Biljana Vankovska, Substack, 31/10/2025
Traduit par Tlaxcala
Quelques jours avant le second tour des élections locales en Macédoine,
tout le monde ici semble obsédé par une seule question : qui contrôlera les
municipalités — et, à travers elles, qui nous contrôlera ? Le pouvoir dans ce
pays s’écoule comme une pyramide : de Vodno (le bureau de la présidente) à
Ilindenska (le siège du gouvernement), jusqu’à chaque conseil local.
Mes lecteurs locaux me pardonneront, mais il n’y a rien de nouveau — ni
d’inspirant — à dire sur ce pays aux divisions profondes, où la politique
tourne autour des appels d’offres, des égos, de la corruption et du contrôle.
La Macédoine a depuis longtemps perdu toute vision ; la stratégie est devenue
un mot oublié ou galvaudé. Depuis la fin du socialisme, nous sommes gouvernés
par les lois sauvages du marché, par la cupidité, la dépendance, et bien sûr,
par nos nouveaux patrons coloniaux.
Et pourtant, d’une manière ou d’une autre, la Macédoine survit —
miraculeusement — grâce à un régime de prêts et de dettes qui nous maintient à
flot sans jamais nous faire avancer. Malgré cette lassitude, je ne veux pas
oublier cette petite étincelle : le succès inattendu d’un jeune militant
d’extrême gauche [AMAR MECINOVIKJ] qui s’est hissé au second
tour [et a obtenu 36,69% des voix, NdT]. Peut-être, juste peut-être, est-ce le
début de quelque chose de vraiment nouveau.
Vous pourriez vous attendre à ce que j’écrive sur l’Europe à la place.
Ah, pitié — épargnez-moi cette illusion. L’Europe que nous admirions autrefois
est devenue un continent de désindustrialisation, de peur et de rhétorique
guerrière. Autrefois Vénus, elle est désormais Mars, vivant selon la logique du
complexe militaro-industriel. Et pourtant, notre « Belle au bois dormant »
présidentielle [Siljanovska
Davkova] continue de se laisser charmer par le palais étincelant de
Macron, bien qu’il brille moins qu’avant.
Alors pourquoi la Chine ? Pourquoi, au milieu d’une telle décadence
locale et européenne, tourner mon regard vers Pékin et son nouveau plan
quinquennal ? Parce que, franchement, quand tout autour de moi ressemble au
chaos, j’ai besoin d’une oasis de développement, d’ordre, d’harmonie et de
vision. J’ai besoin de me rappeler qu’un autre monde est possible — qu’il
existe encore un lieu où l’on pense au-delà de la prochaine élection, au-delà
de l’horizon de la peur et du populisme.
Peu de Macédoniens ont remarqué que la quatrième session plénière du 20ᵉ Comité central du Parti communiste chinois s’était récemment tenue. Et pourtant, son importance est
immense : elle a jeté les bases du 15ᵉ plan quinquennal de la Chine,
qui sera finalisé en mars 2026. Pour la plupart
des Macédoniens, l’expression « plan quinquennal » évoque un terme poussiéreux tiré d’un manuel d’histoire. Mais pour ceux d’entre nous qui se souviennent du socialisme, elle
résonne encore avec une certaine nostalgie. À l’époque, l’État — et surtout, les travailleurs
eux-mêmes — planifiaient leur avenir commun à travers l’autogestion socialiste.
C’était un exercice collectif d’imagination et de responsabilité. Oui, des
erreurs grossières ont été commises, certaines fatales. Mais au moins, il y
avait une direction.
Aujourd’hui, les campagnes électorales ont remplacé la planification. La
politique est devenue un carnaval de promesses creuses — des listes de vœux bon
marché déguisées en visions (éphémères).
En Chine, c’est l’inverse. Contrairement aux stéréotypes, ces plénums ne
sont pas des rituels bureaucratiques ennuyeux. Ce sont des moments d’intensité
créative. Une nation de 1,4 milliard d’habitants concentre son esprit pour
tracer une voie à travers un monde incertain. Le plan quinquennal chinois n’est
pas une relique de la planification centrale — c’est un instrument vivant de
vision nationale, sans cesse adapté aux réalités changeantes.
Cette fois, le mot d’ordre est développement de haute qualité. Fini
l’obsession de la croissance à tout prix. Le nouvel objectif est un progrès
autonome, durable et technologiquement souverain. Dans un monde de sanctions,
de guerres commerciales et de chaînes d’approvisionnement brisées, la Chine a
appris que la dépendance est une vulnérabilité. Elle investit donc massivement
dans l’intelligence artificielle, la biotechnologie, les technologies vertes et
l’innovation domestique. Elle construit une résilience face à un système
mondial conçu pour la maintenir dépendante.
Le concept directeur est l’autosuffisance et la résilience. La logique
est simple : plus jamais personne ne doit pouvoir « nous couper l’électricité
».
Un autre pilier central est la prospérité commune. Le terme peut sembler
démodé, mais son sens est profond : la stabilité sociale dépend de la justice.
La richesse ne doit pas s’accumuler entre les mains de quelques-uns ; la Chine
rurale et la Chine urbaine ne doivent pas vivre dans des siècles différents. La
réduction de la pauvreté ne suffit pas — ce qui compte, c’est la juste
répartition, la dignité et la foi en un ordre moral.
Et voici ma partie préférée — l’idée de « belle Chine» (Beautiful China).
Non, ce n’est pas un slogan touristique. C’est une philosophie. Elle affirme
que le développement ne doit pas détruire la terre qui le soutient. Elle
imagine une civilisation verte où le progrès humain et la nature évoluent ensemble.
C’est la même intuition que celle du concept de Gaia — la reconnaissance que
l’humanité et la planète forment un seul organisme vivant.
« Belle Chine» signifie un air plus pur, une alimentation plus sûre, une
meilleure santé, moins de pollution, plus d’harmonie. Cela signifie une
civilisation qui mesure son succès non seulement par le PIB, mais aussi par la
qualité de vie et l’équilibre entre le monde humain et le monde naturel.
Regardez-nous maintenant, dans les Balkans. « Développement de haute
qualité » ? « Autosuffisance technologique » ? « Prospérité commune » ? Ces
mots sonnent comme des fantasmes utopiques venus d’une autre planète. Ici, dans
notre capitalisme sauvage de vol et de privilège, le bien commun n’apparaît
même pas sur les bulletins de vote. Chaque promesse s’arrête là où commence
l’intérêt personnel de quelqu’un.
Comparez les trois capitales : Pékin, Bruxelles et Skopje. La Chine
planifie — avec discipline, continuité, prudence et prévoyance. L’Europe débat
— surtout de sanctions et de militarisation. La Macédoine improvise — dérivant
d’une crise à l’autre, toujours surprise par ce qu’elle aurait dû prévoir.
Nos soi-disant « stratégies nationales » sont écrites pour les donateurs,
non pour le peuple. Ce sont des documents sans âme, sans vision. Nous avons
oublié que planifier n’est pas contrôler — c’est espérer, structurer dans le
temps. Sans plan, chaque désastre semble être un destin, chaque problème un
accident.
Pendant ce temps, notre capitale Skopje s’enfonce dans les ordures, les
rats et la décadence morale. Et nous attendons encore que le prochain maire [Orce
Gjorgjievski] règle ça en 72 heures — après les élections, bien
sûr.
La Chine, malgré tous ses problèmes, regarde vers 2030 et dit : nous
aimerions ressembler à ceci et cela. La Chine n’est pas parfaite, elle ne
réussira pas tout, mais elle ose penser en siècles. Rien que ça est déjà une
forme de beauté.
Car « Belle Chine» ne parle pas seulement de la terre — elle parle de la croyance que l’avenir peut être conçu, et pas simplement subi.



Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire