Gideon Levy, Haaretz, 25/11/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Plusieurs faits sont incontestables : les
Palestiniens des territoires occupés depuis 1967, en particulier les ruraux,
sont une population en grand danger, sans défenseur. Ces derniers mois, leur
situation s'est aggravée. Les attaques des colons sont devenues plus violentes,
méthodiques et fréquentes, et leur vie est devenue un cauchemar. Il n'y a pas
un seul agriculteur palestinien qui n'ait pas peur de sortir pour travailler sa
terre, et beaucoup ont dû abandonner leurs parcelles par peur des colons.
Des colons masqués armés de
matraques (réglementaires) pour attaquer des Palestiniens et des militants, près de la ville de
Surif, aux environs d'Al Khali/Hébron, ce mois-ci. Photo : Shai Kendler
Les FDI, qui
sont responsables de leur sécurité, ne songent même pas à bouger pour les
défendre. Ses soldats restent là, protégeant presque toujours les attaquants, leur fournissant parfois des
armes. Le
haut commandement encourage cette conduite par son silence et son inaction, même
si récemment une directive de pure forme a dit le contraire. Il est peu probable
qu'elle soit mise en œuvre. La police israélienne ne fait rien non plus, et la
police de l'Autorité palestinienne n'est pas autorisée à lever le petit doigt
pour défendre sa population. Ainsi, la population est laissée plus sans défense
qu'elle ne l'a jamais été.
On peut bien sûr l'accepter en
haussant les épaules, comme on le fait pour toute la réalité de
l'apartheid,
et ne rien faire. Haïm Shadmi, journaliste et militant de la gauche radicale,
pense autrement. Il pense exactement comme les colons : puisque les FDI ne font
pas assez pour protéger les habitants, une autre force doit entrer en jeu.
C'est ainsi que sont nées les milices de colons, dont le bras juridique
s'appelle les "ravshatzim" (acronyme hébreu pour "coordinateurs
de la sécurité militaire permanente"). Elles sont payées par l'État,
armées par l'armée et autorisées à faire presque n'importe quoi au
nom de la protection des colonies.
Et en effet, ils le font. Ils
terrorisent les Palestiniens, blessant parfois des innocents, au nom de
l'autodéfense. L'organisation "Hashomer Hachadash" a vu le jour dans
un but similaire : là où la police n'en fait pas assez, une organisation civile
a vu le jour en Israël avec une unité montée sur jeeps, une unité de motards et
une unité de supplétifs volontaires de la police des frontières ; exactement ce
dont la brutale police des frontières officielle avait besoin. « L'État
d'Israël ne protège pas ses terres - nous protégeons les terres de l'État pour
lui », déclare la page d'accueil du site ouèbe de l'organisation.
Shadmi pense de la même façon
: une population sans défense doit être défendue. Sa conscience est éveillée : la
gauche doit se lever pour défendre les personnes attaquées. C'est d'ailleurs ce
que certains Blancs, dont de nombreux Juifs, ont fait en Afrique du Sud à
l'égard de la population noire. Imaginez la lâcheté des voyous colons face à
des Israéliens armés, vétérans de Tsahal, qui leur tiendraient tête.
Haim Shadmi
(de sa page Facebook)
Lors d'un symposium de la
Knesset sur la violence des colons organisé par la gauche cette semaine, Shadmi
a fait part de sa proposition : « Si vous ne pouvez pas le faire »,
a-t-il dit aux députés, « s'il vous plaît, donnez-nous l'autorité
d'utiliser des armes. Nous ferons le travail pour les Palestiniens et
protégerons la vie humaine ». En d'autres termes, "ravshatzim",
ou Hashomer Hachadash, sous les auspices de l'État, pour défendre les sans-défense.
Shadmi a ajouté : « Nous ne ferons de mal à personne », mais, à ce
stade, personne ne voulait entendre quoi que ce soit.
Le tumulte était révélateur. Il ne faut pas
parler comme ça. Le premier était le membre le plus à gauche, le plus arabe du
gouvernement de centre-gauche, Issaoui Freige [ministre de la Coopération
régionale, parti Meretz, né à Kafr Qassem, où son grand-père a été assassiné
par la police des frontières en octobre 1956 avec 48 autres Palestiniens, NdT].
« C'est déplacé. Vous êtes allés trop loin, trop loin, trop loin ».
Pourquoi déplacé ? Et qui est allé trop loin ? Et qui va protéger vos frères
dans les territoires ? Puis est venu le barouf on line, de gauche et de
droite, violent, hyperbolique, incendiaire, déformant les mots de Shadmi : la
gauche menace de meurtre.
La touche comique a été apportée par le
président du Conseil des colonies de Yesha [Judée, Samarie et Gaza], David
Elhayani, qui a demandé au commissaire de police de « placer Shadmi en
détention pour l'interroger sur les menaces et l'incitation au meurtre ».
Le si sensible Elhayani, qui en connaît un bout sur la violence, est effrayé
par les menaces de la gauche. C'est drôle.
Presque personne
n'a soutenu la proposition de Shadmi, l'une des plus pertinentes à être
soulevée à gauche ces dernières années. S'il y avait une gauche, c'est ce
qu'elle aurait dû faire depuis longtemps. Le problème avec cette armée du salut
imaginaire, qui ne sera jamais créée : qui s'y portera volontaire ? Les enfants allumeurs
de bougies [tradition d’Hanoukka, étendue à tout rassemblement commémoratif
d’Israéliens « progressistes », NdT] ? Les supporters d’Hapoel [équipe
de foot de Tel Aviv, dont les supporters sont en majorité ashkénazes et de
gauche, NdT]? Les jeunes du Meretz ?