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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

15/08/2021

SAYED KASHUA
Ma diaspora palestinienne

Sayed Kashua, The New York Review of Books, 7/8/2021
Traduit par Fausto Giudice

Sayed Kashua (Tira, 1975) est un écrivain, journaliste et scénariste palestinien de langue hébreu. En 2014, il a décidé de quitter Israël – « ce pays qui ne reconnaît pas à l’Arabe le droit de vivre » - et de partir vivre avec sa femme et leurs trois enfants aux U.S.A.

Ses romans, comme ses chroniques pour le journal Haaretz, manifestent la même ironie dans le traitement des difficultés parfois insurmontables que rencontrent les Palestiniens de 1948 en Israël. Depuis 2006, les éditions de l’Olivier publient l’œuvre romanesque de cet écrivain atypique dans le paysage littéraire israélien. Ont paru Les Arabes dansent aussi (10-18, 2006 ; réédité aux Éditions de l'Olivier dans la collection Replay en 2015), Et il y eut un matin (2006), La Deuxième Personne (2012) et Les Modifications (2019). Son dernier roman, , Track Changes, est paru chez Grove Press en 2020Sayed Kashua est aussi l’auteur d’une célèbre sitcom (Travail d’Arabe), qui a reçu le prix de la meilleure série télévisée en 2008 au Jerusalem Film Festival. Il prépare un doctorat en littérature comparée à la Washington University de St. Louis, Missouri.
Lire 
L’écriture romanesque extraordinaire en hébreu de Sayed Kashua le Peptimiste, par Sâadia Agsous-Bienstein (Tsafon, 2016)

Vivre en exil forcé au cœur de ma patrie ou vivre en exil volontaire en tant qu'étranger résident, tel est mon choix. Dans les deux cas, être un étranger sur une terre étrangère.

 

Le jour où mon frère a appelé, les nouvelles locales rapportaient la présence d'un ours dans une arrière-cour de Richmond Heights, la banlieue du Missouri où nous vivons. Un nouveau round de combats avait éclaté entre Israéliens et Palestiniens, exactement sept ans après le cycle sanglant de 2014, qui était l'été où ma femme et moi avons décidé de quitter notre maison à Jérusalem. Nous étions poussés par le désespoir politique et la perte d'espoir en un avenir meilleur.

Des femmes et des enfants d'un village palestinien près de Haïfa marchent avec les biens qu'ils peuvent porter, à travers le no man's land, vers Toulkarem en Cisjordanie, pendant une trêve entre les forces israéliennes et arabes, Palestine, 26 juin 1948. Photo Bettmann via Getty Images

« Exil volontaire » : c’est ainsi que les experts appellent notre décision, même si je ne suis pas sûr de comprendre le sens du mot exil dans ce cas précis. De quoi sommes-nous exilés exactement : de la Palestine, ou plutôt de l'idée de la Palestine ? Ou est-ce d'Israël, qui a prouvé à ses citoyens palestiniens que même les personnes qui n'ont jamais quitté leur foyer peuvent être contraintes à un sentiment d'exil ? Ou peut-être que cet « exil volontaire » est surtout l'intense culpabilité qui m'a envahi lorsque mon frère a appelé ce matin-là pour parler du bain de sang et de la haine en Israël-Palestine. Au lieu de nous prouver que nous avions pris la bonne décision pour nous et nos enfants - car nous n'étions plus menacés par les roquettes, les bombardements, les politiciens et les foules en colère - la dernière guerre a suscité un sentiment de détresse et de honte de ne pas avoir été là. Je me suis senti coupable d'avoir fui mon foyer naturel, pour ainsi dire : l'endroit auquel je suis censé appartenir.

« Tu as fait le bon choix », a dit mon frère, d'une voix peinée. « Au moins, tu n'as pas à avoir peur chaque fois que tes enfants sortent de la maison ». Je voulais lui parler de l'ours qui errait dans notre quartier et qui faisait peur aux habitants, et de comment j'avais dit aux enfants qu'ils ne pouvaient pas sortir tant que l'ours n'avait pas été attrapé. Je voulais lui dire à quel point je me sentais coupable de ne pas avoir été là pour que nous ayons peur ensemble, pour que je puisse être horrifié de près, pour que je puisse pleurer les morts et la dévastation, et surtout pour que je puisse simplement être là, être présent. Après tout, c'est ce que ma grand-mère et mon père m'avaient appris depuis ma naissance : ne jamais quitter la maison, ne jamais quitter la patrie, qu'elle s'appelle Palestine, Israël ou Dieu sait quoi.

« Regardez ce qui est arrivé aux réfugiés », je me souviens de ma grand-mère - dont le mari, mon grand-père, a été tué sous ses yeux lors de la bataille de Tira, en 1948 - expliquant à ses petits-enfants, des larmes de chagrin coulant sur ses joues. Pour elle, la pire chose qui pouvait arriver à quelqu'un était de devenir un réfugié. Nous, les restes du peuple palestinien, ceux qui sont restés dans les villages qui ont fait partie d'Israël après la guerre, on nous a appris que nous avions la chance d'avoir encore nos terres et de ne pas être des réfugiés comme la moitié de la nation qui avait perdu ses maisons et n'avait jamais été autorisée à revenir. « Au moins, nous sommes restés à la maison », nous apprenait-on à réciter, chaque fois que quelqu'un mettait en doute notre loyauté parce que nous étions devenus des citoyens israéliens après la Nakba (Catastrophe). Nous étions les chanceux. Chanceux - malgré les deux décennies de loi martiale, l'expropriation de la plupart de nos terres, les maisons détruites, la négligence, la haine, le racisme, la discrimination et la persécution. Chanceux parce que nous n'étions pas parmi les Palestiniens apatrides enfermés dans des camps de réfugiés au Liban, à Gaza, en Syrie et en Cisjordanie.

On m'a appris qu'il n'y a rien de plus méprisable qu'un homme qui abandonne son lopin de terre, aussi petit soit-il. Celui qui renonce à sa terre, aimait nous le rappeler notre père, renonce à sa dignité – en arabe « Ily bitla min daru, yakel makdaru ». Nous, les laissés pour compte de ce qui est devenu l'État d'Israël, avons appris que notre but premier était simplement de rester. Et cette mission nationale a reçu un nom noble : Sumud, qui signifie constance, persévérance. Sumud : malgré l'oppression et l'injustice israéliennes, vous devez rester. La grande petite guerre que vous devez mener est de rester dans votre maison, même si elle est détruite, dans la Palestine qui est maintenant Israël. Sumud : rester, comme un os fiché dans leur gorge. Si tu pars, ils ont gagné. Si tu fais preuve de faiblesse, ils ont gagné. Si tu as des doutes, tu as perdu. Si tu abandonnes volontairement ta maison, tu es un traître.

Al-Awda (le retour) a toujours été et est encore le rêve palestinien, l'aspiration nationale la plus vénérée. Plus de la moitié des Palestiniens qui vivaient en Palestine mandataire ont perdu leurs maisons et leurs terres et sont devenus des réfugiés à la suite de la création de l'État d'Israël. Les quelques personnes qui sont restées dans leurs villages, qui ont fait partie d'Israël en 1948, ont été stupéfaites de se retrouver coupées de leur peuple, de leur culture et de leur langue, de voir leurs terres soumises aux lois israéliennes de saisie et de vivre comme une minorité de citoyens de seconde classe dans un État juif. En 1967, Israël a pris le contrôle total des zones restantes de la Palestine historique en occupant la Cisjordanie et la bande de Gaza. Aujourd'hui, quelque cinq millions de Palestiniens y vivent sous une occupation israélienne qui les prive de leurs droits civils, restreint leur liberté de mouvement et poursuit sa politique d'accaparement des terres, de déportations et de destruction de villages pour construire des colonies et des routes à l'usage exclusif des citoyens juifs du pays.

Les 700 000 Palestiniens qui ont été arrachés à leurs foyers en 1948 sont devenus une population de près de six millions de réfugiés (environ la moitié de la population palestinienne mondiale estimée aujourd'hui), dispersés dans des camps de réfugiés au Moyen-Orient et ailleurs. La plupart des Palestiniens qui vivent dans les territoires occupés et dans les États arabes (à l'exception de la Jordanie, qui leur a accordé la citoyenneté) n'ont pas de passeport ou de statut juridique clair dans leur pays de résidence, où ils sont perçus comme des étrangers indésirables.

Beaucoup de ceux qui avaient fui en 1948 sont devenus des réfugiés pour la deuxième ou la troisième fois lors de conflits ultérieurs : l'occupation israélienne de la Cisjordanie en 1967, le conflit armé connu sous le nom de Septembre noir entre l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et les forces jordaniennes au début des années 1970 (qui a entraîné l'expulsion de militants de l'OLP et d'autres Palestiniens de Jordanie), la guerre civile au Liban qui a débuté en 1975, ou l'invasion israélienne du Liban en 1982 qui a entraîné de nouvelles expulsions, cette fois vers la Tunisie. Les exils se sont poursuivis pendant la première guerre du Golfe, lorsque la plupart des Palestiniens du Koweït et des États du Golfe ont été contraints de partir en raison du soutien de Yasser Arafat à Saddam Hussein. Au cours de la dernière décennie, les Palestiniens ont à nouveau dû chercher refuge suite aux guerres civiles en Irak, en Libye et, pire encore, en Syrie.

On peut dire que la figure du « Juif errant » a été remplacée par celle du « Palestinien errant ». Les réfugiés juifs apatrides, dont Hannah Arendt a décrit le sort tragique avec tant d'émotion, ont été supplantés par les Palestiniens apatrides, qui démontrent eux aussi qu'une personne sans citoyenneté est une personne sans protection ni recours à la justice. Sauf que l'histoire israélo-palestinienne a prouvé que l'expérience de l'angoisse d'être un réfugié ne garantit pas une sensibilité à la souffrance des autres réfugiés, même chez ceux qui sont la cause première de cette souffrance. Il semble que l'on ne puisse pas attendre de ceux qui ont été eux-mêmes des victimes qu'ils développent une compassion particulière, ni de ceux qui ont subi des persécutions qu'ils recherchent ensuite la justice pour tous.

Alors que tout fils ou fille d'une mère juive peut immigrer en Israël et devenir du jour au lendemain un citoyen israélien naturalisé, les réfugiés palestiniens et leurs descendants n'ont pas le droit de retourner dans leur patrie, grâce aux lois et règlements israéliens qui violent le droit international et les résolutions répétées des Nations unies. La plupart des réfugiés palestiniens ne peuvent même pas se rendre en Palestine en tant que touristes, y compris ceux qui détiennent des passeports européens ou usaméricains, sauf dans des cas exceptionnels. Essentiellement, les seuls Palestiniens qui peuvent sortir d'Israël et y entrer sont des citoyens d'Israël, ce que je suis. Et c'est peut-être ce rare privilège qui a permis mon exil - un exil volontaire, auquel je peux choisir de mettre fin quand je le souhaite et retourner à l'exil intérieur dans ma patrie.

Comme les réfugiés et les exilés palestiniens, je voudrais moi aussi retourner dans la Palestine d'avant la Nakba, représentée dans la mémoire collective palestinienne comme un paradis perdu. J'aimerais retourner dans la Palestine dont ma grand-mère me parlait : les champs, le bétail, les récoltes, les raisins et les figues, les oliviers et le citronnier qui, dans la tradition palestinienne, se trouvait devant chaque maison. Dans cette image idyllique de la Palestine, il n'y a pas de pauvreté, pas de sécheresse, pas de propriétaires terriens exploitant les agriculteurs, pas de maîtres régnant sur les manants. Mais cette image de la Palestine regorgeant de figues et de grenades s'estompe peu à peu dans la conscience des réfugiés palestiniens, et pas seulement à cause des villages arabes envahis par des millions de colons juifs, de la fumée des usines des colonies ou des bases militaires omniprésentes.

L'image s'est brouillée en raison de la perte d'une vision politique et de la mort d'une lutte populaire pour l'émancipation, une lutte qui a atteint son apogée en 1987, lorsque la première Intifada a éclaté comme un soulèvement national total. Les accords d'Oslo des années 1990, qui étaient censés mettre fin à l'occupation et aux souffrances des Palestiniens, ont ironiquement fait plus que tout autre facteur pour nuire au rêve palestinien d'al-Awda. Ce sont les dirigeants de l'OLP qui, pendant des décennies, ont représenté la nation palestinienne et façonné sa conscience nationale, qui ont finalement laissé tomber les réfugiés lorsqu'ils ont accepté d'établir une autorité limitée dans une petite zone de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, avec pour principale compétence le maintien de l'ordre et la supervision des affaires intérieures palestiniennes.

La direction de l'OLP prétendait représenter tous les Palestiniens du monde, et en premier lieu les réfugiés, mais elle les laissait livrés à eux-mêmes dans les camps de réfugiés et n'offrait guère plus qu'une reconnaissance de pure forme de leurs droits. Les réfugiés n'étaient pas partenaires de l'accord signé à la hâte, conçu principalement pour soutenir l'OLP elle-même, qui tentait de se remettre des déportations massives de ses membres du Liban vers la Tunisie. Loin de la Palestine, l'OLP devient essentiellement une organisation bureaucratique. Son déclin politique et financier s'est produit au début des années 1990, un phénomène lié au déclin politique plus général du monde arabe en raison des valeurs néolibérales rampantes et de la soumission à la politique usaméricaine, tandis que les mouvements islamistes ont surgi, devenant pratiquement la seule opposition aux dictatures arabes qui bénéficiaient du patronage de l'Occident.

Pour autant, et même si la Palestine n'est pas un paradis figé dans le temps en 1948, attendant que les réfugiés récupèrent leurs maisons, leurs villages et leurs champs, quelle alternative ont-ils au rêve du retour ? C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit des réfugiés vivant dans des camps appauvris, délabrés et surpeuplés au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Cisjordanie et Gaza. « Les vieux mourront, et les jeunes oublieront », a déclaré David Ben-Gourion, qui a orchestré la création de l'État israélien et le bannissement des Palestiniens de leur terre. Certes, les personnes âgées mourront, mais les jeunes ne peuvent pas se permettre d'oublier. Comment un jeune réfugié peut-il oublier sa patrie s'il vit avec des rappels constants qu'il est un élément étranger, non désiré, voire méprisé ?

La Palestine n'est peut-être pas la terre promise des récits de nos parents. Elle peut être déchirée entre des factions qui se disputent. Mais au moins, un État palestinien accorderait au réfugié un passeport, la possibilité de voyager, et une patrie où personne ne l'accuserait d'être un intrus. Au moins, dans un État palestinien, il y aurait toujours l'illusion que les choses s'amélioreront un jour.

Et quant à moi ? Suis-je en train d'accomplir la prophétie de Ben Gourion en ayant choisi de quitter le pays ? Et qu'en est-il de mes enfants, qui savent à peine à quoi ressemble la vie dans un camp de réfugiés palestiniens ? Parfois, je suis rempli d'une honte nationale quand je pense au peu que mes enfants, qui ont quitté Jérusalem il y a sept ans, connaissent de l'histoire palestinienne. Il est vrai que ma fille aînée est aujourd'hui active dans une organisation étudiante palestinienne, et que mon fils aîné prétend parfois qu'il refuse de parler avec les sionistes. Mais je ne suis pas sûr qu'ils puissent vraiment comprendre leur histoire s'ils n'ont jamais entendu parler des horreurs de la Nakba par ceux qui l'ont vécue, comme ma grand-mère qui m'a raconté avoir perdu son mari et la plupart de ses terres et n'avoir eu d'autre choix que de faire des travaux subalternes pour un immigrant juif. Mes enfants savent-ils seulement que leurs grands-parents maternels ont été contraints d'abandonner leur maison dans le village de Miska, près de Toulkarem, qui a été rasé pendant la guerre et dont les habitants ont été dispersés en Israël, en Cisjordanie, en Jordanie, en Allemagne et au Danemark ? Et si mes deux aînés comprennent encore l'arabe palestinien, mon plus jeune fils, qui n'avait que trois ans lorsque nous sommes arrivés aux USA, ne fait pas la différence entre l'arabe et l'hébreu et ne peut distinguer un Israélien d'un Palestinien.

« Mais je suis américain », dit-il, et je dois lui rappeler que non, nous attendons toujours des nouvelles des services d'immigration concernant notre statut de résident ; nous ne sommes encore que des visiteurs, rien n'est certain. Parfois, ma femme et moi nous moquons de notre petit dernier, qui se prend pour un Américain blanc, et nous nous demandons s'il n'est pas temps de lui dire qu'il est en fait un Arabe musulman. Mon petit Américain a pitié de moi lorsque je parle dans mon anglais maladroit. De temps en temps, il se moque de moi, mais en général, il essaie de corriger mon accent et de m'apprendre comment éviter de me ridiculiser avec des fautes de prononciation. Au bout d'un moment, il abandonne, secoue la tête et se rend compte qu'en matière d'accents, ses parents sont sans espoir : ils auront toujours l'air d'étrangers.

Et, de mon côté, je me demande souvent pourquoi nous aspirons à devenir des résidents des USA. Parce que nous sommes aussi des étrangers ici, et que nous serons toujours des immigrants, et pas toujours les bienvenus. Je repense aux mots de mes grands-parents : « Personne ne veut de réfugiés ». Chaque fois que j'ouvre la bouche, que ce soit dans un taxi, un restaurant ou lorsque je me fais couper les cheveux chez Great Clips, on me demande : « D'où venez-vous ? » Au début, je répondais « Jérusalem », une sorte de nom généralisé que les gens reconnaissaient sûrement sans avoir à entrer dans les nuances de Jérusalem-Ouest ou Jérusalem-Est, des Juifs et des Palestiniens. Mais j'ai changé de réponse assez rapidement. Aujourd'hui, je dis que je suis originaire d'Albanie. Contrairement au Moyen-Orient, très peu d'USAméricains connaissent l'Albanie ; ils ne savent pas si elle est bonne ou mauvaise. Cela semble suffisamment européen, et presque personne ne sait à quoi un Albanais moyen est censé ressembler ou quel genre d’accent il a.

Ainsi, aux USA, j'ai adopté l'Albanie comme pays d'origine - à tel point que j'ai commencé à suivre l'équipe de football albanaise et que j'ai accroché un drapeau albanais dans mon bureau. Lorsque quelqu'un me demande ce que je fais ici, j'ai tendance à expliquer que je suis juste un touriste - absolument pas un immigrant ou quelqu'un qui aspire à immigrer. Je suis un visiteur, un passant ; je suis juste venu dépenser un peu d'argent et reprendre l'avion pour mon beau pays. Je ne suis une menace pour personne, je ne suis pas venu ici pour changer les USA ou voler quoi que ce soit aux fiers USAméricains.

Mais qu'en est-il de mes enfants ? Ont-ils une chance de devenir de vrais USAméricains ? Et qu'est-ce que cela signifie ? S'agit-il d'un document, d'un passeport ? Cela leur donnera-t-il le sentiment d'appartenir à un pays et d'être protégés ? Ou seront-ils toujours dans la position défensive d'être des étrangers, craignant toujours la fureur des xénophobes ?

Je pense souvent que si nous devions organiser une grande fête, par exemple le mariage d'un de nos enfants, je n'aurais pas un seul USAméricain à inscrire sur la liste des invités. Je vis aux USA depuis sept ans et je ne peux toujours pas citer plus de trois personnes avec lesquelles je prends un café plus d'une fois par an. Alors pourquoi, dans ce cas, est-ce que je me bats pour mon droit de vivre dans cette diaspora ?

Peut-être est-ce le même chagrin d'amour et le même désespoir politique qui ont pris le dessus pendant la guerre de Gaza de 2014. Ou peut-être, illogiquement, est-ce le pouvoir du rêve usaméricain, aussi flou soit-il. Ou peut-être est-ce que, pour un citoyen palestinien d'Israël qui écrit en hébreu, il vaut mieux être clairement étranger, être exilé, volontairement ou non, plutôt que de vivre un exil forcé au cœur de sa patrie. Et peut-être est-ce parce que je ne veux pas assister à la destruction de ma patrie, parce que je veux m'accrocher aux histoires de ma grand-mère sur la Palestine, celle des raisins sucrés et des melons succulents, celle où j'aimerais retourner un jour, avec tous les autres réfugiés. 


 Réfugiés palestiniens rentrant dans leur village après la fin des combats, lieu inconnu, septembre 1948. Photo AFP via Getty Images

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