Yaniv Kubovich, Haaretz,
10/9/2025
Traduit par Tlaxcala
La principale juriste de l’armée israélienne avait averti que le transfert de population était juridiquement indéfendable sans une analyse complète des conditions humanitaires pour un million de personnes dans le sud de Gaza. Cependant, le chef d’état-major Eyal Zamir a ignoré son avis et a donné l’ordre. Des sources militaires ont déclaré que les dirigeants de l’armée « ont créé un scénario qui n’existe pas, alors que tout le monde savait que l’évacuation ne pouvait pas avoir lieu ».
Lundi 8 septembre, le chef d’état-major de Tsahal, Eyal Zamir, a ordonné l’évacuation de l’ensemble de la population de la ville de Gaza, contrairement à la position de l’avocate générale de l’armée, la générale Yifat Tomer-Yerushalmi.
La semaine
précédente, Tomer-Yerushalmi avait averti Zamir qu’il n’était pas possible
d’affirmer que les opérations d’évacuation prévues vers le sud de Gaza étaient
légales et avait exigé que les avis d’évacuation soient reportés tant que les
conditions nécessaires pour accueillir la population n’étaient pas réunies.
Mais Zamir a ignoré sa position.
Quelques
jours plus tard, il a convoqué une réunion avec le chef du Commandement Sud de
Tsahal, Yaniv Asor, et le coordinateur des activités gouvernementales dans les
territoires (COGAT), Ghassan Alian, en excluant l’avocate générale. Tous trois
ont décidé d’ordonner à l’ensemble des habitants de la ville de Gaza de se
déplacer vers le sud, sans informer Tomer-Yerushalmi de cette décision.
L’avocate
générale militaire est l’autorité de Tsahal chargée d’interpréter le droit
international. Des responsables militaires de haut rang ont indiqué ne pas se
souvenir d’un cas où un chef d’état-major avait ignoré la position de la
principale juriste sur une question aussi importante.
Zamir
souligne souvent publiquement son engagement à agir conformément au droit
international, tant dans ses déclarations publiques que dans ses discussions
avec les réservistes préoccupés par des violations possibles du droit de la
guerre. « Tsahal agit toujours conformément au droit israélien et international
», avait-il déclaré en mai. « Toute affirmation mettant en doute l’intégrité de
nos actions ou la moralité de nos soldats est infondée. »
La semaine
dernière, Zamir a tenu plusieurs réunions avec des hauts responsables
juridiques et militaires concernant l’évacuation des habitants de Gaza-ville et
leur transfert vers le sud de Gaza. Au cours de ces discussions, le chef
d’état-major, le chef du Commandement Sud et le commandant du COGAT ont été
priés de fournir à l’avocate générale militaire un rapport complet détaillant
la situation humanitaire dans le sud de Gaza et l’état des infrastructures
exigées par le droit international dans les zones désignées pour accueillir la
population de la ville.
Les
estimations indiquent qu’environ 1,2 million de personnes à Gaza-ville
devraient se déplacer vers le sud, comprenant 700 000 habitants d’avant-guerre
et environ 500 000 déplacés internes qui s’étaient réfugiés dans la ville.
Des sources
militaires israéliennes familières des discussions de la semaine dernière –
auxquelles participaient le chef de Tsahal, de hauts responsables militaires et
l’avocate générale – ont affirmé que les dirigeants militaires ont présenté une
image irréaliste des conditions humanitaires dans le sud de Gaza. « Ils ont
créé un scénario qui n’existe pas, sans aucun travail de fond sérieux, alors
que tout le monde savait que ce n’était pas la réalité et que l’évacuation ne
pouvait pas avoir lieu », a déclaré un responsable de la sécurité au courant du
dossier.
Selon ces
sources, les informations partielles et superficielles présentées pendant les
discussions étaient accompagnées de cartes imprécises, où des zones déjà
entièrement occupées étaient indiquées comme disponibles pour accueillir de
nouveaux habitants. Les calculs du Commandement Sud et du COGAT montraient que,
dans les zones désignées comme sûres et destinées à loger la population,
seulement sept mètres carrés par personne étaient prévus – bien en dessous des
standards du droit international.
Tsahal avait
annoncé un plan visant à introduire 100 000 tentes dans le territoire pour
héberger les habitants pendant l’hiver, mais des sources militaires ont affirmé
qu’en pratique, seules de simples bâches, et non des tentes fermées, étaient
fournies.
Ces sources
ont également noté que, contrairement aux affirmations de l’armée, les hôpitaux
du sud de Gaza étaient au bord de l’effondrement et incapables d’accueillir de
nouveaux blessés en raison d’une surpopulation extrême. Déplacer un million de
personnes vers des zones dépourvues de services médicaux adéquats pourrait
provoquer une catastrophe humanitaire, susciter des critiques internationales
et potentiellement entraîner des sanctions de la part des pays soutenant
Israël.
Jeudi,
l’avocate générale a contacté le chef de Tsahal et a précisé qu’il n’était pas
possible d’affirmer que l’armée était prête à évacuer Gaza-ville, opération qui
devait commencer dimanche. Tomer-Yerushalmi a expliqué que des organisations
internationales, dont la Croix-Rouge, l’ONU et d’autres agences d’aide en
coordination avec Tsahal à Gaza, avaient déjà exprimé de sérieuses inquiétudes
quant aux conditions difficiles dans le sud de Gaza.
Elle a
souligné que ces organisations avaient répété à plusieurs reprises, lors de
réunions et forums avec de hauts responsables de Tsahal, que l’évacuation de la
population du nord de Gaza constituerait une violation du droit international
et du droit de la guerre, en raison des conditions déjà désastreuses dans le
sud. L’avocate générale a indiqué à Zamir qu’elle acceptait l’évaluation de la
Division de recherche du renseignement militaire israélien, qui confirmait
qu’il existait un fondement aux préoccupations des organisations
internationales – en contradiction avec l’image présentée par certains hauts
responsables de l’armée. Les responsables du renseignement ont souligné
qu’Israël devait être en mesure de fournir une réponse crédible à ces
préoccupations.
L’avocate
militaire en chef a donc déclaré que les avis et tracts d’évacuation destinés
aux habitants de Gaza-ville devaient être reportés. Elle a rappelé que, bien
que le chef de l’armée ait demandé à recevoir un rapport détaillé du COGAT sur
les conditions humanitaires nécessaires à l’opération, aucun rapport de ce type
n’avait été livré avant le transfert prévu de population. Selon elle, aucun
autre document complet sur le sujet n’avait été présenté non plus. Elle a
souligné que sans cette préparation, il serait impossible de « répondre aux
défis juridiques attendus » concernant la légalité de l’évacuation.
Un haut
responsable de Tsahal a critiqué Tomer-Yerushalmi, affirmant qu’elle cherchait
à retarder les ordres d’évacuation à la dernière minute. Il l’a accusée de
n’avoir rien fait, depuis le début de la guerre, pour empêcher les tirs
indiscriminés contre les civils et de ne pas avoir enquêté sur des incidents
graves, comme la mort de travailleurs humanitaires à Rafah ou les attaques
contre des hôpitaux. Il a également affirmé qu’elle craignait les critiques de
la droite politique et d’autres éléments au sein de Tsahal, ce qui influençait
parfois ses décisions.
Une autre
source militaire a noté que, lors des discussions précédant l’ordre
d’évacuation, l’avocate générale avait interrogé des représentants du COGAT sur
les conditions sanitaires dans le sud de Gaza. Bien qu’elle ait reconnu que
celles-ci ne répondaient pas aux standards du droit international, elle avait
finalement accepté de ne pas en faire une condition préalable au lancement de
l’évacuation.
Lundi, une
autre réunion s’est tenue avec le chef de Tsahal, le chef du Commandement Sud,
le chef du COGAT et d’autres hauts responsables pour planifier le transfert de
population. L’avocate militaire en chef n’était pas présente, et la décision a
été prise de commencer l’évacuation de Gaza-ville et de distribuer les tracts
aux habitants. Après la réunion, Tomer-Yerushalmi a réaffirmé à de hauts
responsables de Tsahal que son interprétation juridique – selon laquelle les
avis d’évacuation devaient être reportés tant qu’une réponse détaillée aux
préoccupations internationales n’était pas apportée – restait inchangée.
Elle a
insisté sur le fait que répondre à ces préoccupations était nécessaire à la
fois pour maintenir la légalité des opérations militaires à Gaza et pour
protéger les hauts responsables de Tsahal contre d’éventuelles poursuites
devant les tribunaux internationaux.
Mardi, le
porte-parole de Tsahal, Avichay Adraee, a publié en arabe un avis d’évacuation
à tous les habitants de Gaza-ville.
À la suite
de cette publication, de hauts juristes militaires ont précisé que l’ordre
n’avait pas reçu d’approbation légale et que, dans les circonstances actuelles,
sa légalité ne pouvait pas être défendue.
En réponse,
le porte-parole de Tsahal a déclaré que l’armée « agit conformément à toutes
les lois, et toute autre affirmation est incorrecte ». Il a ajouté que «
l’avocate générale militaire participe à toutes les évaluations opérationnelles
concernant Gaza, y compris les mouvements de population, et a défini pour le
personnel concerné les conditions nécessaires à cela ».
Selon
Tsahal, les ordres d’évacuation avaient été approuvés par des responsables
professionnels du COGAT « après avoir vérifié que les conditions requises
étaient remplies et que la situation humanitaire dans le sud de Gaza permettait
l’opération ».
La réponse de Tsahal n’a pas mentionné la position de l’avocate générale
militaire concernant l’ordre d’évacuation.
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