La vaste campagne de propagande menée par le bureau du Premier ministre vise à convaincre l’opinion publique israélienne que l’establishment de la défense est le seul responsable de l’échec, et à empêcher la création d’une commission d’enquête publique. Une seule chose fait obstacle à cette ligne de défense : les faits.
La carrière politique de Bibi, par Manny Francisco, Philippines
Les enquêtes menées par le service de sécurité Shin Bet et la police israélienne, qui menacent d’impliquer plusieurs personnes au sein du cabinet du Premier ministre, tournent autour d’une seule question principale : les efforts déployés par les membres du cercle rapproché de Benjamin Netanyahu pour le dédouaner de toute responsabilité dans les échecs qui ont conduit au massacre du 7 octobre de l’année dernière et, plus tard, des accusations selon lesquelles il aurait délibérément fait échouer un accord pour la libération d’autres otages. La vaste campagne d’influence menée par le cabinet du Premier ministre depuis le début de la guerre avec le Hamas dans la bande de Gaza vise à persuader le public israélien et à empêcher la création d’une commission d’enquête nationale sur l’événement. Une partie de l’affaire a fait l’objet d’une enquête criminelle et ravive des tensions de longue date entre Netanyahou, d’une part, et les forces de l’ordre et les hauts gradés de la défense, d’autre part. Ronen Bergman a rapporté dans Yedioth Aharonot lundi que l’enquête se concentre sur ce que le cabinet du Premier ministre savait de l’opération carte SIM avant le déclenchement de la guerre. Comme cela a été rapporté, le Shin Bet a surveillé des centaines de cartes SIM installées dans les téléphones portables des membres du Hamas à Gaza. Ces cartes devaient permettre aux militants de diffuser des vidéos de l’attaque directement dans la bande de Gaza et de communiquer avec leurs membres après leur passage en Israël. L’activation des cartes SIM était connue en Israël pour signaler une attaque imminente du Hamas - et le Shin Bet savait qu’elles étaient utilisées dans les heures précédant l’aube du 7 octobre. Ce fait, ainsi que les changements de localisation des responsables et des principaux activistes du Hamas, ont été la principale raison des consultations menées par le chef d’état-major des FDI, Herzl Halevi, et le chef du Shin Bet, Ronen Bar, dans les heures qui ont précédé l’attaque. La ligne de défense publique de Netanyahou est la suivante : « Personne ne m’a prévenu ». Selon sa version des faits, le Shin Bet et Tsahal ne l’ont pas informé avant qu’un barrage massif de roquettes ne s’abatte sur Israël à 6h29 le 7 octobre, et il n’est donc pas responsable de la débâcle. Ses partisans et leurs porte-parole sur les réseaux sociaux et dans les médias ont formulé des allégations plus graves : les renseignements ont été intentionnellement cachés au premier ministre. Ils laissent entendre que cela est lié aux tensions entre Netanyahou et l’establishment de la défense au sujet de la réforme judiciaire et de la menace de milliers de réservistes de ne pas se présenter à leur poste en signe de protestation. Le mois dernier, Omri Maniv de Channel 12 News a rapporté que le Shin Bet avait effectivement publié une mise à jour concernant l’activation des cartes SIM à 2h58 du matin, par le biais d’un réseau informatique qui fournit des informations simultanément au Conseil de sécurité nationale (qui rend compte directement au Premier ministre) et à la police israélienne. L’avertissement était accompagné d’une déclaration indiquant qu’il pouvait s’agir d’une préparation à une attaque du Hamas. Plus tard, Bar a décidé d’envoyer deux équipes d’intervention rapide (« Tequila ») dans la zone frontalière de Gaza, mais bien que les évaluations aient continué à parler d’une présence du Hamas le long de la frontière, elles ne prévoyaient pas une attaque simultanée sur des dizaines de sites. Une autre alerte concernant les cartes SIM et d’autres développements inquiétants a été transmise au secrétaire militaire de Netanyahou, le général de division Avi Gil, par le Shin Bet quelques minutes avant le début de l’attaque. Gil en a discuté par téléphone avec Netanyahou au milieu de la première série de tirs de roquettes ; ils ont eu une seconde conversation environ 11 minutes plus tard. Au cours des trois heures et demie qui ont précédé le début de l’attaque, le bureau du Premier ministre a été tenu informé par deux canaux différents : le Conseil de sécurité nationale et son secrétaire militaire. On ne sait toujours pas exactement quand Gil a été mis au courant et si les informations lui ont été communiquées en temps utile par l’intermédiaire de son conseiller en renseignement, le colonel S. Netanyahou a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’avait entendu parler pour la première fois des événements de cette nuit-là que lors de la conversation qui s’est déroulée à 6h29. Son bureau a même cherché à nier qu’il était au courant du suivi des cartes SIM, et a été contraint de se rétracter lorsqu’il est apparu clairement que cette affirmation était sans fondement. Quoi qu’il en soit, l’enquête semble montrer que le Shin Bet a tenté d’informer l’équipe de. Netanyahou sur les deux canaux dans les heures qui ont précédé le massacre. Cela contredit la ligne de défense de Netanyahou, qui affirme que l’information lui a été cachée. On peut donc soupçonner que ce n’est pas l’imaginaire « État profond », les FDI et le Shin Bet qui lui ont délibérément refusé l’information ; ce sont plutôt des problèmes dans sa propre cour - son secrétaire militaire et le Conseil de sécurité nationale - qui ont empêché sa transmission rapide. Si tout ce qui s’est passé cette nuit-là est une absence de rapport, ce n’est pas criminel en soi. Mais cela met en évidence des problèmes opérationnels au sein du cabinet du Premier ministre et sape les efforts déployés pour transférer la responsabilité au Shin Bet. Cela explique probablement les tensions croissantes entre Netanyahou et Bar. Pour Netanyahou, Bar et ses collaborateurs sont les premiers responsables de l’échec, mais au lieu de tomber à bras raccourcis sur le Premier ministre, ils sont engagés dans les enquêtes en cours sur son bureau (les partisans de Netanyahou laissent même entendre qu’ils extorquent des aveux contre lui à ceux qui font l’objet de l’enquête). Le Shin Bet mène une autre enquête sur l’affaire du vol d’informations sensibles des services de renseignement militaire, qui ont ensuite été divulguées aux médias étrangers. L’enquête a conduit à l’arrestation par le Shin Bet d’Eli Feldstein, l’un des porte-parole du premier ministre, un fait que le cabinet du premier ministre a également tenté de nier dans un premier temps. En outre, quatre autres officiers du renseignement militaire et du Shin Bet ont également été arrêtés. D’autres membres du cabinet du premier ministre et des personnalités qui lui sont proches pourraient être convoqués pour être interrogés. Le Premier ministre et son entourage sont confrontés à un mouvement de tenaille mené par le Shin Bet. Ceci explique probablement les menaces de limogeage de Bar qui ont émergé la semaine dernière. Le chef du Shin Bet est aussi celui qui a parlé le plus fort dans les discussions internes sur la nécessité de parvenir rapidement à un accord sur les otages avec le Hamas. Bar a récemment répété aux ministres qu’un accord était à portée de main, ce que nie Netanyahou. Lundi, un autre haut fonctionnaire de la défense a démissionné : Le bureau du nouveau ministre de la défense, Israel Katz, a annoncé que le général de division (à la retraite) Eyal Zamir, directeur général du ministère et nommé par Yoav Gallant, avait demandé à démissionner. Jusqu’à récemment, le nom de Zamir avait été cité comme l’un des principaux candidats à la succession de Halevi en tant que chef d’état-major. Fermeture pour travaux Entre-temps, plusieurs personnes impliquées dans l’affaire des procès-verbaux falsifiés ont fait des déclarations. La tentative présumée de modifier les heures officielles des entretiens que Netanyahou a eus avec Gil et d’autres personnes, dans les premières heures qui ont suivi l’attentat du 7 octobre, constitue une infraction pénale évidente. On soupçonne des personnes de l’entourage du premier ministre d’avoir tenté de modifier les documents pour « améliorer » sa ligne de défense vis-à-vis du 7 octobre et pour en faire porter la responsabilité à l’establishment de la défense. Entre-temps, un différend est apparu entre le bureau du procureur de l’État et la police au sujet de l’enquête. Le premier a l’impression que la police, qui est contrôlée par le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, est influencée par son désir de minimiser les allégations faisant l’objet de l’enquête et de s’assurer qu’elle ne mette pas en danger le premier ministre. Netanyahou a pris la peine de publier lundi une vidéo dans laquelle il affirme que son bureau « fait l’objet d’attaques sauvages et incontrôlées, alors que le gouvernement et le cabinet que je dirige s’efforcent constamment de repousser nos ennemis qui cherchent à nous détruire ». En plus d’envoyer un message aux autorités chargées de l’enquête, il semble qu’il tente de faire savoir à son peuple qu’il continue à le soutenir et qu’il ne le renoncera pas. Dans le même temps, quelqu’un s’est assuré de divulguer aux médias que Feldstein coopère effectivement avec les enquêteurs, bien qu’il n’ait pas signé d’accord pour livrer les preuves de l’État. Les personnes qui se sont entretenues avec Netanyahou lundi ont indiqué qu’il était très inquiet au sujet de l’enquête. Lors d’une réunion avec le cabinet de sécurité, il a attaqué la procureure générale Gali Baharav-Miara en réponse aux informations de presse selon lesquelles elle avait l’intention de soutenir le licenciement de Ben-Gvir et a averti que ce serait « un court chemin vers une crise constitutionnelle ». Netanyahou utilise son implication dans la guerre comme excuse pour une nouvelle tentative, attendue de longue date, de retarder son témoignage dans son procès pénal. Celui-ci était prévu pour le 2 décembre, mais il demande qu’il soit reporté de deux mois et demi. Ses avocats avancent deux arguments principaux : la première est qu’il n’a pas eu le temps de préparer son témoignage en raison d’une « série d’événements extraordinaires », notamment l’escalade de la guerre à Gaza et au Liban. La seconde est qu’en témoignant dans le bâtiment non protégé du tribunal de district de Jérusalem, il risquerait d’être victime d’une tentative d’assassinat. Ils ont cité le drone du Hezbollah qui a frappé la résidence privée de Netanyahou à Césarée le mois dernier (la famille n’était pas à la maison), endommageant la fenêtre de la chambre du couple. Il serait intéressant de savoir si une telle demande de sécurité pourrait être soulevée par un citoyen ordinaire cherchant à être exempté de comparaître devant un tribunal de Haïfa ou d’Acre (bien qu’il s’agisse ici d’un risque posé à Netanyahu personnellement). Les avocats du premier ministre affirment notamment qu’il était occupé en août par des négociations sur les otages. Les cyniques diront qu’à l’époque, Netanyahou et ses collaborateurs étaient surtout préoccupés par l’échec d’un accord, comme l’a révélé la fuite dans le journal allemand Bild, qui est au centre de l’enquête Feldstein. Quant à l’affirmation selon laquelle la guerre prend tout le temps de Netanyahou, cela ne l’a pas empêché, au cours des deux derniers mois, de trouver le temps d’évincer Gallant, de relancer la réforme judiciaire et de passer de nombreuses heures à trouver un moyen de donner une sanction légale à l’évitement de la conscription par les Haredim [juifs orthodoxes exemptés de service militaire, NdT], alors même que les réservistes s’effondrent sous l’effet de la tension due à des mois de service interminables.
*Shiv’ah (שבעה hébreu pour « sept » ) est le nom de la
période de deuil observée dans le judaïsme par sept catégories de personnes
pendant une semaine de sept jours à dater du décès ou de l’enterrement d’une
personne à laquelle ces personnes sont apparentées au premier degré, où elles
sont soumises à différentes règles rompant leur quotidien habituel.
Le 7 octobre
2023 est passé ; le 7 octobre 2024 passera lundi. Il y a un an, cette journée a
déclenché des catastrophes d’une ampleur qu’Israël n’avait jamais connue et a
changé le pays. Israël s’est arrêté le 7 octobre 2023, l’a adopté depuis et a
refusé de lui dire au revoir.
Enterrement
de Nadav et Yam Goldstein-Almog, tués le 7 octobre, au kibboutz Shefayim. Photo
Tomer Applebaum
L’ampleur
de la catastrophe pourrait l’expliquer, mais on ne peut s’empêcher de
soupçonner que l’engagement obstiné, incessant et singulier à l’égard du 7
octobre, sans reprendre son souffle et sans laisser de place à quoi que ce soit
d’autre, a d’autres objectifs. Pour les Israéliens, le 7 octobre justifie tout
ce qu’Israël a fait depuis. C’est leur certificat de cacherout.
Se complaire
dans notre désastre nous empêche de nous positionner face aux désastres que
nous avons ensuite infligés à des millions d’autres
personnes.
La
vie de nombreux Israéliens s’est arrêtée le 7 octobre ; elle a été
bouleversée et détruite. Il suffit de lire les remarques déchirantes d’Oren
Agmon, qui a perdu son fils (Uri Misgav, Haaretz en hébreu, 2 octobre). Non
seulement c’est un devoir de mémoire, mais il est impossible d’oublier cette
atrocité.
Mais avant l’anniversaire,
le temps est venu de guérir un peu, d’ouvrir les yeux sur ce qui s’est passé
depuis. Il faut admettre, tardivement, que lorsqu’on parle de « massacre », il
ne s’agit pas seulement de celui du 7 octobre. Celui
qui a suivi est bien plus grand et bien plus horrible.
L’attachement
d’Israël à son deuil a des racines profondes. Nous avons été élevés dans cette
optique. Aucune autre société ne pleure ses morts de la sorte. Il y a aussi
ceux qui associent le deuil aux médias et au système éducatif - ils disent que
cela unit un peuple.
Dans les
années 1960, nous chantions « Dudu » et pleurions un soldat que nous ne
connaissions pas, sous l’égide de nos guides suprêmes. Israël possède plus de
monuments commémoratifs que n’importe quel autre pays de sa taille et de son
nombre de victimes : un monument pour huit morts, alors que l’Europe, qui a
enterré des millions de ses enfants, compte un monument pour 10 000 morts.
Chaque
mort est une perte; la mort d’un jeune homme l’est encore plus. Il n’est
pas certain que la mort d’un fils par maladie ou accident soit plus facile à
vivre pour ses parents et amis que sa mort au combat. On peut supposer que si
le jeune Adam Agmon était mort d’un anévrisme, son père n’en aurait pas moins
pleuré.
L’industrie
du mythe a poussé sa mort plus loin. Elle a imposé un deuil national à tout le
monde, et de manière encore plus forcée au cours de l’année écoulée. Dans le
même temps, elle a empêché de traiter le deuil d’une autre nation et a même
interdit de le reconnaître. Pour Israël, un tel deuil n’existe pas, et
quiconque s’obstine à soutenir le contraire est un traître.
Il est
étonnant qu’un pays en deuil absolu ose nier de manière aussi éhontée l’existence
d’un autre deuil et le considère comme illégitime.
Même les
Russes aiment leurs enfants, chantait Sting, mais dites-le aux Israéliens qui
sont convaincus que les Palestiniens n’aiment pas les leurs. J’ai couvert le
deuil du peuple palestinien pendant des décennies et je peux affirmer avec
force qu’ils pleurent comme nous. Les parents endeuillés sont des parents
endeuillés, mais vous ne pouvez même pas dire ça aux Israéliens, surtout pas au
cours de l’année écoulée, alors qu’ils sont recroquevillés sur leur deuil et ne
veulent rien entendre d’autre.
L’année
écoulée, une année de grand deuil, a élevé ces tendances à des niveaux
méconnaissables. Une année d’histoires déchirantes d’otages et de récits d’héroïsme
suprême incessant, de mort, d’héroïsme et d’un peu de kitsch. Je ne veux pas
prendre à la légère la douleur individuelle et nationale, mais lorsqu’elle
devient presque le seul sujet, pendant une période aussi longue, il semble qu’elle
soit destinée à distraire et à détourner l’attention de l’essentiel.
Des Gazaouis
devant les corps enveloppés de proches tués lors d'un bombardement israélien
sur Gaza dans la nuit du 2 au 3 octobre. Photo : Omar Al-Qattaa/AFP
J’ai la
gorge serrée lorsque je lis les mots nobles et émouvants d’Oren Agmon. Ma gorge
se serre tout autant en entendant des pères endeuillés en Cisjordanie et à
Gaza.
À la fin
d’une année de deuil, il est nécessaire de sortir de la shiva’h du 7 octobre et
de commencer à regarder vers l’avant, vers un endroit où nous pouvons aller -
dont personne ne sait où il se trouve - au lieu de n’entendre que les mots de l’héroïsme
d’Israël et de son deuil sempiternel.
Surprise,
surprise ! La résistance palestinienne violente en Cisjordanie relève la tête.
Les monstres humains se sont réveillés de leur sommeil et ont commencé à
exploser. Les kamikazes sont de retour et les nombreux experts israéliens ont
une explication savante : c’est l’argent iranien. Sans lui, la Cisjordanie
serait calme. Avec cet argent, les gens sont prêts à se suicider juste pour
mettre la main dessus. C’est la pieuvre iranienne qui est en cause.
Des
soldats israéliens près d’un véhicule militaire lors d’un raid israélien dans
le camp de Nour Chams à Tulkarem, en Cisjordanie, jeudi 29 août. Photo :
Mohamad Torokman/Reuters
Comme c’est
facile de tout attribuer à l’Iran. Les Israéliens adorent ça. Il y a un diable,
il est iranien et il est responsable de tout. Il y a peut-être de l’argent
iranien, peut-être pas, mais l’intensification de la lutte est l’évolution la
plus prévisible et la plus compréhensible, compte tenu de ce qui s’est passé en
Cisjordanie au cours des 11 mois de la guerre de Gaza. La seule surprise est
que cela ne se soit pas produit plus tôt.
Au cours des
11 mois de guerre, Israël a déchiré la Cisjordanie, comme il le fait
actuellement avec les routes de
Tulkarem et de Jénine; il n’en reste rien. C’est la période la plus difficile que
les Palestiniens aient connue depuis l’opération “Bouclier défensif” en 2002, d’autant
plus difficile qu’elle se déroule à l’ombre d’une autre attaque, plus barbare,
à Gaza. Contrairement à l’opération “Bouclier défensif”, l’assaut actuel n’a ni
raison ni justification. Israël a exploité la guerre à Gaza pour mettre le souk
en Cisjordanie. La réponse a été tardive, mais elle est maintenant arrivée.
Cette
fois-ci, l’assaut israélien s’appuie sur deux armes : l’armée, le Shin Bet et
la police des frontières d’une part, et les milices de colons violentes d’autre
part. Les deux armes sont coordonnées ; elles ne se gênent pas l’une l’autre.
Elles se fondent parfois l’une dans l’autre, lorsque les Sturmtruppen
des avant-postes revêtent des uniformes - ce sont les « équipes d’intervention
d’urgence », qui légitiment tous les pogroms. L’armée se garde bien d’intervenir,
que ce soit lors de petits ou de grands incidents.
Dans ce
contexte, une déclaration d’une source
militaire de haut rang qui a mis en garde contre la violence des colons au
cours du week-end a exprimé un culot inouï. « La terreur juive porte gravement
atteinte à la sécurité en Cisjordanie », a déclaré cette source, dont les
forces auraient pu et dû mettre fin à la terreur juive il y a longtemps. Il n’y
a pas eu un seul pogrom auquel les soldats n’ont pas assisté et n’ont rien fait
pour l’arrêter. Parfois, ils y participent - et l’officier supérieur ose le
déplorer.
Le 7 octobre
n’a pas été seulement un jour de calamité pour nous Israéliens, il l’a été
aussi pour les Palestiniens. Il n’y a pas de mots pour décrire ce qu’Israël a
fait dans la bande de Gaza, mais il ne s’est pas arrêté non plus en
Cisjordanie, avec l’encouragement des membres du cabinet kahaniste et le
silence du premier ministre, des autres ministres et de l’opinion publique.
Ces
dernières semaines, j’ai visité Jénine, Tulkarem, Qalqilyah, Ramallah et
Hébron. Rien ne ressemble à la réalité du 6 octobre, même si la Cisjordanie n’a
joué aucun rôle dans l’attaque du 7 octobre. Le 8 octobre, trois millions de
Palestiniens se sont réveillés dans une nouvelle réalité, sans que la
précédente ait été humaine ou légitime. Avec la passion de la vengeance et de
la saisie d’opportunités, la botte israélienne a écrasé sans pitié la nuque de
la Cisjordanie.
Des dizaines
de milliers d’hectares ont été expropriés et spoliés au cours de ces mois ; il
ne reste plus guère de colline en Cisjordanie sans drapeau israélien ou sans
avant-poste qui sera un jour une ville. Les barrages routiers sont également
revenus en force. Il est impossible de se déplacer d’un endroit à l’autre en
Cisjordanie sans les rencontrer et y poireauter, humilié, pendant des heures.
Il est impossible de planifier quoi que ce soit dans une réalité où au moins
150 000 personnes ont perdu leurs moyens de subsistance, après que le travail
en Israël leur a été complètement interdit. Tout le monde a été pénalisé pour
le 7 octobre. Onze mois sans salaire laissent des traces. À quoi vous
attendiez-vous ?
Il y a
maintenant un nouveau venu : le drone. À l’ombre de la guerre, l’armée de l’air
a commencé à tirer sur la Cisjordanie, densément peuplée. Selon les chiffres de
l’ONU, 630 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie depuis le début de la
guerre, dont 140 dans 50 frappes
aériennes. Ce qui est autorisé à Gaza l’est désormais en Cisjordanie. Les
soldats ont intériorisé ce fait et leur comportement à l’égard des Palestiniens
a changé en conséquence. Si nous ne sommes pas à Gaza, comportons-nous au moins
comme si nous y étions. Demandez à n’importe quel Palestinien ce qu’il a vécu.
Le désespoir n’a jamais été aussi grand.
Et après
tout ça, il ne devrait pas y avoir de terror ?
NdT
*Terrorisme
se dit en hébreu israélien moderne « טרור » [« terror »]. C’est le terme généralement
utilisé pour qualifier tout acte de résistance palestinien, armé ou non.
“Armes
palestiniennes saisies en Cisjordanie et à Gaza”, un dessin de 1988 d’Etta Hulme (1923-2014)
Entretemps, le président
Isaac Herzog devrait mettre à la poubelle le plan de la ministre des Transports
et ancienne générale de brigade Miri Regev pour la cérémonie d’hommage aux
communautés de la frontière de Gaza, un an après le 7 octobre.
La réunion de vendredi 23
août avec les femmes qui ont survécu à la captivité à Gaza mais qui ont encore
des proches détenus par le Hamas a duré trois heures. Des fuites audio de ces
conversations, qui ont été diffusées sur Canal 12, ont révélé un Benjamin
Netanyahou imperméable, sans cœur et totalement insensible.
À ses côtés était assise la
personne qui a loyalement joué son rôle historique de partenaire égoïste,
désengagée et pathétique. Son mari a été accusé de mentir, de fuir ses
responsabilités, de ne pas s’excuser (« Je me suis excusé », a-t-il menti. Il a
seulement exprimé des regrets - en anglais).
Après la réunion, les otages
libérés Yocheved Lifshitz et Elena Troufanov ont déclaré que Netanyahou les
avait regardés dans les yeux et leur avait dit qu’il ferait tout ce qui était
en son pouvoir pour leur rendre leurs proches (Oded, le mari de Yocheved, et
Sasha, le fils d’Elena).
Mais d’autres déclarations qu’il
a faites, et qui ont été diffusées plus tard, ont donné l’impression contraire.
Netanyahou n’est pas étranger aux
métaphores stupéfiantes. Il a un jour comparé le fait de devoir quitter la
résidence du Premier ministre après avoir perdu une élection aux colons qui ont
été délogés de leurs maisons lors du retrait de Gaza. Il a également comparé ses
négociations indirectes avec le chef
du Hamas, Yahya Sinwar, à ses discussions avec la fédération syndicale
Histadrout lorsqu’il était ministre des Finances.
Vendredi, la fille d’un otage
lui a dit : « Je veux qu’ils soient là ! « Je veux qu’ils soient là ! » Il lui
a répondu : « Et je veux marcher en ligne droite jusqu’en Italie ». Il a
ensuite poussé le sarcasme encore plus loin : « S’il faut assécher la mer,
faisons-le, où est le problème ? »
Où va-t-il chercher tout ça ?
Si l’armée israélienne doit quitter brièvement le corridor
Philadelphie à la frontière sud de Gaza, est-ce comparable à l’assèchement
de la mer ? S’il arrive à ses fins, il n’y aura pas d’accord, les otages
mourront dans d’atroces souffrances, le
Hezbollah attaquera et une guerre régionale pourrait s’ensuivre.
Et lorsqu’un survivant de la
captivité s’en prend à lui : « Vingt personnes sont entrées vivantes, vous avez
ramené 20 morts », il a répondu : « Mais 116 autres ont été libérés ».
Qu’est-ce que cela signifie ?
Que dans tout mal il y a du bien ? Et lorsqu’une personne présente à la réunion
a demandé : « Signez un accord qui les ramènera chez eux », il a répondu : «
Quel accord ? Quel accord ? » Ses auditeurs étaient sous le choc.
Sara
n’a pas déçu non plus. Elle n’a pris personne dans ses bras, n’a consolé
personne, n’a exprimé aucune empathie, sauf pour une personne : son mari.
Elle était là pour une seule
raison : le défendre et salir l’armée (il vaut mieux que ce soit elle qui le
fasse). Ils se sont partagé le travail. Il a marmonné quelque chose comme « un
blâme qui sera partagé à l’avenir », et elle a ajouté : « L’armée ne lui a rien
dit. Comment aurait-il pu savoir ? »
Si elle parle de la nuit
précédant le 7 octobre, elle a raison. Mais à quatre reprises l’année dernière,
il a été averti que les
efforts de son gouvernement pour saper le système judiciaire divisaient la
nation, l’affaiblissaient, nuisaient à la dissuasion d’Israël et invitaient ses
ennemis à l’attaquer.
Il a refusé d’écouter. Il s’est
moqué des gens, les a écartés et les a méprisés. Sara, quant à elle, a informé
les familles de la défense attendue du premier ministre devant une commission d’enquête
(qu’il ne créera pas).
Vous vous trompez si vous
pensez que Sara, face à des gens dont le monde entier s’est effondré, va cesser
de penser à elle-même.
Lorsque le mot « mensonges »
a été prononcé, elle a rejoué son monologue de victime destiné à rappeler à
tout le monde qu’elle est psychologue - « un B.A. et un M.A. » - et que lorsqu’elle
était étudiante, elle n’avait pas d’autre choix que d’aller à l’école. - et que
lorsqu’elle était étudiante, aucun mensonge n’a été proféré à son sujet, comme
c’est le cas depuis qu’elle est devenue l’épouse du Premier ministre. Pour
elle, la réunion a atteint son but.
Le show de Sara et
Miri
Au cours du week-end, le président
Isaac Herzog a lancé à Netanyahou une bouée de sauvetage pour le protéger
de ce qui s’annonce comme la mère de toutes les mésaventures : une veillée
commémorative le 7 octobre, coordonnée par l’une des politiciennes israéliennes
les plus clivantes, les plus grossières et les plus détestées. La cérémonie
sera boycottée par la majeure partie du public, et en
particulier par les personnes qu ‘elle est censée honorer.
Herzog a formulé sa lettre à
Netanyahu de manière très polie, peut-être trop polie. Mais le message ne
pouvait pas être confondu : pas touche, surtout pas à Miri
Regev, que Netanyahou a nommée pour diriger la commémoration du jour le
plus horrible de l’histoire d’Israël.
Herzog a présenté au public l’option
la plus saine, en fait la seule : chaque communauté marquera la journée à sa
manière (comme c’est le cas pour les autres journées de commémoration en
Israël). De plus, la cérémonie principale aura lieu à la résidence du président
à Jérusalem.
« Sans aucun élément
politique », a écrit Herzog, exprimant (de l’avis du soussigné) son dégoût,
partagé par de nombreux Israéliens, face à l’intention de Regev d’utiliser l’événement
pour un discours du chef de gouvernement qui nous a conduits à la catastrophe.
Un premier ministre sain d’esprit
et responsable aurait saisi la bouée de sauvetage et dit à Regev que « le
président fait pression sur moi, je n’ai pas le choix », mettant ainsi fin à cet
opéra tragi-comique.
Mais notre premier ministre n’est
plus sain d’esprit depuis longtemps et, comme nous le savons, il ne prend pas
de décisions tout seul. En matière de cérémonies, d’honneurs et de photos, le
dernier mot revient à quelqu’un qui doit être obéi. Et Sara
Netanyahou n’est pas quelqu’un qui renoncerait facilement à ce que Regev
prévoit pour le couple.
En supposant que le plan du
président soit rejeté, Herzog devrait simplement annoncer que la cérémonie se
déroulera exactement comme il le propose. La réalité s’imposera et la cérémonie
de Regev sera jetée à la poubelle.
Mme Regev dirige la
commission des cérémonies et des symboles ; elle a convoqué une réunion de
cette commission pour le 10 septembre. D’ici là, le président, les communautés
dévastées et les faiseurs d’opinion publique diront ce qu’ils ont à dire.
Lorsque Mme Regev se rendra compte que la cérémonie du 27 octobre, date
correspondant à l’anniversaire selon le calendrier hébraïque, sera un échec
cuisant, elle abandonnera.
En ce qui concerne les
façonneurs d’opinion publique, le chanteur-compositeur
Idan Amedi a publié ce week-end un message reprochant à Mme Regev ses
remarques grossières sur les communautés qui lui ont dit qu’elles ne
participeraient pas à la cérémonie. Elle a qualifié leurs critiques de « bruit
de fond » et a comparé les cérémonies prévues par des kibboutzim tels que Be’eri,
Nir Oz et Kfar Azza à la cérémonie annuelle conjointe (et souvent vilipendée)
organisée par les familles palestiniennes et israéliennes endeuillées.
Entre-temps, le journaliste
Hanoch Daum a annoncé qu’il n’animerait pas la cérémonie officielle, mais
plutôt celle organisée par les victimes. Amedi, avant et après avoir été
grièvement blessé lors des combats à Gaza, fait partie du consensus national.
Il n’est certainement pas un manifestant gauchiste ou un membre du groupe «
Frères et sœurs d’ armes ». Et Daum est un religieux de droite.
Les médias bibistes qui se
sont mobilisés pour vilipender les opposants à la cérémonie honteuse de Miri et
Sara auront du mal à inciter les gens à s’opposer à Amedi et Daum. Si
Netanyahou n’écoute pas le président, il devrait au moins écouter ces deux-là.
Ils représentent une partie importante de ses électeurs.
Violences,
humiliations, surpopulation effroyable, cellules froides et stériles, entraves
pendant des jours. Un Palestinien qui a passé trois mois en détention
administrative israélienne pendant la guerre de Gaza décrit son expérience de
la prison d’Ofer.
Munther Amira, chez lui dans le camp d’Aida cette
semaine, après sa libération de la prison d’Ofer. « J’avais déjà été à
Ofer, mais ça n’avait jamais été comme ça ».
Munther
Amira a été libéré de “Guantanamo”. Il avait déjà été arrêté à plusieurs
reprises par le passé, mais ce qu’il a vécu lors de son incarcération dans une
prison israélienne pendant la guerre de Gaza ne ressemble à rien de ce qu’il a
pu vivre auparavant. Un ami qui a passé 10 ans dans une prison israélienne lui
a dit que l’impact de sa propre incarcération au cours des trois derniers mois
équivalait à 10 ans de prison en temps “normal”.
Le
témoignage détaillé qu’Amira nous a livré cette semaine dans sa maison du camp
de réfugiés d’Aida, à Bethléem, était choquant. Il a exprimé son calvaire avec
son corps, s’agenouillant à plusieurs reprises sur le sol, décrivant les choses
dans les moindres détails, sans aucun sentiment, jusqu’à ce que les mots
deviennent insupportables. Il était impossible de continuer à écouter ces
descriptions atroces.
Mais il
semblait avoir attendu l’occasion de raconter ce qu’il avait enduré dans une
prison israélienne au cours des derniers mois. Les descriptions se succédaient
sans interruption - horreur sur horreur, humiliation sur humiliation - à mesure
qu’il décrivait l’enfer qu’il avait vécu, dans un anglais courant entrecoupé de
termes hébraïques relatifs à la prison. En trois mois, il a perdu 33 kilos.
Deux
grandes photos trônent dans son salon. L’une représente son ami Nasser Abu
Srour, emprisonné depuis 32 ans pour le meurtre d’un agent du service de
sécurité du Shin Bet ; l’autre le représente le jour de sa libération, il y a
exactement deux semaines. Cette semaine, Amira est apparu physiquement et
mentalement résilient, semblant être une personne différente de celle qu’il
était le jour de sa sortie de prison.
Amira chez lui cette semaine. Ce qu’il a vécu
lors de son incarcération dans une prison israélienne pendant la guerre dans la
bande de Gaza est différent de tout ce qu’il a connu dans le passé.
Amira a 53
ans, il est marié et père de cinq enfants. Il est né dans ce camp de réfugiés,
dont la population comprend les descendants des habitants de 27 villages
palestiniens détruits. Il a conçu la grande clé du retour qui est accrochée à
la porte d’entrée du camp et qui porte l’inscription « Pas à vendre ».
Amira est un militant politique qui croit en la lutte non violente, un principe
qu’il défend toujours, même après le nombre considérable de morts à Gaza
pendant la guerre, souligne-t-il. Membre du Fatah, il travaille au Bureau des
colonies et de la clôture de l’Autorité palestinienne et est diplômé de la
faculté des sciences sociales de l’université de Bethléem.
18 décembre
2023, 1 heure du matin. Bruits sourds. Amira regarde par la fenêtre et voit des
soldats israéliens frapper son jeune frère Karim, âgé de 40 ans. Les soldats
traînent Karim au deuxième étage, dans l’appartement d’Amira, et le jettent à
terre au milieu du salon. Amira affirme que son frère s’est évanoui. Karim est
le directeur administratif du service de cardiologie de l’hôpital Al-Jumaya
al-Arabiya de Bethléem, et il n’est pas habitué à ce genre de violence.
NdT : Selon une croyance populaire juive
largement partagée en Israël, un Juif mort ne pourra ressusciter lors de la
venue du Messie que si son corps était entier lors de son enterrement. Mais
selon des rabbins éclairés, tous les morts ressusciteront, quel qu’ait été l’état
de leur cadavre lors de leurs funérailles : « Si Dieu a pu créer le
monde à partir de rien, il pourra bien redonner vie aux morts, même désintégrés ».
C’est sur cette base que des groupes orthodoxes se sont spécialisés dans la récupération
de toutes les parties de corps désintégrés lors d’accidents, d’attentats ou de
combats. L’un de ces groupes s’appelle Zaka. Dans les deux articles ci-dessous,
on en apprend des belles sur ses pratiques. -Traductions de Fausto Giudice, Tlaxcala
Zaka pourrait avoir coûté à Israël son procès devant
la Cour internationale de Justice
La semaine dernière, Haaretz a publié une enquête révélant des
failles dans le travail de Zaka, une organisation de sauvetage haredi
[orthodoxe juive] surtout connue pour récupérer des parties de corps après des
attaques terroristes (voir article ci-dessous). L’enquête a révélé que dans le
chaos des premiers jours qui ont suivi le massacre du 7 octobre, les Forces de
défense israéliennes ont confié une partie du travail de collecte des corps et
d’autres preuves à Zaka, dont les bénévoles ont profité de leur présence sur
les lieux pour filmer des vidéos de relations publiques et pour collecter des
fonds.
Des volontaires de Zaka nettoient une maison attaquée dans le sud d’Israël
Leur travail était souvent bâclé et, selon un membre du rabbinat militaire
qui est également un volontaire de Zaka, « nous sommes arrivés sur les
lieux au début de la guerre et il n’y a pas eu un seul corps ou une seule
découverte sur le terrain que nous n’ayons pas correctement documenté. [...]
Zaka a à peine écrit quelque chose sur les sacs, et vous pouvez oublier toute
documentation ». Cette négligence a
peut-être coûté à Israël son procès devant la CIJ et a laissé
de nombreuses parties de corps non identifiées.
Les volontaires de Zaka ont été exposés à des paysages inimaginables,
effectuant un travail que personne d’autre ne veut faire. Mais on doit
également se rappeler que ce type de travail est également effectué d’une
manière ou d’une autre partout dans le monde. Israël n’est pas le seul pays où
se produisent des attaques terroristes. Ce n’est pas le seul pays où des
personnes âgées meurent seules chez elles et où, plus tard, leur cadavre en
décomposition doit être évacué. Ce n’est pas le seul pays où des
meurtres-suicides se produisent dans les familles. Et partout dans le monde, il
existe des équipes de police scientifique qui recueillent les preuves et
nettoient ces scènes sans envelopper cette activité d’une aura de
"sainteté" et de respect pour les morts.
Des catastrophes se produisent partout dans le monde, mais Israël est le
seul pays où il existe un monopole sur la gestion des victimes de tels
événements (si elles sont juives, bien sûr), et ce monopole appartient à Zaka.
Un monopole qu’ils ont choisi, un monopole qu’ils veulent ; ils ne nous rendent
pas service en enlevant des corps. Ils le font parce qu’ils croient en l’importance
de collecter chaque morceau de tissu imbibé de sang.
L’importance qu’ils accordent à ce travail est contagieuse. Une forte
majorité de juifs israéliens laïques y voit également un véritable acte de
bonté et est donc prête à détourner le regard lorsque quelque chose ne va pas.
C’est en raison de l’importance accordée à ce travail que le fondateur de Zaka,
Yehuda Meshi Zahav, a pu commettre tous ses méfaits [une longue série d’actes
pédo-criminels et de crimes et délits sexuels restés impunis jusqu’à sa mort en
2022, NdT], car « on ne peut pas toucher à Zaka » (mais on peut
toucher aux enfants). Au nom de cette importance, Meshi Zahav, l’ancien “officier
des opérations” de la Edah Haredit [Communauté des Craignant-Dieu,
fédération de groupes orthodoxes autonomes, historiquement
opposés au sionisme, NdT], a eu l’honneur d’allumer une torche le jour de l’indépendance
en 2003.
Au nom de cette importance attribuée à leur travail, l’organisation à but
non lucratif a été autorisée à terminer quatre des cinq dernières années avec
un déficit, bien qu’elle reçoive des centaines de millions de shekels par an
sous forme de dons et qu’elle verse à ses cinq principaux salariés plus de 1,2
million de shekels (305 000 € par an) à eux seuls.
Au nom de cette importance, on a fermé les yeux pendant des années sur le
fait que l’organisation gonflait le nombre de ses volontaires afin d’augmenter
les subventions qu’elle recevait de l’État. Et c’est au nom de cette importance
qu’on l’a laissée agir pratiquement à sa guise dans les zones du massacre du 7
octobre.
Les problèmes de
Zaka seront
traités d’une manière ou d’une autre. Par le registre des organisations à but
non lucratif, par une enquête criminelle ou par une suspension des dons jusqu’à
ce que les problèmes soient résolus et que les responsables soient évincés.
Mais l’histoire va plus loin. Le problème n’est pas que l’importance perçue
confère essentiellement l’immunité, mais cette importance perçue elle-même.
Cette attitude est une conséquence de l’auto-négation du public laïc devant le
public haredi, qui est censé être "meilleur juif" que nous. C’est
pourquoi certaines choses sont laissées entre leurs mains parce que “c’est
important”. Important pour qui ?
Mort et dons : Le groupe de volontaires
israéliens qui s’est occupé des morts du 7 octobre a-t-il exploité son monopole
?
Le groupe de bénévoles Zaka
a commencé à collecter des corps dans les communautés dévastées du sud d’Israël
immédiatement après l’attaque du Hamas, tandis que les FDI ont mis à l’écart
les soldats formés pour récupérer les dépouilles. Une enquête révèle des cas de
négligence, de désinformation et une campagne de collecte de fonds qui a
utilisé les morts comme accessoires.
Volontaires de Zaka à Be’eri en octobre. Les personnes n’ont aucun lien
avec le contenu de cet article. Photo : Olivier Fitoussi
Un groupe de
personnes est assis autour d’une table en plastique, s’abritant sous les
branches d’un arbre par une chaude journée. L’atmosphère est détendue et les
conversations vont bon train. Certains fument des cigarettes, tandis que d’autres
sirotent des boissons rafraîchissantes et grignotent des amuse-gueules. Une
jeune femme est perchée sur un banc voisin, absorbée par son téléphone. Ambiance
pastorale dans le petit arpent du bon Dieu.
Même le corps à terre à côté d’eux, enveloppé dans un sac en plastique
blanc, ne perturbe pas la scène. Il n’est pas extérieur à l’histoire, il en
fait partie.
Cette scène se déroule à Kfar Azza au début de la deuxième semaine de la
guerre contre le Hamas. Le groupe assis au milieu des
maisons brûlées et de la dévastation est composé d’une dizaine de volontaires de la
branche de Jérusalem de Zaka, l’organisation ultra-orthodoxe qui récupère les
restes humains après les attaques et les catastrophes. Le sac mortuaire blanc
porte le logo de l’organisation.
« C’était tout simplement bizarre qu’il y ait un cadavre juste à côté
d’eux, et qu’ils soient assis, qu’ils mangent et qu’ils fument », a
déclaré l’un des deux bénévoles d’une autre organisation qui étaient présents. « C’est
incroyable ».
Haut du formulaire
Les volontaires n’appartenant pas à Zaka leur ont demandé pourquoi ils ne
transféraient pas le corps dans une ambulance ou dans le camion frigorifique
garé de l’autre côté de la route. Ils ont répondu avec indifférence qu’on s’en
occuperait plus tard et sont retournés à leurs occupations.
En s’approchant un peu plus du groupe, on s’aperçoit que trois des
volontaires de Zaka sont en train de passer des appels vidéo et de réaliser des
vidéos à des fins de collecte de fonds. Selon l’observateur non-zakiste, le
corps faisait partie d’une mise en scène - une exposition destinée à attirer
les donateurs, au moment où la course contre la montre pour rassembler et
retirer les corps des victimes du massacre était la plus urgente.
« Ils y ont ouvert une salle de crise pour recueillir des dons »,
a déclaré un autre témoin de l’événement, qui a travaillé tout au long de la
guerre dans les communautés frontalières de Gaza attaquées le 7 octobre. « Deux
semaines plus tard, je les ai vus agir de la même manière à Be’eri : ils
étaient assis et faisaient des vidéos et des appels de fonds à l’intérieur du
kibboutz ».
Zaka a répondu à cette description par une déclaration indiquant qu’ « aucun
appel de fonds n’a été effectué sur le terrain au nom de l’organisation, et si
un incident spécifique est porté à notre attention, nous l’examinerons et y
donnerons suite ».
Une enquête du Haaretz soulève plusieurs questions sur les
procédures suivies lors de la récupération des corps. Elle s’appuie sur les
récits du personnel militaire présent lors de la récupération des corps et de
la base militaire de Shura (qui a été
transformée en centre d’identification des corps), ainsi que des
volontaires de Zaka et d’autres organisations de secours qui ont travaillé dans
les communautés frontalières.
Il est clair que des centaines de bénévoles de Zaka Jerusalem ont accompli
un travail important en ramassant
les corps des victimes dans des conditions difficiles.
Parallèlement, certaines des activités de l’organisation - qui, à la veille de
la guerre, était empêtrée dans des dettes de plusieurs millions de shekels -
étaient orientées vers la collecte de fonds, les relations publiques, les
interviews avec les médias et les tournées de pêche aux donateurs.
Les volontaires de Zaka travaillent à la collecte de fonds alors qu’un
corps gît à proximité.
Au cours des premiers jours critiques de la guerre, les FDI ont décidé de
renoncer au déploiement de centaines de soldats spécialement formés à l’identification
et à la collecte de restes humains lors d’incidents impliquant un grand nombre
de victimes. Le commandement du front intérieur a choisi de faire appel à Zaka,
une organisation privée, ainsi qu’à des soldats de l’unité de recherche du
rabbinat militaire, connue sous l’acronyme Yasar, pour le sud du pays.
Des effectifs supplémentaires étaient nécessaires, mais lorsque les soldats
de l’unité de recherche du Rabbinat militaire dans le nord et de l’unité de
collecte des soldats tombés au combat du Commandement du front intérieur se
sont présentés pour le service de réserve le 7 octobre, on leur a dit qu’ils
devaient attendre.
« Je n’ai aucune explication sur la raison pour laquelle ils n’ont pas
déployé [l’unité du commandement du front intérieur] et nos gens du nord »,
dit un officier de l’unité de recherche du Rabbinat pour le sud.
Les officiers de la base de
Shura ont également été incapables d’expliquer pourquoi l’armée n’a pas déployé
le personnel qui avait déjà été appelé, tous des soldats de combat qui savaient
comment opérer sous le feu. Un officier de l’unité du commandement du front
intérieur a déclaré que ses commandants avaient “supplié” les hauts
responsables de les déployer, mais qu’ils s’étaient heurtés à une fin de
non-recevoir. Ce n’est qu’au cours de la deuxième semaine de la guerre que ces
soldats ont commencé à opérer dans la région - et encore, pas complètement.
Haut du formulaire
Bas du formulaire
Pendant ce temps, les volontaires de Zaka étaient sur place. La plupart d’entre
eux travaillaient sur les lieux des meurtres et des destructions du matin au
soir. Toutefois, d’après les témoignages, il apparaît clairement que d’autres s’adonnaient
à de toutes autres activités. Dans le cadre de leurs efforts pour se faire
connaître des médias, les zakistes ont diffusé des récits d’atrocités qui n’ont
jamais eu lieu, ont publié des photos sensibles et explicites et ont agi de
manière non professionnelle sur le terrain.
Selon des sources à Shura, le choix de Zaka a eu un prix. « Nous avons
reçu des sacs sans documentation et parfois avec des parties de corps qui n’avaient
aucun rapport entre elles’, explique un officier du camp. Ces problèmes ont
rendu le processus d’identification très difficile. Certains sacs sont arrivés
plusieurs jours après le début de la guerre, ajoute-t-il.
L’un des bénévoles qui a travaillé à Shura raconte : « Il y avait des
sacs avec deux crânes, des sacs avec deux mains, sans qu’il soit possible de
savoir à qui ils ou elles appartenaient ».
Des volontaires de Zaka nettoient une maison dans le sud d’Israël après une
attaque. Une personne qui a visité la zone avec Zaka affirme avoir vu des
restes dans les bâtiments marqués comme étant nettoyés.
Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs centaines de cas sont restés en
suspens : des sacs contenant des parties de corps collectées tardivement et attendant
d’être associées à des victimes. Certaines sont encore inconnues au moment de
la rédaction de cet article. Un volontaire de Zaka Jérusalem qui sert dans le
rabbinat militaire dit qu’il y avait une différence notable entre le
professionnalisme des soldats et celui des volontaires de Zaka.
« Nous sommes arrivés sur les lieux au début de la guerre et il n’y a
pas eu un seul corps ou une seule découverte sur le terrain que nous n’ayons
pas correctement documenté », explique-t-il. « Zaka a à peine écrit
quelque chose sur les sacs, et vous pouvez oublier toute documentation ».
Le même soldat-volontaire pointe un doigt accusateur vers l’armée, qui a confié
cette tâche à Zaka.
Cependant, le personnel de la Zaka n’a pas été le seul à poser des
problèmes. Un officier de l’unité de recherche du Rabbinat militaire a déclaré
qu’au départ, son personnel n’avait pas non plus enregistré l’endroit où chaque
corps avait été prélevé, ce qui a encore retardé l’identification.
« Au début, il n’était pas possible de tout documenter, car la charge
de travail et la pression étaient énormes », explique-t-il. « Mais
nous avons travaillé de manière systématique et, plus tard, on nous a demandé
de faire une reconstitution rétrospective de notre travail ».
Plus tard, lorsque les sacs des militaires sont arrivés, la différence
était évidente, affirme un bénévole qui a travaillé à la base. « Il était
évident qu’un travail plus approfondi y était effectué ».
Les soldats du Commandement du front intérieur et les volontaires d’autres
organisations ont décrit le travail négligent des Zaka dans d’autres domaines
également. Selon eux, à de nombreuses reprises, ils ont approché des véhicules
et des maisons portant un autocollant de Zaka indiquant que l’endroit avait été
débarrassé des parties de corps, alors que ce n’était pas le cas.
Enlèvement des corps à Ofakim le 8 octobre. Des centaines de volontaires de
Zaka ont réalisé un travail important en collectant les dépouilles dans des
conditions difficiles. Photo : Ilan Assayag
« Zaka a pris une partie d’un corps et a laissé l’autre partie dans la
même maison », raconte un volontaire de Shura. Une personne qui a fait le
tour des kibboutzim de la région avec Zaka a déclaré qu’avec des membres de l’organisation,
elle est entrée dans des maisons qui avaient été déclarées nettoyées, mais qu’elle
y a vu des restes humains.
Il y a d’autres exemples. Dans le parking aménagé dans le moshav de Tkuma,
où se trouvaient les véhicules endommagés lors des massacres sur les routes et
près du festival de musique de Re’im, des morceaux de corps non ramassés ont
été trouvés. « Nous y avons trouvé des morceaux d’os et d’autres parties »,
explique un soldat du commandement du front intérieur. « Beaucoup de gens
ici sont en colère, [demandant] “Pourquoi nous avez-vous formés pour cela, et
le jour du bilan, vous ne nous avez pas laissé faire le travail ?” ».
Même lorsque les soldats ont commencé à travailler, au cours de la deuxième
semaine de la guerre, ils ont été envoyés pour ramasser les corps des
terroristes et les transporter à la base de Sde
Teiman à Be’er Sheva. Ils ont également été chargés de s’occuper des
scènes d’attaques contre des installations militaires.
Du personnel de Zaka manipule un véhicule détruit après les attaques du
Hamas. Selon un soldat, on a retrouvé des restes que Zaka n’avait pas réussi à
localiser.
« Nous avons demandé aux commandants pourquoi ils ne nous laissaient
pas entrer, et à chaque fois nous avons eu une réponse différente »,
raconte un soldat. « Une fois, ils nous ont dit : “Vous avez été entraînés
pour les tremblements de terre”, une autre fois, ils ont dit qu’ils ne
voulaient pas risquer la vie des soldats. Et une autre fois encore, ils nous
ont expliqué que le général commandant avait confié [la mission] à l’équipe
nationale de sauvetage de Tsahal, dont l’un des membres est également un haut
responsable de Zaka. »
Il ajoute : « Si nous avions travaillé comme ils nous l’ont appris,
nous aurions pu épargner des souffrances inutiles à de nombreuses personnes
[et] amener [les victimes] à l’enterrement beaucoup plus tôt ». Plusieurs
volontaires de Zaka ont admis vis-à-vis de Haaretz que le travail aurait
été meilleur, plus rapide et plus précis si les soldats avaient travaillé à
leurs côtés.
Le pouvoir du gilet
Tout au long des premiers jours de la guerre et par la suite, des soldats
en uniforme du Commandement du front intérieur sont apparus à plusieurs
reprises dans les médias. Mais par-dessus leurs uniformes, ils portaient des
gilets qui n’appartenaient pas aux FDI et sur lesquels était inscrit le nom “Zaka”.
Les officiers militaires qui ont été informés de ce détail flagrant n’ont pas
pu l’expliquer.
Haim Outmezgine, chef des “forces spéciales” de Zaka, sert dans les
réserves de l’unité de sauvetage du Commandement du front intérieur et est l’un
des hauts fonctionnaires qui est apparu fréquemment dans cette tenue - et pas
seulement à l’écran. Vers la fin du mois d’octobre, alors que les membres de l’organisation
travaillaient encore dans les kibboutzim, il a été la vedette d’un clip musical
élaboré et mis en scène, dans lequel il était enregistré sur le terrain.
La base militaire de Shura, où les corps ont été rassemblés à des fins d’identification,
en octobre. Un volontaire raconte que dans un cas, Zaka a récupéré une partie
du corps et a laissé le reste sur place. Photo Naama Grynbaum
Dans la vidéo, il chante avec son fils une chanson qu’il a lui-même écrite.
La vidéo est accompagnée de sous-titres qui visent à toucher la corde sensible
ainsi que le portefeuille.
« Des centaines de volontaires de Zaka ont laissé derrière eux une
famille qui les soutenait, sont partis avec dévouement et ont été exposés aux
terribles atrocités qui ont eu lieu dans le sud, et ils rentrent chez eux avec
un sac débordant d’émotions. Vous êtes invités à les saluer », peut-on
lire dans la description de la vidéo, accompagnée d’un lien permettant de faire
des dons.
S’adressant à Haaretz, Outmezgine a déclaré qu’il avait produit le
clip vidéo en privé et que l’organisation avait ensuite décidé de l’utiliser
pour la campagne de collecte de fonds. Il a ajouté que le tournage et la
production du clip n’avaient pas pris beaucoup de temps : « « J’ai
écrit le texte le vendredi, je l’ai enregistré en studio le samedi soir et le
clip a été tourné un jour ou deux plus tard ».
Outmezgine ne faisait pas seulement partie de la campagne médiatique de
Zaka Jerusalem. Selon certaines sources, il a également joué un rôle central
dans l’association entre l’organisation et les FDI et a commandé plusieurs
sites dès le soir des attaques - principalement dans la zone du parti à Re’im,
Kfar Aza et Be’eri. Environ un mois après le début de la guerre, Outmezgine a
empêché un volontaire d’une organisation rivale d’entrer à Be’eri, bien que le
volontaire ait reçu des ordres d’un officier.
Outmezgine a confirmé qu’il l’avait bloqué, disant qu’il avait pensé qu’il
s’agissait d’un imposteur. Une source de Zaka Tel Aviv (un autre concurrent) a
également déclaré que les membres ont été bloqués par des agents de Zaka lorsqu’ils
ont essayé d’atteindre la zone. « Ils nous ont dit spécifiquement que Haim
[Outmezgine] avait dit qu’ils n’avaient pas besoin de nous là-bas », a
déclaré la source.
Cela soulève la question suivante : quelle est la relation entre l’unité de
sauvetage du Commandement du front inétrieur et Zaka Jérusalem ? La réponse,
semble-t-il, c’est Outmezgine, qui n’est pas seulement un réserviste de l’unité,
mais qui est également considéré comme très proche de ses commandants.
Un volontaire de Zaka qui le connaît bien affirme que c’est Outmezgine qui
est à l’origine de la prise de commandement des sites d’attaque par l’unité -
et de l’utilisation de Zaka. « C’est lui qui a le pouvoir de dire aux
commandants : “C’est notre affaire” », explique le volontaire. Il ajoute
avec un demi-sourire : « Les autres volontaires n’ont pas pu entrer car il
s’agit d’une zone militaire fermée ».
Une maison à Kfar Azza, un mois après son incendie, le 7 octobre. Certains
volontaires de Zaka admettent que le travail aurait été plus efficace s’ils
avaient travaillé aux côtés de l’armée.
Outmezgine décrit la situation de la même manière. « J’ai compris que
nous étions engagés dans une course contre la montre », a-t-il déclaré
dans un entretien accordé à Arutz Sheva, une station de radio de colons.
« J’ai appelé mon commandant, le colonel Golan Vach, et je lui ai dit que
c’était notre mission ».
En effet, le Commandement du front intérieur a officiellement pris le
contrôle des zones d’attaque, et son bras opérationnel, en particulier au cours
de la première semaine, était Zaka. Selon Outmezgine, il existe un accord entre
Tsahal et Zaka qui permet à l’organisation d’opérer sur le terrain.
Un indice des procédures opérationnelles personnelles d’Outmezgine peut
être trouvé dans au moins un incident au cours duquel il a pris un sac de
matériel collecté sur le lieu d’une attaque et en a apporté le contenu dans la
cour de sa maison pour un “examen privé”. Les sources militaires qui ont été
informées de cet incident l’ont considéré comme une affaire grave et n’ont pas
pu dire qui l’avait autorisé. Outmezgine, pour sa part, affirme qu’il s’agit d’un
incident unique dont il est fier. « C’était un sac contenant des ordures
que j’aurais pu laisser sur le terrain, mais j’ai pris mes responsabilités »,
déclare-t-il.
Rivalité historique
D’une manière générale, les conflits entre les organisations qui
travaillent à la collecte des restes humains sur les sites d’attentats, d’accidents
et de catastrophes en Israël n’ont rien de nouveau. Ce qui se cache derrière n’est
pas nouveau non plus : de l’argent, et beaucoup d’argent. Des dizaines de
millions de shekels sont alloués à cette mission par le biais de dons et d’un
soutien financier de l’État.
Aujourd’hui, il existe trois organisations principales sur le terrain :
Zaka Jérusalem, Zaka Tel Aviv et l’organisation Unité 360. Au fil des ans, la
concurrence entre ces organisations a causé plus d’un problème dans les
opérations - par exemple, la diffusion de photos choquantes qui ne respectaient
pas la dignité du défunt. À tel point qu’il y a deux ans, la police a introduit
une nouvelle directive sur la procédure de collecte des dépouilles afin de
réglementer le processus.
Le clip musical
Selon cette procédure, seules les personnes qui se portent volontaires
auprès de la police et qui portent un gilet de police sont autorisées à
travailler sur les lieux d’un incident. Dans le cadre de ce règlement, les
volontaires doivent suivre une formation, sont soumis à une hiérarchie claire
avec la police, n’ont pas le droit d’être interrogés sans autorisation et n’ont
pas le droit de divulguer des détails ou des images des scènes de crime.
Il semble que toutes les règles aient été enfreintes depuis le 7 octobre.
Des vidéos et des photos explicites des sites horribles ont rempli les comptes
de médias sociaux de Zaka Jerusalem : des rangées de corps dans des sacs, des
taches de sang, et bien d’autres choses encore. Ces messages avaient un
dénominateur commun : les appels à la collecte de fonds.
Le moment était critique. Avant le 7 octobre, l’organisation risquait l’insolvabilité.
Depuis, selon une source à Zaka, elle a collecté plus de 50 millions de shekels
(12,7 millions d’€).
Haim Outmezgine reçoit une citation de Tsahal en 2022. Il affirme qu’il
existe un accord entre Zaka et l’armée qui lui permet de travailler.
Pendant toute la durée de la guerre, et malgré la course contre la montre
pour collecter les corps, les bénévoles de l’organisation ont organisé des
visites privées pour les donateurs. Les civils n’ont cependant pas été
autorisés à pénétrer dans les zones frontalières, définies comme des zones
militaires fermées.
Quelqu’un qui a organisé cette visite raconte qu’un bénévole zakiste
expérimenté l’a organisée et a emmené les participants à Be’eri. « Il nous
a rencontrés dans une station-service voisine, nous a donné, ainsi qu’aux
donateurs, des gilets Zaka, et c’est ainsi que nous sommes entrés, avec deux
véhicules », explique-t-il. Haaretz a obtenu un enregistrement dans
lequel un bénévole de la Zaka coordonne une visite similaire.
Zaka affirme que toutes les visites ont été coordonnées avec les autorités
compétentes et qu’elles ont été effectuées avec leur autorisation. « De
nombreux donateurs demandent des conseils et des explications au personnel de
Zaka afin d’établir un lien avec la terrible catastrophe », peut-on lire
dans un communiqué de l’organisation.
« L’organisation Zaka a été invitée par la Direction nationale de l’information
[au sein du cabinet du Premier ministre] à participer à des activités d’information
destinées aux donateurs et aux leaders d’opinion du monde entier et considère
que ces tournées font partie des efforts déployés par le pays pour remporter
une victoire dans l’opinion publique. L’organisation Zaka accompagne également
les tournées des donateurs au profit des kibboutzim et de leur reconstruction,
considérant cela comme un privilège et un honneur ».
La question de la collecte de fonds
La collecte de fonds a commencé le 8 octobre. Le lendemain des attaques
dans le sud, un tweet sur le compte de l’organisation indiquait : « Nos
volontaires sur le terrain sont entourés de corps tués et de tirs d’artillerie et
ont un besoin urgent de protection et d’équipement ». Cette déclaration
était bien sûr vraie : le personnel de Zaka travaillait en effet sous le feu de
l’ennemi, avait besoin d’équipements supplémentaires et était entouré de
cadavres.
Bien que la collecte de fonds pour une organisation soit un acte tout à
fait légitime, le moment choisi et la manière dont elle a été effectuée
soulèvent des soucis. Ces préoccupations ne sont certainement pas atténuées par
le fait que Zaka a loué les services d’un bureau de relations publiques qui,
dès les premières semaines de la guerre, a accompagné et photographié les
volontaires.
Volontaires des organisations Unité 360 et Zaka le 7 octobre. La rivalité
entre les organisations a causé des problèmes pendant des années.
À partir de la deuxième semaine de la guerre, Zaka a commencé à être payée
par le ministère de la Défense, parallèlement aux appels aux dons du public. Un
accord avait été conclu entre le ministère et l’organisation, selon lequel Zaka
recevrait 500 000 shekels [127 000 €] pour le nettoyage des maisons, des
véhicules et des abris anti-bombes publics endommagés lors des attaques.
Selon le ministère, l’organisation s’est engagée à nettoyer 500 structures.
Zaka précise que ce paiement n’a financé qu’une partie des dépenses et qu’ « il
s’agit d’une mission unique qui a nécessité l’achat de matériel spécifique pour
les besoins de la mission... [ainsi que] le transport et la mobilisation de
centaines de volontaires ».
La campagne de collecte de fonds n’a cessé de prendre de l’ampleur. Le 29
octobre, un message posté sur X montrait des photos de famille tachées de sang
provenant de l’une des scènes, accompagnées de la légende suivante : « La
voix du sang de mes frères crie vers moi depuis le sol ».
Ce n’était là qu’une partie de l’activité qui se déroulait alors que de
nombreuses parties de corps attendaient encore d’être identifiées et enterrées,
un processus qui n’a été en grande partie achevé qu’une cinquantaine de jours
après le début de la guerre. Aujourd’hui encore, on découvre des parties de
corps.
Sur les lieux des attaques, la question n’était pas seulement de savoir ce
qu’il fallait photographier, mais aussi ce qu’il fallait montrer exactement.
Dans certains cas, des volontaires de Zaka ont été vus en train d’envelopper
des corps déjà enveloppés dans des sacs des FDI. Le nouveau sac affichait
clairement le logo de Zaka.
« Nous avons enveloppé le corps dans un sac mortuaire et, quelques
minutes plus tard, une équipe de Zaka est arrivée », raconte un volontaire
d’une autre organisation. « Le chef d’équipe, un membre important de l’organisation,
a enveloppé le corps dans un sac Zaka. Pourquoi ont-ils fait cela ? Tout le
monde sait c’est une question de relations publiques ».
Plusieurs officiers et volontaires qui ont travaillé à la base de Shura ont
déclaré à Haaretz que de nombreux corps sont arrivés enveloppés dans
deux sacs - le sac militaire et un sac Zaka qui le recouvrait. Selon un
officier du rabbinat militaire, c’était le cas pour des dizaines de corps, ce
qui a compliqué le travail.
« Dès que nous voyions un sac Zaka, nous transférions le corps à l’unité
civile de Shura », dit-il, « mais ils l’ouvraient sur place et
devaient ensuite le transférer à l’unité militaire ». Selon Outmezgine,
ces mesures ont été prises parce que les sacs militaires étaient défectueux.
Les officiers du rabbinat militaire ont nié qu’il y ait eu des problèmes avec
les sacs de Tsahal. « Il est intéressant de constater que nous n’avons pas
eu de problèmes », ont-ils déclaré.
Ce n’était pas la première fois que le personnel de Zaka avait échangé des
sacs ou ajouté les siens. Haaretz dispose d’une série de documents et de
comptes rendus d’activités similaires menées par les bénévoles de l’organisation
qui arrivent sur les lieux d’un meurtre, d’un accident ou d’un suicide. Zaka a
nié avoir changé ou recouvert des sacs et a déclaré que des doubles sacs
avaient été utilisés uniquement lorsque le premier était endommagé.
Contes imaginaires
« Nous avons vu une femme, âgée d’environ 30 ans, [et] elle était
allongée sur le sol dans une grande flaque de sang, face au sol », a
déclaré un bénévole de Zaka en larmes dans un récit publié sur les comptes de
médias sociaux de Zaka. « Nous l’avons retournée pour la mettre dans le
sac ».
« Elle était enceinte », ajoute-t-il en s’arrêtant pour reprendre
son souffle. « Son ventre était gonflé, et le bébé était encore attaché
par le cordon ombilical quand il a été poignardé, et elle a reçu une balle à l’arrière
de la tête. Je ne sais pas si elle a souffert et vu son bébé assassiné ou non. »
Cet horrible incident, qui, selon le volontaire de Zaka, s’est produit à Be’eri,
n’a tout simplement pas eu lieu et constitue l’une des nombreuses histoires qui
ont circulé sans aucun fondement. Il n’existe aucune preuve de cet incident et
personne dans le kibboutz n’a entendu parler de cette femme. Un haut
fonctionnaire de Zaka a admis dans une conversation avec Haaretz que l’organisation
sait que l’incident n’a pas eu lieu.
Dans une autre vidéo, qui met en scène le même volontaire, celui-ci décrit,
en pleurant, comment il a trouvé les corps brûlés et mutilés de 20 enfants dans
l’un des kibboutzim. Il a déclaré à Haaretz que c’était derrière le
réfectoire de Kfar Azza, tandis que dans un autre cas, il a dit que c’était à
Be’eri.
Cependant, les enfants qui ont été tués à Kfar Azza sont Yiftach Kutz, 14
ans, et son frère, Yonatan, 16 ans. Dix enfants ont été tués à Be’eri, mais on
sait qu’au moins certains d’entre eux étaient accompagnés d’un parent et ont
été tués chez eux.
L’organisation a déjà été accusée de diffuser de fausses informations. En
décembre 2022, Haaretz a rapporté que Zaka avait
gonflé le nombre de ses bénévoles pendant des années afin de recevoir davantage de
fonds.
En réponse à une demande de commentaire, Zaka a déclaré : « La
collaboration entre Zaka et les agences d’urgence a lieu en temps normal et
dans les situations d’urgence, sur la base d’une coordination des attentes et d’une
planification précoce. Les volontaires de Zaka ont travaillé en étroite et
totale coordination avec les organismes responsables sur le terrain. La
collaboration n’est pas un conflit d’intérêts mais un effort commun.
« Zaka est une organisation bénévole financée par des dons, et la
guerre a conduit Zaka à engager des dépenses massives pour l’achat d’équipements
et de fournitures », poursuit l’organisation. « La présence du
personnel de Zaka sur les lignes de front a permis au public de découvrir les
activités de l’organisation, qui sont également menées en privé en dehors des
périodes d’urgence.
Récupération de corps à Be’eri. Les bénévoles de Zaka ont organisé des
visites privées pour les donateurs alors que le site est une zone militaire
fermée.
Pour sa part, l’armée a répondu à une demande de commentaire : « À la
suite des événements du 7 octobre, un système opérationnel a été mis en place,
dirigé par un officier ayant le grade de colonel, pour mener la mission de
recherche et de récupération dans la région frontalière de Gaza. En raison de
la complexité de la mission et de l’ampleur des pertes, le ministère de la Défense
a contacté Zaka pour recevoir de l’aide et des renforts pour cette mission.
« Parmi les unités qui ont participé à l’effort militaire, il y avait
l’unité de recherche du corps du Rabbinat militaire. Des unités [du
Commandement du front intérieur] ont été recrutées en totalité au cours des
deux premières semaines de la guerre. Les FDI mèneront une enquête détaillée et
approfondie, y compris en ce qui concerne la mobilisation du personnel, afin de
clarifier complètement les détails lorsque la situation opérationnelle le
permettra, et publieront leurs conclusions. »