15/06/2021

La brigade internationale du Mossad en Iran

Yossi Melman, Haaretz, 15/6/2021

Traduit par Fausto Giudice

Dans son interview télévisée d'adieu, le chef sortant du Mossad, Yossi Cohen, a révélé des secrets que les autorités israéliennes censurent toujours dans les reportages des journalistes.

Lors d'une interview accordée à l'émission télévisée "Uvda" la semaine dernière, l'ancien chef du Mossad, Yossi Cohen, a déclaré que les opérations d'Israël en Iran étaient menées par une "équipe opérationnelle du Mossad" dont les agents parlent des "langues étrangères". D'après les questions et les réponses de cette interview révélatrice, ainsi que d'après le langage corporel et les sourires autosatisfaits de Cohen, il était facile de conclure que l'"équipe" qui a participé à l'audacieuse opération de vol des archives nucléaires militaires de l'Iran le 31 janvier 2018 était composée d'étrangers.


Image iranienne d'une chambre d'essai utilisée pour mener des expériences sur les explosifs pour une bombe nucléaire

Le Mossad utilise des citoyens étrangers pour ses opérations en Iran et ailleurs. Les médias israéliens et internationaux en ont fait état dans le passé. On peut présumer que ces personnes sont bien payées. Les porte-parole iraniens les appellent des "mercenaires". Mais lorsque le chef du Mossad lui-même révèle cela, il renforce la fausse impression que le service de renseignement israélien, qui a la réputation mondiale d'être l'un des meilleurs et des plus professionnels, n'est qu'un gang qui agit comme une organisation criminelle externalisée.

La communauté du renseignement israélien a toujours été assistée par des étrangers. Certains étaient juifs et le faisaient soit volontairement, soit en échange de rétributions. D'autres avaient des motivations idéologiques, comme l'identification à l'État d'Israël et à ses luttes. D'autres encore étaient des non-Juifs de diverses religions et nationalités, qui étaient recrutés pour recueillir des informations ou apportaient une aide logistique, en louant des planques, des véhicules, en participant à des surveillances, des repérages ou en envoyant des coursiers pour transférer des fonds ou du matériel.

Chaque service de renseignement utilise une variété de capacités et d'outils opérationnels. Le Mossad et les forces spéciales du renseignement militaire se sont appuyés sur des agents étrangers en raison de leur accès, y compris pour des opérations particulièrement dangereuses au -delà de la frontière. Cela s'est produit au Liban, en Syrie ou en Irak, mais seulement en dernier recours.

Le Mossad a toujours donné la priorité aux opérations "bleues et blanches", c'est-à-dire menées par des citoyens israéliens, surtout lorsqu'il s'agit d'opérations sensibles comme les assassinats et les sabotages. Cela découle de la fierté nationale, mais surtout du fait que dans des situations aussi dangereuses et sensibles, les Israéliens sont plus dignes de confiance que les étrangers, dont les motivations sont principalement financières ou personnelles, comme la vengeance. En outre, les combattants israéliens des unités de première ligne comme l'unité Kidon du Mossad ont une formation militaire appropriée et un sentiment de fierté nationale. Ils savent qu'ils risquent leur vie pour le pays où ils vivent avec leur famille. Leur formation et l'expérience acquise au cours des missions sont cumulatives. Ils peuvent être utilisés à plusieurs reprises, ce qui permet de limiter le nombre de personnes ayant accès à des informations sensibles et de mieux préserver le secret.

Une capture d'écran de l'interview télévisée d'adieu de Yossi Cohen, chef sortant du Mossad. Photo Keshet 12

En même temps, au cours des quinze dernières années, le Mossad a subi des changements radicaux. Sa portée est désormais mondiale. Les besoins ont changé. Les opérations sont passées de tactiques et chirurgicales à stratégiques. Il ne peut plus se contenter d'utiliser des Israéliens ayant une double ou une triple nationalité. Les passeports biométriques sont difficiles à falsifier. Il doit recruter des équipes sans lien direct avec Israël, les former, les équiper et les envoyer en mission. Cette démarche n'a pas été prise à la légère. Les discussions entre les hauts responsables du Mossad sont imprégnées d'un léger sentiment de honte, car ils manquent de capacités indépendantes et sont obligés de se tourner vers des étrangers.

Soumission volontaire

Dans un style suintant le culte de la personnalité, dans lequel presque un mot sur deux est "je", Cohen a décrit le vol des archives nucléaires de l'Iran comme dépassant l'imagination la plus folle d'Hollywood et a mentionné, entre autres, le film de comédie de braquage "Ocean's Eleven". Bien, nous sommes familiers avec cette analogie. Mais, et c'est là la grande différence, les révélations de Cohen sur l'opération elle-même peuvent aider ceux qui cherchent à recueillir des détails sur les méthodes opérationnelles du Mossad. Les méthodes utilisées par les étrangers sont-elles similaires à celles utilisées par les agents du Mossad israélien ? De quelles nations les étrangers sont-ils originaires ?    Qui fait partie de la "brigade internationale" du Mossad ? Comment sont-ils recrutés ?    Quel profilage personnel et psychologique ont-ils subi ? Où cela s'est-il passé ? Comment ont-ils été formés et où ?

Avec tout le respect dû aux unités de contre-espionnage iraniennes, elles tâtonnent encore dans l'obscurité lorsqu'il s'agit de ces questions. Et voilà que le chef du Mossad leur donne à la télévision des indices qui pourraient compléter le puzzle. De telles opérations étaient menées avant même l'époque de Yossi Cohen, mais sous les précédents chefs du Mossad, elles étaient tenues secrètes. La dernière chose qu'un service de renseignement fait est de révéler qui a mené l'opération, si tant est qu'il admette l'avoir fait. Cohen a mis une épingle dans le ballon bleu et blanc du Mossad et l'a dégonflé publiquement. Dans son arrogance caractéristique, il en est fier.

Les révélations de Cohen sur l'implication étrangère ont été faites sans raison apparente. Elles n'ont qu'un seul but : l'autoglorification. Le fait que l'opération de vol des archives nucléaires ait été menée par des étrangers est un secret qui n'aurait jamais dû être révélé. Il y a une différence entre une information qui provient d'une publication étrangère ou même d'un journaliste israélien et une information qui est dite, même implicitement, directement de la bouche du cheval.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu prononce un discours sur le programme nucléaire iranien à Tel Aviv, le 30 avril 2018. Photo Ofer Vaknin.

 Cohen s'est volontairement soumis aux questions d'Ilana Dayan. L'animatrice d'"Uvda" (qui s'est entretenue avec lui pendant une année entière, alors qu'il était encore en fonction) a expliqué aux téléspectateurs comment les étrangers se sont échappés avec des documents pesant environ une demi-tonne. Elle savait également que la mission visant à faire sortir l'équipage d'Iran comprenait plusieurs camions portant des plaques d'immatriculation identiques afin de confondre et d'induire en erreur les Iraniens. On ne peut que se demander pourquoi le responsable de la sécurité du Mossad a autorisé Cohen à publier de tels détails. Il est vrai que la censure est sous son commandement, mais il y a des précédents. Il y a eu des officiers de sécurité qui ont su se défendre, argumenter résolument avec les chefs de division et même avec le chef du Mossad lui-même, et les convaincre que certaines révélations pouvaient nuire à l'organisation.

Le comportement de la censure militaire concernant l'interview de Cohen est également très étrange. Je peux témoigner de centaines de cas où la censure a insisté pour disqualifier des informations moins sensibles et moins importantes que les secrets révélés par l'ancien chef du Mossad. La censure a toujours travaillé sur la base du principe de ne pas prendre de risques. Si l'on craint qu'une information puisse compromettre la sécurité de l'État, elle ne doit pas être publiée. Plus d'une fois, je me suis opposé, j'ai eu des discussions pointues avec les censeurs et j'ai fait appel de leurs décisions, mais au final, j'ai serré les dents et accepté leur verdict. Je ne peux que deviner comment le bureau de la censure aurait réagi si j'avais écrit les choses que Cohen a dites, ou si j'avais osé publier des détails similaires sur l'une des opérations les plus secrètes du Mossad.

Nous pouvons également deviner ce que le chef du Mossad aurait fait à l'un de ses subordonnés s'il avait révélé des secrets opérationnels à un journaliste. Des employés ont été réprimandés et dans certains cas licenciés pour bien moins que ce que Cohen a fait. Pourquoi les personnes chargées de garder les secrets ont-elles cédé cette fois-ci ? Ce n'est pas la première fois qu'ils s'inclinent face à la domination. Cohen voulait célébrer la fin de son mandat, et personne n'a osé gâcher le spectacle et dire "Assez". Pour glorifier et agrandir davantage l'opération, et donc lui-même bien sûr, il a préféré diminuer le rôle de dizaines d'officiers de renseignement juniors et intermédiaires qui ont contribué à son succès. Il ne faut pas oublier qu'au final, les agents sur le terrain ne peuvent pas mener à bien les opérations sans les informations précises recueillies par les officiers de renseignement.

Tout comme la résidence de l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou dans la rue Balfour, Yossi Cohen a transformé le Mossad en une organisation destinée à servir ses besoins et ses aspirations pour devenir Premier ministre. Sans équivoque. Il a eu la chance de diriger une excellente organisation, dont les capacités ont été construites au fil des ans grâce à plusieurs milliers d'employés dévoués au service de l'État. Dans son acte d'adieu, il a vendu tout ce qu'il a trouvé bon de vendre, comme si les secrets du Mossad étaient ses propres actions. "Apportez-moi [et non le Mossad - YM] les archives", a-t-il dit dans l'interview. Et lorsqu'on lui a demandé où se trouvaient les archives aujourd'hui, sa réponse a été : "Je les ai". Il a finalement repris ses esprits et reformulé : "Le Mossad les a."

Par ailleurs, il est important de mentionner que les documents des archives nucléaires, malgré toute leur importance et leur contribution à la révélation des tromperies de l'Iran, ainsi que le coup moral et psychologique porté à l'Iran par l'opération, sont pour la plupart de vieux documents datant de 20 ans. Le dernier document important est daté de 2003, soit 15 ans avant l'opération. En outre, l'importance de la plupart de ces documents tient au fait qu'ils renforcent les renseignements recueillis en secret pendant des années, bien avant l'opération, par le Mossad et d'autres services de renseignement qui ont collaboré avec lui.

En avril 2018, l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou a annoncé le vol des archives lors d'une conférence de presse festive. À l'époque, lui et Cohen ont mis en avant l'opération elle-même, mais sont restés relativement discrets sur son importance et ses découvertes. Cette mise en avant avait pour but de convaincre le président usaméricain de l'époque, Donald Trump, de se retirer de l'accord nucléaire. Les USA l'ont fait et ont imposé des sanctions unilatérales à Téhéran, mais la récompense d'Israël s'est faite en pure perte. Aujourd'hui, l'Iran enrichit de l'uranium à une pureté de 60 % et est plus proche que jamais, certainement par rapport à la signature de l'accord à Vienne en juillet 2015, de pouvoir assembler des armes nucléaires. Même si Cohen l'a nié avec véhémence dans l'interview, la vérité est évidente. Netanyahou et Cohen ont provoqué un très grave échec stratégique que le gouvernement Bennett-Lapid devra désormais gérer.

 

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