30/06/2021

SERGIO RODRIGUEZ GELFENSTEIN
Le Parti communiste chinois a cent ans

Traduit par Fausto Giudice

Sergio Rodríguez Gelfenstein est un consultant et analyste international vénézuélien, diplômé en relations internationales. Auteur de nombreux articles et livres, il a été directeur des relations internationales de la présidence vénézuélienne, conseiller en politique internationale de la présidence de la chaîne Telesur et ambassadeur du  Venezuela au Nicaragua. 

Au cours de la dernière décennie du XIXe siècle et de la première décennie du XXe siècle, les premières idées politiques venues d'Occident ont été introduites en Chine, mais la pensée socialiste est apparue tardivement dans le pays. Pour une bonne part ce fait, qui contraste avec ce qui s'est passé en Europe ou même dans le Japon voisin où un parti socialiste existe depuis 1901, est du à diverses raisons, dont la plus puissante est l'enracinement d'une culture et d'une philosophie millénaire propre qui a servi de frein à l’« intrusion occidentale ».

 Dans ce contexte, les premiers ouvrages marxistes ont été traduits en chinois au Japon et ont servi à produire des débats animés parmi les groupes d'émigrants. Le premier de ces ouvrages est Le socialisme moderne de Fukui Junzo, publié en 1889 et traduit en chinois en 1903. En 1906, le journal de Sun Yat-sen au Japon publie le Manifeste communiste, traduit par Chu Chih-hsin, l'un de ses partisans les plus radicaux, mais ces publications ne sont guère diffusées en Chine. Ce n'est qu'après la chute de la monarchie qu'une plus large diffusion des publications d'auteurs marxistes a été possible, qui n'a atteint son apogée qu'après 1919.

« L’effet direct de l’expression du souffle populaire ». Dessin de MA Xingchi,  1919

L'influence de la révolution bolchevique en Russie en 1917 s'est rapidement fait sentir en Chine. Les éléments progressistes du pays ont commencé à explorer une voie d'espoir pour l'avenir, et le 4 mai 1919, le mouvement de la Nouvelle Culture ou du Quatre Mai a marqué un moment de grand essor des luttes populaires dans le pays. En 1915, lorsque le magazine Nouvelle Jeunesse a été fondé à Shanghai, un grand débat d'idées et une activité intellectuelle exceptionnelle ont commencé, qui ont conduit à la fondation de maisons d'édition, d'associations culturelles, de magazines et de journaux dans presque toutes les grandes villes du pays, ce qui a donné une impulsion transcendantale à la lutte pour la démocratie et au progrès de la science.

Li Dazhao a pris l'université de Pékin comme base pour travailler au développement du marxisme, c'est pourquoi il est considéré comme le premier marxiste chinois. Tous ces faits ont permis à cette doctrine, à laquelle ont été incorporés les apports léninistes, de commencer à influencer des secteurs de travailleurs, ce qui a contribué au fait que, pour la première fois dans l'histoire de la Chine, des groupes de travailleurs ont appelé à une grève politique dans une perspective révolutionnaire dans le cadre du mouvement qui avait débuté le 4 mai. La fusion de ces deux composantes, classe ouvrière et intellectuels révolutionnaires, influencées par les récents événements en Russie, ont commencé à propager l'idée que la Chine devait progresser vers le socialisme sous la bannière du marxisme-léninisme. C'était la base pour le développement d'un grand travail de propagande et d'organisation parmi les travailleurs.

Dans son livre Sur la nouvelle démocratie, Mao Zedong écrit qu'avant 1919, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie par le biais des intellectuels dirigeaient la révolution démocratique bourgeoise en Chine, car le prolétariat n'était pas assez fort pour être un acteur principal, conscient et indépendant, mais après le 4 mai, il y a eu un changement définitif.

La direction politique de la révolution démocratique bourgeoise en Chine a cessé d'appartenir à la bourgeoisie et est passée aux mains du prolétariat, bien que la bourgeoisie nationale ait continué à participer à la révolution. Le prolétariat chinois, grâce à sa propre croissance et à l'influence de la révolution russe, est rapidement devenu une force politique consciente et indépendante. C'est le Parti communiste chinois qui a lancé le slogan « À bas l'impérialisme" » et a proposé un programme cohérent pour l'ensemble de la révolution démocratique bourgeoise, et c'est le seul parti qui a propagé la révolution agraire.

Bien sûr, tout cela s'est produit plus tard, car le Parti communiste chinois n'avait pas encore été fondé. Cependant, dans le livre susmentionné, Mao a exposé l'idée léniniste selon laquelle la question nationale avait commencé à faire partie de la révolution mondiale et, dans cette mesure, la révolution chinoise serait insérée dans une telle logique, ce qui donnait une explication du point de vue chinois sur l'approche de Vladimir I. Lénine qui, en 1920, lors du deuxième congrès de l'Internationale communiste, avait préparé un programme sur la question nationale et coloniale.

Cette agitation et cet effort d'organisation croissants se traduisirent par une vague vertigineuse de fondations de syndicats et de structures sociales de base, ainsi que par une multiplication des cours dans les écoles de formation de cadres de toutes sortes, ce qui crée les conditions - dès le printemps 1920 - de la structuration d'un parti marxiste, ce qui coïncide avec les intentions de la Troisième Internationale qui,  en avril de cette année-là, envoie un de ses cadres en Chine pour proposer son aide à la fondation du parti.

En mars, l'Association pour les études théoriques marxistes a été créée à l'université de Pékin et en mai, la Société pour les études marxistes a été créée à Shanghai. En août, Chen Duxiu et d'autres ont formé la première organisation communiste de Chine et, simultanément, des cellules communistes ont été créées à Shanghai, Pékin, Wuhan, Changsha, Jinan et Guangzhou, tandis que le même processus était en cours parmi les émigrés chinois au Japon et en France. Leurs premières tâches furent l'organisation et l'étude du marxisme, en particulier parmi les ouvriers et les paysans, ce qui eut un effet rétroactif sur les intellectuels qui avaient repris les idées marxistes et les avaient transmises aux ouvriers.

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Enfin, en juillet 1921, le premier congrès du Parti communiste chinois se réunit dans la clandestinité à Shanghai, qui a un caractère fondateur malgré le fait que seuls 13 délégués sur la cinquantaine de membres que comptait alors le parti dans toutes les régions du pays et au Japon y participent, tandis que le représentant des émigrés en France ne peut venir. Ils sont rejoints par les délégués de l'Internationale communiste, Maring et Nikolsky. Bien que Li Dazhao et Chen Duxiu soient considérés comme des fondateurs du Parti, ils n'étaient pas présents. L'âge moyen des participants au Congrès était de 28 ans, le plus âgé ayant 45 ans et le plus jeune 18 ans.

Les participants ont présenté des rapports sur la situation dans leurs régions, échangé des expériences et discuté du programme du parti et d'un nouveau plan d'action, ce qui a suscité de nombreux débats mais a finalement abouti à un consensus. Le 30 juillet, le congrès a dû changer de lieu en raison de l'arrivée de la police française sur les lieux. L'événement a donc dû se terminer sur un bateau sur le lac Nanhu, dans la province du Zhejiang. Le programme du parti y a été approuvé et la fondation du parti a été proclamée.

Dans les discussions, différentes tendances s'expriment, allant du liquidationnisme, qui considère la fondation du parti comme prématurée, à une tendance extrémiste qui prône la rupture avec le mouvement démocratique national et la lutte immédiate pour la dictature du prolétariat. Néanmoins, l'idée de construire le Parti, de mener une activité syndicale intensive et de collaborer avec le gouvernement de Sun Yat-sen prévalait. Ils ont également discuté et approuvé les statuts, soulignant qu'en dépit des différences, il était nécessaire de maintenir l'unité de la nouvelle organisation. 

Les statuts établissaient que le but du parti était de renverser la bourgeoisie sur la base du rôle dirigeant des travailleurs afin d'établir un État du peuple entier, d'éliminer les différences de classe jusqu'à leur suppression totale. Le centralisme démocratique et une discipline stricte ont été adoptés comme méthode d'organisation. La première direction a été élue, avec Chen Duxiu comme secrétaire, Li Da en charge du travail de propagande et Zhang Guotao en charge de l'organisation.

 

La direction du parti en 1938. Premier rang, de gauche à droite : Kang Sheng, Mao Zedong, Wang Jiaxiang, Zhu De, Xiang Ying, Wang Ming. Deuxième rang, de gauche à droite : Chen Yun, Bo Gu, Peng Dehuai, Liu Shaoqi, Zhou Enlai, Zhang Wentian

 

L'introduction du marxisme-léninisme et la fondation du Parti communiste chinois ont été un moment transcendant dans l'histoire millénaire de ce pays qui vivait en retrait de la dynamique mondiale, mais qui avait une grande tradition culturelle et des racines historiques extraordinaires qui allaient être transformées à partir d'une idée introduite depuis l'Occident. C'était le défi que relevait ce petit groupe de 50 militants qui proposait de développer le pays sur la base du marxisme et de la compréhension de ses particularités. Surtout, à cette époque, ils devaient s'engager sur la voie de l'indépendance nationale et de la libération du peuple afin d'améliorer leurs conditions de vie et de matérialiser le bien-être comme objectif suprême.

Ce 1er  juillet marque le 100e  anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois. Sous sa direction, le pays est passé du stade d'arriération, de pauvreté et d'exclusion à celui de puissance économique, technologique et scientifique avec la perspective de devenir en 2049, année du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine, un « pays socialiste puissant, moderne, prospère, démocratique, civilisé, harmonieux et beau » comme l'a proclamé le président Xi Jinping.

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