Sergio Rodríguez Gelfenstein, 24/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme cela devient habituel, , les médias
transnationaux à but lucratif, censés informer, se consacrent paradoxalement à
la désinformation. On peut le constater de manière particulièrement aberrante
lorsqu’il s’agit des événements en Asie occidentale. Bien que la déformation
des faits soit une pratique quotidienne, la situation est aujourd’hui atroce
lorsqu’on tente de reconstruire les péripéties et les actions qui se déroulent
dans cette région depuis deux ans et demi.
Ces derniers jours, ce sont les faits en
Syrie dominent l’actualité régionale. Comme si le génocide en Palestine,
l’agression permanente contre le Liban et la rhétorique belliciste contre les
voisins s’étaient arrêtés, la falsification des faits cache la véritable toile
de fond de l’affaire.
La situation géographique de la Syrie,
située au carrefour des peuples et des civilisations, en a fait, tout au long
de l’histoire, un joyau inestimable pour ceux qui aspiraient à contrôler la
région. La présence de peuples différenciés dans certaines zones du pays a créé
des aires d’influence traditionnelles d’idéologies, de leaders et de tribus
ayant leur propre identité, culture et histoire. Par exemple, les Kurdes se
trouvent au nord, les Druzes au sud-est, les Alaouites sur la côte
méditerranéenne, et les Sunnites dans la zone centrale.
Cette situation, stabilisée sans grands
conflits [sic] sous le gouvernement de Bachar Al Assad, a été détruite
par une intervention étrangère qui, en attisant les différences sectaires et
religieuses à son avantage, a engendré la division et la disparition de la
sécurité fondée sur l’équilibre.
Au-delà de la dynamique interne syrienne,
trois puissances étrangères ont joué un rôle déterminant dans la situation
actuelle : Israël, les USA (avec la France en appendice), et la Turquie.
Comme je l’ai écrit à d’autres occasions,
il est presque impossible aujourd’hui d’analyser un scénario de manière isolée.
De même, tout événement international doit être compris dans ses trois
dimensions — locale, régionale et globale — si l’on veut réellement en cerner
les fondements et les implications.
Ce texte tente donc d’analyser ce
scénario complexe sous une vision holistique, seule capable de fournir des
pistes pour sa compréhension. Malgré l’accord de cessez-le-feu entre Israël et
le Liban conclu en novembre dernier, l’entité sioniste l’a violé à de multiples
reprises. Les USA et la France, garants de cet accord, ont trahi leur
engagement en permettant que l’agression — qui a déjà causé la mort de près de
400 Libanais — se poursuive en toute impunité.
Cet accord était censé prolonger la
résolution 1701 de 2006 du Conseil de sécurité de l’ONU, signée après 34 jours
de guerre suite à l’invasion du Liban par Israël. L’accord établissait un
cessez-le-feu total et le retrait des troupes israéliennes. Israël n’avait pas
atteint ses objectifs à l’époque : détruire le mouvement chiite libanais
Hezbollah et « démilitariser » le Liban.
Ce non-respect de la résolution 1701
reste une épée de Damoclès suspendue au-dessus de toute tentative de
stabilisation. Dans le contexte actuel, Thomas Barrack, envoyé spécial du
président Donald Trump pour la Syrie, a insisté sur l’obligation du
gouvernement libanais de désarmer le Hezbollah, menaçant Beyrouth de détruire
le Liban pour l’annexer à la Syrie si cela n’était pas fait. En réalité, si cet
ultimatum était mis à exécution, il signifierait la fin des Accords Sykes-Picot
de 1916, qui avaient organisé le contrôle de la région selon les intérêts
européens sous le couvert d’une stabilité jamais atteinte.
L’instabilité nécessaire au maintien des
intérêts occidentaux s’est poursuivie ces dernières années. De la première
guerre du Golfe (1990–1991), à celle d’Irak (2003–2011), en passant par
l’Afghanistan (2001–2021), le prétendu Printemps arabe débuté en 2011, la
guerre au Yémen commencée en 2015, le génocide permanent contre le peuple
palestinien, les attaques israéliennes intermittentes contre le Liban,
l’intervention turque en Syrie, ou encore les guerres contre le terrorisme
d’Al-Qaïda et de Daech en Irak et Syrie, toutes ont pour objectif le maintien
de l’instabilité, pour affaiblir, fragmenter, dominer et contrôler la région.
Pour les USA, la priorité stratégique est
d’assurer leur sécurité énergétique. Les centres de production pétrolière sont
donc constamment dans leur viseur, ce qui explique leur présence active en Asie
occidentale — région possédant les plus grandes réserves mondiales. Cela
explique aussi leur implication dans le conflit ukrainien. Dans ce cadre, le
Venezuela est également concerné, mais en tant que pays d’Amérique latine — «
l’arrière-cour » de Washington — sa dynamique est différente et ne sera pas
abordée ici.
Rassemblant tous ces éléments, on peut
commencer à répondre à la question : Pourquoi la Syrie ? Bien avant le conflit
actuel, même avant la guerre du Golfe, des projets de construction d’oléoducs
existaient déjà. L’un devait partir du Golfe Persique, traverser l’Irak et la
Syrie jusqu’à la Turquie pour approvisionner l’Europe. Le second a motivé le
coup d’État de 1953 en Iran contre le Premier ministre Mossadegh, après qu’il eut
nationalisé le pétrole [jusque-là “british”]. Ce projet fut définitivement
écarté après la révolution islamique de 1979. Aujourd’hui, plusieurs projets d’oléogazoducs
partant du Golfe Arabo-Persique vers l’Europe passent par la Syrie.
C’est dans la continuité de ces projets
que, presque en même temps que le Printemps arabe de 2011, une grande
conspiration occidentale a vu le jour pour affaiblir la région et s’emparer de
ses ressources. Les USA et l’OTAN ont ainsi conçu, financé et mis en œuvre un
coup d’État en Ukraine pour atteindre le même but : éliminer la Russie comme
fournisseur énergétique de l’Europe. Il s’agissait de faire venir l’énergie du
Golfe Arabo-Persique, région dominée par des monarchies conservatrices aisément
contrôlables.
Dans un premier temps, après la chute de
l’URSS et devant la faiblesse de la Russie sous Eltsine, l’Occident a tenté
d’exciter les minorités nationales et religieuses russes. Cette tentative ayant
échoué, il a reporté leurs efforts sur l’Asie occidentale.
Bachar Al Assad a été pressé par
l’Occident d’approuver les projets d’oléoducs. Il a toujours refusé. C’est ce
qui explique pourquoi, après avoir renversé Kadhafi en Libye, le Printemps
arabe a « atterri » en Syrie. Ce refus d’Al Assad est l’une des raisons du coup
d’État en Ukraine en 2014, et de l’implication directe de la Russie : Moscou
avait compris que la cible stratégique de cette guerre était la Russie, pas la
Syrie.
Aujourd’hui, après la chute de Bachar Al Assad
et le génocide à Gaza, le plan des oléoducs a été relancé. Le terroriste Ahmed
Al Charaa alias Al Joulani, devenu président de la Syrie, agit comme instrument
des USA et d’Israël. Sur leurs ordres, il a attaqué la province de Soueïda,
peuplée majoritairement de Druzes. Bien qu’ils ne représentent que 3 % de la
population, les Druzes ne sont pas monolithiques et sont divisés politiquement
— ce qui « facilite » l’action des terroristes devenus gouvernement. Une
faction soutient Al Joulani, une autre Israël, menée par Hikmat al Hijri, né au
Venezuela comme beaucoup d’habitants de Soueïda [surnommé « le peitit
Venezuela », ce dernier étant appelé « Venesueida », NdT].
Une troisième est nationaliste et avait de bonnes relations avec Al Assad.

Al Joulani ne gouverne pas vraiment. Sa
coalition est pleine de contradictions ethniques, religieuses, et politiques.
Il se maintient au pouvoir grâce aux USA, à Israël et à la Turquie, et se
consacre au massacre des minorités : d’abord les Kurdes au nord, puis les
Alaouites sur la côte, et maintenant les Druzes au sud.
Pour attaquer Soueïda, Al Joulani utilise
des sunnites de Daraa (frontalière avec la Jordanie), des tribus bédouines
locales, et une armée composée à 40 % de terroristes étrangers (principalement
ouïghours de Chine et du Pakistan, mais aussi Afghans, Tchétchènes,
Daguestanais…), 40 % de terroristes syriens loyaux à Al Joulani, et 20 % de
membres de diverses tribus et courants musulmans. Ensemble, ils forment une
force de 60 000 hommes.
Les attaques visent à justifier
l’intervention israélienne en Syrie sous prétexte que les tribus bédouines
menacent la sécurité du pays. Mais en réalité, c’est Al Joulani qui orchestre
cette instabilité sur ordre de Washington et Tel-Aviv. Le gouvernement syrien
actuel n’a pris aucune mesure contre l’intervention militaire sioniste.
Soueïda est devenue la pierre angulaire
des intérêts internationaux. Israël veut y créer un “Corridor de David”
sécurisant le territoire syrien qu’il occupe [le Golan]. Les USA visent les
gisements pétroliers. La Turquie veut des oléogazoducs qui traverseraient son
territoire, ce qui lui rapporterait d’énormes revenus.
Mais les ambitions vont plus loin : les USA
et Israël veulent démembrer la Syrie en quatre micro-États ethnico-confessionnels,
pour justifier l'existence raciste de l'entité sioniste. Ces mini-États,
dirigés par des marionnettes comme Al Joulani, permettraient la réalisation du
plan du “Grand Israël” et la création d’un nouveau Moyen-Orient.
Ainsi, la Syrie serait divisée en :
- un secteur kurde au nord sous influence turque,
- une région alaouite sur la côte (Lattaquié et
Tartous),
- un émirat islamique contrôlé par Al Joulani au
centre,
- un corridor israélo-druze au sud-est, aux frontières
jordanienne et irakienne.
Si ce plan est mis en œuvre, toute la
région serait morcelée, permettant à l’Occident de s’approprier les ressources
énergétiques et d’écarter la Russie du marché européen. Le Golfe Arabo-Persique,
via la Syrie et la Turquie, deviendrait le nouveau fournisseur.
La Turquie cherche à devenir ce pont
énergétique vers l’Europe. Cela explique son rôle dans la chute d’Al Assad. Le
projet des Frères musulmans, dont Erdogan est issu, vise à devenir le
porte-parole des musulmans du monde. Mais cela nécessite un Iran affaibli, ce
qu’ils n’ont pas réussi à obtenir.
Les événements de Soueïda doivent donc
être compris dans une perspective plus large :
- Les USA veulent nuire à la Russie et s’approprier le
pétrole.
- Israël veut construire son corridor pour fragmenter
davantage le monde arabe.
- La Turquie veut des bénéfices énergétiques et un
rôle de leader.
Ce plan n’a pas abouti à cause de la
résistance de l’Iran et de ses alliés (Irak, Liban, Yémen…). Les prochaines
cibles pourraient être la Jordanie et surtout l’Égypte, qui possède une des
plus grandes armées du monde et un fort sentiment national. Un rapprochement
Iran-Égypte serait un obstacle majeur aux projets impérialistes.
Le journaliste égyptien Mohamed Hassanein
Heikal (sunnite et panarabiste) affirmait que seule une alliance stratégique
Iran-Égypte pouvait sauver le monde arabe. C’est la plus grande peur de
l’Occident.
Des erreurs égyptiennes ont empiré les
choses : la cession des îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite en 2017,
puis leur probable transformation en bases militaires usaméricaines, a provoqué
une vive opposition au sein de l’armée égyptienne.
De même, les pressions usaméricaines sur
les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) pour réduire leur aide à
l’Égypte après qu’elle les eut pourtant défendus, ont été mal vues.
Une alliance Iran-Égypte créerait un bloc
de 200 millions d’habitants et une armée de plus de 2,5 millions de soldats,
contrôlant le détroit d’Ormuz, le canal de Suez et Bab el-Mandeb — les trois
nœuds clés de la circulation énergétique mondiale.
Dans ce contexte, la désintégration de la
Syrie et de l’Asie occidentale, et la construction d’oléogazoducs passant par
ces territoires, devient un enjeu stratégique majeur.
Voici les acteurs en jeu. Le reste — même
l’Arabie saoudite — compte peu. Les monarchies médiévales ne cherchent qu’à
conserver leur richesse, maintenir leur pouvoir, et apaiser leur population au
strict minimum. La cause palestinienne, arabe ou musulmane ne les intéresse que
si elle ne menace pas le statu quo ni ne dérange les puissances occidentales
qui garantissent leur contrôle sur leurs peuples.
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