Traduit par Fausto Giudice
En Sicile, il existe depuis des siècles un décalage dysfonctionnel entre les nombreuses communautés locales différentes et les idées et plans de ceux qui gouvernent l'île de loin.
Livres recensés
The Invention of Sicily: A Mediterranean
History
(L'invention de la Sicile : une histoire méditérannéenne)
by Jamie Mackay
Verso, 296 pp., $26.95
Sicily: An Island at the Crossroads of History
(La Sicile : une île au carrefour de l'histoire)
by John Julius Norwich
Random House, 362 pp., $32.00
Under the Volcano: Revolution in a
Sicilian Town
(Sous le volcan : révolution dans une ville sicilienne)
by Lucy Riall
Oxford University Press, 278 pp., $73.00
La cathédrale de Syracuse, en Sicile, 1988. D'anciennes colonnes doriques sont incorporées dans les murs. Ferdinando Scianna/Magnum Photos
Qui gouverne la Sicile ? Est-ce important ? Avec une population de cinq millions d'habitants (semblable à celle de l'Écosse, plus importante que celle de la Croatie), cette île de 25 711 km2 située au bout de la botte italienne jouit d'une autonomie particulière au sein de l'État italien : elle possède son propre parlement régional et élabore ses propres lois dans des domaines tels que l'agriculture, la pêche, l'environnement et le patrimoine culturel. En même temps, elle est très largement gouvernée par Rome et subventionnée par Rome de manière beaucoup plus généreuse que les autres régions qui ne bénéficient pas d'une telle autonomie. L'Italie est elle-même, dans une certaine mesure, gouvernée par l'Union européenne et dépendante de celle-ci, ce qui n'est apparu que trop clairement au cours des premiers mois de 2021, lorsque l'UE n'a pas été en mesure de garantir un approvisionnement en vaccins Covid en temps voulu, une responsabilité qu'elle avait reprise de ses États membres. D'autre part, elle met à disposition un fonds de relance de 200 milliards d'euros pour remettre l'économie italienne sur les rails, à condition que l'Italie dépense l'argent d'une manière autorisée par l'UE. Certains États membres ont laissé entendre qu'une grande partie de cet argent pourrait finir dans les mains de la mafia sicilienne.
De nombreuses autres petites régions distinctes d'Europe - la Catalogne, la Corse, l'Écosse - sont ou étaient dans une situation similaire, bénéficiant de pouvoirs législatifs limités et d'une certaine latitude dans la distribution des fonds provenant de leurs capitales, mais sans la responsabilité ultime du bien-être de leur population. La question qui se pose avec une certaine force à la lecture de The Invention of Sicily de Jamie Mackay, un récit dynamique des presque trois mille ans d'histoire de l'île, est la suivante : que se passe-t-il lorsque, pendant des siècles, il y a non seulement un décalage dysfonctionnel entre des identités locales fortement ressenties et ceux qui gouvernent à distance, mais aussi un flou fréquent quant à l'endroit où réside réellement le pouvoir, qui l'exerce et dans quel but ?
Mackay, un journaliste britannique vivant à Florence, commence son récit à l'époque classique et cherche tout au long à célébrer la Sicile comme un lieu où se rencontrent de nombreuses ethnies et cultures ; il approuve lorsqu'elles se mélangent, ou du moins cohabitent pacifiquement, et déplore les périodes de conflit et d'intolérance. Si cette approche risque de réduire l'histoire à une galerie de héros et de méchants - le cosmopolitisme est bon, le nationalisme mauvais - elle donne au moins à son récit une puissante cohésion. De 800 avant J.-C. à nos jours, nous suivons avec un mélange de sympathie et de consternation les façons apparemment infinies dont un peuple peut être mal gouverné, son potentiel contrecarré et ses ressources dilapidées, le tout dans un paysage que l'on pourrait parfois prendre pour un paradis.