09/08/2021

URI MISGAV
L'armée détrousse Israël

Uri Misgav, Haaretz, 4/8/2021
Traduit par Fausto Giudice


Uri Misgav אורי משגב (Heftziba, 1974) est un journaliste et réalisateur israélien de documentaires, écrivant sur Haaretz depuis 2012. @UriMisgav

Lorsque j'ai été enrôlé dans l'armée, Israël était en guerre contre les armées syrienne et jordanienne, maintenait d'importantes forces et des avant-postes dans le sud du Liban et assurait le maintien de l'ordre et la surveillance des colonies face à un environnement palestinien hostile en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. C'était juste quelques années après la première intifada, et elle pansait ses plaies après la guerre du Golfe, au cours de laquelle elle avait été attaquée par des missiles irakiens et avait consacré des ressources au théâtre iranien.

 

Le chef d'état-major des Forces de défense israéliennes, le lieutenant-général Aviv Kochavi, prononce un discours au quartier général de l'armée, en juin. Photo : Moti Milrod

Au sein du Commandement Sud des Forces de défense israéliennes, où j'ai servi en tant qu'officier d’active et de réserve, des plans de guerre visant à reconquérir la péninsule du Sinaï étaient encore en cours d'élaboration au cas où - Dieu nous en préserve - la paix froide avec l'Égypte s'effondrerait. Lorsque j'ai été libéré de l'armée, le budget annuel de la défense était de 33 milliards de shekels (environ 10 milliards de dollars, 8,5 milliards d’€). Cette semaine, un budget de 58 milliards de shekels [15,2 milliards d’€] a été approuvé. Au cours des 25 années qui se sont écoulées, 25 milliards de shekels ont été ajoutés : une croissance d'un milliard de shekels [263 millions d’€] par an.

Au cours de ces années, les accords d'Oslo ont été signés, l'Autorité palestinienne a été créée et de nombreuses responsabilités en matière de sécurité lui ont été transférées ; une paix stable a été conclue avec la Jordanie, Israël s'est retiré du Liban et s'est préparé à défendre le pays depuis la frontière internationale. Le Gush Katif a été évacué et Israël s'est désengagé de Gaza. La paix avec l'Égypte a même survécu à un mandat des Frères musulmans. L'Irak s'est désintégré, la Syrie a sombré dans la guerre civile. En bref : à l'exception de l'ennemi iranien et de ses représentants, les menaces se sont estompées, les ennemis se sont affaiblis ou évaporés, mais le budget de la défense n'a cessé de croître.

En outre, les FDI sont, dans la pratique, une armée pour le temps de paix. Lorsqu'une série de combats périodiques éclate dans la bande de Gaza, l'armée soumet la facture aux dirigeants politiques à la fin. Le chèque pour la dernière opération s'élevait à 3 milliards de shekels [790 millions d’€]. Et ce n'est pas tout : Le budget de la défense qui a été approuvé n'est pas vraiment de 58 milliards de shekels. Si l'on ajoute l'aide militaire usaméricaine, qui sert à acquérir des systèmes d'armes et d'autres biens fabriqués aux USA, il s'agit de 70 milliards de shekels [18,4 milliards d’€].

Mais cela ne s'arrête pas là. Mon collègue Avi Bar-Eli, un vieux combattant contre les moulins à vent de The Marker, a rapporté cette semaine que juste le lendemain du jour où le cabinet a approuvé le budget de la défense, les FDI ont soumis une autre demande : une subvention pour des pensions de transition, qui coûtera au pays 15 milliards de shekels [3,9 milliards d’€] supplémentaires. Je suis vraiment surpris par Bar-Eli, qui a qualifié les commandants de l'armée de « déconnectés » et s'est demandé s'ils « vivent sur une autre planète ».

 

Des soldats israéliens participent à un exercice militaire sur le plateau du Golan occupé, le mois dernier. Photo : JALAA MAREY / AFP

Ils ne sont pas déconnectés, ils sont aussi connectés à la réalité que possible. Ils ne vivent pas sur une autre planète, mais en Israël. Ils savent qu'ils ont affaire à des pigeons - que toutes leurs demandes et tous leurs caprices seront satisfaits. Ils savent que chaque petite fenêtre qui leur est fermée sera satisfaite par l'abattage d'un mur ou par une action de « frappe à la porte ». Ils savent qu'aucun gouvernement n'osera prendre le risque de ternir son image en « portant atteinte à la sécurité nationale », et qu'aucun camp politique ou politicien ne se manifestera pour mener une guerre défensive contre eux, ou à tout le moins pour mener une action d’endiguement contre cette folie furieuse.

Depuis la nomination du chef d'état-major des FDI, Aviv Kochavi, on nous dit qu'il aspire à avoir une « armée létale », qu'il inclut des messages philosophiques dans sa réflexion et que tout ce qui l'intéresse, c'est d'améliorer et de renforcer l'armée - son plan pluriannuel Momentum. La vérité est qu'avant tout, Kochavi fonctionne comme le président du syndicat le plus fort et le plus agressif du pays. Au moins sous cet aspect, il a atteint ses objectifs : c'est un cartel mortel.

Plus de la moitié de son budget est consacrée aux salaires et aux pensions. Les employés prennent leur retraite au milieu de la quarantaine avec un paquet de pension moyen de 8 millions de shekels [2,1 millions d’€]. Toute amélioration de ces conditions est automatiquement appliquée au Shin Bet et au Mossad également. Le véritable budget de la défense, qui n'est jamais révélé au public, inclut également leurs budgets - il a été doublé en une décennie et approche maintenant les 10 milliards de shekels [2,630 milliards d’€]. Immédiatement après eux viennent la police et l'administration pénitentiaire - qui exigent à juste titre leurs propres revalorisations relatives.

Naftali Bennett, Avigdor Lieberman et Benny Gantz ont cette fois cédé à Tsahal, et ont accepté complètement ses demandes. Yossi Verter a écrit que les trois ont conclu un accord entre eux de manière agréable, autour d'une bouteille de vin rouge. Charmant. Dans le même souffle, ils ont augmenté le coût de la santé, des transports publics et de l'électricité - alors nous essayons tous d'économiser sur la climatisation.

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