Rabat accorde à NewMed Energy un permis sur une zone de la taille de la Catalogne aux abords des îles Canaries. Sa décision approfondit encore les relations étroites qu’il a établies avec l’État hébreu dans de nombreux domaines, à commencer par le militaire.
Ignacio Cembrero , El
Confidencial, 4/3/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala
Le Maroc a approuvé le mois
dernier une licence de prospection d’hydrocarbures pour la société israélienne NewMed
Energy dans une zone de 34 000 kilomètres carrés, légèrement plus grande
que la Catalogne ou la Belgique, dans les eaux du Sahara occidental et aux
abords des îles Canaries.
La décision, publiée au Journal officiel du Maroc le 17 février, souligne la volonté
de Rabat d’exploiter les ressources naturelles de l’ ancienne colonie espagnole
et ses relations de plus en plus étroites avec Israël, qui n’ont pas été
altérées par la guerre de Gaza.
« Nous avons depuis
longtemps identifié un énorme potentiel au Maroc [en référence au Sahara
occidental] et l’annonce d’aujourd’hui fait partie d’un vaste mouvement
stratégique qui fera de NewMed Energy le principal acteur énergétique dans la
région de la Méditerranée orientale et de l’Afrique du Nord », a déclaré Yossi
Abu, le PDG de la société NewMed Energy, aux journalistes. Ce commentaire est
exagéré, car la Sonatrach, entreprise publique algérienne, est de loin la plus
grande société énergétique d’Afrique.
Le vaste permis d’exploration
offshore est partagé entre NewMed Energy, du groupe Delek, et Adarco Energy,
propriété de l’homme
d’affaires marocain/israélien Yariv Elbaz, qui s’est engagé depuis des
années à approfondir les relations entre le Maroc et Israël. Les deux sociétés détiennent
chacune 37,5 % des parts, les 25 % restants étant détenus par l’Office national
des hydrocarbures et des mines (ONHYM), une entreprise publique marocaine.
Le contrat d’attribution du bloc offshore Boujdour Atlantique a été conclu en décembre 2022, comme l’avait révélé à l’époque le journal numérique israélien Globes spécialisé dans l’information économique. Il aura fallu plus de deux ans pour qu’il soit publié au Journal officiel avec la signature de la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali.
Les entreprises peuvent
maintenant commencer à opérer en réalisant d’abord une analyse géologique et
géophysique pendant 30 mois et, si les résultats sont positifs, elles
commenceront alors les premiers forages d’exploration. La licence a une durée
totale de huit ans. Les perspectives semblent prometteuses : le sous-sol y
présente les mêmes caractéristiques géologiques que dans les zones offshore
proches de la Mauritanie et du Sénégal où du gaz a été découvert.
La zone à explorer porte le nom
de la ville de Boujdour, la quatrième ville du Sahara occidental en
termes de population, située à 213 kilomètres de Mas Palomas (Grande Canarie)
et à 215 kilomètres de Morro-Jable (Fuerteventura). Certains des 17 blocs dans
lesquels Boujdour Atlantique est divisée sont encore plus proches des îles
Canaries.
Bien qu’elle ne soit pas valide,
l’extension maritime, approuvée en 2020 par deux lois, a suscité des
inquiétudes en Espagne car elle empiète sur la ZEE revendiquée par les îles
Canaries. Les eaux des îles Canaries “ne sont pas touchées ”, avait alors prévenu le président des îles Canaries, Ángel Víctor Torres,
aujourd’hui ministre . Comme cela s’était produit deux ans plus tôt, lors
de la fermeture unilatérale des douanes de Melilla par le Maroc, le
gouvernement espagnol n’a pas protesté officiellement auprès de Rabat, malgré l’insistance
des partis nationalistes canariens.
Conscient du malaise espagnol, le
ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a tenté de l’atténuer
en déclarant après le vote du parlement : « Nous ne voulons pas imposer un
fait accompli et nous sommes prêts à dialoguer avec l’Espagne dans le cadre de
nos droits essentiels et souverains ».
Le dialogue aurait dû porter ses
premiers fruits au printemps 2022, après que les gouvernements espagnol et
marocain eurent signé une feuille de route à Rabat à l’occasion de la visite de
Pedro Sánchez le 7 avril de cette année-là. Le document convenu prévoyait la
négociation d’une « délimitation des espaces maritimes sur la côte
atlantique » entre les deux pays. Bien que plusieurs réunions aient eu
lieu, aucune avancée n’a été réalisée.
Plus au sud, toujours dans les
eaux du Sahara occidental, le Maroc a accepté en 2021 d’attribuer une autre
zone d’exploitation à deux sociétés israéliennes, d’abord à Ratio Petroleum, avec une participation de 70 %, à
laquelle s’est ajoutée plus tard Navitas Petroleu. Baptisée Dakhla-Atlantyk, elle
s’étend sur 109 900 kilomètres carrés, soit une superficie supérieure à celle
de la Castille-et-Léon ou du Portugal. Les concessions de licences n’ont pas
encore été publiées au Journal officiel, de sorte que les entreprises ne
peuvent pas encore explorer ces eaux.
L’engagement de Rabat en faveur d’Israël
au Sahara est dû, entre autres, à la conviction que les entreprises européennes
pourraient hésiter à investir dans l’ancienne colonie
espagnole après les arrêts de la Cour européenne de justice. En octobre
dernier, les juges de Luxembourg ont annulé les accords de pêche et d’association
avec le Maroc parce qu’ils incluaient le Sahara occidental sans le consentement
de sa population autochtone.
Israël remplace la France
Mais l’engagement du Maroc avec l’État
hébreu va bien au-delà de l’énergie. Il englobe de nombreux autres domaines, à
commencer par le militaire et la sécurité, où Rabat semble s’éloigner de la
France, son deuxième fournisseur d’armes, pour le remplacer par Israël. L’Institut
international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI)a révélé dans son
dernier rapport qu’entre 2019 et 2023, le Maroc a importé 11% de ses armements d’Israël, qui est
devenu son troisième plus grand fournisseur après les USA et la France.
Preuve de son intérêt croissant
pour le matériel israélien, l’armée marocaine a annoncé, début février, l’achat
de 36 pièces d’artillerie automotrices ATMOS 2000 d’Elbit Systems,
au lieu du Caesar français, produit par KNDS, qu’elle avait acquis jusqu’alors.
Plus grave, la “trahison” de la France en juillet dernier. Pour remplacer ses
deux satellites espions Mohamed VI A et B, fabriqués par Thalès et Airbus, elle
a opté pour les satellites Ofek-13 d’Israel Aerospace Industries (IAI), pour lesquels elle
paiera quelque 953 millions d’euros. pour lesquels le Maroc paiera quelque
953 millions d’euros.
En échange de la reconnaissance
par le président Donald Trump, en décembre 2020, de la souveraineté marocaine
sur le Sahara occidental, le Maroc a établi des relations diplomatiques avec Israël.
Depuis, les liens se sont resserrés, même si le Maroc est probablement le pays
du monde arabe où le plus de manifestants sont descendus dans la rue pour
protester contre l’invasion de Gaza et, accessoirement, dénoncer la “normalisation”
de Rabat avec l’État hébreu.
Cette normalisation a fait un
bond qualitatif en novembre 2021, lorsque Benny Gantz, alors ministre israélien
de la défense, s’est rendu à Rabat pour signer un accord de coopération
militaire et industrielle dans le domaine de l’armement et de la formation. Le
Maroc a même osé autoriser l’escale dans le port de Tanger de l’INS Komemiyutm,
un navire de guerre israélien, naviguant entre Pensacola (USA) et Haïfa.
En échange de ces faveurs et de l’aliénation
de leur opinion publique, les autorités marocaines attendent d’Israël qu’il les
soutienne sans réserve dans la guerre de très faible intensité qui les oppose
au Front Polisario et qu’il les aide à gagner la course aux armements avec leur
voisin algérien. L’Algérie dispose, du moins sur le papier, de la plus grande
et de la meilleure armée d’Afrique.
Rabat espère également que cette
relation étroite avec l’État hébreu lui ouvrira grandes les portes de la Maison
Blanche, que Washington l’aidera à faire reconnaître par la communauté
internationale la souveraineté marocaine sur le Sahara, comme l’a fait Trump en
décembre 2020.
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