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17/11/2024

GIDEON LEVY
Le nouvel idéal sioniste : une génération d’Israéliens sans honte pour la guerre de Gaza

Gideon Levy, Haaretz,  17/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Yair Weigler, éducateur et patron d’une organisation appelée « Teachers for Change » [Enseignants pour le changement], vient de rentrer d’un long séjour parmi les réservistes de l’armée israélienne.

« Nous étions des colons, des habitants de Tel-Aviv, des personnes évacuées du bloc Katif [de la bande de Gaza] en 2005 ; nous étions des frères d’armes, des personnes travaillant dans l’éducation et dans la haute technologie... une compagnie de tanks », a-t-il déclaré poétiquement, comme s’il était un jeune homme revenant d’un voyage à l’étranger après l’armée et chantant les louanges des endroits qu’il a visités. Oh, Shujaiyya, oh, quelle unité. Quelle armée, quel peuple !

Simon Nsaka (Stillmatic), Zambie

L’ancien Premier ministre Naftali Bennett s’est empressé de partager les paroles de l’éducateur : « Une génération de lions a vu le jour en Israël. Je n’ai aucun doute sur le fait que ces hommes, les combattants et les réservistes, retourneront à la vie civile en étant plus idéalistes, plus compatissants, et que ce sont eux qui reconstruiront ce pays pour les 50 prochaines années. Il y a de l’espoir ! »

Même si l’on ignore le pathos gnangnan du petit politicien à la calotte tricotée, on ne peut qu’être consterné par le chaos qui se déroule sous nos yeux ébahis et impuissants. Le jour est la nuit et la nuit est le jour. Le nettoyage ethnique et le meurtre de masse sont des idéaux, et les crimes de guerre créent des civils qui sont meilleurs et qui ont plus de valeurs. C’est le sens de l’espoir dans le schéma de Bennett.

On le lit avec incrédulité. C’est ce qu’un enseignant israélien a à dire sur son très problématique service de réserve, et c’est ainsi que réagit un leader de la droite modérée, une personne qui incarne l’espoir d’une alternative. En 2024, en Israël, non seulement il n’y a aucune trace de bilan concernant ce que son armée a fait à Gaza et au Liban - nous nous y sommes habitués - mais on élève maintenant les crimes et la brutalité au rang d’idéaux. Les cours d’éducation civique expliqueront désormais comment le massacre de dizaines de milliers de femmes et d’enfants est devenu une valeur. C’est ainsi que l’on détruit une bande de terre et que l’on fait des Israéliens de meilleurs citoyens. Le génocide comme atelier pédagogique.

Ceux qui s’attendaient à un sentiment de culpabilité, à une comptabilité ou à des points d’interrogation éthiques obtiennent exactement le contraire. Quiconque s’attendait à une génération traumatisée par ce qu’elle a fait, avec des cauchemars incessants et à des pleurs dans le sommeil à cause des atrocités, reçoit en retour une fierté nationale. L’idéal sioniste, c’est maintenant la guerre qui fait rage à Gaza. Un crime terrible qui reste à définir devant les tribunaux internationaux, une guerre qui horrifie le monde entier, à juste titre, un crime qui est maintenant transformé en valeur. Une génération de lions est née ici.

Une génération de lions qui ne regarde pas un instant son œuvre en face. Elle est trop lâche. On peut comprendre la répression et le déni - sans eux, une guerre comme celle-ci ne pourrait être menée, une guerre inutile et débridée. Mais Israël a poussé la chose à un niveau encore plus inconcevable.
Jamais une telle fierté n’a été exprimée ici pour des crimes de guerre aussi horribles. Des officiers se promènent parmi les ruines de Gaza devant les caméras de télévision, tels des paons gonflés. Il n’y a pas un seul correspondant pour sauver la dignité de sa profession en demandant quelle est la signification de toute cette destruction. Quel était son but, sa légalité, sa moralité ? De quel droit avons-nous pu perpétrer de telles destructions ? Des convois de personnes les plus misérables vont et viennent sur le sable, en béquilles, en fauteuils roulants, dans des chariots conduits par des ânes affamés, des personnes prêtes à réciter au correspondant de la télévision Ohad Hamo tout ce qu’il leur demande en échange d’une goutte d’eau - et c’est ce qu’on appelle un coup journalistique pour soutenir l’orgueil professionnel d’Hamo.

Il est douteux que la télévision russe ose diffuser un spectacle aussi honteux depuis l’Ukraine. Là-bas, la honte l’empêcherait peut-être. Ici, il n’y a aucun sentiment de honte. Ni Hamo, ni Canal 12, ni les médias, ni Weigler, ni Bennett.

Ce n’est pas seulement qu’Israël a perdu tout sens de la honte. Il est fier de ses exploits. Ce n’est pas que les Israéliens considèrent la guerre comme un mal nécessaire, nous condamnant ostensiblement à vivre avec elle. Aujourd’hui, c’est un modèle de valeurs - la guerre comme poème pédagogique. Les Israéliens ont fait du transfert de troupes dans le nord de la bande de Gaza et du massacre dans le sud un patrimoine national, avec les albums photos et les musées qui suivront bientôt. Il sera beaucoup plus difficile de s’en remettre.

Bennett promet que cette génération de lions, dépourvue de conscience ou de boussole, est celle qui construira le pays pour les 50 prochaines années à venir. Imaginez un peu. Ça promet.


16/11/2024

OFER ADERET
Un an après la guerre du Kippour, Yitzhak Rabin a déclaré qu'il n'y avait pas de solution militaire au conflit israélo-arabe

Ofer Aderet, Haaretz, 14/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À l'occasion du 29e anniversaire de l'assassinat de Rabin [4 novembre 1995, NdT], les archives de Tsahal ont publié les déclarations faites par l'ancien Premier ministre lors d'une réunion du Forum de l'état-major général en 1974. « S'il y a une chance de progresser, c'est uniquement par le biais de négociations », a-t-il déclaré, tout en mettant en garde contre la création d'un État palestinien . « Ce serait le détonateur immédiat de la prochaine guerre ».

 Yitzhak Rabin avec la Première ministre Golda Meir à Washington en 1973. Photo : Moshe Milner / GPO

Deux décennies avant de signer les accords d'Oslo avec les Palestiniens et un accord de paix avec la Jordanie, l'ancien Premier ministre Yitzhak Rabin pensait qu'il n'était pas possible de résoudre le conflit israélo-arabe par des moyens militaires, mais uniquement par des négociations. Cependant, Rabin s'est montré pessimiste quant à la réalisation de la paix au cours de ces années et a averti que la création d'un État palestinien en Cisjordanie mènerait à la guerre.
Rabin a fait cette déclaration il y a 50 ans, lors d'une réunion secrète du forum de l'état-major général des FDI, en septembre 1974, un an après la guerre du Kippour. La réunion portait sur les préparatifs de la prochaine guerre. Le procès-verbal et son enregistrement ont été publiés mercredi par les archives de Tsahal au ministère de la Défense, à l'occasion de la journée de commémoration du 29e anniversaire de l'assassinat de Rabin, qui est célébrée selon le calendrier hébraïque.

Yitzhak Rabin avec Henry Kissinger en mars 1975.  Photo : GPO

« Dans le conflit israélo-arabe, je ne vois pas la possibilité de parvenir à une solution par des moyens militaires », a déclaré Rabin. « En d'autres termes, en supposant que nous puissions, par la guerre, parvenir à une situation dans laquelle nous pourrions imposer la paix, je ne vois pas cela comme quelque chose de réaliste. Cela ne veut pas dire que nous n'aurons pas de guerres. Mais je ne suggère pas de partir du principe que nous pourrions, par la guerre, imposer une solution diplomatique globale. S'il y a une chance - et je ne suis pas sûr qu'il y en ait une - de progresser vers une solution, ce n'est que par la négociation », a-t-il ajouté.
Cependant, Rabin a également déclaré que « les négociations doivent également être basées sur la puissance militaire, car sans cela, il n'y aura pas de négociations diplomatiques ». Il a déclaré qu'après la victoire d'Israël en 1967, lorsque le pays a occupé la Cisjordanie, la bande de Gaza, le plateau du Golan et le Sinaï, Israël a acquis de « meilleurs atouts défensifs ». Cependant, « je ne suis pas sûr que cela signifie que nous pouvons parvenir à la paix ».
Rabin n'était pas optimiste quant à la possibilité de parvenir à la paix à l'époque où ces propos ont été tenus. « Je ne crois pas que nous puissions actuellement parvenir à des négociations sur un accord de paix global. Tout d'abord, les Arabes n'en veulent pas ». Il a averti que la paix signifiait aussi un État palestinien en Cisjordanie, « et ce serait la mèche qui déclencherait la prochaine guerre ». Il a ajouté et mis en garde contre les solutions provisoires, telles que « la recherche de quelque chose qui n'est pas exactement la paix, quel que soit le nom qu'on lui donne. Quand on regarde la réalité arabe avec les yeux ouverts, il n'est pas évident que ce soit la meilleure solution ». Il a conclu cette partie de sa déclaration de manière pessimiste : « Je n'ai pas besoin de parler de cette question, car nous connaissons les faits. Personne n'est prêt à nous parler de paix ». 


Les archives de Tsahal ont également publié un clip vidéo d'un service commémoratif organisé en 1988 pour le corps blindé, au cours duquel Rabin, qui était alors ministre de la Défense, s'est adressé aux familles endeuillées. Dans le corps blindé, on dit que « l'homme est l'acier ». Je pense le contraire. L'acier est froid, sans vie et sans âme. Il est dur, lourd et passe par-dessus les choses. L'homme n'était pas et n'est pas de l'acier. Il est de chair et de sang, il rit et pleure, il rêve et part à la guerre ; il voyage, il vit sa vie et, si nécessaire, il est prêt à la sacrifier ». En ce qui concerne les morts du corps d'armée, Rabin a déclaré : « Ils étaient des gens comme nous, qui n'étaient pas faits d'acier ; leurs cœurs battaient comme les nôtres et ils voyaient les mêmes choses que nous, entendaient les mêmes sons. Ils voulaient continuer à vivre. Mais lorsqu'ils ont été appelés, ils se sont présentés ».
Il a terminé son intervention en évoquant la force qui unit les familles endeuillées. « Qu'est-ce qui nous amène ici, si ce n'est le désir de se souvenir et de rappeler ? C'est notre désir d'être ensemble... de puiser la force en nous-mêmes, dans la grande famille qui n'a pas de secteurs ni de classes, pas de fêtes, de rivalités ou de disputes, sans que personne ne vienne la perturber », a-t-il déclaré. [Amen, NdT]

DAVID ROSENBERG
Les compagnies aériennes israéliennes doivent faire face seules à l'impact de la guerre sur les vols de et vers Israël

Les compagnies aériennes étrangères fuient Israël et le gouvernement ne fait rien. C'est pourquoi le secteur technologique organise lui-même ses déplacements.

David Rosenberg, Haaretz, 14/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans les jours et les semaines qui ont suivi le 7 octobre, un gouvernement inefficace et incompétent n'est pas venu en aide aux civils confrontés à la mort et à la destruction causées par le Hamas. En témoignage de la résilience de la société israélienne, des volontaires et le secteur privé ont comblé le vide. Aujourd'hui, une dynamique similaire se produit, cette fois dans le domaine de l'aviation.

Au cours d'une longue guerre qui ne semble pas près de s'achever, le gouvernement n'a pratiquement rien fait pour remédier au fait que la plupart des compagnies aériennes étrangères ont suspendu leurs vols et que les tarifs des vols disponibles sont montés en flèche. Plus d'un an après le début de la guerre, ce sont les entreprises qui interviennent. On ne sait pas encore dans quelle mesure elles pourront faire la différence à elles seules.
À la date du 13 novembre, 46 compagnies aériennes étrangères avaient suspendu leurs liaisons avec Israël, certaines affirmant qu'elles n'avaient pas l'intention de les rétablir avant un an. Vingt d'entre elles, dont les trois compagnies israéliennes, continuent de voler, mais ce chiffre est trompeur. Parmi les compagnies aériennes qui ne volent pas, on trouve tous les grands transporteurs usaméricains et européens, y compris les compagnies à bas prix. À quelques exceptions près, celles qui volent sont minuscules, comme Air Seychelles.
Le tourisme est en baisse à cause de la guerre : le nombre d'arrivées au cours des dix premiers mois de l'année a diminué de près de 75 % par rapport à la même période en 2023. Mais le nombre d'Israéliens prenant des vols internationaux n'a diminué que de 29 % - et le nombre de vols disponibles pour eux s'est réduit dans des proportions bien plus importantes.
Le déséquilibre entre l'offre et la demande a eu des conséquences évidentes. Une enquête menée par TheMarker a révélé qu'au mois d'août, le prix d'un billet d'avion pour New York sur El Al Airlines s'élevait à 2 950 € (pour un siège haut de gamme, car il n'y avait plus de billets ordinaires en classe touriste). Le même mois, un vol aller-retour pour Londres coûtait 1 100 € et pour Paris, 1 030 €.
Il s'agissait là de prix de pointe - le mois d'août est un mois de grand voyage et un grand nombre de grandes compagnies aériennes venaient de suspendre leurs services. Mais voyager hors saison est également coûteux.
L'enjeu n'est pas seulement que les grands-parents usaméricains ne puissent pas rendre visite à leurs petits-enfants israéliens ou que le coût des vacances en Europe soit devenu prohibitif. La crise de l'aviation a imposé un coût énorme à l'économie.
L'industrie du tourisme elle-même ne s'était pas encore complètement remise de la pandémie de grippe aviaire lorsque la guerre a frappé. Marquée par un effondrement de près de cinq ans, l'industrie ne se rétablira pas rapidement ni facilement après la fin des hostilités. Faire des affaires, en particulier avec l'industrie technologique israélienne hautement mondialisée, est devenu beaucoup plus compliqué si le personnel ne peut pas voler à l'étranger et si les clients et les investisseurs ne peuvent pas venir facilement en Israël. Moins de marchandises peuvent être acheminées en Israël par voie aérienne et, lorsqu'elles le sont, le coût est plus élevé, ce qui exacerbe l'effet des attaques des Houthis sur les marchandises transportées par voie maritime.
Force majeure ou rester chez soi
Dans ces conditions, on pourrait penser que la ministre des Transports s'est attelée à la tâche pour résoudre le problème. S'il n'était pas évident au début de la guerre que les combats dureraient longtemps et qu'Israël serait privé de liaisons aériennes pendant une période prolongée, ça l'était certainement il y a six mois ou plus. En tout état de cause, compte tenu de l'histoire d'Israël en matière de guerres répétées, un plan pour une telle éventualité aurait dû être mis en place dès le 7 octobre.
Mais Miri Regev semble consacrer la majeure partie de son temps à la politique de parti, aux voyages à l'étranger et à l'orchestration de cérémonies d'État plutôt qu'aux transports. La seule chose qu'elle ait faite en ce qui concerne la crise de l'aviation est de s'attribuer le mérite d'une décision de l'Agence de sécurité aérienne de l'Union européenne d'assouplir sa recommandation aux compagnies aériennes, passant de « ne pas opérer » du tout en Israël à « un processus de contrôle rigoureux et une évaluation des risques » avant qu'elles effectuent des vols.
En fait, ce changement n'a eu aucun impact puisque les compagnies aériennes ont décidé d'elles-mêmes de suspendre leurs vols.
Le ministre de l'Économie et de l'Industrie, Nir Barkat, a eu le mérite d'inciter El Al à proposer des tarifs fixes pour quatre destinations qui peuvent être utilisées par les voyageurs pour effectuer des correspondances. Mais comme El Al est de toute façon en concurrence sur ces itinéraires, cette mesure n'a qu'un effet limité. L'Autorité de la concurrence a également le mérite d' avoir enquêté sur les prix élevés des billets d'avion d'El Al.
En ce qui concerne la loi dite Tibi, qui oblige les compagnies aériennes à dédommager les clients jusqu'à concurrence de 1 500 shekels (380 €) en cas d'annulation ou de retard d'un vol, le gouvernement n'a pratiquement rien fait. En mai dernier, il a réduit les pénalités prévues par la loi, mais seulement pour les premières semaines de la guerre - la mesure d'urgence a expiré il y a un an.
Le fait que la loi n'ait pas été appliquée a posé un réel problème : les retards et les annulations de vols en temps de guerre ont exposé les compagnies aériennes à des poursuites judiciaires pour exiger des compensations, même lorsqu'elles peuvent invoquer un cas de force majeure. La semaine dernière, un groupe de transporteurs étrangers a prévenu qu'il ne reviendrait pas en Israël de sitôt si la loi n'était pas modifiée.
Face à l'inaction du gouvernement, le secteur privé propose ses propres solutions.
La première vient des deux plus petits rivaux d'El Al. Israir annonce qu'à partir du 17 novembre, elle assurera 4 à 5 vols hebdomadaires vers l'aéroport londonien de Luton et elle annonce qu’elle ajoutera d'autres destinations. Arkia étend son service vers Vienne et Rome à des heures programmées pour permettre aux voyageurs d'effectuer des vols de correspondance vers l'Amérique du Sud. Elle a intensifié ses vols vers Paris et a ajouté Milan et Budapest à son programme.
Les deux compagnies souhaitent concurrencer El Al sur la liaison clé de New York, qui est aujourd'hui un monopole d'El Al. Mais elles ne prendront le risque que si le gouvernement les aide, notamment en modifiant la loi Tibi.
Entre-temps, la nouvelle compagnie Air Haifa a commencé à proposer des vols vers Chypre le mois dernier (au départ de Tel Aviv, Haïfa étant trop dangereuse) et, à sa manière, atténue la pénurie d'offre. Elle a récemment annoncé qu'elle ajouterait un troisième avion à sa flotte le mois prochain, plus tôt que prévu.
Mais l'effort le plus créatif pour résoudre le problème vient de l'industrie de la haute technologie elle-même. Meta High-Tech, un groupe industriel, cherche à louer des avions et des équipages pour assurer la liaison Tel Aviv-New York trois fois par semaine en janvier, février et mars. « Nous avons décidé de ne pas attendre les solutions du ministère des Transports et de les concevoir nous-mêmes », explique l'organisation.
L'objectif est de permettre aux entreprises de faire venir et repartir leur personnel d'Israël par avion (elles devront commander à l'avance des blocs de billets pour couvrir les frais de location). Mais les billets seront également vendus au grand public à des prix que Meta High-Tech estime raisonnables.
Le secteur privé vient tardivement à la rescousse, non seulement parce que le gouvernement ne le fait pas, mais aussi parce qu'il se rend compte que le marché israélien de l'aviation ne reviendra pas à l'époque d'avant le 7 octobre.
Même lorsque la guerre sera terminée, les compagnies aériennes étrangères ne se hâteront pas de revenir de sitôt. Le tourisme en Israël mettra du temps à se remettre du choc d'un conflit long et destructeur. Une pénurie mondiale d'avions et de personnel signifie que les compagnies aériennes étrangères n'auront pas nécessairement les ressources nécessaires pour revenir sur le marché israélien.
En bref, la guerre offre aux petites compagnies aériennes israéliennes la possibilité de s'emparer définitivement de parts de marché. Mais cela suppose qu'il y ait un marché à conquérir. Beaucoup dépendra de l'économie israélienne d'après-guerre et de l'environnement sécuritaire. Hélas, cela dépend uniquement d'un gouvernement dont l'incompétence a été démontrée et dont l'agenda est douteux.


13/11/2024

AMOS HAREL
La bande à Bibi est prête à réécrire la réalité pour l’exonérer de toute responsabilité dans la déculottée du 7 octobre

Amos Harel, Haaretz, 12/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La vaste campagne de propagande menée par le bureau du Premier ministre vise à convaincre l’opinion publique israélienne que l’establishment de la défense est le seul responsable de l’échec, et à empêcher la création d’une commission d’enquête publique. Une seule chose fait obstacle à cette ligne de défense : les faits.


La carrière politique de Bibi, par Manny Francisco, Philippines

Les enquêtes menées par le service de sécurité Shin Bet et la police israélienne, qui menacent d’impliquer plusieurs personnes au sein du cabinet du Premier ministre, tournent autour d’une seule question principale : les efforts déployés par les membres du cercle rapproché de Benjamin Netanyahu pour le dédouaner de toute responsabilité dans les échecs qui ont conduit au massacre du 7 octobre de l’année dernière et, plus tard, des accusations selon lesquelles il aurait délibérément fait échouer un accord pour la libération d’autres otages.
La vaste campagne d’influence menée par le cabinet du Premier ministre depuis le début de la guerre avec le Hamas dans la bande de Gaza vise à persuader le public israélien et à empêcher la création d’une commission d’enquête nationale sur l’événement. Une partie de l’affaire a fait l’objet d’une enquête criminelle et ravive des tensions de longue date entre Netanyahou, d’une part, et les forces de l’ordre et les hauts gradés de la défense, d’autre part.
Ronen Bergman a rapporté dans Yedioth Aharonot lundi que l’enquête se concentre sur ce que le cabinet du Premier ministre savait de l’opération carte SIM avant le déclenchement de la guerre. Comme cela a été rapporté, le Shin Bet a surveillé des centaines de cartes SIM installées dans les téléphones portables des membres du Hamas à Gaza. Ces cartes devaient permettre aux militants de diffuser des vidéos de l’attaque directement dans la bande de Gaza et de communiquer avec leurs membres après leur passage en Israël. L’activation des cartes SIM était connue en Israël pour signaler une attaque imminente du Hamas - et le Shin Bet savait qu’elles étaient utilisées dans les heures précédant l’aube du 7 octobre. Ce fait, ainsi que les changements de localisation des responsables et des principaux activistes du Hamas, ont été la principale raison des consultations menées par le chef d’état-major des FDI, Herzl Halevi, et le chef du Shin Bet, Ronen Bar, dans les heures qui ont précédé l’attaque.
La ligne de défense publique de Netanyahou est la suivante : « Personne ne m’a prévenu ». Selon sa version des faits, le Shin Bet et Tsahal ne l’ont pas informé avant qu’un barrage massif de roquettes ne s’abatte sur Israël à 6h29 le 7 octobre, et il n’est donc pas responsable de la débâcle. Ses partisans et leurs porte-parole sur les réseaux sociaux et dans les médias ont formulé des allégations plus graves : les renseignements ont été intentionnellement cachés au premier ministre. Ils laissent entendre que cela est lié aux tensions entre Netanyahou et l’establishment de la défense au sujet de la réforme judiciaire et de la menace de milliers de réservistes de ne pas se présenter à leur poste en signe de protestation.
Le mois dernier, Omri Maniv de Channel 12 News a rapporté que le Shin Bet avait effectivement publié une mise à jour concernant l’activation des cartes SIM à 2h58 du matin, par le biais d’un réseau informatique qui fournit des informations simultanément au Conseil de sécurité nationale (qui rend compte directement au Premier ministre) et à la police israélienne. L’avertissement était accompagné d’une déclaration indiquant qu’il pouvait s’agir d’une préparation à une attaque du Hamas.
Plus tard, Bar a décidé d’envoyer deux équipes d’intervention rapide (« Tequila ») dans la zone frontalière de Gaza, mais bien que les évaluations aient continué à parler d’une présence du Hamas le long de la frontière, elles ne prévoyaient pas une attaque simultanée sur des dizaines de sites. Une autre alerte concernant les cartes SIM et d’autres développements inquiétants a été transmise au secrétaire militaire de Netanyahou, le général de division Avi Gil, par le Shin Bet quelques minutes avant le début de l’attaque. Gil en a discuté par téléphone avec Netanyahou au milieu de la première série de tirs de roquettes ; ils ont eu une seconde conversation environ 11 minutes plus tard.
Au cours des trois heures et demie qui ont précédé le début de l’attaque, le bureau du Premier ministre a été tenu informé par deux canaux différents : le Conseil de sécurité nationale et son secrétaire militaire. On ne sait toujours pas exactement quand Gil a été mis au courant et si les informations lui ont été communiquées en temps utile par l’intermédiaire de son conseiller en renseignement, le colonel S.
Netanyahou a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’avait entendu parler pour la première fois des événements de cette nuit-là que lors de la conversation qui s’est déroulée à 6h29. Son bureau a même cherché à nier qu’il était au courant du suivi des cartes SIM, et a été contraint de se rétracter lorsqu’il est apparu clairement que cette affirmation était sans fondement.
Quoi qu’il en soit, l’enquête semble montrer que le Shin Bet a tenté d’informer l’équipe de. Netanyahou sur les deux canaux dans les heures qui ont précédé le massacre. Cela contredit la ligne de défense de Netanyahou, qui affirme que l’information lui a été cachée. On peut donc soupçonner que ce n’est pas l’imaginaire « État profond », les FDI et le Shin Bet qui lui ont délibérément refusé l’information ; ce sont plutôt des problèmes dans sa propre cour - son secrétaire militaire et le Conseil de sécurité nationale - qui ont empêché sa transmission rapide.
Si tout ce qui s’est passé cette nuit-là est une absence de rapport, ce n’est pas criminel en soi. Mais cela met en évidence des problèmes opérationnels au sein du cabinet du Premier ministre et sape les efforts déployés pour transférer la responsabilité au Shin Bet. Cela explique probablement les tensions croissantes entre Netanyahou et Bar. Pour Netanyahou, Bar et ses collaborateurs sont les premiers responsables de l’échec, mais au lieu de tomber à bras raccourcis sur le Premier ministre, ils sont engagés dans les enquêtes en cours sur son bureau (les partisans de Netanyahou laissent même entendre qu’ils extorquent des aveux contre lui à ceux qui font l’objet de l’enquête).
Le Shin Bet mène une autre enquête sur l’affaire du vol d’informations sensibles des services de renseignement militaire, qui ont ensuite été divulguées aux médias étrangers. L’enquête a conduit à l’arrestation par le Shin Bet d’Eli Feldstein, l’un des porte-parole du premier ministre, un fait que le cabinet du premier ministre a également tenté de nier dans un premier temps. En outre, quatre autres officiers du renseignement militaire et du Shin Bet ont également été arrêtés. D’autres membres du cabinet du premier ministre et des personnalités qui lui sont proches pourraient être convoqués pour être interrogés.
Le Premier ministre et son entourage sont confrontés à un mouvement de tenaille mené par le Shin Bet. Ceci explique probablement les menaces de limogeage de Bar qui ont émergé la semaine dernière. Le chef du Shin Bet est aussi celui qui a parlé le plus fort dans les discussions internes sur la nécessité de parvenir rapidement à un accord sur les otages avec le Hamas. Bar a récemment répété aux ministres qu’un accord était à portée de main, ce que nie Netanyahou.
Lundi, un autre haut fonctionnaire de la défense a démissionné : Le bureau du nouveau ministre de la défense, Israel Katz, a annoncé que le général de division (à la retraite) Eyal Zamir, directeur général du ministère et nommé par Yoav Gallant, avait demandé à démissionner. Jusqu’à récemment, le nom de Zamir avait été cité comme l’un des principaux candidats à la succession de Halevi en tant que chef d’état-major.
Fermeture pour travaux
Entre-temps, plusieurs personnes impliquées dans l’affaire des procès-verbaux falsifiés ont fait des déclarations. La tentative présumée de modifier les heures officielles des entretiens que Netanyahou a eus avec Gil et d’autres personnes, dans les premières heures qui ont suivi l’attentat du 7 octobre, constitue une infraction pénale évidente.
On soupçonne des personnes de l’entourage du premier ministre d’avoir tenté de modifier les documents pour « améliorer » sa ligne de défense vis-à-vis du 7 octobre et pour en faire porter la responsabilité à l’establishment de la défense.
Entre-temps, un différend est apparu entre le bureau du procureur de l’État et la police au sujet de l’enquête. Le premier a l’impression que la police, qui est contrôlée par le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, est influencée par son désir de minimiser les allégations faisant l’objet de l’enquête et de s’assurer qu’elle ne mette pas en danger le premier ministre.
Netanyahou a pris la peine de publier lundi une vidéo dans laquelle il affirme que son bureau « fait l’objet d’attaques sauvages et incontrôlées, alors que le gouvernement et le cabinet que je dirige s’efforcent constamment de repousser nos ennemis qui cherchent à nous détruire ». En plus d’envoyer un message aux autorités chargées de l’enquête, il semble qu’il tente de faire savoir à son peuple qu’il continue à le soutenir et qu’il ne le renoncera pas. Dans le même temps, quelqu’un s’est assuré de divulguer aux médias que Feldstein coopère effectivement avec les enquêteurs, bien qu’il n’ait pas signé d’accord pour livrer les preuves de l’État.
Les personnes qui se sont entretenues avec Netanyahou lundi ont indiqué qu’il était très inquiet au sujet de l’enquête. Lors d’une réunion avec le cabinet de sécurité, il a attaqué la procureure générale Gali Baharav-Miara en réponse aux informations de presse selon lesquelles elle avait l’intention de soutenir le licenciement de Ben-Gvir et a averti que ce serait « un court chemin vers une crise constitutionnelle ».
Netanyahou utilise son implication dans la guerre comme excuse pour une nouvelle tentative, attendue de longue date, de retarder son témoignage dans son procès pénal. Celui-ci était prévu pour le 2 décembre, mais il demande qu’il soit reporté de deux mois et demi.
Ses avocats avancent deux arguments principaux : la première est qu’il n’a pas eu le temps de préparer son témoignage en raison d’une « série d’événements extraordinaires », notamment l’escalade de la guerre à Gaza et au Liban. La seconde est qu’en témoignant dans le bâtiment non protégé du tribunal de district de Jérusalem, il risquerait d’être victime d’une tentative d’assassinat. Ils ont cité le drone du Hezbollah qui a frappé la résidence privée de Netanyahou à Césarée le mois dernier (la famille n’était pas à la maison), endommageant la fenêtre de la chambre du couple.
Il serait intéressant de savoir si une telle demande de sécurité pourrait être soulevée par un citoyen ordinaire cherchant à être exempté de comparaître devant un tribunal de Haïfa ou d’Acre (bien qu’il s’agisse ici d’un risque posé à Netanyahu personnellement).
Les avocats du premier ministre affirment notamment qu’il était occupé en août par des négociations sur les otages. Les cyniques diront qu’à l’époque, Netanyahou et ses collaborateurs étaient surtout préoccupés par l’échec d’un accord, comme l’a révélé la fuite dans le journal allemand Bild, qui est au centre de l’enquête Feldstein.
Quant à l’affirmation selon laquelle la guerre prend tout le temps de Netanyahou, cela ne l’a pas empêché, au cours des deux derniers mois, de trouver le temps d’évincer Gallant, de relancer la réforme judiciaire et de passer de nombreuses heures à trouver un moyen de donner une sanction légale à l’évitement de la conscription par les Haredim [juifs orthodoxes exemptés de service militaire, NdT], alors même que les réservistes s’effondrent sous l’effet de la tension due à des mois de service interminables.


 

08/11/2024

GIDEON LEVY
Comme Kamala Harris, l'opposition israélienne est charmante, décente, et… affreusement creuse

Gideon Levy, Haaretz, 6/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La victoire de Donald Trump a prouvé aux USA ce que nous savons depuis longtemps ici en Israël : lorsque les libéraux* ne peuvent pas proposer d'alternative, les populistes marquent contre un filet vide. Tout le monde compare Trump à Benjamin Netanyahou, et en effet il y a beaucoup de similitudes, mais personne ne compare les démocrates aux USA au centre-gauche en Israël. Tout comme Trump est le frère jumeau de Netanyahou, Kamala Harris est la sœur jumelle de Benny Gantz et de Yair Lapid : le rire en cascade de Harris, le charme captivant [sic] de Lapid et la décence [resic] de Gantz, derrière tout ça, il n'y a rien.


Les députés Lapid, à gauche, et Gantz, à la Knesset, au début de l'année. Photo Olivier Fitoussi

Trump et Netanyahou sont faits de l'étoffe dont sont faits les dirigeants qui suscitent des émotions intenses et pures de haine ou d'admiration. Peu importe aux trumpistes et aux bibiistes ce que leur héros dit et fait, ils le suivraient dans l'eau et le feu et aussi dans le crime, il a toujours raison et il est toujours une victime. Mais les victoires des deux hommes sont également dues, en partie, à la faiblesse du camp rival.
Aux USA et en Israël, les libéraux suscitent la sympathie et sont terriblement creux. Aux USA et en Israël, les libéraux sont censés s'opposer à la guerre à Gaza, et leur opposition est une histoire de vide idéologique et d'échec moral, d'hypocrisie et de moralité.
Les électeurs n'ont pas aimé ça en USAmérique mardi, et ils pourraient ne pas l'aimer lors des prochaines élections israéliennes. Mme Harris n’a pas perdu seulement à cause de Gaza, mais la conduite de l'administration démocrate sur la guerre ne l'a certainement pas aidée dans les urnes. Les électeurs n'aiment pas les artifices et les faux-semblants.
La similitude est évidente. Au cours de l'année écoulée, l'administration Biden a porté l'hypocrisie et la moralité à des sommets que même le centre-gauche israélien n'a pas atteints. Ce dernier, quant à lui, a prouvé que, sur des questions fondamentales, la différence entre lui et la droite bibiiste est beaucoup plus ténue qu'il n'y paraît, si tant est qu'elle existe.
Un fossé incroyable s'est creusé entre les paroles et les actes de l'administration Biden. Les paroles dressaient le portrait d'un gouvernement humain et moral, profondément soucieux de la vie humaine et des droits humains. Ils se sont battus pour chaque camion d'aide à Gaza, se sont plaints des massacres et des destructions, et ont averti Israël de ne pas envahir Rafah. Que pourrions-nous demander de plus au gouvernement usaméricain ?
Mais dans le même temps, ce gouvernement moral et humain a engraissé Israël en lui fournissant des armes et des munitions à une échelle sans précédent. Aucune des exigences morales de Washington n'a été assortie de stipulations, aucune sanction significative n'a été imposée à l'État client qui s'est débarrassé de toutes les contraintes légales et morales à Gaza.
L'administration du président Joe Biden et de la vice-présidente Harris était-elle en faveur ou contre les massacres à Gaza ? Pour ou contre le nettoyage ethnique ? D'après ses déclarations, l'administration a été choquée par les actions d'Israël. D'après ses actions, l'administration démocrate a soutenu, financé, armé et appuyé la terrible attaque contre Gaza. Elle a le sang de dizaines de milliers de personnes sur les mains.
Quiconque arme un pays avec autant de prodigalité veut que ces armes et ces munitions soient utilisées, et Israël en a fait un usage des plus terribles. Regardez Jabaliya, pensez à Beit Lahia. L'USAmérique est complice. Les démocrates sont complices. Les électeurs libéraux ont tiré des conclusions face à l'hypocrisie de Harris et ont surmonté leur horreur de Trump ou sont restés chez eux.
Nous avons nous aussi une opposition résolue - qui soutient tacitement la guerre, qui vote à la Knesset contre une solution à deux États, qui soutient la suppression de l'UNRWA. Benny Gantz offre une oreille attentive aux familles des otages, il est si sensible et décent ; Lapid a également mémorisé les noms des soldats tombés au combat et partage le chagrin des familles. Ils ne prononcent pas un seul mot sur les atrocités commises à Gaza. Pas un mot.
Mardi, lorsqu'ils ont été interviewés après le licenciement de Yoav Gallant, choqués et bouleversés, les deux hommes ont complimenté le ministre suivant de la défense, Israel Katz*. Ils l'admirent tellement, ont expliqué les libéraux israéliens.

NdT
Libéraux : en anglousaméricain, « liberal » désigne tout ce qui est vaguement « progressiste », équivalent de l’appellation « centre gauche » en Europe, autrement dit la main gauche du capital.
Israel Katz : lire le CV édifiant de ce candidat idéal à une comparution devant la Cour pénale internationale

 

05/11/2024

Les sionihilistes au pouvoir veulent couler le journal Haaretz et mettre son patron en prison pour 20 ans (il pourrait fêter son centenaire en liberté)


NdT

Non, vous ne rêvez pas. Les informations cauchemardesques ci-dessous sont le pain (azyme) quotidien de la politique israélienne. Un homme de 80 ans, patron d’un groupe de presse prestigieux, libéral, bastion du sionisme à visage humain, hérité de son père et de son grand-père, fait des remarques anodines relevant d’un simple bon sens. Et cela provoque une tempête, avec un ministre qui souhaite une loi permettant de condamner à 10 ans de prison -et 20 ans en temps de guerre – de tels propos. Martin Buber, réveille-toi, ils sont vraiment devenus fous. -FG, Tlaxcala

Lors de la conférence de Haaretz à Londres, Amos Schocken a déclaré, entre autres, qu’Israël était en train de réaliser une seconde Nakba. En réponse, plusieurs ministres et services gouvernementaux ont annoncé des mesures contre Haaretz et exprimé leur intention de proposer de nouvelles restrictions à la liberté d’expression.

Ido David Cohen, Haaretz, 31/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le ministre israélien de la communication, Shlomo Karhi, a lancé une nouvelle campagne de boycott de Haaretz par le gouvernement à la suite des remarques faites par l’éditeur de Haaretz, Amos Schocken, lors d’une conférence à Londres dimanche 27 octobre.

Dans son discours à la conférence, co-organisée par Haaretz, Schocken a déclaré : « Le gouvernement Netanyahu ne se soucie pas d’imposer un cruel régime d’apartheid à la population palestinienne. Il ne tient pas compte des coûts supportés par les deux parties pour défendre les colonies tout en faisant la guerre aux combattants de la liberté palestiniens, qu’Israël qualifie de terroristes ».

Après la publication du discours, le ministre Karhi a cherché à relancer une initiative qu’il avait lancée il y a un an : mettre fin à la publicité gouvernementale dans le journal et annuler tous les abonnements des employés de l’État, y compris ceux de Tsahal, de la police, de l’administration pénitentiaire, des ministères et des entreprises d’État.

Dans son discours en anglais, qui a été diffusé mercredi sur la Chaîne 14 et qui a ensuite circulé dans les médias israéliens, Schocken a ajouté : « Dans un sens, ce qui se passe actuellement dans les territoires occupés et dans certaines parties de Gaza est une deuxième Nakba. [….] Un État palestinien doit être créé et le seul moyen d’y parvenir, je pense, est d’appliquer des sanctions contre Israël, contre les dirigeants qui s’y opposent et contre les colons ».

Mercredi 30 octobre, Schocken a clarifié ses propos. « Compte tenu des réactions suscitées par le fait que j’ai qualifié les Palestiniens qui commettent des actes de terrorisme de combattants de la liberté, j’ai reconsidéré mes propos. De nombreux combattants de la liberté dans le monde et au cours de l’histoire, peut-être même ceux qui ont lutté pour la création d’Israël, ont commis de terribles actes de terrorisme, blessant des innocents pour atteindre leurs objectifs.

« J’aurais dû dire : des combattants de la liberté qui recourent également à des tactiques de terreur – qui doivent être combattues. Le recours à la terreur n’est pas légitime.

« Quant au Hamas, il n’est pas un combattant de la liberté puisque son idéologie dit essentiellement : « Tout est à nous, les autres doivent partir ». J’ai déclaré, non pas dans le discours de la conférence mais dans un article, que les organisateurs et les auteurs des attentats du 7 octobre devraient être sévèrement punis ».

Schocken a ajouté : « Il existe des combattants palestiniens de la liberté qui ne recourent pas au terrorisme. Mahmoud Abbas, lorsqu’il a pris ses fonctions à la tête de l’Autorité palestinienne, a déclaré qu’il renonçait à la terreur et qu’il ne poursuivait que la voie diplomatique. C’est peut-être pour cette raison que Netanyahou a évité d’établir une relation avec lui et a choisi le Hamas à la place.

« Dans mon discours, j’ai réitéré ce que j’ai écrit dans plusieurs articles pendant la guerre : La victoire à long terme d’Israël passera par la libération de tous les otages et la création d’un État palestinien, mettant fin à la fois à l’apartheid et au terrorisme.

« Le discours que j’ai prononcé à Londres s’est conclu sur ce point : Le sionisme est toujours une idée justifiée pour le peuple juif, mais la conduite des gouvernements israéliens successifs a déformé sa signification au point de la rendre méconnaissable. Israël doit être remis sur le droit chemin ».

La diffusion de Channel 14 avait omis la première partie de la déclaration de Schocken : « Si nous voulons assurer la survie et la sécurité d’Israël, et aussi aider à la normalisation de la vie des Palestiniens, nos voisins, [un État palestinien doit être établi] ».

Dans une proposition soumise jeudi par le bureau de Karhi, le ministre a demandé que « le gouvernement ne conclue pas de nouveaux contrats avec Haaretz, y compris des abonnements individuels pour les employés de l’Etat, ni ne renouvelle les contrats existants ; tous les accords actuels avec Haaretz, y compris les abonnements personnels, seront annulés dans la mesure où cela est légalement possible. Le Bureau gouvernemental de la publicité demandera à Haaretz de cesser toute publicité, y compris les avis statutaires, quel que soit le statut du paiement, et de demander le remboursement de tous les paiements existants. Aucune autre publicité ne sera placée dans la publication ».

La proposition actuelle de Karhi est identique à celle soumise au secrétaire du cabinet Yossi Fuchs le 23 novembre 2023. À l’époque, Karhi avait accusé Haaretz de « propagande défaitiste et mensongère » en temps de guerre.

La proposition stipule également que « le gouvernement, ses ministères, ses employés et toutes les entités financées par l’État ne seront en aucun cas en contact avec Haaretz, y compris par le biais d’abonnements ».

Depuis le début de la guerre, de nombreuses plaintes ont accusé Haaretz d’adopter une position néfaste, de saper les objectifs de la guerre et d’affaiblir à la fois nos efforts militaires et notre résilience sociale. Certaines publications peuvent même franchir le seuil criminel défini dans des sections du code pénal, réservées exclusivement au temps de guerre. Bien que le caractère délictueux de ses publications soit examiné par les autorités compétentes, il convient de noter que Haaretz est généreusement financé par le public israélien par le biais de publicités et d’abonnements achetés par le gouvernement ».

La proposition a été soumise sans avis juridique de la procureure générale, qui devrait s’y opposer.

Jeudi, le directeur général du ministère de l’intérieur, Ronen Peretz, a demandé au service des médias et de la communication de son bureau de cesser immédiatement toute publicité et toute collaboration avec Haaretz, que ce soit directement ou par l’intermédiaire du Bureau gouvernemental de la publicité.

Peretz a écrit : « Ces remarques provoquent le dégoût et reflètent un grave détachement des valeurs fondamentales, en particulier à un moment où Israël est engagé dans une guerre juste à la suite de l’attaque meurtrière du Hamas du 7 octobre. Compte tenu de la gravité de ces remarques […] nous ne pouvons pas et n’avons pas l’intention de rester silencieux face aux atteintes portées aux soldats de Tsahal et aux efforts déployés par l’État pour protéger ses citoyens ».

De même, le maire de Nesher, une ville du nord d’Israël, a écrit sur X : « J’ai demandé au porte-parole et au trésorier de la ville de cesser toute publicité dans Haaretz ou dans toute autre publication qui lui est associée. Seul un boycott des consommateurs, utilisant des fonds publics, sera efficace ».

L’avocat Michael Sfard a déclaré à Haaretz que les actions menées par le gouvernement étaient illégales. « Les budgets publicitaires appartiennent au public ; Karhi et Moshe Arbel (ministre de l’intérieur) ne peuvent pas les distribuer à leur guise. Il s’agit de tentatives éhontées de refuser des budgets à Haaretz pour des raisons idéologiques, et ils n’essaient même pas d’en cacher le caractère illégal. Il s’agit d’un exemple flagrant de discrimination fondée sur les opinions politiques et de politisation des ressources publiques pour réduire au silence un camp politique et délégitimer le discours de gauche. Les remarques de Schocken sont familières dans le discours de gauche ».

Sfard, qui représente les organisations Zulat, Movement for Fair Regulation et Democratic Bloc dans leur appel à une enquête criminelle sur Canal 14 pour incitation au génocide et aux crimes de guerre contre les Palestiniens, a ajouté : « Pour une raison quelconque, Canal 14 ne figure pas sur la liste des sanctions israéliennes, bien qu’il ait diffusé des déclarations criminelles sur lesquelles Israël s’est engagé à enquêter et à les traiter devant la Cour internationale de justice de La Haye ».

En réponse aux remarques de Schocken, le ministre de la justice, Yariv Levin, a envoyé jeudi une lettre à la procureure générale, Gali Baharav-Miara, pour lui demander d'oeuvrer à une législation limitant la liberté d’expression.

« Je vous demande de me fournir d’urgence un projet de loi stipulant que les actions de citoyens israéliens visant à promouvoir ou à encourager des sanctions internationales contre Israël, ses dirigeants, ses forces de sécurité et ses citoyens constitueront un crime passible de dix ans de prison », a-t-il écrit.

Levin a ajouté : « Je demande en outre qu’une telle infraction en temps de guerre soit considérée comme une circonstance aggravante, permettant de doubler la peine ». Levin a également écrit que « les appels à des sanctions contre Israël (…) constituent une grave violation du devoir fondamental de loyauté d’un citoyen envers son pays. De telles actions encouragent une démarche visant à priver Israël de son droit à l’autodéfense ».


04/11/2024

Chirurgien d'urgence à Gaza : le témoignage du Dr Yacine Haffaf

Le Dr Yacine Haffaf, 68 ans, chirurgien viscéral vivant à La Réunion, a effectué une mission médicale auprès du CICR à Rafah du 4 juillet au 6 août 2024. Il nous fait part de son expérience

01/11/2024

GIDEON LEVY
Les Israéliens ne devraient pas pleurer la mort d’un salaud

Gideon Levy, Haaretz, 31/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Quand Bezalel Smotrich pleure, on ne peut que répondre par un rire amer. Quand Uriah Ben-Natan pleure sur la tombe de son frère Shuvael et fait son éloge funèbre, nous devons appeler la police pour qu’elle l’arrête. Lorsqu’une guerre brutale se poursuit sans fin à cause de Smotrich, Ben-Natan et de leurs semblables, nous n’avons pas à partager leur peine.


Le ministre des Finances Bezalel Smotrich à la Knesset portant deux pin’s : un gravé avec la carte d’Israël, Cisjordanie comprise, et un pin’s jaune pour les “otages”, le 9 septembre. Photo Oren Ben Hakoon


Lorsque le deuil se transforme en une incitation répugnante à commettre de nouveaux crimes de guerre, on ne peut l’ignorer, même lorsque la source est un homme qui vient de perdre son frère. Le politiquement correct doit cesser ici, ainsi que le précepte selon lequel « une personne ne peut être tenue responsable de ce qu’elle dit lorsqu’elle est en détresse ». Leur douleur n’est pas la mienne : leur douleur n’est pas celle de tous les Israéliens.
Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a fondu en larmes cette semaine lors d’une réunion de son parti, Sionisme religieux, à la Knesset, en évoquant les « sages, les érudits de la Torah, qui sont tombés pour défendre l’État ». Celui qui a poussé à la poursuite de la guerre et même à son escalade, et qui a empêché sa fin en exerçant le pouvoir d’extorsion de sa coalition, ne mérite pas de partager le chagrin d’autrui.
Plus que tout, Smotrich déplore le prix que la communauté sioniste religieuse a payé en sang dans la guerre, « un prix disproportionné par rapport à sa part de la population ». Cependant, il ne faut pas ignorer le rôle de ce groupe dans les horreurs de la guerre et dans sa poursuite criminelle.


Soldats israéliens en opération à Gaza, octobre 2024. Photo Tsahal

C’est une guerre de l’électorat de Smotrich. C’est la première guerre de l’extrême droite. Jamais Israël n’a mené une guerre dans laquelle la droite kahaniste a eu une influence aussi profonde.
Une forte majorité d’Israéliens la soutient. Les combats ne sont pas dirigés par les jeunes des collines, les jeunes colons juifs radicalisés de Cisjordanie. La plupart des crimes de guerre qui ont été perpétrés l’ont été par des officiers, des pilotes et des soldats de la gauche sioniste et du centre politique. En outre, il est également vrai que le Premier ministre Benjamin Netanyahou porte la plus grande part de responsabilité et de blâme pour la guerre.
Mais Israël n’a jamais mené une guerre dans laquelle les colons et leurs partisans ont eu une influence aussi décisive sur son déroulement. Par conséquent, lorsque l’un de leurs dirigeants pleure, il ne peut susciter aucune sympathie ou compassion de la part des opposants à la guerre. À cause de Smotrich et de ses semblables, il y a maintenant des millions de personnes qui pleurent sans cesse, de Beyrouth à Rafah, y compris en Israël. À cause d’eux, Israël est devenu un État paria dans lequel toute compassion et toute humanité envers l’autre est non seulement étrangère, mais considérée comme une trahison.


Un soldat de l’armée israélienne se tient debout tandis que des colons israéliens marchent pendant une visite guidée du vieux marché dans la partie palestinienne de la vieille ville d’Hébron/Al Khalil en Cisjordanie, le 22 octobre 2024, pendant la fête juive de Souccot. Photo Hazem Bader/AFP

Smotrich a pleuré les morts de sa base électorale (tout en mentionnant les autres). C’est grâce à son patronage, à son soutien, à ses encouragements et à son financement que les Shuvael ont prospéré. Le soldat Shuvael Ben-Natan a été tué la semaine dernière au Liban. Il vivait dans la colonie de Rehelim, en Cisjordanie. Ses funérailles au Mont Herzl, auxquelles des milliers de personnes ont assisté, se sont transformées en une démonstration d’incitation à la haine et d’appels au meurtre comme on n’en avait jamais vu en Israël. Sous le couvert du deuil, les masques sont tombés. Au Mont Herzl, le chat est sorti du sac, et il est violent, criminel, raciste, pogromiste, néo-nazi. Les Smotrich l’encouragent.

Il était connu sous le nom de « Shuvi le Madlik » [madlik, dérivant du radical d/l/k - delek= essence, hadlaka= éclairage, l’hadlik=allumer -signifie en hébreu à la fois « celui qui  allume les cierges de shabbat » et, par extension « incendiaire » et, en langage familier, « grand, cool, super ». On peut supposer un troisième sens : une grande partie des colons étant d’origine US, madlik en anglo-hébreu pourrait se référer à l’anglais mad (fou, comme Mad Max) augmenté d’une désinence hébraïsante, lik, NdT], pour son habitude d’incendier des maisons palestiniennes « pour s’amuser ». Lors de ses funérailles, ses amis ont parlé de lui avec tendresse et admiration. Il y a un an, il avait été arrêté, soupçonné d’avoir tué un paysan palestinien qui récoltait innocemment ses propres olives. Ben-Natan a été rapidement relâché, là aussi dans l’esprit de l’ère Smotrich.


Bilal Saleh, assassiné par Shuvi le Madlik près de Naplouse l’année dernière.

Voici comment son frère Uriah a fait son éloge funèbre : « Tu es allé à Gaza pour te venger, autant que possible - les femmes, les enfants, tous ceux que tu voyais, autant que possible, c’est ce que tu voulais... Nous pensions que nous allions massacrer l’ennemi, les massacrer tous, les chasser du pays ici... Tout le peuple d’Israël devrait pouvoir te venger. Une vengeance sanglante : non pas la vengeance des maisons brûlées, ni la vengeance des arbres brûlés, ni la vengeance des véhicules brûlés, mais la vengeance du sang versé de vos serviteurs ».

 Pendant un moment fort, la vraie nature des colons violents d’Israël a été pleinement révélée. Sous le couvert de la guerre, ils se déchaînent non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, à une échelle sans précédent qu’ils n’avaient jamais atteinte auparavant, avec l’aimable autorisation de Smotrich.

Il est inutile d’imaginer ce qui se serait passé si un Palestinien endeuillé avait utilisé des mots similaires sur la tombe de son propre frère. Inutile parce que le corps d’un terroriste palestinien, contrairement à celui d’un terroriste juif, ne serait pas rendu à sa famille.




30/10/2024

Un mouvement international de la société civile pour la Palestine est aujourd’hui plus que jamais nécessaire


Il y a quarante ans, une coalition internationale de plus de 1 200 organisations œuvrant pour la liberté en Palestine se réunissait chaque année pour partager des informations et coordonner des actions. Un effort similaire est nécessaire aujourd’hui plus que jamais.

Kathy Bergen, Don Betz, Larry Ekin et le Révérend Dr Don Wagner , Mondoweiss, 27/10/2004
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Soyons clairs.

Gaza était un crime, même avant la guerre génocidaire menée actuellement par Israël. L’un des espaces les plus densément peuplés du monde a servi pendant des années à ce qui était essentiellement la plus grande prison à ciel ouvert du monde. Si ce n’était pas un crime, c’était certainement une violation du droit international et un affront à la dignité humaine et à la décence.

Toutefois, les événements horribles qui s’y sont déroulés récemment semblent avoir réveillé la conscience mondiale. Tragiquement, malgré les manifestations et les condamnations internationales généralisées, aucun cessez-le-feu n’a été conclu et la crise humanitaire de Gaza se poursuit. Ceux qui ne sont pas tués par les bombardements incessants d’Israël souffriront d’un déplacement continu ou, pire encore, mourront de faim et de maladie.

De plus, cette crise continue de s’aggraver. Ce qui a commencé à Gaza il y a un an menace maintenant d’engloutir toute la région dans une conflagration qui pourrait encore enflammer la haine, causer des ravages, aggraver la crise humanitaire et redessiner la carte de toute la région.


2 septembre  1983 : Yasser Arafat, président du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), s’est adressé ce matin à la Conférence internationale sur la question de Palestine, à la suite de quoi le débat général a repris sur les moyens pour le peuple palestinien d’obtenir ses droits inaliénables. Lors d’une réunion informelle avant le discours de M. Arafat ce matin, on peut voir, dans le sens des aiguilles d’une montre à partir de l’extrême gauche, : Nabil Ramlawi (OLP), observateur permanent auprès de l’Office des Nations unies à Genève (ONUG) ; Lucille Mair, secrétaire générale de la Conférence internationale sur la question de Palestine (CIPP) ; Yasser Arafat ; Mustapha Niasse (Sénégal), président de la CIPP ; Erik Suy, directeur général de l’ONUG ; (dos à la caméra) Massamba Sarre (Sénégal), président du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien ; et Alioune Sene (Sénégal), représentant permanent auprès de l’ONUG. (Photo : Archives des Nations unies)

Cependant, imaginez un instant ce qui aurait pu se passer s’il existait un mouvement mondial coordonné de solidarité pour la paix et la justice en Israël et en Palestine. Aurait-il pu exercer une pression politique sur les gouvernements pour qu’ils exigent un cessez-le-feu et mettent fin aux livraisons d’armes à Israël, mettant ainsi un terme au génocide à Gaza, peut-être dès le premier mois des hostilités ? Combien de vies auraient pu être sauvées, et combien de violence et de dévastation insensées auraient pu être évitées ?

Beaucoup d’entre nous, issus d’une génération antérieure, pensaient avoir construit un tel mouvement au milieu des années 1980.

À une époque, le Comité international de coordination sur la question de Palestine (ICCP) comptait plus de 1 200 organisations membres dans le monde entier. Fruit d’une initiative des Nations unies en faveur d’une conférence mondiale sur la Palestine, ces organisations non gouvernementales (ONG) très diverses variaient en taille, en portée et en diversité, allant de petits comités de base à de grandes organisations complexes telles que les Travailleurs canadiens de l’automobile et de nombreuses églises protestantes usaméricaines. Des réseaux dynamiques fonctionnaient en Europe, en Amérique du Nord, en Afrique, en Amérique latine et en Asie, ainsi que des réseaux distincts en Israël et en Palestine.

Cependant, nous avons été hantés par la question de la durabilité, car nous avons assisté à sa disparition au milieu des années 1990. Il est probable que la plupart des organisateurs contemporains ignorent son existence, mais l’histoire de l’ICCP est riche d’enseignements pour les organisateurs d’aujourd’hui.

Yasser Arafat rencontre les journalistes après son discours à la Conférence internationale sur la question de Palestine (ICQP). Sont également présents, de gauche à droite, Liselotte Waldheim-Natural, chef du protocole, Office des Nations Unies à Genève (ONUG) ; Roger Neild, chef de la sécurité, ONUG ; Anthony Curnow, directeur, Service d’information des Nations Unies, Genève ; Nabil Ramlawi  et Chawki Armali (OLP), ambassadeur en Grèce. (Photo : Archives des Nations Unies)

L’histoire de l’ICCP

En 1981, les Nations unies ont appelé les États membres à organiser une conférence sur la Palestine. L’ajout d’une composante ONG s’est fait presque après coup, car les Nations unies n’avaient pas anticipé le niveau d’intérêt ou la croissance expansive qui s’est produite. Le secrétariat de la conférence des Nations unies a commencé à développer la participation des ONG au cours de l’été 1982.

L’objectif du réseau d’ONG était de créer le terrain d’entente nécessaire pour développer une coalition dans le cadre de « toutes les résolutions pertinentes des Nations unies ». À l’époque, il était admis que cela signifiait une solution à « deux États ». Mais ce que nous n’avions pas prévu au début de la planification, c’était l’ampleur de l’intérêt mondial des ONG pour la question de la Palestine. Elles n’avaient jamais été invitées à se rencontrer de manière organisée auparavant.

À certains égards, le mouvement que nous avons contribué à créer était un sous-produit de la conférence des Nations unies, et peut-être sa plus grande réalisation.

Affiche de la Conférence internationale sur la question de Palestine (ICQP) (Photo : Don Betz)

Lorsque l’ONU a convoqué la Conférence internationale sur la question de Palestine (ICQP) au Palais des Nations à Genève à la fin du mois d’août 1983, cent dix-sept États membres se sont inscrits à l’ICQP. Vingt autres, principalement des pays européens, ont envoyé des observateurs. Don Betz, organisateur de la conférence, se souvient : « C’est bien plus que ce qu’avaient prévu les sceptiques sur la conférence ». Ces sceptiques provenaient à la fois du personnel des Nations unies et des diplomates, ainsi que d’une grande partie de la presse européenne. La France devait être l’hôte initial de l’événement à l’UNESCO. Beaucoup pensaient que les pressions exercées par Israël et ses alliés bloqueraient l’initiative.

Ces pressions ont effectivement eu lieu. Cependant, les contre-pressions de l’OLP et de ses alliés ont forcé le transfert de la conférence au siège des Nations unies à Genève, où il était plus difficile pour la Suisse de refuser sa tenue, puisqu’il existait une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies en ce sens.

En réalité, deux conférences ont eu lieu. La première était le rassemblement officiel des Nations unies des gouvernements membres accrédités, de la presse mondiale, des représentants d’organisations internationales et d’un grand nombre de « personnalités éminentes ». Cette conférence était destinée à « rechercher des moyens efficaces pour permettre au peuple palestinien d’obtenir et d’exercer ses droits inaliénables ».

La seconde était la conférence simultanée des ONG parrainée par l’ONU. Cent quatre ONG y ont participé, dont des organisations israéliennes et palestiniennes. Il convient de noter que, dès le début, la participation palestinienne à l’ICCP a couvert toute la gamme du discours politique palestinien existant : le Fatah, le Front démocratique, le Front populaire et des organisations indépendantes ont rejoint l’organe.

Au fur et à mesure que les conférences se déroulaient, la prise de conscience s’est accrue et l’intérêt s’est concentré sur le rassemblement des ONG, où un dialogue plus vivant et interactif contrastait fortement avec les interminables messages officiels d’État lus pour mémoire à l’étage.

Edward Said, l’un des conseillers les plus en vue engagés par les Nations unies, s’est rendu à plusieurs reprises à la réunion des ONG. Un jour, il est entré dans la salle animée par de multiples conversations simultanées et a déclaré : « Je préférerais être ici avec vous plutôt que là-haut. Il se passe ici quelque chose d’important, peut-être sans précédent ».

Au Forum des ONG, l’énergie interactive a généré un environnement de dialogue ouvert, franc et parfois contradictoire. Réunis pour la première fois en un même lieu, les représentants des ONG ont abordé la question de la Palestine, l’avenir du peuple palestinien et la paix globale au Moyen-Orient. Bien que cet organe ad hoc ne possède aucune autorité politique officielle, les participants semblaient animés par un sentiment commun de l’importance de la question et du moment qu’ils partageaient.

Il est clair que le rôle de l’ONU s’est avéré important pour le succès de la réunion des ONG. Tout d’abord, elle a fourni un pouvoir de convocation et des ressources. Mais deux autres raisons ont également fait de l’ONU un point focal attrayant pour nos efforts d’organisation.

Le contexte est toujours important, et une partie du contexte de l’époque était qu’il ne pouvait y avoir de contact direct entre un Israélien et un membre de l’OLP. Se réunir au sein et sous l’égide de l’ONU permettait de contourner cette interdiction. Don Betz, principal organisateur de la conférence des Nations unies et de la réunion des ONG, se souvient d’avoir fait passer des notes d’une personne à l’autre afin d’éviter tout « contact direct ». Kathy Bergen, qui a été membre de l’exécutif de l’ICCP, se souvient d’une plate-forme où des plantes en pot devaient diviser les participants sur l’estrade.

Résultats de la conférence

En fin de compte, les conférences ont permis d’accomplir deux choses importantes. Au niveau « officiel », les Nations unies ont publié un document politique, la Déclaration de Genève sur la Palestine, une déclaration plus explicite et plus complète que les précédentes. Deuxièmement, et c’est plus pertinent pour notre propos, le succès du forum des ONG a fondamentalement modifié le programme de travail pour la Palestine au sein de l’ONU, ce qui a conduit à la création de l’ICCP et à la poursuite de l’engagement avec les ONG à une échelle plus large et plus systématique.

Au cours de la décennie suivante, le symposium international annuel, renforcé par des dizaines de symposiums régionaux dans le monde entier, s’est avéré être une composante essentielle d’un mouvement mondial émergent. Ils ont permis aux leaders d’opinion et aux universitaires d’interagir avec les militants et les organisateurs, aux Palestiniens et aux Israéliens d’interagir entre eux et avec d’autres. L’éventail des sujets abordés couvrait pratiquement toutes les facettes du dilemme.

Mais au-delà de la fourniture d’informations, les symposiums ont profité au mouvement de manière plus tangible. Ils ont permis aux membres potentiels de se rencontrer. Ils ont fourni une plate-forme qui leur a permis d’identifier des préoccupations communes et des points d’intérêt commun. Ils les ont alertés sur les tendances et les questions émergentes. Ils les ont aidés à formuler un langage et des stratégies communs. Le Comité international de coordination des ONG sur la question de Palestine (ICCP) et divers réseaux régionaux sont nés de ces symposiums.

En Amérique du Nord, il a été décidé d’étendre le travail du Comité de coordination nord-américain (CCNA) au-delà du symposium annuel. Cette coalition binationale de 85 à 100 ONG usaméricaines et canadiennes a créé un réseau d’action urgente, publié un répertoire annuel des ressources et entrepris des projets spéciaux tels que le projet d’information sur la conférence de paix.

Des organisations disparates ont travaillé ensemble et des personnalités disparates ont établi un climat de confiance. Bien sûr, des conflits ont surgi et certaines personnalités se sont opposées, mais nous avons finalement tiré de précieux enseignements. Par exemple, l’importance d’identifier les préoccupations communes, de partager l’information et de construire des structures qui nous aident à renforcer nos objectifs communs.

Tout a été fait avec des moyens limités, c’est-à-dire avec peu de ressources financières. Ni l’ICCP, ni le NACC n’ont jamais fonctionné avec plus d’un membre du personnel ; la plupart des autres comités régionaux n’en avaient pas. Mais en fin de compte, le dévouement et l’esprit d’innovation ne suffisent pas.

L’expiration de l’ICCP et du NACC en 1994 reste une situation complexe qui mérite une attention et une discussion sérieuses. Parmi les facteurs, on peut citer la disparition de plusieurs organisations laïques, la perte importante de membres et la réduction des ressources parmi les principales dénominations protestantes, et même l’attitude des dirigeants palestiniens à l’ONU.

Néanmoins, les réalisations et la disparition de l’ICCP et de la NACC offrent des leçons qui pourraient être utiles à une nouvelle génération. En outre, elles soulèvent des questions pressantes pour les dirigeants d’aujourd’hui.

Des leçons pour aujourd’hui

Que se passera-t-il une fois la crise actuelle passée ? Les militants et les leaders d’opinion d’aujourd’hui peuvent-ils identifier et mettre en place des espaces et un cadre qui encourageront la coopération, tant au niveau national qu’international, ce qui renforcera leurs efforts ? Peuvent-ils organiser des opérations durables à long terme ? Est-il possible que les Nations unies fournissent à nouveau un tel cadre ?

Tout aussi important, quelles stratégies doivent être adoptées face à une opposition croissante - dont une grande partie est constituée de brimades sans principes, d’intimidations et de désinformation ? Il est clair que cela se produit déjà. Les campagnes de diffamation, les attaques ad hominem et la perception de la culpabilité par association sont lancés contre de jeunes professionnels et d’autres personnes qui s’expriment en faveur des droits des Palestiniens et qui contestent la campagne militaire effrénée d’Israël. Malheureusement, l’une des leçons du passé est que les leaders émergents doivent se préparer à l’éventualité que les tentatives de les réduire au silence puissent s’intensifier jusqu’à la violence, la tentative d’infiltration, le cambriolage et le vandalisme. Les dirigeants de l’ICCP et du NACC pourraient documenter et amplifier toutes ces activités répréhensibles qui ont été dirigées contre eux et qui seront probablement déployées contre les nouveaux dirigeants, d’autant plus que les entités habituées à dominer le discours public se retrouvent de plus en plus en minorité.

Une leçon positive encourageante tirée de l’expérience de l’ICCP et du NACC est que les efforts déployés pour mettre en place une coalition efficace peuvent produire des résultats positifs inattendus. La mise en place d’une coalition efficace demande du temps, de l’énergie et de l’engagement. Les relations humaines aident à surmonter les disparités organisationnelles, et c’est ainsi qu’avec l’ICCP et la NACC, on a pu trouver des athées engagés travaillant respectueusement aux côtés de responsables d’églises. Mais les organisations, comme les personnes, ont souvent des limites qui doivent être respectées. La coordination n’est pas synonyme de domination, ni d’accord sur tout. Néanmoins, l’identification de principes communs et la mise en œuvre d’actions coordonnées renforcent et mettent davantage l’accent sur les domaines qui font l’objet d’un accord commun.

Les militants d’aujourd’hui peuvent également tirer leur force du fait qu’au niveau international, le climat politique a changé. Le soutien aux droits des Palestiniens s’est accru de manière exponentielle, car de plus en plus de personnes dans le monde en sont venues à la conclusion que la paix israélo-palestinienne et la stabilité dans la région ne peuvent être obtenues que par des moyens politiques.

Bien que certains puissent affirmer qu’il est prématuré de le faire, la question de la suite doit être abordée, en particulier compte tenu de la menace que cette crise fait peser sur l’ordre fondé sur des règles et sur le droit international. Une fois la crise apaisée, comment maintenir l’élan et pérenniser les acquis ? L’évolution mesurable de l’opinion publique crée une occasion nouvelle et sans précédent de transformer le discours et d’introduire un changement durable. Il est clair que les décideurs politiques usaméricains travaillent déjà à l’élaboration de leur propre réponse - la société civile doit faire de même.

Cet article est le fruit d’une collaboration entre des personnes cumulant un engagement collectif de plus de deux cents ans. Les principaux auteurs sont Kathy Bergen, Don Betz, Larry Ekin et Don Wagner. Ils ont interrogé ou sollicité la contribution de 20 autres dirigeants d’ONG, anciens ou actuels.

Kathy Bergen a été secrétaire générale du Comité international de coordination des organisations non gouvernementales sur la question de Palestine à Genève de 1990 à 1994. Sur les 43 années pendant lesquelles elle a travaillé sur les questions de Palestine/Israël, elle a travaillé à Jérusalem pendant neuf ans et à Ramallah pendant sept ans et demi.  

Don Betz est un ancien professeur de sciences politiques et président d'université à la retraite. Il a été officier de liaison pour la Conférence internationale des Nations unies sur la question de Palestine (ICQP) en 1983, en se concentrant sur la participation des organisations non gouvernementales, et dans la division des droits des Palestiniens. Betz a présidé le Comité international de coordination des ONG sur la question de Palestine (ICCP) à partir de 1984. Le réseau de l'ICCP s'est étendu à plus de 1200 organisations dans le monde.

Larry Ekin a été président du comité de coordination nord-américain pendant cinq mandats. En coopération avec le Conseil des Églises du Moyen-Orient, il a fondé le Bureau de voyage œcuménique et a dirigé personnellement plus de 20 délégations dans la région. Il est l'auteur de Enduring Witness : The Palestinians and The Churches et d'autres publications.

Don Wagner est un professeur retraité d'études sur le Moyen-Orient, un membre du clergé presbytérien et un militant des droits de l'homme. Il a été directeur national de la campagne pour les droits de l'homme en Palestine de 1980 à 1989 et membre du comité directeur de la NAAC et du comité directeur international au cours des années 1980.