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23/11/2025

Un canevas écrit dans le sang : la hiérarchie du génocide, d’El-Fasher à El-Geneina, et son lien avec la guerre menée par les Émirats arabes unis contre le Soudan


Darfur Union in the UK (Union du Darfour au Royaume-Uni), 15/11/2025

نمطٌ مكتوب بالدم: هرمية الإبادة الجماعية من الفاشر إلى الجنينة وصلتها بحرب الإمارات على السودان

A Pattern Written in Blood: The Hierarchy of Genocide from Al-Fashir to El-Geneina and Its Connection to the UAE’s War on Sudan

Traduit par Tlaxcala

 

Depuis presque trois ans, le monde voit surgir des fragments d’horreur du Soudan : une fosse commune découverte ici, un quartier incendié là, un convoi de familles en fuite traqué sur la route. Mais ce qui se déroule aujourd’hui à El-Fasher n’est pas un événement isolé. C’est le dernier chapitre d’un projet d’extermination plus vaste, méticuleusement organisé. Un schéma de génocide affiné d’une ville soudanaise à l’autre : El-Geneina, Kutum, Zalingei, Nyala, El-Obeid, Al-Gezira, et culminant maintenant dans la ville assiégée et envahie d’El-Fasher.


Manifestation « Bas les pattes du Soudan» à Londres le 9 novembre 2024. Photo Mark Kerrison/In Pictures via Getty Images

Ce n’est pas le chaos.
Ce n’est pas un « conflit tribal ».
Ce n’est pas un effondrement de l’ordre.
C’est un système de violence hiérarchisé, coordonné, rendu possible, financé, armé et dirigé intentionnellement.

Et au cœur de ce système se trouvent les milices des Forces de soutien rapide (FSR), soutenues par les Émirats arabes unis (EAU), ainsi que les réseaux étrangers qui les alimentent.

 

I. Un génocide avec un plan : le modèle recyclé de l’anéantissement

Ce qui se passe à El-Fasher s’est déjà produit, presque pas à pas, à travers le Darfour et le Soudan.
Le modèle est constant :

1.      Encercler la ville : siège, points d’étranglement, barrages routiers.

2.     Couper les communications : blackout, brouillage, intimidation des journalistes.

3.     Affamer et terroriser : couper nourriture, eau, médicaments.

4.    Envahir avec une violence écrasante : drones, artillerie, colonnes de combattants.

5.     Séparer les civils par ethnicité : les hommes exécutés ; les femmes soumises à des viols de masse.

6.    Piller, brûler, vider la ville : maisons, marchés, hôpitaux.

7.     Fosses communes et mares de sang : preuves confirmées par satellite.

8.    Envoyer des équipes médiatiques de blanchiment pour dire au monde « la vie est normale ».

El-Geneina a suivi le script en premier.
Puis Kutum et Zalingei. Puis Nyala, Jebel Aulia, Madani, et des centaines de villages ruraux.
Et maintenant, El-Fasher subit la même cruauté calculée, mais à une échelle inégalée depuis le génocide rwandais.

 

II. El-Geneina : la première El-Fasher

La Darfur Union in the UK a documenté — largement, publiquement et minutieusement — ce qui s’est passé à El-Geneina à travers des dizaines d’articles publiés sur notre site.

À El-Geneina, comme à El-Fasher :

• Des fosses communes étaient creusées en plein jour.
• Des corps jonchaient les rues, le sang coulant dans les caniveaux.
• Des femmes étaient violées, souvent devant leurs familles.
• Des quartiers entiers ont été vidés, brûlés, effacés.
• Le gouverneur du Darfour-Ouest, Khamis Abbakar, a été assassiné en détention — un crime fièrement filmé et diffusé par les auteurs, suivi par la profanation du corps.

Chaque élément de cette campagne d’extermination réapparaît aujourd’hui à El-Fasher.
La seule différence est désormais l’échelle — et la rapidité avec laquelle les FSR passent du massacre à la manipulation médiatique.

 

III. Une violence systématique et hiérarchisée, jamais des « combattants indisciplinés »

Les atrocités commises à El-Fasher ne sont pas des actes spontanés de soldats incontrôlés. Elles résultent d’une chaîne de commandement dotée :

• d’une direction stratégique,
• de réseaux logistiques,
• de fournitures militaires étrangères,
• et d’un cadre idéologique visant à expulser les communautés non arabes de leurs terres.

Chaque phase — du siège au pillage, des vidéos de torture aux exécutions de masse — correspond à une doctrine centralisée, rendue possible par les Émirats arabes unis

• Fourniture d’armes et de munitions.
• Envoi de drones avancés pour bombarder des zones civiles.
• Recrutement de mercenaires venus de plusieurs régions.
• Gestion de nœuds logistiques au Tchad, en Libye et au Puntland.
• Contrôle des récits politiques via des médias qui leur appartiennent.

Ce n’est pas du soutien. C’est de la direction stratégique.
Et grâce à cet appui, les FSR agissent en toute impunité, certaines que chaque massacre sera couvert diplomatiquement et médiatiquement.


IV. Effacer les preuves : la guerre médiatique des EAU

Une fois El-Fasher envahie, les médias alignés sur les Émirats ont afflué.
Sky News Arabia, détenue et contrôlée par les intérêts émiratis, a dépêché Tsabih Moubarak et d’autres correspondants, 
non pas pour documenter le génocide, mais pour l’effacer.

Ils ont filmé quelques rues triées sur le volet.
Ils ont souri devant des ruines encore imprégnées de sang.
Ils ont évité les fosses communes.
Ils ont évité les hôpitaux où des civils blessés étaient exécutés.
Ils ont évité les lieux où des femmes ont été violées en masse.

Ceci est le bras médiatique du génocide : une machine de propagande activée dès que le massacre est terminé, pour imposer au monde une version « normalisée ».

Et en ligne, des milliers de comptes automatisés, d’influenceurs financés par les EAU, et de réseaux coordonnés tentent d’étouffer les témoignages soudanais sous des récits fabriqués.

Mais leur campagne échoue. Chaque heure, des voix soudanaises percent. Plus de preuves émergent.
Plus de survivants témoignent. La documentation s’accumule. Comme toujours, la vérité survit à la propagande.

 

V. El-Fasher aujourd’hui : un génocide en temps réel

Ce qui se passe maintenant à El-Fasher n’est pas de « l’après-conflit ».
C’est en cours.

• Civils exécutés par groupes, souvent séparés par ethnicité.
• Femmes violées par des unités fournies par les EAU.
• Familles forcées de payer des rançons pour leurs proches enlevés.
• Quartiers entiers incendiés.
• Mares de sang visibles sur les images satellites de Maxar.
• Civils torturés filmés pour terroriser les autres.

C’est un génocide au présent.

 

VI. Une impunité rendue possible par un parrainage étranger

Chaque atrocité est facilitée par :

• Des armes fournies par les EAU (transportées via le Tchad, la Libye et la Corne de l’Afrique).
• Des bombardements aériens menés par des drones émiratis ciblant abris, hôpitaux et centres alimentaires.
• Une stratégie militaire coordonnée par des agents de renseignement émiratis intégrés dans la chaîne de commandement des FSR.
• Des équipes médiatiques envoyées à El-Fasher pour blanchir le récit.

Les FSR ne combattent pas seules : elles combattent sous direction étrangère.


VII. Un appel au monde : cesser de prétendre que c’est « local »

Le génocide d’El-Fasher, comme celui d’El-Geneina, n’est pas « soudanais ». Il n’est pas « tribal ». Il n’est pas « le chaos d’un État fragile ».
C’est un projet transfrontalier d’extermination étatique, impliquant une logistique financée, des armes avancées, un commandement externe et une couverture politique délibérée. Pour y répondre, le monde doit reconnaître ces faits.
Le silence est de la complicité. Refuser de nommer les EAU est de la complicité. Répéter le langage des FSR est de la complicité. Envoyer des journalistes blanchir El-Fasher est de la complicité. Traiter le génocide comme un « conflit » est de la complicité.

 

VIII. Conclusion : les canevas ne cessent que lorsqu’on les affronte

El-Fasher n’est pas une anomalie : c’est la dernière preuve d’un système de destruction laissé sans contrôle depuis des décennies. Le même plan. Les mêmes armes. La même idéologie. Les mêmes auteurs. Les mêmes commanditaires.

Le génocide se répète lorsque le monde prétend ne pas le voir.

La Darfur Union in the UK continuera de documenter, d’exposer et de tenir pour responsables chaque acteur — soudanais ou étranger — ayant contribué à la destruction de notre peuple.

Car cette fois, le monde ne pourra pas dire : « Nous ne savions pas. »

Nous, la Darfur Union in the UK et la diaspora soudanaise, formulons des demandes claires au gouvernement britannique et à la communauté internationale :

1.      Imposer des sanctions ciblées contre les Émirats arabes unis pour avoir sponsorisé et permis des génocides et crimes de guerre au Soudan.

2.     Désigner les Forces de soutien rapide (FSR) comme organisation terroriste selon le droit britannique.

3.     Ouvrir une enquête parlementaire et judiciaire sur l’usage d’armes ou de technologies britanniques au Soudan, ainsi que sur les circuits financiers ayant facilité ces transferts.

4.    Condamner publiquement le rôle des EAU aux Nations unies et dans toutes les enceintes internationales, et exiger leur coopération avec les enquêtes indépendantes sur les crimes de guerre.

5.     Soutenir un accès humanitaire sans entrave à El-Fasher et au Darfour, en priorisant l’aide médicale aux victimes de violences sexuelles et de famine.

Exiger des comptes en matière de propagande de guerre, y compris l’usage de médias pour dissimuler des preuves de crimes en cours.

30/10/2025

Armes britanniques, mains émiraties, sang soudanais : la question à laquelle le Royaume-Uni doit répondre

 


Darfur Union in the UK, 30/10/2025
British Weapons, Emirati Hands, Sudanese Blood: The Question the UK Must Answer

أسلحة بريطانية، أيدٍ إماراتية، دماء سودانية: السؤال الذي يجب أن تجيب عليه بريطانيا

Traduit par Tlaxcala

Les récentes révélations du Guardian mettent en lumière un lien profondément troublant : du matériel militaire fabriqué au Royaume-Uni a été retrouvé au Soudan, entre les mains des Forces de soutien rapide (FSR) soutenues par les Émirats arabes unis (EAU), une milice aujourd’hui accusée de génocide à Al-Fashir, au Darfour Nord.

Ce constat n’est pas abstrait. C’est une preuve matérielle que des armes et équipements autorisés à l’exportation par le Royaume-Uni, vendus à l’origine aux Émirats arabes unis, ont été détournés pour alimenter une guerre génocidaire contre des civils soudanais. Les personnes mourant aujourd’hui sous les frappes de drones et les bombardements à Al-Fashir ont peut-être été tuées à l’aide d’armes fabriquées en Grande-Bretagne.

Une question de responsabilité

En vertu du droit international et des obligations du Royaume-Uni au titre du Traité sur le commerce des armes (TCA), le gouvernement est tenu de garantir que les armes britanniques ne soient pas utilisées pour commettre ou faciliter des crimes de guerre. Pourtant, face aux preuves croissantes de transferts émiratis vers les RSF, une question se pose :

Quelles garanties, le cas échéant, le gouvernement britannique a-t-il mises en place concernant ses ventes d’armes aux Émirats arabes unis ?

L’enquête du Guardian [voir ci-dessous], corroborée par des experts de l’ONU, souligne une chaîne d’approvisionnement par complicité : du matériel britannique, réexporté ou sous licence via les Émirats, se retrouve sur les champs de bataille du Darfour. Ces armes alimentent la campagne systématique de meurtres, de famine et de nettoyage ethnique menée par les FSR. 

Quand la pitié est morte : le massacre dans les hôpitaux d’Al-Fashir

À l’intérieur de la ville assiégée d’Al-Fashir, l’horreur a atteint son paroxysme. Tous les blessés et malades hospitalisés – dans l’hôpital saoudien, les chambres de première classe, l’université et les dortoirs – ont été exécutés de sang-froid par la milice FSR soutenue par les Émirats arabes unis : au moins 460 personnes tuées alors qu’elles étaient encore entre la vie et la mort.

En un temps où l’humanité n’a plus de place, la pitié est morte avant que la médecine ne puisse atteindre les victimes.

Les hôpitaux sont tombés dans un silence terrifiant, seulement rompu par des gémissements qui se sont tus soudainement.

Parallèlement, les agressions contre les travailleurs humanitaires, y compris le personnel du Croissant-Rouge, se poursuivent : passages à tabac, humiliations et intimidations, sous la supervision directe des commandants FSR opérant avec le plein soutien et la direction d’Abou Dhabi.

Ces actes s’inscrivent dans une stratégie délibérée : éteindre la vie, effacer les témoins et punir ceux qui aident.

Al-Fashir : une ville sous l’ombre britannique

Aujourd’hui, Al-Fashir n’est plus qu’un champ de ruines. Plus de 2 000 civils ont été massacrés en quelques jours – hommes, femmes, enfants – tandis que les images satellites montrent des flaques de sang tachant les quartiers autrefois pleins de vie. Les hôpitaux, les centres alimentaires et les abris ont été bombardés dans le cadre d’un siège délibéré mené par la milice FSR sous la direction d’Abou Dhabi.

Il est inconcevable qu’en 2025, un composant britannique — moteur, système de ciblage ou unité de communication — puisse jouer un rôle dans l’anéantissement d’une population entière. Et pourtant, nous y sommes.

Questions au gouvernement britannique

Nous, l’Union du Darfour au Royaume-Uni, exigeons des réponses immédiates du gouvernement britannique, et en particulier du secrétaire d’État à la Défense :

1.      Quels mécanismes précis de surveillance de l’utilisation finale existent pour empêcher la réexportation d’armes britanniques des EAU vers des tiers tels que les FSR ?

2.     Le ministère de la Défense ou celui des Affaires étrangères ont-ils ouvert une enquête sur les preuves présentées par The Guardian et les Nations Unies ?

3.     Le gouvernement suspendra-t-il les licences d’exportation d’armes vers les EAU en attendant un examen indépendant des risques de détournement ?

4.    Quelle obligation de rendre des comptes sera-t-elle imposée aux entreprises britanniques dont les produits ont atterri entre les mains des acteurs accusés de génocide ?

Le public a le droit de savoir

Ce n’est pas simplement une question de politique étrangère — c’est une question de responsabilité morale britannique. Le public a le droit de savoir si son gouvernement, sciemment ou par négligence, a facilité le massacre de civils au Darfour.

Les victimes d’Al-Fashir ne sont pas anonymes : enseignants, enfants, mères, gens ordinaires pris sous une pluie de mort, financée par des intérêts étrangers et rendue possible, en partie, par un manque de contrôle au Royaume-Uni.

Un appel à l’action

Nous appelons le Parlement, la société civile et la presse britanniques à exiger transparence et reddition de comptes.

L’exportation d’armes ne doit pas devenir l’exportation d’atrocités.

Le Royaume-Uni ne peut pas prétendre défendre les droits humains à l’étranger tandis que ses armes se retrouvent entre les mains de ceux qui commettent un génocide.

Union du Darfour au Royaume-Uni
Justice, obligation de rendre des comptes et protection des civils au Soudan

 ***

Des équipements militaires britanniques utilisés par une milice accusée de génocide retrouvés au Soudan, selon l’ONU

Exclusif : deux dossiers soumis au Conseil de sécurité soulèvent des questions sur les exportations d’armes britanniques vers les Émirats arabes unis, accusés d’avoir fourni des armes au groupe paramilitaire FSR.

Mark Townsend, The Guardian, 28/10/2025
Traduit par Tlaxcala

Mark Townsend est journaliste principal pour la rubrique Développement mondial du Guardian et auteur de No Return: The True Story of How Martyrs Are Made.

Du matériel militaire britannique a été retrouvé sur les champs de bataille du Soudan, utilisé par les Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire accusé de génocide, selon des documents consultés par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Des systèmes de ciblage pour armes légères et des moteurs britanniques pour véhicules blindés de transport de troupes ont été récupérés sur des sites de combat dans un conflit qui a provoqué la plus grande catastrophe humanitaire au monde.

Ces découvertes ravivent les interrogations sur les exportations d’armes du Royaume-Uni vers les Émirats arabes unis (EAU), à plusieurs reprises accusés d’avoir fourni des armes aux FSR au Soudan.
Elles soulèvent également des questions quant au rôle du gouvernement britannique dans l’alimentation de ce conflit.

Des mois après que le Conseil de sécurité a reçu des éléments indiquant que les EAU auraient livré des équipements d’origine britannique aux FSR, de nouvelles données montrent que le gouvernement britannique a continué à approuver des exportations similaires vers cet État du Golfe.

Des moteurs britanniques conçus spécifiquement pour un modèle de véhicule blindé de transport de troupes fabriqué aux EAU semblent aussi avoir été exportés vers l’émirat, malgré des preuves attestant que ces véhicules avaient été utilisés en Libye et au Yémen en violation des embargos sur les armes imposés par l’ONU.


Des images montrent des moteurs britanniques provenant de véhicules militaires produits par Nimr, une société émiratie, censément récupérés sur des positions des FSR au Soudan.
Photo  SOPA Images / LightRocket / Getty Images

Les EAU ont nié à plusieurs reprises apporter un quelconque soutien militaire aux FSR.

Entrée dans sa troisième année, la guerre opposant les FSR à l’armée soudanaise a fait au moins 150 000 morts, forcé plus de 12 millions de personnes à fuir leurs foyers et laissé près de 25 millions dans une situation de famine aiguë. Les deux camps sont accusés de crimes de guerre et d’attaques contre des civils.

L’équipement militaire britannique retrouvé au Soudan figure dans deux dossiers datés de juin 2024 et mars 2025, examinés par le Conseil de sécurité.
Ces dossiers, préparés par l’armée soudanaise, prétendent fournir des preuves détaillées du « soutien émirati » aux FSR.

Le fait que le Royaume-Uni ait continué à fournir du matériel militaire aux EAU, malgré le risque qu’il alimente le conflit meurtrier au Soudan, suscite une profonde inquiétude.

Mike Lewis, chercheur et ancien membre du groupe d’experts de l’ONU sur le Soudan, déclare :

« La législation britannique et les traités internationaux interdisent clairement au gouvernement d’autoriser des exportations d’armes lorsqu’il existe un risque manifeste de détournement ou d’utilisation dans des crimes internationaux. »

Les enquêteurs du Conseil de sécurité ont documenté en détail l’historique de dix ans de détournement d’armes par les Émirats vers des pays sous embargo ou des forces violant le droit international humanitaire.

Lewis ajoute :

« Même avant ces nouvelles informations sur les équipements britanniques au Soudan, ces licences n’auraient jamais dû être délivrées – pas plus qu’à d’autres gouvernements impliqués dans l’armement du conflit soudanais. »

Abdallah Idriss Abugarda, président de l’Association de la diaspora du Darfour au Royaume-Uni, représentant les Soudanais originaires du Darfour, a appelé à une enquête :

« La communauté internationale, dont le Royaume-Uni, doit enquêter d’urgence sur ce transfert et s’assurer qu’aucune technologie ni arme britannique ne contribue à la souffrance des civils soudanais. La reddition de comptes et un contrôle strict de l’usage final sont essentiels pour éviter toute complicité future dans ces crimes graves. »


Un officier de l’armée soudanaise inspecte du matériel saisi après la capture d’une base des FSR à Salha, Omdurman, le 26 mai. Photo Ebrahim Hamid / AFP

Les images incluses dans les deux dossiers, vus par le Conseil de sécurité – dont le Royaume-Uni est membre permanent – suggèrent que des dispositifs de ciblage britanniques pour armes légères ont été récupérés sur d’anciennes positions des FSR à Khartoum et Omdurman.

Bien qu’il soit difficile de vérifier ces images sans métadonnées, plusieurs portent des étiquettes indiquant leur fabrication par Militec, une société basée à Mid Glamorgan, au Pays de Galles, spécialisée dans les systèmes d’entraînement et de ciblage pour armes légères.

Les bases de données indiquent que le gouvernement britannique avait délivré des licences d’exportation à Militec vers les EAU dès 2013.

De nouvelles informations révèlent qu’entre janvier 2015 et septembre 2024, le gouvernement britannique a émis 26 licences d’exportation permanente de dispositifs d’entraînement militaire vers les EAU dans la catégorie « ML14 », qui couvre les produits de Militec.

Ces licences ont été accordées à 14 entreprises, dont Militec, mais le gouvernement refuse de divulguer quelles licences ont été attribuées à quelles entreprises.

Les documents montrent qu’au 27 septembre 2024, soit trois mois après que le Conseil de sécurité eut reçu des images prouvant la présence de matériel ML14 au Soudan, le gouvernement britannique a délivré une licence individuelle ouverte pour la même catégorie de produits vers les EAU.

Une telle licence permet au Royaume-Uni d’exporter des quantités illimitées de ce matériel pendant toute la durée de l’accord, sans obligation de suivi de leur destination finale.

À cette date, les inquiétudes grandissaient déjà sur l’implication des EAU dans l’armement des FSR.

Neuf mois plus tôt, en janvier 2024, un rapport du groupe d’experts de l’ONU sur le Soudan – chargé de surveiller l’embargo sur les armes au Darfour – estimait « crédibles » les accusations selon lesquelles les Émirats fournissaient des armes aux RSF.


Véhicule militaire brûlé à l’aéroport international de Khartoum. Photo Giles Clarke / Getty Images

Des années auparavant, le Royaume-Uni avait déjà été alerté que des entreprises basées aux EAU pouvaient constituer un risque de détournement.
Trois ans plus tôt, Londres avait autorisé l’exportation de lunettes de vision nocturne britanniques à une société émiratie, ultérieurement retrouvées entre les mains de combattants talibans en Afghanistan.

Militec, contactée par le Guardian, a refusé de commenter, précisant que toutes ses exportations étaient dûment autorisées par les autorités britanniques compétentes et qu’elle n’avait commis aucune infraction.

Les images incluses dans les dossiers montrent aussi des véhicules blindés de transport de troupes Nimr Ajban, fabriqués aux EAU par Edge Group, un conglomérat d’armement majoritairement étatique.

Une photo datée de 2025 montre la plaque d’un moteur de véhicule Nimr portant la mention « Made in Great Britain by Cummins Inc », fabriqué le 16 juin 2016 par une filiale britannique de Cummins, une entreprise usaméricaine.

Dès 2016, le gouvernement britannique savait que les EAU avaient fourni des véhicules Nimr à des groupes armés en Libye et en Somalie en violation d’un embargo de l’ONU.

Des preuves publiées par le Conseil de sécurité indiquent que les Émirats avaient livré des véhicules blindés aux milices de Zintan en Libye dès 2013.

Aucune donnée de licence britannique ne précise quand ces moteurs ont été exportés, car ils ne sont pas exclusivement conçus pour un usage militaire et ne nécessitent donc pas de licence spéciale.

Véhicules blindés à l’exposition internationale de défense d’Abou Dhabi, 2023. Photo Ryan Lim / AFP

Un porte-parole de Cummins a déclaré :

« Cummins applique une culture de conformité stricte, comme le démontrent les dix principes éthiques de notre code de conduite. Ce code couvre explicitement le respect des sanctions et contrôles à l’exportation dans toutes les juridictions où Cummins opère, souvent au-delà des exigences légales.

Cummins a une politique claire interdisant toute participation, directe ou indirecte, à des transactions liées à des destinations sous embargo sans autorisation complète des autorités compétentes.

Nous examinons minutieusement toutes nos transactions dans le domaine de la défense, obtenons les licences nécessaires et appliquons d’autres mesures de conformité.

Concernant le Soudan, nous avons revu toutes nos transactions passées et n’avons identifié aucune opération militaire impliquant ce pays comme destination finale. »

Un porte-parole du Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) [ministère des Affaires étrangères] a répondu :

« Le Royaume-Uni dispose de l’un des régimes de contrôle des exportations les plus rigoureux et transparents au monde.
Toutes les licences sont évaluées pour le risque de détournement vers un utilisateur ou un usage final indésirable.
Nous attendons de tous les pays qu’ils respectent leurs obligations au titre des régimes de sanctions de l’ONU. »

Selon des sources gouvernementales, les décisions d’octroi de licences sont prises au cas par cas, et Londres est consciente du risque de détournement vers le conflit au Soudan.
Certaines licences, y compris celles à destination des EAU, auraient déjà été refusées à plusieurs reprises.

Écouter Prise d'El-Fasher au Soudan: que sait-on des crimes contre les civils ?

09/02/2025

Je prends Gaza, tu gardes le Sahara occidental : grandes manœuvres entre Washington et Rabat, via Tel Aviv et Abou Dhabi

L’intérêt des USA pour le Maroc passe maintenant par Gaza, au cas où celui-ci pourrait contribuer d’une manière ou d’une autre à imposer la Pax Americana dans ce territoire, pour lequel le président usaméricain a déjà esquissé un plan.

Ignacio Cembrero, El Confidencial, 09/02/2025
Traduit par 
Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala


Photo d’archives de Trump avec le président des Émirats arabes unis Mohammed bin Zayed al-Nahayan (Reuters/Jonathan Ernst).

Donald Trump est de retour à la Maison Blanche. Il a été le premier président d’une démocratie à reconnaître, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Rabat réfléchit actuellement à la manière de tirer le meilleur parti du magnat new-yorkais pour ce qu’il appelle sa « cause nationale », à savoir l’ancienne colonie espagnole.

En décembre 2020, Trump s’était engagé à ouvrir un consulat usaméricain à Dakhla, la deuxième ville du Sahara, mais son successeur, Joe Biden, a retardé l’ouverture de ce consulat. Rabat espère désormais qu’il franchira le pas, mais il s’agit d’une initiative mineure par rapport aux rêves que la diplomatie marocaine nourrit pour les terres dont elle s’est emparée il y a un demi-siècle grâce à la Marche verte.

Selon une source diplomatique au fait des intentions marocaines, le plan diplomatique du Maroc est de tenir une conférence internationale aux Émirats arabes unis (EAU), son principal allié arabe, sous l’égide des USA et des puissances européennes, à commencer par la France, qui donnerait sa bénédiction à la « marocanité » du Sahara occidental.

« Le Maroc espère maintenant obtenir le feu vert international final » sur le Sahara « lors d’une conférence qui se tiendra aux EAU en avril écrit. Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, dans un article publié par le think-tank barcelonais CIDOB [voir version française ci-dessous].  Rabat tenterait ainsi de « forcer les États européens récalcitrants [Royaume-Uni, Italie, etc.] et l’ONU elle-même à se rallier », prédit Lovatt, dans un entretien avec El Confidencial. « Il y a déjà eu des contacts diplomatiques en ce sens », affirme-t-il, tout en doutant que la date initiale d’avril soit respectée.

Le gouvernement socialiste espagnol pourrait difficilement éviter de participer à une telle conférence s’il souhaite continuer à entretenir des relations harmonieuses avec son voisin marocain. La conférence s’inscrirait également dans la lignée de la lettre que le Président Pedro Sánchez a adressée le 14 mars 2022 au roi Mohammed VI, s’alignant sur la solution d’autonomie que ce dernier préconise pour résoudre le conflit du Sahara.

Les autorités marocaines refusent de donner plus de détails sur ce plan d’autonomie de trois pages, qu’elles ont présenté en 2007, comme l’a souligné en octobre devant le Conseil de sécurité Staffan de Mistura, l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Elles s’efforcent cependant de promouvoir des associations sahraouies qui, aux yeux de l’Occident, pourraient faire de l’ombre au Front Polisario, le mouvement qui représente la majorité.

Il y a d’abord eu le Mouvement sahraoui pour la paix, dirigé par Hach Ahmed Barical, qui a été discrédité après qu’un rapport du Centre national du renseignement espagnol, révélé par El País en 2022, l’a décrit comme le chef d’une  « organisation-écran » des services de renseignement extérieur marocains.. Les services marocains ont maintenant parrainé à El Ayoun Initiative sahraouie, dirigée par une femme, Gasmula Ebbi, ancienne députée à Rabat, qualifiée par la propagande de "Pasionaria du Sahara".

En échange de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara en 2020, le roi Mohamed VI a dû offrir une contrepartie à Trump : établir des relations diplomatiques avec Israël. Il s’est ainsi rallié aux « accords d’Abraham » finolés par le gendre du président, Jared Kushner, auxquels d’autres pays musulmans (EAU, Bahreïn, Soudan) avaient déjà adhéré.

Aux yeux de l’administration Trump, le Maghreb n’a que peu d’importance. Pour le mobiliser en sa faveur, le Maroc doit lui offrir quelque chose en retour, comme il l’a fait en 2020 avec Israël. Que peut-il faire maintenant ? « Jouer un rôle quelconque dans la bande de Gaza post-conflit avec le consentement des parties », a répondu Hugh Lovatt dans son article. En mai dernier, l’administration Biden a déjà sondé le Maroc, l’Égypte et les Émirats arabes unis sur leur volonté d’intégrer une force de maintien de la paix à Gaza une fois la guerre terminée, comme l’a révélé le Financial Times.

20/04/2023

ABDEL BARI ATWAN
La guerre par procuration au Soudan

Abdel Bari Atwan, Rai Al Youm, 18/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Une nouvelle calamité montée de toutes pièces par les USA et Israël avec la complicité des régimes arabes

Dagalo, à g., et Al Burhan

Alors que la guerre au Yémen s’achève ou commence à s’achever, une nouvelle guerre est déclenchée au Soudan. Ces deux conflits, qui se déroulent de part et d’autre de la mer Rouge, ont en commun d’être en grande partie des guerres par procuration, dans lesquelles l’intervention extérieure (en particulier celle des pétromonarchies du Golfe) joue un rôle majeur.

C’est vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis que le secrétaire d’État usaméricain Anthony Blinken s’est tourné pour les exhorter à redoubler d’efforts afin de rétablir le calme et de mettre un terme à la guerre qui a éclaté samedi entre les deux grands alliés : Le général Abdelfattah Al Burhan et son adjoint le général Mohamed Hamdan Dagalo (alias Hemedti, “Petit Mohamed”). Ce dernier a atteint son grade élevé sans avoir fréquenté aucune académie militaire ou civile, mais grâce à sa direction des Forces de soutien rapide (FSR, milice), fortes de 100 000 hommes - notoirement connues pour leurs meurtres et leur répression (au Darfour) - et à l’acquisition de vastes quantités d’or volé.


Tjeerd Royaards

Plusieurs indices ont mis en évidence les allégeances des parties qui se battent pour le pouvoir au Soudan et l’identité de leurs soutiens extérieurs.

Tout d’abord, l’attaque par les FSR du personnel égyptien stationné à la base militaire de Merowe, dont beaucoup ont été capturés, implique que l’Égypte est accusée de soutenir Burhan et l’armée régulière qu’il commande.

Deuxièmement, les liens étroits entre Hemedti, qui contrôle le commerce de l’or et les mines du Soudan, et le groupe russe Wagner. Les USA ont fait pression sur Burhan pour qu’il expulse le groupe au motif qu’il est un partenaire dans l’extraction et la vente de cet or et qu’il utilise les recettes pour financer la guerre de la Russie en Ukraine, qu’il est le fer de lance de l’influence russe en Afrique et qu’il prépare le terrain pour l’établissement d’une base militaire russe au Soudan.

Direction les Émirats - Omar Dafalla
 
Troisièmement, les Émirats arabes unis sont devenus le plus gros investisseur extérieur au Soudan. Il y a quelques jours, ils ont acheté pour 1,5 milliard de dollars d’or soudanais, que Hemedti contrôle, ainsi que des millions d’hectares de terres agricoles. Les deux parties sont manifestement très proches. Le FSR de Hemedti a combattu aux côtés des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, en y envoyant des milliers de ses combattants.

Quatrièmement, la position saoudienne reste floue et hésite entre les deux parties. Le fait que les liens de l’Arabie saoudite soient tendus avec l’Égypte et les Émirats arabes unis, qui sont les principaux soutiens des deux camps rivaux, complique la situation. Les Émirats arabes unis ont envoyé un conseiller présidentiel, plutôt que leur ministre des Affaires étrangères, à la récente conférence ministérielle de Djeddah sur la Syrie, convoquée par le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman. Les relations avec l’Égypte ne sont pas non plus au beau fixe. Le président Abdelfattah Al Sissi n’a pas réussi, lors de sa brève visite de Ramadan à Djeddah, à obtenir le paquet rapide d’aide financière qu’il recherchait. Faisant preuve d’une neutralité affichée, l’Arabie saoudite a exhorté Hemedti et Burhan à se rencontrer à Riyad pour négocier la fin de leur guerre.



Hemedti (le serpent) face à Burhan avec son projet de "Damj" (la fusion des FSR dans l'armée officielle) -Omar Dafalla

Sur le papier, l’armée régulière soudanaise se classe au 75e rang mondial, avec 205 000 hommes, 191 avions de guerre (vieillissants) et 170 chars d’assaut. En théorie, cela signifie qu’elle a le dessus et qu’elle a plus de chances de vaincre les forces rebelles de Hemedti. Mais cela est loin d’être acquis, compte tenu de l’intervention extérieure croissante.

Cette guerre ne peut se terminer que si l’une des parties bat et écrase l’autre, et non par une médiation ou des appels éloquents à un arrêt immédiat. Tout indique qu’elle pourrait se prolonger et se transformer en une guerre civile ou interrégionale qui entraînerait une anarchie armée dans le pays.

Si la guerre du Yémen, qui devait être réglée en trois mois, a duré huit ans, et la guerre civile libanaise quinze ans, combien de temps pourrait durer une guerre civile soudanaise si elle était déclenchée ?

Ce serait une perspective terrible. Les combats ont déjà fait 200 morts et des centaines de blessés, dont de nombreux civils. Il faut espérer qu’un cessez-le-feu sera rapidement conclu*. Mais l’inquiétude et le pessimisme sont justifiés par l’ingérence des acteurs extérieurs qui ont contribué à déclencher cette guerre et qui continuent à jeter de l’huile sur le feu, ainsi que par l’aggravation des querelles entre eux.

Le seul point positif parmi les rapports contradictoires sur le déroulement de la guerre est que le bon peuple soudanais ne soutient aucun des deux camps. Ils les tiennent tous deux pour responsables de l’effondrement économique, de l’insécurité, de la faim croissante (un tiers des Soudanais se trouvent sous le seuil de la faim selon le Programme alimentaire mondial) et, surtout, de l’échec de l’accord visant à transférer le pouvoir aux groupes civils qui ont mené à bien la révolution contre le régime militaire et ses coups d’État en série.

Le Soudan est victime d’une grande machination qui peut déboucher sur n’importe quelle issue, y compris la partition ou la guerre civile. L’establishment militaire est sans conteste le principal responsable de cette calamité. Les luttes de pouvoir entre les généraux et les commandants sont motivées par des raisons purement égoïstes, sans tenir compte de l’unité territoriale du pays ni des intérêts et du bien-être de sa population.


La "tatbia" (normalisation des relations avec Israël) - Omar Dafalla

C’est ce qui résulte de la normalisation et de la grande escroquerie usaméricaine qui a promis au peuple soudanais la prospérité et la générosité si Burhan serrait la main de Benjamin Netanyahou et si Hemedti se prosternait devant Tel-Aviv et considérait Israël comme un État ami qui résoudra tous les problèmes du Soudan.

En bref, nous assistons à un nouveau désastre majeur concocté par les USA et Israël avec la complicité, volontaire ou involontaire, des régimes arabes.

 NdT

*Un cessez-le-feu humanitaire de 24 heures du 19 au 20 avril, conclu sous les auspices du Triple Mécanisme (ONU-UA-IGAD) n'a tenu que quelques heures. Antonio Guterres vient d'appeler les parties au conflit à un cessez-le-feu de 3 jours à l'occasion de l'Aïd El Fitr.