L’armée israélienne utilise le service de cloud (nuage)
d’Amazon pour stocker des informations de surveillance sur la population de
Gaza, tout en se procurant d’autres outils d’intelligence artificielle auprès
de Google et de Microsoft à des fins militaires, révèle une enquête.
Yuval Abraham
(1995) est un journaliste indépendant, documentariste et traducteur
arabe-hébreu israélien, co-réalisateur avec Basel Adra, Hamdan Ballal et Rachel Szor du
film No Other Land, qui a reçu le Prix du meilleur documentaire à la
Berlinale 2024. @yuval_abraham
Le 10 juillet, la commandante du Centre d’informatique
et des systèmes d’information de l’armée israélienne - qui assure le traitement
des données pour l’ensemble de l’armée - s’est exprimée lors d’une conférence
intitulée “IT for IDF” [TI pour les FDI] à Rishon Lezion, près de Tel-Aviv. Dans son
discours devant un public d’environ 100 militaires et industriels, dont +972
Magazine et Local Call ont obtenu un enregistrement, la colonelle Racheli
Dembinsky a confirmé publiquement pour la première fois que l’armée israélienne
utilise des services de stockage dans le nuage et d’intelligence artificielle
fournis par des géants civils de la technologie dans son assaut actuel contre
la bande de Gaza. Les logos d’Amazon Web Services (AWS), de Google Cloud et de
Microsoft Azure apparaissent à deux reprises dans les diapositives de la
conférence de Mme Dembinsky.
Le stockage en nuage est un moyen de conserver de
grandes quantités de données numériques hors site, souvent sur des serveurs
gérés par un fournisseur tiers. Mme Dembinsky a d’abord expliqué que son unité
militaire, connue sous l’acronyme hébreu Mamram, utilisait déjà un “nuage
opérationnel” hébergé sur des serveurs militaires internes, plutôt que sur des
nuages publics gérés par des entreprises civiles. Elle a décrit ce nuage
interne comme une “plateforme d’armes”, qui comprend des applications
permettant de marquer des cibles pour les bombardements, un portail permettant
de visionner des images en direct de drones survolant le ciel de Gaza, ainsi
que des systèmes de mise à feu, de commandement et de contrôle.
Mais avec le début de l’invasion terrestre de Gaza
par l’armée israélienne à la fin du mois d’octobre 2023, a-t-elle poursuivi,
les systèmes militaires internes ont rapidement été surchargés en raison du
nombre considérable de soldats et de personnel militaire qui ont été ajoutés à
la plate-forme en tant qu’utilisateurs, causant des problèmes techniques qui
menaçaient de ralentir les fonctions militaires d’Israël.
“Metoo,
I’m a killer”: La colonelle Racheli Dembinsky a succédé en 2023 à la générale
Yaël Grossman, qui elle-même avait succédé à la colonelle Talya Gazit en 2020,
à la tête du MAMRAM (Centre d’informatique et de systèmes d’information de l’armée
israélienne)
La première tentative pour résoudre le problème,
explique Dembinsky, a consisté à activer tous les serveurs de réserve
disponibles dans les entrepôts de l’armée et à mettre en place un autre centre
de données, mais cela n’a pas suffi. Ils ont alors décidé qu’ils devaient « sortir
du cadre, se tourner vers le monde civil ». Selon elle, les services en
nuage proposés par les grandes entreprises technologiques ont permis à l’armée
d’acheter des serveurs de stockage et de traitement illimités en cliquant sur
un bouton, sans obligation de stocker physiquement les serveurs dans les
centres informatiques de l’armée.
Un détail peu discuté dans l'article
de Yuval Abraham sur +972 Mag, Lavender :
La machine d’IA qui dirige les bombardements israéliens à Gaza, est qu'Israël tue des personnes sur la base de leur appartenance au même
groupe Whatsapp [1] qu'un militant présumé [2]. D'où proviennent ces données ?
WhatsApp les partage-t-il ?
Mark Zuckerberg. Photo : David Paul Morris/Bloomberg via Getty Images
Lavender est le système israélien de
"pré-criminalité" [3] - ils utilisent l'IA pour deviner
qui tuer à Gaza, puis les bombarder lorsqu'ils sont chez eux, avec toute leur
famille. (De manière obscène, ils appellent ce programme « Where's Daddy ? »
[Où est Papa ?]).
L'une des données fournies à l'IA est de savoir si
vous faites partie d'un groupe WhatsApp avec un membre présumé du Hamas. Il y a
beaucoup de choses qui ne vont pas : je fais partie de nombreux groupes
WhatsApp avec des inconnus, des voisins, et dans le carnage de Gaza, il y a
fort à parier que les gens créent des groupes pour se connecter.
Mais la partie sur laquelle je veux me concentrer est
de savoir s'ils obtiennent ces informations de Meta. Meta a fait la promotion
de WhatsApp en tant que réseau social « privé », y compris le
cryptage « de bout en bout » des messages.
Le fait de fournir ces données à Lavender met à mal
leur affirmation selon laquelle WhatsApp est une application de messagerie
privée. C'est plus qu'obscène et rend Meta complice des assassinats par Israël
de cibles « pré-criminelles » et de leurs familles, en violation du
droit international humanitaire et de l'engagement
publiquement déclaré de Meta en faveur des
droits humains. Aucun réseau
social ne devrait fournir ce type d'informations sur ses utilisateurs à des
pays pratiquant la « pré-criminalité ».
Il est important de noter que Meta participe déjà
largement au génocide mené par Israël et soutenu par les USA, notamment en supprimant de
manière significative et bien documentée les contenus soutenant la liberté
des Palestiniens, ainsi qu'en adoptant une nouvelle politique anti-“antisioniste”
visant à étouffer toute dissidence concernant les crimes d'Israël [4].
Pourquoi Meta fait-il cela ? Pourquoi Meta est-il si
heureux de partager avec Israël des métadonnées sur l'appartenance à un groupe
- une façon de contourner l'idée d'un réseau social “privé”- et d'être complice
du génocide ?
Examinons leurs dirigeants, en particulier les trois
plus hauts responsables qui ont des liens étroits avec Israël.
Leur directeur de la sécurité de l'information, Guy
Rosen, est leur principal décideur politique. Il est israélien, vit à Tel Aviv
[5] et a fait partie de l'unité 8200
de l'armée israélienne. L'Unité 8200 est la NSA israélienne et c'est le
département qui a construit et fait fonctionner Lavender. Des initiés m'ont dit
que Rosen est la personne la plus associée aux politiques anti-“antisionisme” [4], et qu'il est également
responsable de la suppression
des contenus palestiniens.
Entre-temps, Sheryl Sandberg, ancienne directrice de
l'exploitation et actuelle membre du conseil d'administration de Meta, a fait
une tournée pour diffuser la même propagande discréditée [6]. Prétendant défendre les victimes
de violences sexuelles, elle ignore en quelque sorte la longue
histoire des viols
israéliens de Palestinien·nes, en particulier
dans les prisons israéliennes, où des milliers de prisonniers sont maintenus en “détention
administrative” pendant des mois sans procès ni représentation légale. Tous ces éléments
démontrent que la tournée de Sandberg vise à diffuser la propagande
israélienne, qui a été utilisée pour tuer plus de 33 000 Palestiniens, et non à
protéger les femmes [7].
Cette alliance avec Israël de la part des plus hauts
responsables de Meta - RSSI, PDG et membre du conseil d'administration -
explique pourquoi l'armée israélienne est en mesure d'obtenir ces informations
de WhatsApp, une application censée être “privée”.
Questions pour Meta
Pour que le monde entier puisse faire confiance aux
déclarations de WhatsApp en matière de confidentialité et de sécurité, Meta
doit répondre aux questions suivantes :
Meta
a-t-elle fourni au gouvernement israélien des informations (y compris des
intrants ou des données de formation) utilisées par Lavender, Gospel ou
Where's Daddy ?
Comment
Meta empêchera-t-il les gouvernements d'utiliser des informations privées
pour tuer les utilisateurs de WhatsApp et leurs familles ?
Meta
estime-t-il que les actions d'Israël à l'égard des civils de Gaza et de
Lavender sont conformes à la politique de Meta
en matière de droits humains ?
Si ce
n'est pas le cas, pourquoi Meta n'a-t-elle pas révoqué tout accès au
gouvernement israélien susceptible de mettre les civils en danger ?
Pourquoi
Meta n'a-t-elle pas publié son rapport de transparence pour le second semestre 2023 ?
Dans
quelle mesure les dirigeants de Meta, notamment le PDG Mark Zuckerberg et
le RSSI Guy Rosen, étaient-ils au courant du partage des métadonnées de
WhatsApp avec le gouvernement israélien et savaient-ils si elles allaient
être utilisées à des fins militaires ?
Meta
annulera-t-il immédiatement l'accès à toute information WhatsApp du
gouvernement, de l'armée et des forces de répression d’Israël ?
Sans réponse à ces questions, il semble impossible de
prendre au sérieux l'affirmation selon laquelle WhatsApp est une application de
messagerie privée.
« Ce guide contient plusieurs exemples de
"centaines et de milliers" de caractéristiques susceptibles
d’augmenter la cote d’un individu, comme le fait de faire partie d’un groupe
Whatsapp avec un militant connu, de changer de téléphone portable tous les
quelques mois et de changer fréquemment d’adresse. »
[Cependant, je pense que “militant suggéré” est une meilleure appellation,
étant donné le manque total de preuves ou de vérifications qu'Israël utilise
avant de bombarder toute leur famille.
[J'appelle cela de la pré-criminalité car il n'y a
aucune preuve qu'un crime ou une violence ait été commis par la cible, ou que
la cible ait pris part à la violence ou au soulèvement contre Israël [3b]. En fait, l'article de +972
indique clairement qu'il n'y a aucune tentative de trouver ou d'examiner des
preuves, ni aucune diligence raisonnable pour prouver que la cible est une
cible valable en vertu du droit humanitaire.
[3b] Il convient également de noter que le fait d'être
membre du Hamas n'est pas illégal ni même répréhensible : l'occupation de Gaza
par Israël est illégale au regard du droit international, et la résistance du
Hamas contre les FDI est légale et morale. (Les violences commises par le Hamas
le 7 octobre contre les civils sont bien sûr illégales et immorales, de la même
manière que les violences commises par les FDI contre les civils avant et après
le 7 octobre sont illégales et immorales).
« En tant qu'organisation
juive antisioniste pour la liberté des Palestiniens, nous sommes horrifiés
d'apprendre que Meta envisage de s'étendre alors qu'il traite le “sionisme” -
une idéologie politique - de la même manière que “juif/juive” - une identité
ethno-religieuse », a déclaré Dani Noble, un organisateur de Jewish Voice
for Peace, l'un des groupes que Meta a contacté pour discuter de ce changement
possible. Dani Noble a ajouté qu'un tel changement de politique « aura
pour conséquence de protéger le gouvernement israélien de la responsabilité de
ses politiques et de ses actions qui violent les droits humains des
Palestiniens ».
[6] L'un des plus grands éléments de la propagande
israélienne qu'ils ont mis en avant sans relâche est celui de la violence
sexuelle de masse le 7 octobre. Il s'agit d'une affirmation délibérée visant à
déshumaniser les Palestiniens, ainsi que de nombreuses autres affirmations discréditées sur les
atrocités du 7 octobre, afin de permettre le génocide de Gaza par Israël
avec le soutien de l'Occident. Ils ont même organisé des
groupes de discussion à ce sujet.
Malgré de nombreux rapports, il n'y a que peu ou pas
de preuves de viols commis par le Hamas le 7 octobre, et encore moins du “viol
collectif” qui a été largement rapporté. Naturellement, il est impossible de
prouver que quelque chose ne s'est pas produit, mais les affirmations
existantes sont délibérément mises en avant malgré l'absence de preuves.
« Au cours des quatre derniers
mois, une campagne de propagande concertée, montée par le gouvernement
israélien et amplifiée par divers médias occidentaux, a accusé le Hamas d'avoir
utilisé le viol comme arme de guerre le 7 octobre. Les allégations selon lesquelles
le Hamas aurait planifié et mené une campagne systématique de violence sexuelle
(avec des actes allant du plus grotesque au plus fétichiste et bizarre) ont été
utilisées pour dépeindre la résistance palestinienne comme inhumaine et pour
justifier le génocide israélien en cours à Gaza. Récemment, des analyses démontrant la nature fallacieuse de ces affirmations - les fabrications, les erreurs factuelles et les malversations
journalistiques, les témoignages non crédibles des témoins et des premiers intervenants,
les affiliations militaires israéliennes des principales sources, ainsi que l'absence de toute preuve
médico-légale ou de preuve vidéo ou photographique - ont fait leur apparition
dans le maonstream ».
L'article du NYTimes a été complètement
discrédité,
principalement en raison d'un podcast réalisé par la journaliste principale de
l'article, Anat Schwarz, qui a elle-même déclaré que son enquête détaillée
n'avait trouvé aucune preuve :
« Après avoir vu ces
interviews, Schwartz a commencé à
appeler des personnes du kibboutz Be'eri et d'autres kibboutzim pris pour cible
le 7 octobre, dans le but de retracer l'histoire. « Il n'y avait rien. Il
n'y avait rien », a-t-elle déclaré. « Personne n'a rien vu ni entendu ».
Elle a ensuite contacté l'ambulancier de l'unité 669, qui lui a raconté la même
histoire que celle qu'il avait racontée à d'autres médias, ce qui l'a
convaincue que les violences sexuelles étaient systématiques. « J'ai dit :
"D'accord, c'est arrivé, une personne l'a vu se produire à Be'eri, donc ça
ne peut pas être qu'une seule personne, parce que ce sont deux filles. Ce sont
des sœurs. C'est dans la pièce. Il y a là quelque chose de systématique,
quelque chose qui me fait penser que ce n'est pas un hasard », conclut
Schwartz dans le podcast.
Comme beaucoup l'ont souligné, nous devons en effet
croire les femmes au sujet des violences sexuelles qu'elles subissent.
Cependant, aucune femme n'a déclaré avoir subi des violences sexuelles le 7
octobre. En effet, Haaretz
rapporte que la police
n'arrive pas à trouver les victimes présumées, ni à relier les preuves à
celles-ci. Il y a une victime présumée dans l'article du NYTimes, et sa famille
nie les faits. En fait, Zaka, les premiers intervenants qui sont la principale
source de la propagande discréditée du 7 octobre, admettent
que les preuves sont le fruit de leur “imagination” :
« Ses employés n'ont pas reçu
de formation en médecine légale ou en expertise des scènes de crime.
"Lorsque nous entrons dans une maison, nous faisons appel à notre
imagination", a déclaré Yossi Landau, un haut responsable
de la Zaka, décrivant le travail du groupe sur les sites des attentats du 7
octobre. "Les corps nous disaient ce qui s'était passé, c'est ce qui s'est
passé". Landau est cité dans le rapport du Times, bien qu'il ne soit pas
fait mention de ses antécédents bien
documentés de diffusion
d'histoires sensationnelles d'atrocités qui se sont avérées fausses par la
suite ».
Toutes les affirmations que j'ai vues sur les
violences sexuelles sont finalement liées aux affirmations inventées par Zaka,
y compris tous les reportages que j'ai vus dans les médias israéliens et
occidentaux. Ces affirmations sont souvent blanchies en renvoyant à d'autres
rapports tels que celui du NY Times, ou par le biais du rapport sans enquête de la
représentante spéciale des Nations unies pour la violence sexuelle dans les
conflits, Pramila Pattent, qui était également basé sur les mêmes affirmations
sans aucune autre enquête.
[7] Une remarque similaire a été faite au sujet de son
livre, Lean In [En
avant toutes] , lorsqu'il a été publié en 2013. Plutôt que de
s'attaquer aux problèmes systémiques sur le lieu de travail, beaucoup ont eu
l'impression qu'elle disait aux femmes de se résigner et de faire
avec, et que son plaidoyer consistait en fait à soutenir les structures de
pouvoir existantes plutôt que les femmes, comme elle le fait aujourd'hui en
soutenant la propagande israélienne.
De
nombreux Israéliens juifs ont déclaré avoir été “désillusionnés” par la gauche
après le 7 octobre. Ils ont dessoulé, disent-ils. Mais de nombreux Juifs
israéliens ne se sont jamais soûlés, n’ont jamais vécu dans l’illusion ; ils se
sont levés tous les matins et se sont battus 24 heures sur 24, 7 jours sur 7,
pour l’égalité. Comme Yuval Abraham, par exemple, et le film qu’il a réalisé
avec Basel Adra, Rachel Szor et Hamdan Ballal, “No Other Land”.
Basel Adra et
Yuval Abraham posent avec le prix du film documentaire de la Berlinale, pour “No
Other Land”, après la cérémonie de remise des prix du 74eFestival international du film de la Berlinale
à Berlin, en Allemagne, le mois dernier. Photo : Liesa Johannssen / Reuters
Quand
j’entends les “désabusés” dire des choses comme « la partie de gauche en
moi n’existe plus », ou « j’ai cru à la paix et j’ai été déçu »,
ils me rappellent cette vieille blague : un homme s’adresse à Dieu et lui
demande « ça fait des années que je prie pour gagner à la loterie,
pourquoi ça n’arrive pas ? », ce à quoi Dieu répond « parce que
tu n’as jamais joué à la loterie ». Je demande donc à tous ceux qui sont déçus par les idéaux humanistes
: avez-vous rempli vos obligations humanistes ? Parce que Yuval Abraham l’a
fait.
La
plupart des médias se sont concentrés sur le discours de remise de ^prix de Basel
et Yuval. Les grands médias l’ont qualifié d’ « antisémite »,
puis ont retiré l’accusation sans s’excuser. Les gauchistes désabusés ont
traité Abraham de lâche. J’ai
décidé de ne pas me fier au discours, mais de voir le film lui-même. Ma
conclusion : il n’est pas un lâche, au contraire. Ceux qui le qualifient ainsi
projettent leur propre lâcheté.
Ce
film est bouleversant. J’aurais aimé le regarder il y a quelques mois, j’aurais
peut-être alors pu m’accrocher à la lueur d’espoir qu’il offre. En ce moment, j’ai
du mal à me concentrer sur la moindre étincelle d’espoir.
Alerte
au spoiler : leshabitants palestiniens de Masafer Yatta perdent. Mais
même une défaite a des héros : les militants palestiniens qui gardent la tête
haute face aux bulldozers israéliens, parce qu’ils n’ont pas le choix, et le
héros juif Yuval Abraham, qui décide d’abandonner la bulle de sécurité dans
laquelle vivent la plupart des Israéliens pour se battre pour la justice
humaine.
Les
deux protagonistes se tiennent sans crainte avec une caméra, documentant des
scènes qu’aucune personne “désabusée” ne pourrait regarder plus d’une seconde
sans fermer les yeux ou se détourner. Il y a des scènes difficiles où l’armée
décide d’encercler des terres palestiniennes avec des panneaux déclarant qu’il
s’agit d’une “zone d’entraînement militaire” - il s’avère que cela a été fait
dans le but exprès d’empêcher les villages palestiniens de s’étendre, selon les
minutes enregistrées d’auditions gouvernementales des années 70 qui ont été
récemment déclassifiées. L’un des intervenants à ces auditions était Ariel
Sharon.
Une
autre scène montre un groupe de colons masqués attaquant les résidents
palestiniens à coups de pierres, tandis que les soldats se tiennent à l’écart
et protègent les colons. L’un des soldats est filmé en train de participer aux
jets de pierres. Un autre soldat s’en prend à Yuval et lui crie : « Allez,
connard, va écrire ton article ». Et Yuval continue à documenter, sans
peur.
La
caméra filme la fusillade
insensée qui a laissé Haroun Abou Aran paralysé, ainsi que sa mère
qui supplie qu’on lui construise une chambre confortable et saine pour qu’il ne
reste pas paralysé dans une grotte. À la fin du film, une légende informe les
spectateurs que Harun, 26 ans, est mort des suites de ses blessures par balle.
Et
si cela ne suffit pas, il y a la scène où un camion de ciment déverse du béton
sur des terres agricoles devant l’agriculteur lui-même ; et si cela ne suffit
pas, il y a un tracteur sur le côté
qui arrache tout le système d’irrigation de l’agriculteur ; et si cela ne
suffit pas, ils apportent une tronçonneuse pour finir le boulot.
La
scène la plus difficile pour moi est celle qui implique des enfants de l’âge de
mes fils. Les enfants sont dans une salle de classe quand soudain des dizaines
de soldats armés ferment la porte sur eux. Les enfants commencent à s’enfuir,
terrifiés, sautent par une fenêtre, puis se tiennent à l’écart, regardant en
pleurant un bulldozer démolir la salle de classe. Les colons regardent eux
aussi, comme s’il ne leur manquait qu’un peu de pop-corn.
Le
film montre un Palestinien qui tente d’empêcher la démolition de sa maison,
tandis qu’une policière à labelle allure lui dit : « Monsieur, vous nous
empêchez de faire notre travail ». Je me demande si cette policière elle
aussi a dessoulé. Peut-être pense-t-elle aujourd’hui avoir été trop “humaine”.
Démolition d’une
structure à Masafer Yatta, en Cisjordanie, en 2022. Photo : Mussa Issa
Qawasma / Reuters
Le
discours de Yuval et Basel, sur lequel vous avez tous décidé de vous focaliser, ne dit pas tout. Il ne dit que peu de choses sur un système raciste
et arrogant qui continue à suivre une voie vouée à l’échec. Mais leur discours
est, je pense, un signe vers une voie alternative, peut-être non pavée ; un
signe qui déclare : il n’y a pas de société partagée sans une lutte
palestinienne partagée. Le discours était aussi courageux que le lieu l’exigeait,
en particulier en Allemagne, qui arme toujours l’occupation et se trouve une
fois de plus du mauvais côté de l’histoire.
Mon
partenaire et frère, le réalisateur Udi Aloni, est monté sur la même scène en
2016 lorsque nous avons remporté le prix du public pour le long métrage Junction 48,
et a appelé à l’égalité. Il a également été pris pour cible par les médias
israéliens grand public, avec le titre embarrassant « Notre photographe a
réussi à documenter le discours d’Aloni avec une caméra cachée » - alors
qu’Aloni s’était exprimé devant des milliers de personnes équipées de
téléphones et d’appareils photo.
Il
n’y a « pas d’autre terre », pas d’autre combat. Il n’est pas trop
tard pour que les soi-disant sobres dessoulent pour de bon. Tout ce dont ils
ont besoin, c’est du courage de Yuval Abraham.
Tamer
Nafar ( تامر النفار/ תאמר נפאר) né en 1979 à
Al-Ludd/Lod/Lydda, est un rappeur, acteur, scénariste et activiste social
palestinien, Israélien de papier. Il est le leader et l’un des membres
fondateurs de DAM, le premier groupe de hip-hop palestinien. DAM est un
acronyme pour “Da Arab MCs” et signifie également “durable” ou “éternel” en
arabe ou “sang” en arabe et en hébreu. @TamerNafarOfficial