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12/10/2024

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
12 octobre : “Génocidaires et esclavagistes” ou “héros et saints”

 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 12/10/2024

Original español
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

L’émotion nationale médiatisée en Espagne suite à l’annonce que la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, n’a pas invité le roi bourbonien à son investiture amène à se poser la question de savoir si - comme le dit une affiche largement diffusée ces jours-ci dans les rues d’Espagne - les conquistadors étaient des « génocidaires et esclavagistes » ou « des héros et saints ». Cette question nous oblige à étudier et à apprendre les causes et les conséquences du colonialisme et à tirer des conclusions sur un pays qui célèbre comme fête nationale la date du début d’un génocide.


Campagne d’affiches de l'Association catholique des propagandistes (sic) pour ce qu’elle continue d’appeler le « Jour de l’Hispanité » (12 octobre)

Il faut savoir que rien qu’au cours du premier siècle de la colonisation, les Espagnols ont provoqué la mort de 56 millions d’habitants de l’Abya Yala, nom utilisé par les peuples originels pour désigner le territoire de Notre Amérique. Il est également important de savoir qu’au cours de la même période, la monarchie bourbonique a volé jusqu’à 9 550 tonnes d’or et d’argent dans la région, avec lesquelles elle a financé sa propre opulence et celle des autres maisons royales d’Europe.

Lorsque le 25 mars 2019, le président Andrés Manuel López Obrador a écrit au roi Felipe VI d’Espagne et au pape François pour leur demander de présenter des excuses aux peuples originels du Mexique pour les abus commis lors de la conquête du pays il y a 500 ans, c’est à cela qu’il faisait référence. Le président mexicain de l’époque leur a demandé « d’examiner les doléances et de demander pardon aux peuples originels pour les violations de ce que l’on appelle aujourd’hui les droits humains ». Il ajoutait : « Il y eut des tueries, des assujettissements. La soi-disant conquête s’est faite par l’épée et par la croix ».

Au vu de ces chiffres, il n’y a pas lieu d’être choqué par cette demande, ni de la considérer comme un affront national (bien que l’Espagne ne soit pas une nation, mais une somme de nations, sous domination castillane). La famille des Bourbons n’est pas originaire de l’Espagne actuelle, mais vient de France et a été imposée dans la péninsule par des mariages arrangés pour conquérir et conserver le pouvoir.

La Pinta, la Niña et la Santa María, les 3 caravelles de Christophe Colomb, par le dessinateur Eneko

Dans une lettre au président mexicain publiée le 26 septembre 2021 à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance du Mexique, le pape François a présenté ses excuses pour les « péchés » de l’Église catholique dans ce pays. La plus haute autorité de l’Église catholique a déclaré : « Mes prédécesseurs et moi-même avons demandé pardon pour les péchés personnels et sociaux, pour toutes les actions ou omissions qui n’ont pas contribué à l’évangélisation ».

López Obrador a déclaré que tout le monde devait demander pardon à l’occasion du 500e anniversaire de la chute de Tenochtitlán, la capitale aztèque, après deux mois et demi de siège qui ont conduit à sa prise par le cruel conquistador et aventurier Hernán Cortés, originaire d’Estrémadure, ce qui a signifié l’effondrement définitif de l’empire mexicain. Ce faisant, il a voulu faire de 2021 une année de réconciliation nationale et internationale. Avec une conviction totale, il a déclaré qu’il était « temps de dire que nous allons nous réconcilier, mais demandons d’abord pardon ». Il a donné l’exemple en disant qu’il le ferait aussi « parce qu’après la colonie, il y a eu beaucoup de répression des peuples originels », faisant référence au châtiment subi par les peuples maya et yaqui pendant le gouvernement du président Porfirio Díaz (1872-1910).

Il est intéressant de noter que dans cette demande de pardon et cette recherche de réconciliation, López Obrador a inclus la communauté chinoise qui a également été réprimée pendant la révolution mexicaine, en particulier dans les États du nord du pays.

Mais le gouvernement espagnol et sa monarchie corrompue ont refusé de prendre des mesures positives en vue d’une réconciliation totale. Au contraire, ils s’étonnent aujourd’hui qu’enfin, des dirigeants dignes n’invitent pas le représentant royal à accompagner un acte démocratique émanant de la souveraineté du peuple, chose qu’ils ne connaissent pas en Espagne puisqu’ils n’ont jamais élu leur chef d’État [sauf pendant la brève Première République de 1873-1874 et la Seconde de 1931-1939, NdT].

Au contraire, le gouvernement espagnol, essayant de cacher la honte émanant des malheurs et des infortunes du processus de conquête et de colonisation, a regretté que la lettre de López Obrador ait été rendue publique. On peut donc supposer que Lopez Obrador avait raison, mais qu’il n’aurait pas dû le faire savoir ouvertement « pour ne pas salir l’honneur de la monarchie ». Se sentant offensé, le gouvernement de Madrid a couronné sa déclaration ridicule en affirmant qu’il rejetait « avec la plus grande fermeté » le contenu de la lettre de López Obrador.

Trois ans plus tard, devant l’étonnement et la lamentation de l’élite espagnole face à la non-invitation du roi bourbonique au changement de gouvernement au Mexique, en toute transparence, la présidente Claudia Sheinbaum a déclaré que l’Espagne avait bien été invitée à la cérémonie du 1er  octobre, mais pas le roi Felipe car le monarque, avec un mépris total, a refusé de répondre à la demande de López Obrador d’une réconciliation définitive entre les deux peuples, ce qui, selon un communiqué publié par Sheinbaum, « aurait correspondu à la meilleure pratique diplomatique des relations bilatérales ». Fin de l’affaire

Sur un autre plan, il convient de se demander si, comme le prétend l’ultra-droite espagnole, les conquistadors, compte tenu des 56 millions de personnes tuées et des 9 550 tonnes d’or et d’argent volées, sont bien des « héros et des saints ». En ce sens, il convient de dire que les voyages de cette époque n’ont pas toujours été considérés comme des « découvertes » et qu’ils n’ont pas toujours nécessité la « croix et l’épée » pour imposer par la force des cultures et des religions étrangères.


Carte du monde attribuée à Zheng He

En 1403, près de 90 ans avant que Christophe Colomb ne « persuade » la reine de Castille Isabelle II de financer son entreprise d’exploration vers l’ouest, l’amiral chinois Zheng He a entamé le premier de ses sept voyages à travers la mer connue sous le nom d’« océan occidental ». Jusqu’en 1433, les voyages de Zheng He étaient essentiellement limités à l’océan Indien, couvrant jusqu’à 30 pays d’Asie et d’Afrique, atteignant la côte ouest de l’Inde et s’étendant plus tard au golfe Arabo-Persique et à la côte est de l’Afrique.

Comparée aux trois caravelles de Christophe Colomb, d’une longueur de 25 à 30 mètres et d’une largeur de 6,5 à 9 mètres, qui transportaient environ 25 marins chacune en 1492, la flotte de l’amiral Zheng comptait en 1405 « plus de 240 navires et plus de 27 000 soldats et membres d’équipage [et] était équipée d’une variété de professionnels, dont des bateliers, des marins, des soldats, des médecins, des cuisiniers, des interprètes, des diseurs de bonne aventure et même des coiffeurs », selon une étude du professeur Wan Ming, chercheur à l’Institut d’histoire ancienne de l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS) et président de la Société chinoise pour l’histoire des relations sino-étrangères, qui estime que les voyages de Zheng He doivent être considérés comme les plus grands de son époque « en termes d’échelle, de nombre de navires et de marins, et de durée ».

Zheng He a organisé la flotte sur la base d’une conception nautique qui établissait l’existence de navires différenciés par leur mission. Ainsi, il existait des navires de commandement, des navires de guerre et des navires logistiques. Parmi ces derniers, il y avait ce que l’on appelait les « navires au trésor », qui servaient à transporter les marchandises destinées au commerce. Les navires au trésor étaient situés au centre de la flotte, et les navires de guerre autour d’eux. En fait, les voyages réussis de la flotte de Zheng He ont également démontré l’excellence de sa technologie nautique et de ses compétences en matière de navigation.

 

Les navires au trésor étaient les plus gros navires de la flotte de Zheng He. Ils sont notamment décrits dans le roman d'aventure de Luo Maodeng, Les voyages de l'eunuque aux trois trésors vers l'océan occidental (1597). L'auteur écrit que les navires avaient neuf mâts et mesuraient 140 mètres de long et 55 mètres de large, ce qui semble difficile à croire. Les chercheurs pensent que les navires avaient probablement cinq ou six mâts et mesuraient entre 75 et 90 mètres de long.

Bien que la flotte de Zheng He ait été équipée de moyens de combat, ceux-ci avaient un caractère défensif. L’arrivée de la flotte dans d’autres ports signifiait tout d’abord la recherche de relations amicales avec les habitants, puis l’ouverture de négociations commerciales par le biais d’échanges et de tributs. Ces derniers n’avaient pas la même signification qu’en Occident, mais constituaient une sorte de rituel au cours duquel les produits naturels du pays étaient présentés et une offrande emblématique était faite des objets à offrir à l’autre partie. Mais leur valeur était équilibrée Les Chinois considéraient cette pratique comme une expression de respect et de reconnaissance envers l’empereur et une manière d’exprimer leur gratitude pour sa protection. Un édit de l’empereur stipulait que l’échange devait être mutuellement bénéfique.

La mission confiée par l’empereur à Zheng He indiquait implicitement qu’en plus du commerce, il devait maintenir la paix sur les mers, assurer la sécurité maritime et arbitrer les conflits susceptibles d’être rencontrés au cours du voyage. Les dirigeants chinois de l’époque avaient tout intérêt à accroître leur prestige dans les régions qu’ils visitaient, mais il ne s’agissait pas d’occuper un territoire ou d’y exercer un contrôle politique. De même, il devait promouvoir la prospérité dans les lieux où il arrivait et l’interaction multiculturelle avec les peuples qu’il visitait. Il était courant pour Zheng He de ne pas visiter les centres de pouvoir, mais de se limiter aux villes portuaires où il pouvait commercer sans avoir à interagir avec l’establishment politique de ces pays.

Selon le professeur Wan, « les flottes de Zheng He étaient en fait une équipe officielle de commerce international à grande échelle qui menait des activités commerciales fréquentes dans les endroits qu’elle atteignait ». On peut ainsi expliquer pourquoi aucun des pays visités n’a fait l’objet de pillage ou d’occupation.

Le professeur Wan explique cela par le fait que la diplomatie de la dynastie Ming au pouvoir stipulait clairement qu’il ne fallait pas conquérir d’autres peuples mais partager avec eux afin d’établir un système international pacifique sans recourir à la force. En pratique, le commerce a permis d’établir un nouveau système émanant de l’ordre chinois et visant à « partager les bénéfices de la paix » sans menacer aucun pays. Savoir cela pourrait expliquer en partie le comportement international de la Chine aujourd’hui.

Si la plupart des chercheurs s’accordent à dire que les voyages de Zheng He l’ont mené à travers l’Asie orientale, centrale et occidentale et l’Afrique, l’écrivain britannique Gavin Menzies a écrit en 1421 un livre intitulé « 1421 The Year China Discovered the World » (fr. 1421, L’année où la Chine a découvert l'Amérique), dans lequel il affirme que les Chinois ont atteint l’Amérique au cours de cette année-là. Cet ouvrage a été rejeté par l’historiographie occidentale, mais cette opinion a été réfutée par l’éminent sinologue mexicain Enrique Dussel Peters, qui a déclaré : « ... d’après mes études historiques (dans lesquelles j’ai utilisé la carte de la quatrième péninsule d’Asie de 1487 de Henricus Martellus), ses arguments [ceux de Gavin Menzies] concernant sa thèse fondamentale sont irréfutables (il y a peut-être des détails à corriger, mais ils n’enlèvent rien à sa force). Cet ouvrage est incontournable ! »

Ce n’est pas le sujet de cet article, mais il est impératif d’établir qu’il existe une hypothèse selon laquelle les Chinois seraient arrivés en Amérique 71 ans avant Colomb. C’est un point qui devra être approfondi, mais dans d’autres parties du monde, les preuves sont claires : les Chinois sont arrivés au début du XVe siècle et aucun des territoires africains ou asiatiques visités par Zheng He ou d’autres navigateurs de ce pays ne parle chinois. De même, bien que Zheng He ait été musulman, ni sa religion ni la religion bouddhiste introduite en Chine 1 600 ans plus tôt n’ont été imposées aux pays qu’il a visités.

Il apparaît donc clairement qu’il était possible d’établir des liens commerciaux et des échanges culturels entre les peuples dans l’Antiquité. La Chine l’a fait, mais la civilisation européenne, intrinsèquement sauvage et violente, n’a pas pu le faire. Son ADN cruel a conduit l’humanité aux pires calamités de l’histoire : le racisme, le colonialisme, l’esclavage, le fascisme, le nazisme, le capitalisme, l’impérialisme, le sionisme et les deux guerres les plus brutales que la planète ait jamais connues. Il suffit de se rendre dans leurs musées pour voir avec quelle fierté ils exposent le produit de leurs méfaits.

Tous ces malheurs sont venus du sol européen La seule chose que le président López Obrador a demandée, c’est le pardon pour aller vers la nécessaire réconciliation. Mais pour l’Espagne ce n’est pas possible, comme je l’ai déjà dit, la violence et l’assujetissement sont dans son ADN. C’est ce qui explique son soutien actuel au gouvernement pro-nazi de l’Ukraine et les énormes ventes d’armes à Israël, alors qu’ils se torchent avec les droits humains des Palestiniens.

La guerre et les conflits sont le moteur de leur organisme. C’est pourquoi ils ne comprennent pas et ne comprendront pas qu’une majorité croissante de la planète les rejette et les répudie jusqu’à ce que, dans un avenir pas trop lointain, ils soient définitivement déposés sur le tas de fumier de l’histoire, un endroit où ils ont toujours été et d’où ils ne pourront jamais sortir.

Aujourd'hui c'est la FêtNat ! On doit cogner sur qui ?

 

 

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