs. Et nous sommes en première ligne. Tout comme les croisés, nous sommes la branche vulnérable de l’Europe dans cette région.
La situation telle que vous la décrivez est extrêmement difficile. Vous n’êtes pas entièrement convaincu que nous pouvons survivre ici, n’est-ce pas ?
« La possibilité d’un anéantissement existe.
Vous décririez-vous comme une personne apocalyptique ?
« L’ensemble du projet sioniste est apocalyptique. Il existe dans un environnement hostile et, dans un certain sens, son existence n’est pas raisonnable. Il n’était pas raisonnable qu’il réussisse en 1881, qu’il réussisse en 1948 et il n’est pas raisonnable qu’il réussisse aujourd’hui. Néanmoins, il est arrivé jusqu’ici. D’une certaine manière, c’est miraculeux. Je vis les événements de 1948, et 1948 se projette sur ce qui pourrait arriver ici. Oui, je pense à l’Armageddon. C’est possible. Dans les 20 prochaines années, il pourrait y avoir une guerre atomique ici ».
Si le sionisme est si dangereux pour les Juifs et si le sionisme rend les Arabes si misérables, peut-être est-ce une erreur ?
« Non, le sionisme n’a pas été une erreur. Le désir d’établir un État juif ici était légitime, positif. Mais étant donné le caractère de l’Islam et de la nation arabe, c’était une erreur de penser qu’il serait possible d’établir ici un État tranquille qui vivrait en harmonie avec son environnement ».
Ce qui nous laisse néanmoins deux possibilités : soit un sionisme cruel et tragique, soit le renoncement au sionisme.
« Oui, c’est bien cela. Vous l’avez réduit, mais c’est exact. »
Seriez-vous d’accord pour dire que cette réalité historique est intolérable, qu’elle a quelque chose d’inhumain ?
« Oui, mais c’est le cas pour le peuple juif, pas pour les Palestiniens. Un peuple qui a souffert pendant 2 000 ans, qui a vécu l’Holocauste, qui arrive à son patrimoine mais qui est poussé dans un nouveau cycle d’effusion de sang, c’est peut-être la voie de l’anéantissement. En termes de justice cosmique, c’est terrible. C’est bien plus choquant que ce qui est arrivé en 1948 à une petite partie de la nation arabe qui se trouvait alors en Palestine.
Ce que vous me dites, c’est que vous vivez moins la Nakba palestinienne du passé que la possible Nakba juive de l’avenir ?
« Oui, la destruction pourrait être la fin de ce processus. Cela pourrait être la fin de l’expérience sioniste. Et c’est ce qui me déprime et m’effraie vraiment. »
Le titre du livre que vous publiez actuellement en hébreu est « Victimes ». En fin de compte, votre argument est donc que des deux victimes de ce conflit, nous sommes la plus grande.
« Oui, exactement. Nous sommes les plus grandes victimes au cours de l’histoire et nous sommes aussi la plus grande victime potentielle. Même si nous opprimons les Palestiniens, nous sommes la partie la plus faible. Nous sommes une petite minorité dans un vaste océan d’Arabes hostiles qui veulent nous éliminer. Il est donc possible que lorsque leur désir se réalisera, tout le monde comprendra ce que je suis en train de vous dire. Tout le monde comprendra que nous sommes les vraies victimes. Mais à ce moment-là, il sera trop tard. »
Pour une histoire sérieuse de la Nakba, lire
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