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22/12/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Israël est-il vraiment en train de construire un empire au Moyen-Orient ?

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 19/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que l’armée israélienne s’apprête à passer un temps indéterminé sur les hauteurs du Golan syrien et que les colons font la queue pour pénétrer à Gaza et au Liban, il est de plus en plus difficile de s’opposer à l’idée qu’Israël est en train de construire un empire.

Netanyahou en visite sur le plateau du Golan syrien occupé mardi. Photo Maayan Toaf/Bureau de presse du gouvernement israélien

Dans les premiers mois de l’année 2024, un collègue arabe d’un pays du Moyen-Orient a demandé ce qu’Israël essayait de faire. Israël semblait se comporter comme l’empire musulman en expansion du début du Moyen-Âge, disait le collègue avec anxiété, prêt à conquérir tout le Moyen-Orient.
Cela ressemblait à une vision paranoïaque, ou du moins très exagérée, d’Israël en tant qu’agresseur expansionniste maléfique perpétuel. Il est vrai que la guerre d’Israël à Gaza était déjà plus que brutale au début de l’année 2024, et j’espérais déjà ardemment un cessez-le-feu bien avant cela. Et dès la fin du mois de janvier, il était clair que des éléments radicaux de la coalition au pouvoir avaient des idées folles sur l’occupation de Gaza.
Néanmoins, Israël n’avait pas vraiment de plan de conquête territoriale dans d’autres pays. D’une part, les Palestiniens ont la malchance d’être nés sur une terre que les juifs considèrent comme un héritage biblique. Par consensus et par la Realpolitik du 20e siècle, les sionistes de tous bords ont limité leur revendication, même maximaliste, au mandat britannique historique de la CisJordanie. (Le rêve des « deux rives » du Jourdain du Likoud a perduré, mais s’est évanoui au siècle dernier). À partir des années 1990, les sionistes de gauche se sont contentés d’un Israël moderne situé à l’intérieur de la Ligne verte.
En outre, c’est la décision idiote [sic] du Hezbollah de participer à la guerre, en inspirant les Houthis du Yémen, qui a internationalisé le tout. La décision du Premier ministre Ehud Barak de quitter unilatéralement le Liban en 2000 était très populaire dans les sondages de l’époque, selon les enquêtes sur la sécurité nationale et l’indice de paix disponible sur Data Israel - et les Israéliens étaient euphoriques lorsque cela s’est produit. Malgré des années de révisionnisme en Israël affirmant que c’était une mauvaise idée, personne n’a appelé à réoccuper l’endroit.
Mais franchement, il est de plus en plus difficile de s’opposer à l’affirmation qu’un « empire » est en cours de construction. Après des mois d’escalades limitées, quoique meurtrières, avec le Hezbollah, Israël est passé à la guerre totale en septembre ; les explosions de bipeurs et l’assassinat de Hassan Nasrallah étaient le prélude à une invasion aérienne et terrestre de grande envergure, destinée à éliminer à jamais la menace militaire que représente le Hezbollah. Mais quelle était la valeur ajoutée, en termes de sécurité, du fait de qualifier le Liban de « partie de la terre promise », comme l’a fait en juin un nouveau groupe ésotérique appelé « Wake up the North » (Réveille-toi, le Nord) ? C’est à ce moment-là qu’ Anshel Pfeffer a mis en garde, dans Haaretz, contre le fait de rejeter de telles déclarations lors de la conférence en ligne du nouveau groupe, simplement parce que la colonisation du Liban semblait farfelue.
En novembre, Ze’ev Erlich, connu par sa communauté comme un chercheur de la « Terre d’Israël » de la colonie d’Ofra en Cisjordanie, a été tué au Liban. Il s’était apparemment engagé dans l’armée et effectuait des recherches sur une ancienne forteresse. Les forces de défense israéliennes enquêtent sur les raisons pour lesquelles il se trouvait là en tant que civil, et non pour des besoins opérationnels, apparemment avec l’aide de certains membres d’une unité de l’armée. Il est difficile d’imaginer ce que cet homme de 71 ans aurait pu apporter sur le plan opérationnel. On a plutôt l’impression qu’il était là pour réhistoriciser le territoire libanais dans le cadre de ses recherches sur la « Terre d’Israël ».
Cette semaine, les FDI ont également admis que des membres de Wake up the North étaient entrés au Liban et y avaient monté des tentes. Le groupe a réagi à ce rapport en affirmant haut et fort son intention de s’installer dans le sud du Liban : « Bientôt, ce ne sera plus de l’autre côté de la frontière », a écrit le groupe dans un message sur WhatsApp.
Entre-temps, le misérable dictateur syrien Bachar El Assad est tombé et s’est enfui, vaincu par les rebelles. En réponse, Israël a immédiatement pénétré dans la zone démilitarisée du plateau du Golan, à l’intérieur de la Syrie, pour la première fois depuis les termes de l’armistice de 1974. Les dirigeants israéliens font savoir qu’il ne s’agit pas d’une brève incursion : Benjamin Netanyahou a annulé sa comparution devant le tribunal mardi pour se rendre sur le versant syrien du mont Hermon [Jebel
ech-Cheikh]. Il a déclaré qu’Israël resterait en territoire syrien - qu’il a qualifié de « lieu très important » - pour le moment. Cette déclaration est déjà plus ouverte que celle du ministre de la défense, Israël Katz, qui a déclaré vendredi dernier que les forces de défense israéliennes devaient se préparer à rester sur place pendant l’hiver.

Le ministre de la Défense Israël Katz en visite sur le versant syrien du Mont Hermon [Jebel ech-Cheikh]  mardi. Photo porte-parole du ministère de la Défense israélien

Il semble encore choquant qu’Israël conquière ou occupe de nouveaux territoires souverains d’autres pays pour la première fois depuis l’invasion du Liban il y a 42 ans. Mais il n’y a pas de meilleure façon de rendre moins choquants les desseins d’Israël sur Gaza : l’expulsion massive et la destruction quasi-totale du nord, les colons qui campent le long des frontières dans l’attente du butin sont désormais des nouvelles d’hier. Qui se souvient encore de l’annexion régulière de la Cisjordanie ? Bezalel Smotrich a récemment déclaré que près de 23 000 dunams [2 300 hectares] de terres de Cisjordanie étaient des « terres d’État », une manière bureaucratique sophistiquée de permettre la poursuite de l’expansion des colonies.
Pourtant, un autre drame est en cours dans les étages souterrains du tribunal de district de Tel Aviv. À propos du témoignage de Netanyahou, un collègue d’un autre pays voisin s’est étonné : « Vous voulez dire qu’il s’est présenté lui-même ? Vous n’avez aucune idée de ce que cela signifie ». Comment le même pays qui réprime et détruit les Palestiniens, et qui envahit impunément des territoires étrangers, peut-il en même temps juger un dirigeant en exercice - ce qui semble être le summum de la responsabilité démocratique ?
Il est facile d’être cynique, comme si tout cela n’était qu’un spectacle. Mais en regardant Netanyahou au tribunal, il est clair que, même s’il est malheureux, il s’est soumis à l’autorité de la seule institution israélienne capable de le restreindre : le pouvoir judiciaire, encore indépendant.

Netanyahou comparaissant devant le tribunal de district de Tel Aviv la semaine dernière. Photo Miriam Elster/Flash90

La réponse la plus juste est qu’il ne s’agit pas d’une bataille à armes égales entre les forces de l’impérialisme et de la démocratie, luttant pour l’âme d’Israël. Si la démocratie gagne la bataille, elle ne peut pas continuer à être un occupant conquérant et gagner la guerre. Mais il s’agit d’un conflit asymétrique ; si Israël ne change pas rapidement de cap, la partie la plus faible perdra.

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