Hannes Hofbauer, NachDenkSeiten, 21/4/2023
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
On le voit partout, et ça se densifie. La droite politique est verte. Le brun est oublié depuis longtemps : dans les années 1950, on était chrétien-conservateur et hier, on était national. Désormais, la droite est verte. Elle réunit pour cela tous les ingrédients nécessaires : enthousiasme pour la guerre, culture de l’interdiction, prosélytisme géopolitique et culturel, affinité avec l’État autoritaire et une foule d’images de l’ennemi créées. Le terme de fascisme est inapproprié pour eux, car il contenait la promesse d’un corps de peuple commun avec une fermeture correspondante vers l’extérieur, couplée à une mise en avant de la supériorité raciale. C’est le contraire qui se produit avec la nouvelle droite. Elle le dit elle-même, ce qu’elle représente : l’ouverture au monde et l’accent mis sur la supériorité de ses valeurs forment un mélange toxique qui permet de justifier la répression intérieure et l’expansion extérieure. [réd. NDS]
Enthousiasme guerrier
Ce n’est pas un hasard si c’est un ministre des Affaires étrangères allemand vert [Joschka Fischer] qui, de concert avec les USA, a mis fin à l’après-guerre européen. L’attaque du 24 mars 1999 contre la Serbie par l’alliance de l’OTAN, qui venait de passer à 19 membres, a été la première campagne de la plus puissante alliance militaire contre un Etat souverain en Europe depuis 1945. Le gouvernement de coalition rose-vert de Berlin a placé l’armée de l’air allemande en première ligne. Les vieux conservateurs chrétiens avaient encore alimenté le processus de désintégration yougoslave des années 1990 avec le slogan de l’“autodétermination nationale”, mais la justification de la guerre s’est désormais orientée vers une justification verte basée sur des valeurs. Le slogan “Des bombes pour les droits de l’homme” est le premier à utiliser ce nouveau récit post-national. Au lieu de soutenir les Albanais du Kosovo pour leurs revendications d’autodétermination nationale, les belligérants verts (et bientôt d’autres) l’ont fait au nom des droits de l’homme ; le fait que les Albanais du Kosovo les considèrent comme des droits nationaux n’a pas entamé le discours vert antinational. Le résultat était de toute façon le même : le démembrement de la Yougoslavie, qui avait commencé en 1991, s’est poursuivi avec une force internationale et le Kosovo a été détaché de la Serbie. Les conséquences de cette première grande guerre en Europe depuis 1945 déterminent encore aujourd’hui la vie et la politique dans les Balkans.
Entre-temps, l’enthousiasme pour la guerre a également atteint la base des Verts, les électeur·trices vert·es se rangent comme un·e seul·e homme·femme derrière leur ministre des Affaires étrangères belliciste. L’approbation de la guerre contre la Russie n’a nécessité que quelques semaines et l’intervention militaire d’une Russie déjà désignée comme ennemie. Lors de la campagne électorale de 2021, les Verts allemands avaient encore affiché que les livraisons d’armes dans les régions en guerre n’étaient pas envisageables avec eux, mais peu après, ils comptaient parmi les plus fervents partisans de l’utilisation d’armes toujours plus récentes et toujours plus meurtrières contre la Russie. Même dans l’Autriche neutre, ce sont les Verts, qui participent également au gouvernement - ici avec les conservateurs chrétiens -, qui cultivent le plus bruyamment l’image de l’ennemi russe et ne laissent pas passer une occasion de plaider pour des sanctions plus dures contre tout ce qui est russe.
Les arguments en faveur de la prise d’armes contre la Russie ne sont plus raciaux, comme au temps de nos grands-pères - avec le récit du sous-homme slave ; la justification moderne des Verts fait appel à des valeurs grâce auxquelles ils se sentent autorisés à entrer en guerre, ou plus concrètement : à envoyer provisoirement les autres, à savoir les Ukrainiens, au casse-pipe. On leur attribue une identité qui correspond à leurs propres valeurs, mais qui n’existe pas. Il est difficile de définir en quoi consistent ces valeurs propres. Même des termes tels que diversité ne peuvent pas masquer le caractère flou de la définition d’une image verte et identitaire de l’homme. En forçant le trait et en s’exprimant sciemment de manière provocante, le Vert allemand idéal se prononce - comme son homologue autrichien - pour l’utilisation des armes contre un pouvoir qui refuse d’autoriser un couple transgenre à adopter des enfants. Le système de valeurs qui culmine dans cet exemple, certes exagéré, se veut post-politique et universaliste dans le pire sens du terme, n’admettant pas les différences culturelles ou même nationales, car l’image de l’homme est réduite à l’individu et la diversité est définie en premier lieu en fonction du sexe et de l’orientation sexuelle - éventuellement encore de l’infirmité physique. Celui qui n’est pas d’accord avec ce canon de valeurs ou qui s’y oppose même, est annulé, diffamé et dans le pire des cas, on lui fait la guerre.
Des interdictions pour un “monde meilleur”
Rappelons un exemple apparemment secondaire et presque oublié de politique d’interdiction : l’interdiction de fumer dans un nombre croissant de lieux publics. Il ne s’agit certes pas d’une question intrinsèquement verte et elle ne doit pas non plus être poilitisée. Et pourtant, la manière dont la société gère la consommation de tabac permet de mesurer le degré de liberté que le régime en place accorde aux personnes vivant sous son autorité. Au 20e siècle, les hauts et les bas d’une approche libre ou répressive du tabagisme sont clairement visibles. Alors qu’à l’époque de l’effervescence gauchiste des années 1920, la femme fumant une cigarette était presque un symbole d’émancipation féminine, à l’époque la plus sombre de l’histoire allemande, on disait : « Une femme allemande ne fume pas ».
La femme allemande ne fume pas !
"La femme allemande ne fume pas, la femme allemande ne boit pas, la femme allemande ne se maquille pas" (affiche nazie de 1935)
Avec la fin de l’hitlérisme et l’avènement des révolutionnaires de 68, la cigarette ne pouvait manquer à aucune réunion ; des icônes politiques telles que Jean-Paul Sartre ou Fidel Castro tiraient sur l’inévitable cigare à la moindre occasion - jusqu’à ce que le tabagisme soit à nouveau discrédité dans les années 2000, à nouveau teintées de réaction. Le tabac été progressivement banni de l’espace public par la loi, cette fois-ci avec des arguments sanitaires. Les campagnes publicitaires chiantes de l’industrie du tabac, encore familières aux plus âgés, ont entre-temps cédé la place aux actions de relations publiques de l’industrie pharmaceutique.
Dans le cadre de la réduction de la question environnementale au fameux changement climatique, qu’il faut combattre par tous les moyens, une véritable cascade d’interdictions se déverse sur les peuples de l’UEurope, qui ne doivent bien sûr pas être nommés ainsi - pour des raisons de police linguistique. Ce sont surtout les Verts qui s’illustrent en interdisant tout ce qui va à l’encontre des définitions étranges de la “neutralité carbone” ou de la “neutralité climatique”. Cela comprend les moteurs à combustion, les chauffages au pétrole et au gaz, les voyages en avion, les maisons non isolées avec des matériaux isolants et bien d’autres choses encore. La transformation des infrastructures ainsi envisagée s’accompagne d’un discours sur l’énergie qui vante le passage du gaz, du pétrole et du charbon à l’électricité (quelle que soit la manière dont celle-ci est produite et stockée), y compris la mobilité électrique individuelle et la numérisation à grande échelle, comme des alternatives “vertes”, sans tenir compte de leur bilan énergétique ou de leur dangerosité. Ce qui reste, ce sont sans cesse de nouvelles interdictions et - ce qui va de pair - un État de plus en plus autoritaire, capable d’imposer la culture de l’interdiction. Les mesures covidiennes ont montré à chacun·e d’entre nous où une telle politique - interdictions de contact, obligations de vaccination, etc. - peut mener ; et ce sont les Verts qui, en Allemagne et en Autriche, se sont montrés les plus farouches défenseurs de ces mesures.
La campagne électorale des Verts allemands en 2021. Un slogan plus creux tu meurs : "Notre pays peut beaucoup, si on le laisse (faire). Nous sommes prêts, parce que vous l'êtes"
De l’image de l’ennemi à l’ennemi
La création d’images d’ennemis fait depuis toujours partie du répertoire de la politique de droite. Cela permet de délimiter parfaitement son propre récit, sa propre vision du monde par rapport à d’autres récits ou politiques et de les combattre ensuite. Aux débuts du mouvement vert, ses fondateurs Petra Kelly et Gert Bastian se sont explicitement prononcés contre de telles pratiques. Leur engagement dans le mouvement pacifiste au début des années 1980 critiquait justement le réarmement militaire de leur propre alliance nord-atlantique, dirigé aussi bien contre l’Union soviétique que contre des régimes mal vus dans le Sud global.
L’équipe dirigeante actuelle des Verts autour d’Annalena Baerbock et de Robert Habeck représente l’exact opposé de ce projet de paix des Verts. Des ennemis sont désignés partout en dehors du cercle étroit de vision. La Russie de toute façon, et pas seulement depuis le conflit ukrainien. Dès janvier 2014, donc avant le changement de régime par les forces de Maïdan à Kiev, qui a ensuite conduit à la guerre civile et plus tard à l’intervention russe, ce sont les Verts qui ont été le premier groupe parlementaire à plaider pour un boycott des Jeux olympiques de Sotchi en Russie et à le mettre en œuvre ; et ce à une époque où la CDU/CSU et Angela Merkel s’opposaient encore à une telle mesure. Seul le président allemand Joachim Gauck, un détracteur invétéré du Kremlin, a devancé le groupe des Verts au Bundestag. L’argument pour le boycott de la Russie devait alors être une loi votée auparavant à Moscou, qui rendait la publicité pour l’homosexualité punissable si elle était accessible aux jeunes. Douze ans auparavant, les Jeux olympiques s’étaient déroulés à Salt Lake City, dans l’État usaméricain de l’Utah. A l’époque, tout acte sexuel qui n’était pas destiné à la reproduction y était punissable. Même l’Union soviétique n’a pas protesté, et les officiels de la RFA n’ont pas non plus été choqués.
Outre l’image de l’ennemi russe, les Verts entretiennent également une image de l’ennemi turc et chinois. Les deux pays sont accusés d’avoir un gouvernement autoritaire. Cela a certes sa raison d’être, mais ne devrait pas conduire à un prosélytisme obsessionnel, d’autant moins que des mesures autoritaires comme la restriction de la liberté d’opinion et de la presse se répandent justement aussi dans l’UE, en particulier en Allemagne. La censure est devenue une pratique d’État au plus tard avec l’interdiction par l’Allemagne de la chaîne RT.de financée par la Russie début février 2022 - trois semaines avant l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe -, pratique qui a été poussée par les Verts. Partout où il s’agit d’éliminer des positions contraires à leur propre canon de valeurs étroitement défini, les Verts sont en première ligne. Cela a été le cas lors de l’expulsion du chef d’orchestre mondialement connu Valeri Gergijev de la Philharmonie de Munich, ainsi que lors des innombrables interdictions de manifestations et de journées commémoratives palestiniennes ou lors des interdictions d’apparition d’historiens peu appréciés comme Daniele Ganser ou de journalistes comme Ken Jebsen. La Cancel culture est devenu la marque de fabrique de la politique de droite moderne ; et les Verts poussent cette éradication à l’extrême.
La base socio-économique
La nouvelle droite verte est - comme l’ancienne - motivée par les intérêts du capital. La modification de la composition des groupes de capitaux dirigeants implique que le capital cherche de nouveaux alliés dans la société pour défendre ses intérêts et les intégrer dans un consensus social aussi large que possible. Le remplacement insidieux mais constant de l’ère industrielle par une ère cybernétique, tel que décrit par l’historienne de l’économie Andrea Komlosy dans son livre “Zeitenwende” [Changement d’époque], fait apparaître de nouveaux secteurs phares. Parmi eux, la biotechnologie, l’industrie pharmaceutique et l’industrie du contrôle. Tous les autres secteurs misent également sur des modes de production de plus en plus autogérés avec de nouvelles techniques telles que la nanotechnologie, la robotique, les procédés de production additive, les techniques cognitives et l’intelligence artificielle. Le développement de produits personnalisés et les services d’optimisation - pas seulement dans le secteur médical - constituent de nouveaux procédés qui remplacent le sérialisme de masse.
Le processus d’accumulation ainsi déclenché - et, comme nous l’avons vu à l’époque du COVID, massivement soutenu par l’État - nécessite une nouvelle base idéologique pour sa justification. Les vieilles idées de droite sont un obstacle à cet égard. L’historienne Tove Soiland a souligné que les idéologies de droite connues, basées sur les discours raciaux, les valeurs conservatrices et l’anti-égalitarisme, « sont devenues dysfonctionnelles pour les exigences de l’accumulation actuelle du capital ». Le pays a besoin de nouveaux idéologues. Dans la vision du monde des Verts, imprégnée de valeurs politiques identitaristes, ou plutôt identitaires, le partenaire idéal pour l’essor cybernétique tant attendu semble avoir été trouvé. Le qualifier de “gauche” parce qu’il a conservé des éléments d’une culture critique de la société serait une erreur, car il contient, comme nous l’avons mentionné au début, tous les ingrédients d’une pratique de droite : la haine de l’ennemi jusqu’à l’enthousiasme pour la guerre, la volonté d’éradiquer les opinions divergentes ainsi que la volonté d’assumer la responsabilité correspondante, et plus encore : le rôle de pionnier, dans une structure étatique de plus en plus autoritaire.
Avis de recherche : Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères allemande, pousse-à-la-guerre en cheffe. "On ne peut exclure une guerre atomique". Avec son discours de haine contre les Russes et les non-russophobes, elle a détruit en un jour l'oeuvre de toute une vie de (Willy) Brandt, Genscher et Cie.
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