L’histoire prendra Bibi à partie, écrit le célèbre historiographe israélien, fort soucieux de l’avenir du sionisme, dont le destin s’inscrit pourtant désormais en lettres de feu à l’horizon : “NO FUTURE”, avec ou sans Bibi.
Benny Morris, Haaretz, 23/8/2024
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Lors d’une interview sur Canal 12 à la mi-juillet, le chef du Conseil national de sécurité, Tzachi Hanegbi, qui par le passé donnait l’impression d’être une personne intelligente, a déclaré : « Netanyahou entrera dans l’histoire comme quelqu’un qui a réussi à renforcer Israël. » Dans le contexte de ce qui est arrivé à Israël le 7 octobre et de ses conséquences, le commentaire de Hanegbi semble grotesque. Il s’agit d’une flatterie sans fondement et illogique.
Je pense savoir quelque chose sur l’écriture de l’histoire, et je n’ai aucun doute que Benjamin Netanyahou sera dépeint dans les livres d’histoire qui seront écrits dans les décennies à venir comme le pire Premier ministre d’Israël. On peut raisonnablement supposer qu’il aspire depuis des mois à remporter la fameuse « victoire totale » sur le Hamas, ne serait-ce que pour « mériter » une bonne place dans l’histoire de notre peuple. Mais même s’il y a une victoire « totale » sur le Hamas, je ne crois pas que cela changera fondamentalement le jugement de l’histoire. Les stigmates du 7 octobre - et oui, aussi les étiquettes des bouteilles de champagne, c’est-à-dire l’odeur de la corruption - lui colleront à la peau pour toujours.
Un Israël renforcé ? Israël est aujourd’hui faible et est perçu comme tel par ses ennemis, malgré le stock de bombes dans les sous-sols, malgré ses divisions blindées et ses légendaires unités d’opérations spéciales. Le principal responsable de cette situation est le premier ministre des 15 dernières années (avec une interruption d’environ un an et demi en 2021-2022). Depuis plus de 10 mois, Israël, avec une armée d’un demi-million de soldats, n’a pas réussi à éradiquer une organisation terroriste de 30 000 combattants équipés principalement de fusils d’assaut, de lanceurs RPG et de missiles antichars dans une zone géographique minuscule (et je suis conscient des réalités urbaines complexes de la bande de Gaza et du labyrinthe de tunnels pour lesquels Israël n’a pas trouvé de solution rapide et efficace).
Et Israël n’ose pas frapper sérieusement le Hezbollah, qui déverse quotidiennement une pluie de roquettes, de missiles et de drones sur les colonies du nord d’Israël, ni s’attaquer à l’Iran, qui orchestre depuis plus de 10 mois l’offensive multi-arènes contre notre pays. Israël est fort ?
Netanyahou mentionne fréquemment le premier ministre britannique de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill, et aime se faire photographier avec des livres qui lui sont consacrés. Implicitement, au moins, il se compare à ce noble Rosbif.
Mais aucune comparaison n’est plus ridicule. Churchill était un leader, audacieux et chaleureux, qui a eu la clairvoyance de reconnaître le danger qui menaçait son pays et qui a été capable, en fin de compte, d’unir son peuple face à la menace nazie*. Contrairement à Churchill, Netanyahou, malgré les avertissements continus des chefs de l’establishment de la défense, n’a pas réussi à identifier la menace sécuritaire à laquelle Israël est confronté et, au cours des deux dernières années, il a également réussi à diviser profondément les Israéliens en s’efforçant de saper les institutions démocratiques du pays et en procédant à diverses manipulations liées au déroulement de la guerre et au problème des otages israéliens retenus à Gaza.
Un Churchill est capable de décider et d’agir résolument face à des problèmes dramatiques. Netanyahou, en revanche, excelle depuis des années dans l’hésitation et la procrastination - certains diraient par lâcheté - qu’il a su, avec beaucoup d’habileté, faire passer auprès de ses partisans ignorants pour du discernement et de la sagesse. Au début de la guerre de Gaza - à laquelle il a donné le nom particulier d’« épées de fer » (un nom qui sera oublié au fil des ans, tout comme a été oublié le nom d’« opération Paix en Galilée », nom que le prédécesseur de Netanyahou à la tête de la droite, Menahem Begin, avait donné à la guerre du Liban en 1982) - Netanyahou a repoussé à plusieurs reprises l’étape de l’invasion terrestre de Gaza et a rejeté la proposition du ministre de la défense du 12 octobre de lancer une attaque préemptive massive contre le Hezbollah. Il a agi de la même manière lors des précédents combats contre le Hamas.
En effet, Netanyahou reporte la décision concernant le Hezbollah depuis 10 mois et plus. Et tout au long de ses années en tant que Premier ministre, il a reporté à plusieurs reprises une décision concernant le projet nucléaire iranien, qui semble aujourd’hui sur le point d’être achevé. En outre, tout au long de son mandat, Netanyahou a évité de prendre une décision sur l’avenir de la Cisjordanie. Il n’est pas allé de l’avant avec l’annexion, alors qu’en même temps, il a toujours opposé son veto à la voie de la séparation d’avec les Palestiniens dans le cadre d’une paix fondée sur deux États pour les deux peuples. Il s’est abstenu et a reporté, reporté et reporté. « Irrésolu » pourrait être le deuxième prénom de Netanyahou.
Au cours de sa longue carrière, Churchill a souvent été un personnage controversé et, en tant que ministre du gouvernement britannique, il a pris des mesures qui ont suscité l’opposition de divers milieux (le débarquement de Gallipoli pendant la Première Guerre mondiale, la répression de la grève générale en Grande-Bretagne en 1926). Mais il est resté une figure appréciée du grand public et, en 1940, il a uni sa nation autour d’un objectif sinistre et noble.
Contrairement à Churchill, Netanyahou, tout au long de sa carrière, a excellé dans l’incitation et la division. Il a incité simultanément contre les libéraux et contre Yitzhak Rabin, contre les Israéliens laïques et contre la gauche (« Ils ont oublié ce que c’est que d’être juif ») et a lancé les Sépharades contre les Ashkénazes. Inciter et diviser, inciter et diviser, tel a été son mode opératoire constant. Un ancien premier ministre du Likoud, Yitzhak Shamir, a qualifié à juste titre Netanyahou d’« ange du sabotage ». Actuellement, Netanyahou et ses laquais sont occupés à inciter les chefs de l’establishment de la défense (c’est-à-dire les chefs des Forces de défense israéliennes, du Mossad et du service de sécurité Shin Bet) et les familles des otages de Gaza ; il y a un an, il a incité contre le système judiciaire et les forces de l’ordre - tout cela au service de ses besoins personnels, à savoir continuer à gouverner et ne pas aller en prison.
Il existe d’autres différences majeures entre Netanyahou et Churchill. Ce dernier, par exemple, avait un esprit vif et se moquait parfois de lui-même. Je ne me souviens pas que Netanyahou ait jamais ri, en tout cas pas de lui-même, et ses (rares) sourires traduisent généralement le mépris pour les autres. La comparaison avec Churchill tombe également à plat lorsqu’il s’agit des compétences linguistiques en anglais. Churchill avait une rare maîtrise de la langue et a su l’utiliser efficacement pour mobiliser son peuple et obtenir un soutien extérieur pour la Grande-Bretagne dans les moments les plus difficiles. Il a réussi à consolider l’alliance anglo-usaméricaine.
En revanche, au cours des dernières décennies, Netanyahou, en rejetant toute possibilité de paix avec les Palestiniens et en renforçant l’emprise d’Israël sur la Cisjordanie - une emprise qui inclut l’autorisation systématique des abus et de l’oppression de la population arabe - est parvenu à subvertir la relation spéciale entre l’État juif et le leader du monde libre [il veut dire les USA, NdT]. Par sa corruption, son mode de vie et sa politique, il a suscité l’hostilité de nombreux Occidentaux à l’égard d’Israël, hostilité qui nous a explosé au visage après le 7 octobre. Aujourd’hui, le fossé entre Israël et le peuple usaméricain semble se creuser, en particulier dans la tranche d’âge des 15-45 ans, y compris parmi de nombreux Juifs, en raison des actions et de la personnalité de Netanyahou.
Mais assez parlé de Churchill. L’historiographie de l’ère moderne repose essentiellement sur la documentation. Dans les prochaines années, en l’absence de documentation accessible sur les institutions de l’État (le cabinet de sécurité, Tsahal, les ministères), ce qui sera écrit, ce sont des histoires journalistiques et des mémoires sur la guerre actuelle et les années qui l’ont précédée. En vertu de la loi sur les archives, les documents d’État ne seront pas déclassifiés avant 30 à 50 ans, et ce n’est qu’à ce moment-là que les chercheurs pourront écrire une historiographie sérieuse sur les années Netanyahou et la guerre de Gaza
Netanyahou s’occupe, voire se préoccupe, de sa place dans l’histoire et l’historiographie, et il est conscient de l’importance de la documentation qui lui survivra. Ces dernières années, Netanyahou et ses eunuques ont été aperçus en train de dissimuler et de déchiqueter des documents, ceux dont Netanyahou pense apparemment qu’ils seront problématiques pour son image. Par exemple, dans les premiers jours de la guerre, il a ordonné aux FDI de cesser d’enregistrer les discussions dans le « Puits » - la salle de guerre du haut commandement - et pendant la période de transfert du pouvoir à Naftali Bennett, à la mi-2021, il aurait ordonné le déchiquetage de documents provenant de son bureau.
La commission d’enquête de l’État qui a récemment examiné « l’affaire des sous-marins » a parlé, dans son rapport intermédiaire, d’une « perturbation profonde et systématique des processus de travail » de la part de Netanyahou. Il s’agit apparemment aussi de l’absence de procès-verbaux de diverses discussions sur la commande et la construction des sous-marins ». (Voir l’article d’Ido Baum, «La méthode de Benjamin Netanyahu pour échapper à ses responsabilités : dissimuler, ne pas documenter et tout déchiqueter », The Marker, 21 juillet 2024 ; en hébreu).
Au cours des derniers mois, Netanyahou a repoussé toutes les tentatives de création d’une commission d’enquête d’État chargée d’examiner les événements du 7 octobre. Sa principale motivation est on ne peut plus claire : fuir la responsabilité et l’obligation de rendre compte de ses actes et de ses échecs. Mais cela est également lié à la question de la documentation. Il ne fait aucun doute que les ordres de Netanyahou concernant les enregistrements dans le puits, et peut-être aussi dans d’autres endroits, visent à dégrader la documentation qui sera finalement mise à la disposition de la commission d’enquête, si et quand elle sera établie. Et le rapport de la commission servira de base aux évaluations que les futurs historiens feront de la performance de Netanyahou en tant que premier ministre (tout comme les chercheurs sur la guerre du Kippour s’appuient aujourd’hui sur les documents de la commission Agranat).
Mais entre-temps, nous avons la presse, ou plus précisément quelques journaux et quelques médias électroniques, qui fournissent un flux d’informations sur les événements antérieurs au 7 octobre et sur ce qui s’est passé ce jour-là et les jours qui ont suivi. On dit que la presse est la première ébauche de l’histoire, et que ce n’est qu’après que les études savantes suivent. À en juger par les nombreux documents déjà publiés, Netanyahou sera crucifié dans les livres d’histoire comme la personne qui a affaibli Israël et renforcé la puissance du Hamas et de nos autres ennemis.
Selon ce qui a déjà été publié, Netanyahou a fourni de l’argent au Hamas (via le Qatar), lui a procuré (ainsi qu’au Hezbollah et à l’Iran) la tranquillité dont il avait besoin pour se renforcer, a supervisé la réduction des forces terrestres de Tsahal et, surtout, a trompé l’armée et les services de renseignement sur les intentions du Hamas, tout en imposant la conception selon laquelle « le Hamas a été dissuadé ».
Parallèlement, il s’est efforcé d’affaiblir et d’humilier l’Autorité palestinienne, dans le but d’empêcher tout progrès vers la solution à deux États pour deux peuples. (C’est peut-être le lieu de noter que je suis moi-même extrêmement sceptique quant au désir et à la capacité des Palestiniens d’accepter un compromis territorial avec Israël. À ce jour, à chaque jonction importante, les dirigeants palestiniens - sous Hajj Amin al-Husseini, Yasser Arafat, Mahmoud Abbas et, bien sûr, le Hamas - ont rejeté les propositions de solution de compromis. Ce fut le cas en 1937, 1947-1948, 2000 et 2008. Mais cela ne dispense pas les dirigeants israéliens d’essayer de rechercher une solution sur la base de deux États pour deux peuples - la seule solution qui puisse apporter la paix dans la région - et de reconnaître que régner indéfiniment sur un autre peuple n’est pas réaliste au XXIe siècle) [Était-ce réaliste au XXe siècle, camarade ? NdT].
Je n’ai aucun doute sur le fait que l’historiographie future sur la guerre actuelle fera de Netanyahou le principal coupable à la fois de l’échec du renseignement et de l’échec de la performance de Tsahal le 7 octobre et par la suite (tout comme Neville Chamberlain a été jugé « coupable » des défaites en Norvège et au Benelux-France en avril-mai 1940, au début de la Seconde Guerre mondiale). Pour leur défense, il est probable que Netanyahou et ses partisans soutiendront que l’écriture de l’histoire (comme la presse) est captive de la gauche et des libéraux - et ils auront raison, car il y a peu d’historiens israéliens sérieux de droite (bien que leur nombre augmente sans aucun doute ces jours-ci). Mais je suis certain que même les historiens qui ont une vision du monde de droite jugeront à l’avenir que Netanyahou est responsable et coupable des bévues du 7 octobre, de l’affaiblissement d’Israël et du renforcement de ses ennemis.
Je ne sais pas si Netanyahou, comme l’écrit chaque semaine Nehemia Shtrasler dans Haaretz, est « la personne la plus méprisable de l’histoire du peuple juif ». Mais il ne fait aucun doute qu’il est le plus corrompu, le plus corrupteur et le plus incompétent de tous les premiers ministres d’Israël, et c’est ainsi que l’histoire le jugera.
NdT
*On ne peut que recommander à l’auteur de lire la biographie de Sir Winston par Tariq Ali, Churchill, sa vie, ses crimes. Afrique du Sud, Soudan, Inde, Irak, Irlande, Grèce, Allemagne, Bengale : là où l’homme au cigare passait, l’herbe n’était pas près de repousser…
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