Gideon Levy, Haaretz, 11/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La contestation des Blancs a réussi. Elle a mis un terme au projet de refonte du système judiciaire et, pour cela, ses participants méritent tout le respect et la gratitude qui leur sont dus. Il n'y a pas eu beaucoup de mouvements de protestation dans l'histoire de ce pays, et celui-ci semble avoir été le plus réussi. Applaudissements, chers amis. Vous avez prouvé que les Israéliens ne sont pas des Hongrois ou des Polonais. Mais ces applaudissements enthousiastes ne doivent pas masquer les maux et les défauts de cette protestation. Les symptômes n'ont fait qu'empirer ces derniers temps.
Plus la protestation réussissait, plus l'autosatisfaction de ses initiateurs augmentait - regardez comme nous sommes merveilleux - et avec elle, la sauvegarde méticuleuse de la pureté du camp, ne permettant à aucune autre question de brouiller les cartes. Cette autosatisfaction a entraîné la satiété de la protestation : la pureté du camp l'a rendu trop blanc. L'histoire retiendra peut-être qu'il s'agit d'un mouvement qui a bloqué certaines législations dangereuses ; mais elle retiendra certainement qu'il s'agit d'un mouvement qui a systématiquement fait preuve de lâcheté en évitant des questions plus fatidiques.
Après tout, même si la protestation atteint pleinement ses objectifs, Israël ne fera que revenir à ce qu'il était il y a encore quelques années. Pour rappel, c'était aussi un pays moralement tordu, à peine moins que l'actuel dirigé par Netanyahou.
Le week-end dernier, les organisateurs de la contestation ont invité Rawia Aburabia, professeure de droit au Sapir Academic College, à parler de la violence dans les communautés arabes. La contestation étend ses ailes, diversifie les thèmes de sa campagne, devient plus pertinente et plus actuelle. Mais il s'est avéré que l'invitation comportait un piège : Il ne devait pas être question de l'occupation. Aburabia a évidemment décidé de refuser cette généreuse invitation, écrivant : « si c'est à cela que ressemble la liberté d'expression dans une vague de protestations visant la démocratie pour les Juifs seulement, dans laquelle les structures de pouvoir ethno-nationales et le contrôle des orateurs sont des copiés-collés [d'autres sphères], en vérité, je ne sais plus quoi dire ».
Il s'agissait manifestement d'un incident annoncé, dans le cadre d'un mouvement déterminé à combattre les personnes qui luttent contre l'occupation. L'occupation n'est manifestement pas liée à la démocratie aux yeux des démocrates de la rue Kaplan.
L'héroïne photogénique de la contestation, Shikma Bressler, qui a récemment été photographiée dans une pose à la Che Guevara, tenant un drapeau israélien, a déclaré : « le fait de voir des Israéliens défendre la démocratie, manifester partout dans le monde et en Israël, devrait faire comprendre que nous sommes comme [le mouvement hassidique] Chabad, sauf que nous défendons la démocratie. Nous sommes pleins de foi dans notre façon de faire, nous nous battons en étant ce que nous sommes. Le drapeau a remplacé les vêtements noirs [portés par les disciples de Chabad] ».
Nous avons de la chance. Le drapeau israélien a remplacé l'habit noir et nous avons maintenant un nouveau Chabad. Oublions l'incroyable comparaison avec une organisation religieuse ultra-nationaliste, cette dangereuse organisation appelée Chabad, dont la leadeuse du mouvement de protestation s’inspire.
Laissons également de côté son attitude à l'égard des vêtements noirs, qui est inoffensive même si elle est différente - une protestation qui se glorifie de cette manière est une protestation qui s'est engraissée et rassasiée, une protestation de privilégiés. Si cette protestation rejette tout contact avec les personnes qui comprennent qu'une démocratie construite sur les bases d'une dictature militaire cruelle ne sera jamais une véritable démocratie, il s'agira d'un mouvement de protestation creux, trompeur et spécieux.
Il est bon que des masses de gens continuent à descendre dans la rue. Il est difficile de critiquer la conscience politique et la volonté d'agir des gens de bonne volonté. Mais à côté des drapeaux, il faut aussi dire la vérité. Et la vérité, c'est que cette manifestation n'a qu'un seul objectif : la destitution de Benjamin Netanyahou. Telle est la véritable passion des manifestants.
C'est un objectif légitime et même juste. Netanyahou porte l'entière responsabilité de l'effondrement insensé du système au cours des derniers mois. Mais les gens qui brandissent des drapeaux sur la rue Kaplan, blancs et rassasiés, juifs et sionistes, n'oubliez pas que même si Netanyahou s'en va, Israël continuera d'être un État d'apartheid.
Un État d'apartheid ne sera jamais une démocratie, même si les Juifs y préservent leurs droits, même si vous continuez à défiler avec des drapeaux dans la rue Kaplan pendant des années.
Ce n'est donc pas une véritable démocratie que vous défendez. Les vrais démocrates ne peuvent donc pas se joindre à votre combat.
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