15/08/2021

GIDEON LEVY
On peut aussi détester Netanyahou et Bennett, mais pas aussi aveuglément

 Gideon Levy, Haaretz, 15/8/2021
Traduit par Fausto Giudice

Quelle ironie : les partisans de Benjamin Netanyahou, les bibiistes, se comportent exactement comme les détracteurs de l'ancien Premier ministre, le camp « Tout sauf Bibi ». Ils utilisent le même vocabulaire, les mêmes épithètes, affichent la même haine aveugle et automatique, la même focalisation sur le personnel, uniquement le personnel. Tout ce qui était détesté par les partisans de Netanyahou est maintenant utilisé contre Naftali Bennett (et Ayelet Shaked). Nous verrons bientôt des manifestations devant la résidence du Premier ministre, rue Balfour, avec les bandanas et les poupées gonflables. Le Satan Netanyahu a été remplacé par le Satan Bennett. 
 
À part ça, tout va bien. Et pourtant, on ne peut s'empêcher d'être stupéfait par l'ampleur de la haine envers Bennett, l'ancien partenaire du Likoud. En vérité, il faut souhaiter le succès aux deux camps. Une telle haine entre camps de droite ne peut être que satisfaisante. Sur ce, on peut s'interroger sur le faible niveau de la politique israélienne.

Le Premier ministre Naftali Bennett lors d'une réunion du gouvernement à Jérusalem, dimanche. Photo : Ohad Zwigenberg

Même si Bennett parvenait à éradiquer l'épidémie au cours des prochaines semaines, à annexer la zone C, à provoquer l'annulation de l'accord nucléaire avec l'Iran et le bombardement de ses installations nucléaires par les USA, à construire des dizaines de milliers de logements en Cisjordanie et à résoudre les problèmes de transport d'Israël, la droite continuerait à le considérer comme une canaille, un voleur, un individu corrompu, un escroc, un gauchiste et un destructeur de ce pays.

Cela vous semble familier ? C'est exactement la façon dont le camp « Tout sauf Bibi » a traité Netanyahou lorsqu'il était Premier ministre. Rien de ce qu'il faisait ou s'abstenait de faire n'était reconnu ou apprécié, même lorsqu'il le méritait. Tout ce qu'il touchait était automatiquement terrible et quiconque osait penser autrement était considéré comme un fan de Bibi. Aujourd'hui, Bennett est victime de la même haine politique aveugle. Il construit des milliers de logements pour les colons, avec une feuille de vigne sous la forme de quelques centaines de logements pour les Palestiniens - qui ne seront peut-être jamais construits - mais rien n'apaisera les autres droitiers.

On peut être impressionné par le fait que les partisans de Netanyahou n'ont pas rompu ou plié, et certainement pas fait de concessions, malgré sa perte du pouvoir. Certains mouvements se désagrègent après un tel échec. Pas eux. Ceux qui pensaient que le passage de Netanyahou dans l'opposition mettrait fin à son incroyable culte d'adoration ont eu tort. Le camp est resté fort même après que les boucles de son héros ont été rasées, du moins pour l'instant. Mais ceux qui considéraient le camp « Tout sauf Bibi » comme superficiel et creux doivent maintenant prêter attention au camp « Tout sauf Bennett ».

Le nouveau gouvernement n'est certainement pas une raison de se réjouir. L'aube d'un jour nouveau qui nous avait été promise avec le renversement du « tyran » ne s'est pas levée, et ne se lèvera pas. Ce que nous avons, c'est un autre gouvernement « de détail » axé sur sa survie, dépourvu de changement ou d'espoir. Mais de là à imputer tous les échecs de l'entreprise sioniste au gouvernement Bennett, après deux mois de mandat, il y a un fossé énorme.

Bennett n'est certainement pas un meurtrier, comme l'a qualifié le puissant député ultra-orthodoxe Moshe Gafni, et il n'est même pas responsable de la nouvelle épidémie de coronavirus. Lui et ses ministres font au mieux de leurs capacités limitées face à l'épidémie, alors que personne au monde ne sait ce qu'il faut faire pour y faire face.

La campagne de diffamation contre lui et son gouvernement ne repose sur rien d'autre que les affabulations du commentateur de la radio de l'armée Yaakov Bardugo, selon lesquelles il ne resterait que 30 000 doses de vaccin dans le pays. Les bibiistes gonflent l'épidémie et ses risques à des dimensions existentielles uniquement pour attiser la haine envers le gouvernement Bennett. Même le débat sur l'épidémie s'en tient strictement aux lignes coalition contre opposition.

On a évidemment le droit de haïr, c'est parfois justifié, voire vital. Il est permis et justifié, par exemple, de haïr les colons. Des gens qui abusent de leurs voisins d'une manière aussi méprisable et malfaisante, qui extorquent et menacent l'État tout en semant la peur dans son armée, qui volent et pillent, parfois même qui tuent, sont certainement l'objet d'une haine justifiée. On peut aussi haïr Netanyahou et Bennett, mais pas aussi aveuglément. On ne peut pas faire de la haine personnelle l'alpha et l'oméga. En Israël, il n'y a rien d'autre : on déteste l'un ou l'autre. Et si on essayait un moment d’être sérieux ?

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