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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

12/01/2022

THE ECONOMIST
Une histoire d'horreur financée par l'UE : l'Europe paie une force qui malmène systématiquement les migrants africains


The Economist, 11/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les garde-côtes libyens ne brillent pas par leur professionnalisme [ah qu’en termes galants ces choses-là sont dites, NdT]

Le voyage du Geo Barents a été un long bras de fer tendu, ponctué de moments d'efforts frénétiques. Pendant des semaines, le navire, affrété par Médecins Sans Frontières (MSF), une organisation caritative médicale, a navigué dans les eaux internationales au large de la côte méditerranéenne de la Libye. Son équipage recherchait les bateaux remplis de migrants, tout comme les patrouilles des garde-côtes libyens, qui ont menacé les travailleurs humanitaires qui tentaient d'organiser des sauvetages. De temps en temps, la radio émettait des avertissements. « Vous devez vous éloigner de cette zone », disaient les garde-côtes. « Sinon, les immigrants vous verront et navigueront vers vous ».

Après un appel de détresse reçu le mardi 16 novembre 2021 après midi, 99 personnes ont été secourues par le Geo Barents, à environ 30 milles nautiques des rives libyennes, après 13 heures de dérive en mer. Dix autres personnes ont été retrouvées mortes.  © Virginie Nguyen Hoang/HUMA

Lorsqu'elles repéraient un bateau de migrants, les deux parties se précipitaient pour arriver les premières. Pendant quelques jours, les Libyens ont gagné la course. Soutenus par des drones et des avions pilotés qui tournent au-dessus d’eux, les garde-côtes ont attrapé quatre radeaux transportant des migrants. Mais après une semaine, l'équipe de MSF a pris en charge un bateau après l'autre. Bientôt, plus de 300 migrants occupaient chaque centimètre carré des ponts du navire : Sénégalais, Soudanais, Syriens - beaucoup avec des histoires d'horreur de leur séjour en Libye, qu'ils ont partagées avec le Outlaw Ocean Project, une organisation de journalisme à but non lucratif avec laquelle The Economist a collaboré pour cette histoire.

Depuis au moins 2017, l'Union européenne, avec 'Italie aux commandes, a formé et équipé les garde-côtes libyens pour qu'ils servent de force maritime par procuration. Les migrants qui atteignent l'Europe bénéficient de protections juridiques, de travailleurs humanitaires et de journalistes pour mettre en lumière leur détresse. En collaborant avec les Libyens, l'UE a en fait déplacé les contrôles de sa frontière sud à des centaines de kilomètres au sud de la frontière réelle, dans un endroit où ces subtilités ne s'appliquent pas.

Si l'objectif est simplement d'empêcher les migrants d'atteindre les côtes européennes, cet effort a été couronné de succès. Des dizaines de milliers sont interceptés chaque année par les Libyens. Le nombre de personnes atteignant l'Italie par la mer a diminué de 44 % entre 2017 et 2021, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), un organisme des Nations unies.

Mais pour les migrants eux-mêmes, la politique européenne a été un désastre. La traversée elle-même est devenue plus dangereuse. Une mesure de ce danger, qui compare les décès estimés aux tentatives de traversée, est passée d’un sur cinquante en 2015 à un sur vingt en 2019. Une autre mesure, qui utilise les arrivées en Europe au lieu des tentatives de traversée, a grimpé de quatre fois. Des dizaines de milliers de migrants qui ne peuvent pas atteindre l'Europe sont piégés dans des camps de détention sordides et surpeuplés en Libye, soumis à la torture, au travail forcé et à l'extorsion par leurs geôliers. L'UE elle-même admet qu'elle n'a que peu de contrôle sur ses partenaires - et pourtant, elle continue à verser de l'argent dans ce système.

Migrants ou fric

La Libye a longtemps été un point de départ pour les migrants désireux de rejoindre l'Europe. Mouammar Kadhafi, le défunt dictateur libyen, s'en est servi pour faire chanter ses voisins européens. En 2010, il a exigé 5 milliards d'euros de l'UE pour empêcher les migrants de traverser la mer. L'alternative, avait-il prévenu, était une Europe « noire ». Mais Kadhafi ne vivra pas assez longtemps pour profiter de cette extorsion de fonds. Il a été renversé l'année suivante, lors d'une révolution soutenue par l'OTAN et plusieurs États arabes, puis tué par des miliciens.

Cette révolution a plongé la Libye dans une période de chaos dont elle n'est toujours pas sortie. Les milices qui ont renversé Kadhafi n'ont pas déposé les armes, mais se sont livrées à des luttes intestines pour le pouvoir et la richesse. En 2019, Khalifa Haftar, un général devenu seigneur de la guerre, a marché vers l'ouest depuis sa base de Benghazi, dans l'espoir de renverser le gouvernement de Tripoli soutenu par l'ONU (qui dépendait lui-même des milices pour survivre). Les puissances étrangères, dont la France, la Russie, la Turquie et les Émirats arabes unis, ont joué un rôle important dans le conflit qui a suivi.

La tentative de conquête du général devenu maréchal Haftar a échoué, et le pays reste divisé selon des lignes géographiques et tribales. L'élection présidentielle prévue en décembre a été reportée, en partie parce que la Libye ne dispose pas d'une constitution et d'un cadre juridique approprié pour le vote. La commission électorale a suggéré de reprogrammer le scrutin pour le 24 janvier, mais cette date semble ambitieuse.

En l'absence de gouvernement pour contrôler les frontières, des centaines de milliers de migrants ont cherché à rejoindre l'Europe depuis la Libye. Lorsque l'afflux a atteint son apogée en 2016, plus de 181 000 personnes ont traversé la Méditerranée pour rejoindre l'Italie. Toutes ne venaient pas d'Afrique. La route orientale vers l'Europe étant largement fermée, en raison d'un accord conclu en 2016 entre la Turquie et l'UE, certains migrants du Moyen-Orient tentent désormais leur chance en passant par la Libye. L'année dernière, des milliers d'Iraniens, d'Irakiens et de Syriens, entre autres, ont effectué cette traversée.

Les pays européens ont demandé l'aide des milices qui contrôlent presque tout dans la Libye post-révolutionnaire. Les garde-côtes sont l'une de ces institutions : malgré leur nom officiel, ils sont constitués de patrouilles locales dirigées par des groupes armés. Sous la direction de l'Italie, l'UE a dépensé des dizaines de millions d'euros pour la mettre sur pied, fournissant six bateaux en fibre de verre, des dizaines de véhicules tout-terrain et des centaines d'uniformes, de radios et de téléphones satellites. La Commission européenne s'est récemment engagée à construire un centre de commandement « nouveau et amélioré » et à faire don de trois autres bateaux.

Frontex, l'agence des frontières de l'UE, effectue une surveillance aérienne. Elle alerte les autorités italiennes (et, parfois, maltaises), qui préviennent à leur tour les garde-côtes libyens. Pour les migrants retenus et ramenés à terre, l'argent européen paie les matelas sur lesquels ils dorment, le savon avec lequel ils se lavent et les ambulances qui les emmènent à l'hôpital. S'ils meurent, l'Europe paie les housses mortuaires.

Ils sont détenus dans des centres de détention, également gérés par des milices, où ils représentent un commerce lucratif. Les migrants détenus sous prétexte de faire respecter la loi sur l'immigration sont obligés de demander à leur famille d'envoyer de l'argent pour leur libération (le paiement moyen est d'environ 500 dollars par personne). Certains sont contraints de travailler sur des chantiers de construction ou dans des fermes. Les femmes sont contraintes de se prostituer.

Les centres de détention sont le théâtre de nombreux abus. En juillet, Amnesty International a recueilli des informations sur des actes de torture et des viols à Al Mabani, un centre situé à Tripoli. Au moins deux femmes détenues ont tenté de se suicider. L'année dernière, des gardiens y ont tué six personnes par balle. Un Érythréen est mort brûlé vif en 2020 dans l'incendie d'un autre centre.


Mohamed Al Khoja : au lieu d'être devant la CPI, il dirige la DCIM

Il est peu probable que la situation s'améliore bientôt. En décembre, le gouvernement de Tripoli a nommé le commandant de milice Mohammed Al Khoja à la tête de la Direction du Combat contre l’immigration illégale (DCIM), chargée de superviser les quelque 15 centres de détention de migrants en Libye.

Khoja dirigeait auparavant l'une des prisons les plus tristement célèbres du pays, Tariq al-Sikka à Tripoli, où les abus étaient monnaie courante. Le 10 janvier, les autorités ont fait une descente violente dans des camps de migrants à Tripoli, détenant plus de 600 personnes.


Ne pas voir le mal

Les responsables européens ne nient pas que les conditions sont sinistres. Une fuite d'un rapport de l'UE datant de 2019 reconnaît que ce bloc a peu de moyens de surveiller les activités des garde-côtes. En octobre, un juge italien a condamné le capitaine d'un navire à un an de prison pour avoir ramené en Libye 101 migrants échoués. Le droit international exige qu'ils soient déposés dans le port sûr le plus proche ; le tribunal a estimé que la Libye ne remplissait pas les conditions requises.

L'UE a néanmoins tenté d'éloigner les travailleurs humanitaires et autres défenseurs des migrants. En 2018, elle a demandé à l'Organisation maritime internationale, une agence des Nations unies, de créer une « zone de recherche et de sauvetage » au-delà de 100 km des côtes libyennes, ce qui donne aux garde-côtes une compétence dans les eaux internationales. Depuis 2018, les ports italiens sont fermés aux navires gérés par des groupes humanitaires comme MSF. Les marines européennes ont stoppé leurs propres opérations de sauvetage en Méditerranée.

Cela signifie que les migrants secourus à bord de navires comme le Geo Barents peuvent être à la dérive pendant des semaines. Pour passer le temps, ils prient, font des bras de fer, dansent et parlent de leurs expériences en Libye, une sorte de catharsis collective. Un homme a vu deux amis tués dans un centre de détention ; leur sang a taché ses vêtements. Un autre avait été battu par les garde-côtes après une précédente tentative ratée de traversée de la mer. Un Bangladais a raconté que son père avait vendu la ferme familiale pour payer sa libération.

Une fois le bateau rempli, il a navigué pendant des jours, à la recherche d'un port pour accueillir sa cargaison humaine. « Ce n'est pas à nous de décider où vous pouvez débarquer et quand», explique un membre de l'équipage dans le haut-parleur, mais il rassure ses passagers sur une chose : « Vous pouvez oublier la Libye ».

     




   

 

 

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