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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

22/10/2024

Yahya Sinwar, leader du Hamas, est mort
La nécrologie “nuancée” du New York Times

M. Sinwar a gravi les échelons du groupe militant palestinien pour préparer contre Israël l’attaque la plus meurtrière de son histoire 

Ben Hubbard, avec Jo Becker et Abu Bakr Bashir, The New York Times, 17/10/2024
English original

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Traduit (fidèlement et sans commentaires) par Fausto Giudice, Tlaxcala (uniquement pour servir de base aux études futures sur le journalisme newyorktimesque en temps de génocide)

Ben Hubbard est le chef du bureau d’Istanbul du New York Times, couvrant la Turquie et une partie des territoires de l’ancien Empire ottoman. Il a étudié l’arabe.

Yahya Sinwar, le leader militant palestinien qui a émergé de deux décennies de prison en Israël pour se hisser à la tête du Hamas et aider à planifier l’assaut le plus meurtrier de l’histoire d’Israël, est décédé mercredi. Il était âgé d’une soixantaine d’années.

Son décès a été annoncé jeudi par l’armée israélienne, qui a déclaré qu’il avait été tué par une unité de commandants d’escadrons stagiaires qui l’avaient rencontré lors d’une opération dans le sud de la bande de Gaza.

Dirigeant de longue date du Hamas, qui a accédé à sa plus haute fonction politique en août, M. Sinwar était connu de ses partisans comme de ses ennemis pour sa ruse et sa brutalité. Il a renforcé la capacité du Hamas à nuire à Israël dans le cadre de l’objectif à long terme du groupe, qui est de détruire l’État juif et de construire à sa place une nation palestinienne islamiste.


Yahya Sinwar, le leader du Hamas, saluant le public lors du festival international de la Journée d’Al Qods dans la ville de Gaza l’année dernière. Photo Samar Abu Elouf/NYT

Il a joué un rôle central dans la planification de l’assaut surprise contre le sud d’Israël le 7 octobre 2023, qui a tué environ 1 200 personnes, en a ramené 250 autres à Gaza en tant qu’otages et l’a placé en tête de la liste des personnes à abattre par Israël. Les dirigeants israéliens ont promis de le traquer et l’armée a largué des tracts au-dessus de Gaza offrant une récompense de 400 000 dollars pour toute information sur sa localisation.

Mais pendant plus d’un an, il est resté insaisissable, survivant dans les tunnels que le Hamas avait creusés sous Gaza, alors même qu’Israël tuait nombre de ses combattants et associés.

L’héritage de M. Sinwar parmi les Palestiniens est complexe. Il a mis sur pied une force capable de frapper l’armée la plus sophistiquée du Moyen-Orient malgré le blocus serré de Gaza par Israël et l’Égypte. Mais l’attaque du 7 octobre a conduit Israël à s’engager non seulement à mettre fin au règne du Hamas sur Gaza, qui dure depuis 17 ans, mais aussi à détruire complètement le groupe.

Selon les sondages, l’assaut a renforcé la position du Hamas en Cisjordanie occupée par Israël et ailleurs dans le monde arabe, mais pas parmi les habitants de Gaza, dont les vies et les maisons ont subi de plein fouet l’invasion israélienne qui s’en est suivie.

Et s’il a réussi à ramener la cause palestinienne à l’attention du monde, il n’a pas réussi à rapprocher son peuple de l’indépendance ou de la création d’un État, et ce à un coût énorme pour ceux qu’il prétendait vouloir libérer. Israël a réduit une grande partie de Gaza en ruines en réponse à l’attaque du Hamas, et plus de 42 000 Palestiniens ont été tués, selon les autorités sanitaires de Gaza.

Des Israéliens en deuil rassemblés autour des cinq cercueils de la famille Kutz lors de leurs funérailles à Gan Yavne, en Israël, en octobre dernier. Les membres de la famille ont été tués le 7 octobre dans le kibboutz de Kfar Aza. Photo Avishag Shaar-Yashuv /NYT


Un bâtiment détruit par une frappe israélienne dans la ville de Gaza le 7 octobre. Photo Samar Abu Elouf/NYT

Lorsque la nouvelle de sa mort s’est répandue dans la bande de Gaza, de nombreuses personnes se sont réjouies.

Mohammed, un jeune homme de 22 ans qui avait été déplacé à plusieurs reprises pendant la guerre, a déclaré qu’il blâmait M. Sinwar pour la faim, le chômage et les sans-abri que le conflit avait causés.

« Il nous a humiliés, a déclenché la guerre, nous a dispersés et nous a déplacés, sans eau, sans nourriture et sans argent », a déclaré Mohammed, sous couvert d’anonymat par crainte de représailles de la part des membres du Hamas. « C’est lui qui a poussé Israël à agir de la sorte ».

La nouvelle de la mort de M. Sinwar a marqué « le plus beau jour de ma vie ».

En tant que chef du Hamas à Gaza de 2017 à 2024, M. Sinwar a discrètement ravivé les relations du groupe avec l’Iran, un mécène de longue date, aidant le Hamas à développer la capacité de déjouer les défenses d’Israël. Tout en préparant secrètement une guerre géante avec Israël, il a fait croire à ce dernier qu’il souhaitait le contraire : pas exactement la paix, mais au moins un peu de calme.

De nombreux membres des services de sécurité israéliens ont passé les années précédant la guerre à se concentrer sur d’autres menaces et à supposer que Gaza était sous contrôle, ont déclaré certains d’entre eux lors d’entretiens après le début de la guerre.

La vie de M. Sinwar a été profondément marquée par le conflit israélo-palestinien.

Il était né en 1962 à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, un territoire surpeuplé et appauvri situé sur la côte méditerranéenne, à la frontière d’Israël et de l’Égypte.

Des informations sur ses parents n’étaient pas immédiatement disponibles, mais comme la plupart des habitants de Gaza, les membres de sa famille étaient des réfugiés palestiniens enregistrés. Ces personnes ou leurs ancêtres ont fui ou ont été chassés de leurs maisons pendant la guerre qui a entouré la création d’Israël en 1948 et souhaitent ardemment y retourner.

M. Sinwar a étudié l’arabe à l’université islamique de Gaza et s’est engagé dans la politique islamiste. Au début du premier soulèvement palestinien, ou intifada, contre l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza en 1987, les islamistes palestiniens ont fondé le Hamas, qui s’est engagé à détruire Israël et à le remplacer par un État palestinien. Israël, les USA et d’autres pays ont désigné M. Sinwar comme terroriste et le Hamas comme une organisation terroriste.

M. Sinwar, membre de la première heure du Hamas, dirigeait un groupe chargé de punir les Palestiniens accusés d’espionnage pour le compte d’Israël, souvent en les exécutant. Il s’est acquitté de cette tâche avec une telle brutalité qu’il a été surnommé le « boucher de Khan Younès ».

En 1988, Israël a arrêté M. Sinwar et l’a ensuite poursuivi pour le meurtre de quatre Palestiniens soupçonnés de collaborer avec Israël. Il a passé plus de vingt ans dans les prisons israéliennes, une expérience qui, selon lui, lui a permis d’étudier son ennemi.


M. Sinwar, à gauche, et le dentiste Yuval Bitton dans le complexe pénitentiaire de Beersheba, en Israël, lors des négociations en vue d’un échange de prisonniers qui devait aboutir à la libération de M. Sinwar en 2011

« Ils voulaient que la prison soit une tombe pour nous - un moulin pour broyer notre volonté, notre détermination et nos corps », a-t-il déclaré en 2011. « Mais, Dieu merci, grâce à notre foi en notre cause, nous avons transformé les prisons en sanctuaires de culte et en académies d’études ».

Il a appris l’hébreu, s’est documenté sur l’histoire et la société israéliennes et est devenu un leader de la prison, participant aux négociations entre les détenus et leurs geôliers.

« Il ne fait aucun doute qu’il est têtu et qu’il est un bon négociateur », a rappelé Sofyan Abu Zaydeh, qui a rencontré M. Sinwar en prison à la fin des années 1980 et qui a ensuite occupé un poste de ministre au sein de l’Autorité palestinienne.

Au fil des ans, Israël a manqué plusieurs occasions de tenir M. Sinwar à l’écart du champ de bataille, voire de l’éliminer complètement.

Pendant l’incarcération de M. Sinwar, Yuval Bitton, un dentiste de la prison, a appris à le connaître et à connaître ses efforts constants pour punir les Palestiniens qu’il soupçonnait de travailler avec Israël, a déclaré le Dr Bitton au Times en 2024.

En 2004, M. Sinwar a commencé à ressentir une douleur dans la nuque qui, selon le Dr Bitton, nécessitait une intervention médicale urgente. Les médecins ont retiré une tumeur cérébrale agressive qui aurait pu tuer M. Sinwar si elle n’avait pas été traitée, et M. Sinwar a remercié le Dr Bitton de lui avoir sauvé la vie.

« Il était important pour lui que je comprenne l’importance pour un musulman de cette question dans l’islam, et du fait qu’il me doive la vie », a déclaré le Dr Bitton, qui est devenu plus tard le chef des services de renseignements de l’administration pénitentiaire israélienne.

Par un douloureux coup du sort, lorsque le Hamas a frappé Israël en 2023, le neveu du Dr Bitton, Tamir Adar, faisait partie des otages ramenés à Gaza, où il est mort peu de temps après.

En 2011, Israël et le Hamas ont accepté d’échanger un soldat israélien capturé, Gilad Shalit, contre 1 027 prisonniers palestiniens. M. Sinwar était le prisonnier le plus ancien libéré dans le cadre de cet accord. Il est revenu de prison avec une connaissance plus approfondie d’Israël et un engagement plus ferme en faveur de la libération d’autres prisonniers palestiniens.

« Il a promis à ses collègues, lorsqu’il est parti, que leur liberté était son fardeau », se souvient M. Abu Zaydeh. « Le 7 octobre, à la base, c’était la libération des prisonniers ».


M. Sinwar saluant ses amis et sa famille lors d’une réception à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, en 2011, après sa libération de prison. Photo Lynsey Addario/NYT


Des membres des Brigades Ezzedine Al  Qassam, la branche armée du Hamas, applaudissent au retour des prisonniers libérés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en 2011 . Photo Lynsey Addario/NYT

À son retour à Gaza, il a découvert une nouvelle réalité. En 2007, le Hamas a pris le contrôle de l’Autorité palestinienne, plus modérée. Pour la première fois, le Hamas n’était plus seulement un groupe armé, mais aussi un gouvernement de facto qui supervisait l’électricité, le ramassage des ordures et d’autres services publics.

La prise de pouvoir du Hamas a incité Israël et l’Égypte à imposer un blocus à Gaza, limitant la circulation des biens et des personnes à l’intérieur et à l’extérieur du territoire et aggravant la pauvreté et l’isolement de la bande de Gaza.

M. Sinwar a gravi les échelons au sein du Hamas. En 2012, il est devenu le représentant de la branche armée du Hamas, les Brigades Al Qassam, un rôle proche de celui de ministre de la Défense. Cela l’a rapproché de la force de combat du Hamas et de son mystérieux commandant, Mohammed Deif, un autre architecte de l’attaque du 7 octobre, qu’Israël a tué lors d’un important bombardement à Gaza en juillet.

En 2017, M. Sinwar est devenu le chef du Hamas à Gaza, succédant à Ismail Haniyeh, qui s’est installé au Qatar et a été le principal dirigeant politique du groupe jusqu’à ce qu’Israël l’assassine à Téhéran en juillet. Dans ce rôle, M. Sinwar a cherché de nouveaux moyens de protester contre le blocus et d’attirer l’attention sur les griefs palestiniens. En 2018, le Hamas a pesé de tout son poids pour soutenir les grandes manifestations des Palestiniens de Gaza qui cherchaient à marcher vers leurs villages ancestraux à l’intérieur d’Israël, des manifestations qu’Israël a violemment réprimées.

Manifestants palestiniens à la frontière entre Israël et Gaza en 2018. Cette année-là, de nombreuses personnes ont participé à ce qui est devenu la “Grande Marche du retour”

M. Sinwar, avec Ismail Haniyeh, à gauche, lors des funérailles d’un autre dirigeant du Hamas dans la ville de Gaza en 2017. Cette année-là, M. Sinwar a succédé à M. Haniyeh à la tête du Hamas à Gaza. Photo Mohammed Salem/Reuters

M. Sinwar a également fait part de son intérêt pour l’amélioration de la vie des habitants de Gaza. Lors d’un rare entretien avec un journaliste italien en 2018, il a appelé à un cessez-le-feu à long terme.

« Je ne dis pas que je ne me battrai plus », a-t-il déclaré. « Je dis que je ne veux plus de guerre. Je veux la fin du siège. Vous marchez sur la plage au coucher du soleil et vous voyez tous ces adolescents sur le rivage qui discutent et se demandent à quoi ressemble le monde de l’autre côté de la mer. À quoi ressemble la vie », a-t-il ajouté. « Je veux qu’ils soient libres ».

En 2021, le Hamas a lancé une nouvelle guerre - son troisième conflit majeur avec Israël depuis 2008 - pour protester contre les efforts israéliens visant à expulser les Palestiniens de Jérusalem-Est et contre les raids de la police israélienne sur la mosquée Al Aqsa à Jérusalem, pierre angulaire de la revendication de la ville par les Palestiniens. Pendant le conflit, Israël a bombardé son domicile pour tenter de le tuer, sans succès.

En direct à la télévision, après le cessez-le-feu, M. Sinwar a annoncé qu’il rentrerait chez lui à pied et a mis Israël au défi de l’assassiner. Il s’est ensuite promené dans Gaza, serrant des mains, saluant les propriétaires de magasins et s’arrêtant pour prendre des photos avec les passants.


Des secouristes à la recherche de victimes sur le site d’une frappe aérienne israélienne dans la ville de Gaza, pendant la guerre de 2021. Photo Samar Abu Elouf/NYT


M. Sinwar lors d’un rassemblement dans la ville de Gaza à la suite d’un cessez-le-feu en 2021.

Sa rhétorique violente à l’encontre d’Israël ne s’est jamais atténuée. En 2022, il a prononcé un discours enflammé appelant les Palestiniens du monde entier, y compris à l’intérieur d’Israël, à « préparer leurs hachoirs, leurs haches ou leurs couteaux ». Moins d’une semaine plus tard, trois juifs israéliens ont été tués dans une attaque à la hache dans le centre d’Israël.

Mais M. Sinwar a également continué à chercher des accommodements avec Israël, négociant l’entrée d’une aide mensuelle d’environ 30 millions de dollars à Gaza en provenance du Qatar et l’augmentation du nombre de permis de travail en Israël pour les habitants de Gaza, deux éléments indispensables à l’économie chancelante du territoire.

Ces mesures, auxquelles s’ajoutait la décision de M. Sinwar de tenir le Hamas à l’écart des affrontements entre Israël et d’autres groupes armés, ont fait croire à l’establishment sécuritaire israélien que des mesures de sécurité strictes et des améliorations limitées de la qualité de vie des habitants de Gaza permettraient de contenir le Hamas.

Mais cet espoir a été anéanti le 7 octobre 2023, lorsque des combattants ont neutralisé les défenses frontalières d’Israël, fait irruption en Israël par la mer, l’air et la terre, et se sont déchaînés sur les communautés et les bases militaires israéliennes, tirant sur des soldats et des civils et montrant à quel point les évaluations de M. Sinwar par Israël étaient erronées.

Israël a répondu avec une force écrasante, détruisant de grandes parties de Gaza, lançant une invasion terrestre visant à détruire le Hamas et provoquant l’une des augmentations les plus rapides du nombre de morts de toutes les guerres de ce siècle.

Photo prise lors d’une tournée médiatique de l’armée israélienne en octobre dernier, montrant des taches de sang sur un lit suite à l’attaque du Hamas dans le kibboutz de Nir Oz. Photo Sergey Ponomarev/NYT 

Membres d’une famille palestinienne pleurant un enfant à Khan Younès en octobre dernier. Photo Yousef Masoud pour le New York Times/NYT

M. Sinwar n’est pas apparu publiquement pendant la guerre, laissant planer le doute sur ce qu’il pensait que le Hamas avait accompli par son attaque contre Israël et sur ce qu’il pensait de l’énorme coût en vies palestiniennes.



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