29/09/2025

SERGIO FERRARI
Un décatissage géopolitique : les droits humains en crise
Le constat accablant de Volker Türk


Sergio Ferrari, La Pluma,  27/9/2025

Traduit par Tlaxcala

Les principales institutions internationales et le concept même des droits humains traversent une crise profonde dont l'issue est incertaine. Cette crise est en grande partie déterminée par une opération de décatissage géopolitique international qui remet en question le multilatéralisme, la validité des accords fondamentaux et le fonctionnement même du système onusien. Début septembre, 124 des 193 États membres de l'ONU n'avaient pas versé leur contribution au budget ordinaire annuel de l'organisation.


Volker Türk, juriste autrichien et Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme. Photo ONU

Lundi 8 septembre, l'avocat autrichien Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations unies (ONU) aux droits de l'homme, a dénoncé un panorama mondial dans lequel la glorification de la violence et l'érosion du droit international apparaissent comme deux constantes principales.

Lors de l'ouverture de la réunion annuelle du Conseil des droits de l'homme à Genève, en Suisse, son analyse des principaux problèmes auxquels le Conseil est confronté a également servi de base pour évaluer les risques et les menaces qui pèsent sur le consensus humanitaire mondial.

Le Conseil est l'organe intergouvernemental des Nations unies chargé de renforcer la promotion et la protection des droits humains, de lutter contre leurs violations et de formuler des recommandations pour améliorer leur respect. Il existe depuis 2006 (successeur de l'ancienne Commission des droits de l'homme) et est composé de représentants de quarante-sept États membres, bien qu'il bénéficie du consensus de toute la communauté onusienne. Au cours de ses dix-neuf années d'existence, il a adopté 1 481 résolutions et commandé 60 enquêtes sur des cas spécifiques (procédures spéciales), tous ces efforts étant relativisés par la longue liste d'échecs et de reculs (https://www.ohchr.org/es/hrbodies/hrc/home).


Un enfant assis sur les décombres observe la destruction du quartier d'Al-Touam, au nord de la bande de Gaza. Photo Mohammed Natee, UNICEF

Gaza, un grand échec

Le thème central du tableau mondial préoccupant présenté par M. Türk est la situation actuelle à Gaza. Dans son analyse, le massacre de civils palestiniens par Israël, les souffrances indescriptibles et la destruction totale de cette région, les obstacles à l'aide humanitaire nécessaire pour sauver des vies et la famine qui en résulte pour la population civile, ainsi que le meurtre de journalistes, de personnel de l'ONU et d'employés d'ONG et la liste interminable de crimes de guerre, choquent la conscience du monde entier. « Je suis horrifié par l'utilisation ouverte d'une rhétorique génocidaire et la déshumanisation honteuse des Palestiniens par de hauts responsables israéliens », a déclaré M. Türk. Il a également reconnu que, si Israël « reste profondément traumatisé par les terribles attaques du Hamas et d'autres groupes armés le 7 octobre 2023 » et la prise d'otages ce jour-là, la militarisation, l'occupation, l'annexion et l'oppression accrues à Gaza ne feront qu'alimenter davantage la violence, les représailles et la terreur. Israël, a affirmé M. Türk, « a l'obligation légale de prendre les mesures ordonnées par la Cour internationale de justice pour prévenir les actes de génocide, punir l'incitation au génocide et garantir l'arrivée d'une aide suffisante aux Palestiniens à Gaza ».

Enfin, M. Türk a mis au défi la communauté internationale de rectifier son attitude actuelle, estimant qu'elle « manque à son devoir [...] Nous manquons à nos obligations envers le peuple de Gaza ». L'inaction n'est pas une option, a souligné M. Türk, qui a appelé à l'arrêt des livraisons d'armes à Israël et à l'exercice d'une pression maximale pour garantir un cessez-le-feu, ainsi que la libération de tous les otages et de toute autre personne détenue arbitrairement. D'autre part, il est impératif de prendre des mesures décisives pour s'opposer à l'occupation militaire israélienne de Gaza et à l'annexion totale d'une Cisjordanie déjà largement occupée. Et soutenir sans réserve le droit à l'autodétermination du peuple palestinien (https://t.ly/DO7MN).


Siège des Nations Unies à Genève, en Suisse, où siège le Conseil des droits de l'homme. Photo : Gouvernement suisse

Autres reculs

Selon le Haut-Commissaire, d'autres conflits contribuent également à assombrir le panorama déjà désolant des droits humains à l'échelle internationale.


La guerre, principal ennemi des droits humains. Une famille de réfugiés soudanais trouve refuge à Adre, à la frontière avec le Tchad. Photo Ying Hu, HCR-ONU

La liste est longue : la guerre entre la Russie et l'Ukraine, qui s'est intensifiée ces derniers mois ; la crise au Soudan, où les Forces de soutien rapide et les Forces armées continuent de faire preuve d'un mépris total pour le droit international humanitaire et les droits humains. L'ampleur des souffrances du peuple soudanais est insondable et exige toute l'attention du monde.

Au Myanmar, quatre ans après le coup d'État de 2021, la population est plongée dans une terrible crise des droits fondamentaux. L'armée s'en prend à la population civile dans ses foyers, ses villages, ses écoles et ses camps, par des frappes aériennes et des bombardements, des arrestations arbitraires, des actes de torture, des violences sexuelles et des recrutements forcés.

Le tableau est tout aussi dramatique en République démocratique du Congo, où de graves violations et abus sont perpétrés par toutes les parties au conflit. La transition politique en Syrie après la chute du régime de Bachar al-Assad reste fragile. La situation dans la ville syrienne de Soueïda, près de la frontière jordanienne, n'est pas moins préoccupante en raison de la recrudescence des violences sectaires et des graves violations des droits humains.

Haïti s'enfonce de plus en plus dans l'anarchie, en proie à une violence endémique liée aux gangs. Au Nigéria, la violence s'est considérablement intensifiée, avec des affrontements intercommunautaires aggravés par les massacres et les déplacements massifs provoqués par Boko Haram et d'autres groupes armés. Malgré les promesses du gouvernement de garantir la sécurité de ses actions, les allégations de violations graves commises par les forces de sécurité nigérianes dans le cadre d'opérations antiterroristes se multiplient.

Mais les conflits armés ne sont pas la seule source d'inquiétude pour M. Türk. Selon lui, la tendance de certains pays à se retirer unilatéralement des cadres multilatéraux historiques est tout aussi préoccupante. C'est le cas, par exemple, des USA en ce qui concerne l'Accord de Paris et le Conseil des droits de l'homme, des sanctions imposées par la Russie et les USA à l'encontre de magistrats de la Cour pénale internationale et de la décision de l'Estonie, de la Finlande, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne de se retirer du Traité d'Ottawa sur les mines terrestres. Il en va de même pour le mépris de plusieurs gouvernements à l'égard de l'Agenda 2030 pour le développement durable, adopté en 2015 par la communauté internationale, une attitude qui affaiblit le réseau de coopération mondiale et régionale soigneusement construit au fil des décennies.

Selon M. Türk, on ne peut sous-estimer l'impact négatif qui résulte de cette attitude, comme le fait que certains États deviennent une extension du pouvoir personnel de leurs dirigeants. Si les « cadres mondiaux et régionaux sont loin d'être parfaits », a-t-il souligné, les États doivent les renforcer et les réformer, et non les démanteler, ajoutant que « nous ne pouvons pas revenir aux modes de pensée et aux approches obsolètes qui ont conduit à deux guerres mondiales et à l'Holocauste ».

L'argumentation de M. Türk remet en question ce qu'il considère comme une fausse conception de la souveraineté pour justifier l'affaiblissement du multilatéralisme. « La Charte des Nations unies », a-t-il rappelé, « a donné naissance à une nouvelle ère géopolitique en consacrant l'égalité souveraine des États [car] la souveraineté nationale est le fondement des institutions multilatérales et du droit international ». Et lorsque les États signent des accords internationaux, « ils exercent leur souveraineté nationale, ils ne la limitent pas ». Cette souveraineté, a affirmé le responsable, s'accompagne de la responsabilité de protéger les droits de leurs nations respectives, et non l'inverse, car « la souveraineté ne signifie pas avoir la propriété sur les personnes ».

Une société civile dynamique

Ce diagnostic sur la crise des droits humains est partagé par de nombreux organismes non gouvernementaux et mouvements sociaux. Dans son rapport 2025, par exemple, Amnesty International soutient que « le monde se trouve à un tournant historique » et que « l'idéal des droits humains universels subit le harcèlement implacable de forces sans précédent, qui tentent de détruire un système international forgé dans le sang et les souffrances de la Seconde Guerre mondiale et de l'Holocauste ». Selon Amnesty, cette croisade religieuse, raciale et patriarcale, dont l'objectif est d'imposer un ordre économique fondé sur une inégalité encore plus grande entre les États et au sein de ceux-ci, « met en péril les progrès réalisés au cours des 80 dernières années en matière d'égalité, de justice et de dignité ».

Dans la préface à ce rapport, Agnès Callamard, sa secrétaire générale, a déclaré que les États puissants se moquent de l'histoire. Ils agissent comme si les leçons tirées des années 1930 et 1940, de la Convention sur le génocide aux Conventions de Genève en passant par la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Charte des Nations unies, pouvaient être mises de côté, oubliées et éliminées. Dans sa réflexion, Mme Callamard a également affirmé qu'« avec l'élection de Donald Trump et l'arrivée massive d’hommes d’affaires dans son gouvernement, nous nous dirigeons à grands pas vers une époque brutale, où le pouvoir militaire et économique prévaut sur les droits humains et la diplomatie, où les hiérarchies raciales et de genre et la pensée du tout ou rien (« si je gagne, tu perds ») façonnent les politiques et où le nationalisme nihiliste dicte les relations internationales » (https://t.ly/4utrp).

En d'autres termes, mais avec d'importantes similitudes en matière de défense des droits humains fondamentaux, les représentantes des organisations féministes de base de la Marche mondiale des femmes dans quinze pays du continent se sont exprimées. Réunies fin août à San Cristóbal de las Casas, au Mexique, elles ont affirmé dans leur déclaration finale que « dans un monde où les guerres et les courses à l'armement s'imposent, où les territoires sont envahis, où les génocides sont passés sous silence et où l'objectif est d'étendre l'impérialisme, les femmes de la région assument la responsabilité de continuer à défendre la paix sur le continent et dans le monde ». Elles ont également souligné qu'elles s'étaient jointes à la demande populaire de ne pas céder face à l'injustice, au massacre des enfants et des femmes et à l'utilisation de la violence sexuelle et de la faim comme armes de guerre. En outre, elles ont dénoncé le génocide du peuple palestinien et critiqué les institutions internationales complices pour leur silence et leur inaction. Leur dénonciation s'est étendue à la montée de la droite, au fascisme et au fondamentalisme religieux qui attaquent de la même manière les droits acquis et stigmatisent les luttes pour la justice par des discours haineux.

La crise systémique des droits humains est un très mauvais signe pour la civilisation. Là où ils ne sont pas respectés, la loi de la jungle devient la seule règle, aussi fragile et autoritaire qu’arbitraire et antihumaine.


L'exigence de la paix dans le monde est l'essence même du respect des droits fondamentaux. Photo UNICEF

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