Plusieurs immigrants détenus ont décrit une tension et une anxiété élevées dans ce centre isolé et construit à la hâte, en raison du manque d’informations, d’activités récréatives et d’accès aux médicaments.
Patricia
Mazzei, Ochopee, Floride et Hamed
Aleaziz, Washington, The New
York Times, 16/7/2025
Kirsten Noyes a contribué à la recherche.
Patricia Mazzei est la reportrice principale du Times à Miami, couvrant la Floride et Porto Rico.Hamed Aleaziz couvre le département de la Sécurité intérieure et la politique d’immigration pour le Times.
Les hommes détenus dans le
nouveau centre de détention pour immigrants situé dans les Everglades, en
Floride, n’ont ni crayons, ni livres, ni télévision. Les lumières restent
allumées toute la nuit. Quand il pleut, c’est-à-dire presque tous les jours en
été, les tentes qui abritent les détenus prennent l’eau et les insectes s’y
engouffrent.
Lors d’entretiens téléphoniques,
plusieurs détenus ont fait état de douches peu fréquentes, de repas qui n’étaient
guère plus que des collations, d’autres détenus tombant malades avec des
symptômes grippaux et de privation de sommeil. Ils ont décrit des troubles liés
au manque d’informations, à l’absence de loisirs et à l’impossibilité d’accéder
à des médicaments.
« C’est une poudrière », a
déclaré Rick Herrera, l’un des détenus, qui a appelé un journaliste à plusieurs
reprises pendant cinq jours, offrant un rare aperçu des premières semaines
chaotiques de ce que les experts considèrent comme le seul centre d’accueil
géré par l’État pour les détenus immigrés fédéraux.
La Floride, sous la houlette de
son procurer général James Uthmeier, a foncé pour ouvrir le centre —
baptisé officiellement « Alligator Alcatraz » en référence à son emplacement
isolé et marécageux — le 3 juillet, dans son désir d’aider le président Trump
dans sa lutte contre l’immigration en augmentant la capacité d’accueil des
centres de détention. Kristi Noem, secrétaire à la Sécurité intérieure, a
déclaré dimanche que d’autres États souhaitaient suivre l’exemple de la
Floride.
Ron DeSantis, gouverneur
républicain de Floride, a positionné son État comme particulièrement
agressif en matière d’application des lois sur l’immigration, déléguant aux
autorités locales et étatiques le pouvoir d’ agir comme un « multiplicateur de force » pour
les autorités fédérales.
Mais l’ouverture du centre de
détention dans les Everglades était une mesure sans précédent qui reposait sur
les pouvoirs d’urgence de l’État. Jusqu’à récemment, le gouvernement fédéral
était responsable de l’hébergement des immigrants détenus, et il détenait
principalement des personnes entrées illégalement dans le pays récemment, ou
qui avaient été condamnées pour des infractions pénales ou faisaient l’objet d’une
mesure d’expulsion. Mais sous Trump, l’application des lois sur l’immigration a
considérablement changé, touchant désormais des personnes qui n’étaient pas
visées auparavant.
Le centre des Everglades s’inscrit
dans le cadre du processus de coopération locale et fédérale en matière d’immigration
connu sous le nom de 287(g). En vertu de ce système, les autorités locales
peuvent arrêter et placer en détention des migrants pour le compte des services
de l’immigration et des douanes (ICE). On ignore toutefois si et quand les
personnes détenues au centre des Everglades seront transférées à l’ICE avant d’être
expulsées.
La plupart des détenus du centre
n’ont pas été condamnés pour des infractions pénales, selon un responsable
gouvernemental au fait des données qui a souhaité garder l’anonymat car il n’était
pas autorisé à s’exprimer à ce sujet. Au moins certains d’entre eux avaient été
transférés depuis des prisons locales où ils avaient été placés en détention
après avoir été arrêtés pour des infractions au code de la route ; d’autres
avaient été transférés depuis des centres de détention de l’ICE.
Un autre responsable
gouvernemental qui a souhaité garder l’anonymat pour la même raison a déclaré
qu’au total, 60 % des détenus du centre avaient été condamnés pour des
infractions pénales ou faisaient l’objet de poursuites pénales.
DeSantis est envisage déjà d’ouvrir
un autre centre de ce type dans le nord de la Floride. Les tribunaux ont
toutefois jugé à plusieurs reprises que l’application des lois sur l’immigration
relevait de la compétence fédérale. La semaine dernière, la Cour suprême a refusé de réanimer une loi restrictive sur l’immigration
en Floride, bloquée par les tribunaux inférieurs, qui aurait érigé en
infraction pénale le fait pour des migrants en situation irrégulière d’entrer
dans l’État.
« Les États ne sont pas autorisés
à créer leur propre système de détention des immigrants », a déclaré Lucas
Guttentag, ancien fonctionnaire du ministère de la Justice sous l’administration
Biden. « Tous ceux qui accordent de l’importance à la liberté et à la
responsabilité devraient être profondément inquiets. »
Interrogée au sujet du centre des
Everglades, Tricia McLaughlin, porte-parole du département de la Sécurité
intérieure, a déclaré : « Sous la direction du président Trump, nous
travaillons d’arrache-pied pour trouver des moyens rentables et innovants de
répondre à la demande du peuple américain en matière d’expulsion massive des
étrangers en situation irrégulière ayant commis des infractions pénales. »
Bien que Trump ait fait sensation
en visitant le centre de détention des Everglades il
y a deux semaines, le gouvernement fédéral s’est désengagé du projet, affirmant
qu’il relevait de la responsabilité de l’État de Floride. Après que des groupes
environnementaux ont esté en justice pour faire arrêter la construction du
centre, Thomas P. Giles, haut responsable de l’ICE, a répondu dans un
communiqué que le rôle de l’agence « s’est limité à visiter les installations
afin de s’assurer qu’elles respectaient les normes de détention de l’ICE, et à
rencontrer des représentants de l’État de Floride pour discuter de questions
opérationnelles ».
« La décision finale quant à l’identité
des personnes à placer en détention », a-t-il écrit, « appartient à la Floride
».
Les détenus du centre n’apparaissent
pas dans la base de données publique de l’ICE, ce qui rend difficile pour leurs
proches ou leurs avocats de les retrouver ou de savoir s’ils ont été expulsés.
Avec 1 000 lits répartis dans des unités clôturées pouvant accueillir chacune
32 hommes, il comptait environ 900 détenus samedi, selon des membres du Congrès
et des députés de l’État. La grande majorité d’entre eux étaient hispaniques.
Les détentions massives ont donné
lieu à des plaintes pour surpopulation et conditions insalubres et inhumaines dans les
centres de détention de l’ICE à travers le pays, bien que l’ICE ait nié tout
problème. Mais certaines conditions dans le centre de détention des Everglades
sont spécifiquement dues à sa construction précipitée et à son emplacement
isolé. Il a été construit sur un aérodrome avec si peu d’infrastructures que
les ordures et les eaux usées doivent être évacuées par de gros camions.
Les responsables de l’État, qui
ont déclaré aux députés qu’ils prévoyaient d’augmenter la capacité de l’établissement
à 4 000 personnes d’ici le mois prochain, ont rejeté les descriptions des
détenus concernant les mauvaises conditions de détention, les qualifiant de «
totalement fausses ».
« L’installation répond à toutes
les normes requises et fonctionne correctement », a déclaré Stephanie Hartman,
directrice adjointe de la communication de la Division de la gestion des
urgences de Floride, dans un communiqué.
Les proches et les avocats des
détenus affirment qu’ils n’ont pas été autorisés à leur rendre visite ;
mercredi, l’Union américaine pour les libertés civiles (American Civil
Liberties Union) a intenté une action en justice pour dénoncer l’impossibilité
pour les avocats d’accéder aux détenus. Jusqu’à présent, les détenus ont été
autorisés à passer des appels illimités et gratuits, mais ceux-ci peuvent être
surveillés ou enregistrés. Certains détenus et leurs proches ont refusé d’être
nommés par crainte de représailles.
Des membres du Congrès et des députés
de l’État ont visité les installations samedi sur invitation, après que des
législateurs démocrates de l’État s’étaient vu refuser l’entrée plus tôt ce
mois-ci lorsqu’ils s’étaient présentés à l’improviste. Les démocrates de l’État
ont intenté une action en justice, arguant qu’ils ont le droit d’exercer un tel
contrôle.
Après la visite, le sénateur
républicain Blaise Ingoglia a décrit une couchette dans une cellule vide de l’établissement
comme « meilleure que mon lit chez moi ».
Plusieurs députés démocrates ont
critiqué cette visite, la qualifiant d’ « aseptisée », et ont déclaré que les
conditions à l’intérieur étaient pires que celles des centres de détention de l’ICE.
« Tous les Floridiens devraient avoir honte que l’argent des contribuables soit
utilisé pour mettre des gens dans ces cages », a déclaré le représentant
Maxwell Alejandro Frost, un démocrate d’Orlando.
La présence des politiciens a
attiré une foule modeste près de l’autoroute américaine 41, une route à deux
voies qui traverse les Everglades d’est en ouest. Parmi eux se trouvait Benita
Mendoza, dont le mari, Jordan Márquez, arrivé aux USA il y a 19 ans en
provenance de Cuba, faisait partie des premiers détenus du centre.
« Il me demande sans cesse : “Quelle
heure est-il ? Quel jour sommes-nous ?”», a-t-elle déclaré, ajoutant que M.
Márquez, âgé de 43 ans, lui avait dit qu’il ne prenait pas régulièrement ses
médicaments pour la tension artérielle.
Des manifestants se trouvaient
parmi les personnes présentes devant le centre ce jour-là. Un partisan
brandissait un drapeau américain à côté d’une pancarte sur laquelle on pouvait
lire « ENVOYEZ PLUS DE GATORS !! ». Un autre homme vendait des t-shirts
Alligator Alcatraz depuis son SUV au prix de 25 dollars pièce. Quatre jeunes
hommes qui roulaient de Naples à Miami dans une Mercedes-Benz décapotable se
sont arrêtés et ont filmé la scène.
Les républicains ont affirmé que
le centre nécessite moins de sécurité que d’autres en raison de son
environnement inhospitalier, peuplé qu’il est par des alligators et des pythons
envahissants. Aucun de ces animaux n’a tendance à attaquer les humains, et les
Amérindiens, notamment la tribu des Miccosukee, ont depuis longtemps élu
domicile dans les Everglades.
« C’est toute la communauté
Miccosukee qui est concernée », dit Betty Osceola, une membre de la tribu qui
vit à proximité et qui a protesté contre le centre de détention pour des
raisons environnementales.
La Floride a estimé que le
fonctionnement de ce centre coûtera environ 450 millions de dollars par an,
dont une partie sera remboursée par l’Agence fédérale de gestion des urgences.
Les détracteurs ont souligné que le coût par détenu est plus élevé que dans les
prisons d’État ou les centres de détention de l’ICE. L’État a conclu des
contrats sans appel d’offres en urgence ; certains sont allés à des donateurs politiques républicains.
Un bus rempli de détenus, dont M.
Herrera, est arrivé mercredi dernier, mais ils n’ont pas été immédiatement pris
en charge. Ils ont été gardés dans le bus toute la nuit, menottés et enchaînés,
sans nourriture ni boisson, ont déclaré M. Herrera et un autre détenu. M.
Herrera avait été informé qu’il serait transféré au centre de détention de
Krome, géré par l’ICE, plus près de Miami, mais au lieu de ça, il est arrivé au
centre des Everglades.
Les hommes ont été placés dans l’une
des huit unités clôturées à l’intérieur d’une immense tente ; ceux qui avaient
un casier judiciaire chargé ont reçu des bracelets rouges. M. Herrera, 55 ans,
a été libéré de prison il y a deux ans après avoir purgé une peine pour vol de
voiture. Il vit aux USA depuis l’âge de 3 ans et n’a pas de dossier de
citoyenneté en Argentine, d’où est originaire sa famille, ce qui rend son
expulsion difficile.
Le centre des Everglades était
différent des prisons fédérales et des centres de détention de l’ICE où il
avait séjourné, a-t-il déclaré : il n’y avait pas de règlement affiché ni de
coordonnées pour contacter un inspecteur général ; pas de bibliothèque
juridique ni de matériel religieux, y compris des bibles ; pas de temps de
récréation en plein air, du moins pas pour son unité ; pas de cantine ni de
distributeurs automatiques. Au cours d’une conversation téléphonique avec M.
Herrera, on pouvait entendre en arrière-plan des hommes à l’intérieur de l’unité
crier en espagnol : « Libertad ! Libertad ! »
Alexander Boni, un détenu cubain
âgé de 32 ans, a déclaré avoir demandé un masque facial après que d’autres
détenus sont tombés malades, mais qu’il ne l’avait pas obtenu.
« Nous sommes désespérés ici »,
a-t-il déclaré.
Pour passer le temps, certains
détenus ont fabriqué la semaine dernière des pièces d’échecs et des dominos
rudimentaires à partir de bouts de papier, a déclaré M. Herrera. Ils ont
utilisé de la graisse de soudure provenant des lits superposés en métal pour
marquer les pièces noires.
Mardi, les gardiens ont informé
M. Herrera qu’il allait être transféré, sans toutefois lui dire où il allait. D’autres
membres de son unité avaient également été emmenés. Mercredi, son avocat a été
informé qu’il avait été transporté vers le centre de détention de l’ICE situé à
proximité, à Krome, où il aurait dû être envoyé dès le début.
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