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15/06/2021

La colonisation d'un territoire occupé est un crime de guerre


 Peter Leuenberger, infosperber.ch, 14/6/2021

Peter Leuenberger est historien et membre de la Société Suisse-Palestine.

Les États se dérobent à leurs obligations en autorisant les marchandises en provenance des territoires occupés.

Une initiative citoyenne européenne demande l'interdiction du commerce de biens provenant des colonies illégales, mais la Commission européenne s'est déclarée incompétente. La Cour de justice européenne voit les choses différemment et a renvoyé la balle à la Commission. L'historien Peter Leuenberger remet les choses en ordre et fait le point sur la situation en Suisse.  NDLR

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L'initiative citoyenne veut mettre un terme au commerce des colonies construites illégalement dans les territoires occupés. Cette mesure affecterait particulièrement le commerce avec les colonies de la Cisjordanie palestinienne occupée par Israël et du plateau du Golan syrien, mais aussi les colonies illégales du Sahara occidental occupé par le Maroc, ainsi que d'autres territoires occupés militairement et exploités économiquement par la puissance occupante. Mais la Commission européenne a refusé d'enregistrer l'initiative en septembre 2019. La justification : elle n'était pas compétente, car une telle démarche équivaudrait à des sanctions. Elle ne pouvait être décidée que conjointement par tous les États membres au sein du Conseil européen. L'exécutif de Bruxelles n'a pas le pouvoir de le faire.

Sept citoyens européens ont fait appel de la décision de la Commission devant la Cour de justice de l'Union européenne. La Cour a maintenant jugé que la Commission n'avait pas fourni de raisons adéquates ou de base juridique suffisante pour refuser d'enregistrer l'initiative. La Commission peut maintenant faire appel de la décision de la Cour ou elle devra revoir sa décision et enregistrer l'initiative citoyenne.

Le parlement irlandais a déjà tenté de faire passer sa propre loi interdisant le commerce dans les colonies. Toutefois, la Commission européenne a confirmé à cette occasion qu'elle était seule responsable de la politique commerciale commune de l'UE.

Les colonies de peuplement violent le droit humanitaire international

Selon la quatrième convention de Genève (article 49), les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée et sur le plateau du Golan syrien sont illégales au regard du droit international. Ce n'est que récemment que l'UE a réaffirmé sa position de longue date selon laquelle toutes les colonies dans les territoires palestiniens occupés sont illégales au regard du droit international.

Tom Moerenhout, un expert en droit économique international qui enseigne à l'université Columbia de New York, a exposé dans un document juridique de 2012 le devoir des États de ne pas accorder l'accès au marché aux produits des colonies illégales. Cela découle de l'obligation de ne pas reconnaître ou soutenir les implantations illégales dans les territoires militairement occupés. Le commerce des colonies aide les puissances occupantes à maintenir et à étendre leurs colonies illégales.

L'UE reconnaît en principe l'existence d'une telle obligation. En mars de cette année, par exemple, l'UE a déclaré qu'elle continuerait à appliquer sa politique de non-reconnaissance de l'annexion illégale de la péninsule de Crimée. Mais si l'UE a imposé des sanctions à la Russie, elle ne fait rien lorsqu'il s'agit d'Israël, dont elle ne reconnaît pas non plus l'annexion de Jérusalem et du Golan.

Que fait la Suisse ?

En Suisse aussi, des efforts ont déjà été faits pour remettre en question le commerce des colonies illégales des territoires occupés. Le conseiller national Daniel Vischer (Verts) a par exemple déposé le 17 mars 2011 une initiative parlementaire demandant d'interdire l'importation de marchandises en provenance des colonies israéliennes dans les territoires occupés et de créer les bases légales nécessaires à cette interdiction. Le 14 mars 2012, la pétition n'a pas été approuvée lors du vote au Conseil national par 109 voix contre 45 et 9 abstentions. La commission des affaires étrangères avait recommandé le rejet de l'initiative.

Lors de la discussion en séance plénière du Conseil national, un long débat s'est engagé, au cours duquel la porte-parole de la commission, la conseillère nationale Ursula Haller (BDP), a représenté la position négative de la majorité de la commission : " La majorité de la commission a mis en garde contre le fait de donner l'exemple ici. Quelle que soit la manière dont on la considère, avec cette initiative, la Suisse prendrait position sur un conflit explosif. Ce n'était pas dans l'intérêt de notre pays, ce n'était pas nécessaire, c'était même très problématique."

Le 16 juin 2017, la conseillère nationale Marina Carobbio Guscetti (SP) a demandé au Conseil fédéral s'il était prêt à examiner la possibilité d'interdire l'importation de tous les biens produits dans les colonies israéliennes illégales. Dans sa réponse, le Conseil fédéral a déclaré : "Les préférences tarifaires prévues par l'accord de libre-échange AELE-Israël ou par l'accord bilatéral agricole Suisse-Israël ne sont accordées à l'importation que sur demande et sur présentation d'une preuve d'origine conforme à la réglementation. Aucune préférence [exonération des droits d'importation] ne sera accordée aux marchandises provenant des colonies juives des territoires palestiniens sur la base d'une preuve d'origine liée aux accords avec Israël." Le Conseil fédéral a poursuivi en disant qu'il n'y avait pas de sanctions contre Israël que la Suisse devait respecter. La résolution 2334 de 2016 du Conseil de sécurité de l'ONU n'est pas une décision contraignante en vertu du droit international, a-t-elle déclaré.

"Les colonies de peuplement violent le droit humanitaire international".

Le Département des affaires étrangères DFAE a réaffirmé la position de la Suisse sur le conflit au Moyen-Orient, la question des territoires occupés et des colonies illégales en octobre 2020. Elle décrit les colonies comme une violation du droit humanitaire international et, en conséquence, déconseille, entre autres, aux "personnes physiques et morales de participer à toute forme de colonisation."

Le Conseil fédéral ne s'est pas prononcé sur les obligations des Etats tiers découlant de la Quatrième Convention de Genève, à savoir l'exigence de non-reconnaissance et de non-soutien des implantations illégales dans les territoires occupés, dont la conséquence doit être comprise comme l'interdiction ou la cessation du commerce. Elle part apparemment du principe qu'en n'accordant pas de tarifs préférentiels pour les produits issus des colonies, elle remplit déjà suffisamment l'exigence de non-reconnaissance des colonies.

Selon l'expert en droit international Moerenhout, empêcher le commerce avec les producteurs agissant illégalement n'est pas une sanction au sens du droit international, mais cette mesure est une exigence obligatoire du droit humanitaire international. En outre, les Conventions de Genève ont été intégrées dans le droit national. A cet égard, il ne serait pas déplacé de faire apprécier les faits et la situation juridique par un tribunal suisse.

Quelle est l'importance de l'importation par la Suisse des colonies israéliennes illégales ?

La statistique du commerce extérieur de la Suisse ne fait pas de distinction entre les exportations et les importations, que le flux de marchandises concerne le territoire d'Israël dans les frontières de 1949 ou les territoires occupés depuis 1967. Toutefois, l'administration fédérale des douanes fournit des chiffres sur la valeur des flux de marchandises ainsi que sur les recettes douanières correspondantes, ventilées en fonction du tarif douanier appliqué. Les marchandises provenant du territoire internationalement reconnu d'Israël sont exemptées de droits de douane en vertu de l'accord AELE ou sont soumises à un tarif réduit en vertu de l'accord agricole bilatéral.

Les territoires occupés sont exclus de l'accord de libre-échange de l'AELE et les importations doivent donc être soumises à des droits de douane au taux normal. Étant donné que l'origine des marchandises doit être indiquée afin de déterminer le tarif, il est possible de déterminer indirectement la proportion de marchandises provenant de colonies illégales qui sont soumises à des droits de douane au taux standard. Les marchandises réexportées en provenance de pays non-européens sont également facturées au taux normal. Mais on estime que leur part est négligeable.

Ainsi, en 2019, des marchandises d'une valeur totale d'environ 640 millions de francs ont été importées en Suisse depuis Israël. Cette somme se répartit entre les biens agricoles pour une valeur d'environ 30 millions et les biens industriels pour une valeur d'environ 610 millions. Il est important de noter que le commerce des diamants n'est pas inclus dans ces chiffres.

Conclusion :

La prédominance de l'offre alimentaire dans les supermarchés, avec une part de valeur de moins de 5 % de tous les produits importés, crée une image déformée, car plus de 95 % de tous les produits importés d'Israël sont des produits industriels, qui ne sont pas aussi visibles pour le public que les produits agricoles de moindre valeur.

Pour les produits agricoles et industriels, la part des marchandises soumises aux droits de douane normaux est de 53%. Si l'on en déduit certaines réexportations d'origine non-européenne, la proportion de marchandises provenant des colonies illégales est probablement d'au moins 50% du total des importations.

Il serait également nécessaire d'examiner la composition des importations des différentes catégories de marchandises.

Pour plus de contexte et d'informations, voir l'étude de Birgit Althaler (2015) : Wirtschaftsbeziehungen Schweiz –Israel und völkerrechtliche Kohärenz. Grundlagen und Impulse für rechtsbasiertes Handeln

 



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