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20/10/2024

DOHA CHAMS
L’“écosystème de la résistance” libanaise : environnement nourricier contre environnement nourricier ?

 Doha Chams, Al Araby Al Jadid, 18/10/2023

Original: بيئة حاضنة مقابل بيئة حاضنة؟

Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

Le terme « écosystème de la résistance » a longtemps été brandi pour désigner les Libanais qui soutiennent la résistance à l’ennemi israélien.
Je n’ai jamais aimé ce terme. Il implique que la résistance à l’ennemi est d’abord un choix d’une communauté confessionnelle particulière de Libanais*, et deuxièmement, indépendamment des lois libanaises qui déclarent explicitement qu’Israël est un ennemi, c’est une position libre garantie par la démocratie et la liberté d’expression !


Bienvenus en enfer, par José Alberto Rodríguez Avila, Cuba

Indépendamment de mon interprétation, quelle est la définition d’un écosystème ?
Comme tous les termes au Liban, chacun a un codage idéologique/sectaire. Ceux qui utilisent ce terme à l’intérieur du pays, ainsi bien chez l’ennemi, veulent se référer exclusivement à la communauté chiite, alors que les partisans de la résistance libanaise, qu’ils soient islamistes, de gauche ou nationalistes, ne se limitaient jamais à telle ou telle communauté.
 Les Libanais se souviennent encore que certains des principaux agents de l’occupation israélienne du sud avant la libération de l`an 2000 étaient musulmans chiites et chrétiens maronites. La trahison n’a pas de religion, comme l’ont prouvé les soi-disant « l’armée du Liban-Sud » d’Antoine Lahad,  alliée à Israël à l’époque, et les arrestations répétées d’agents [d’Israël] par la suite.
Cependant, depuis le début de l’agression israélienne, Israël utilise une définition plus large de l’“environnement nourricier” [du “terrorisme”, autrement dit la résistance]. Ainsi, il a considéré que toute personne hébergeant des Libanais déplacés des zones bombardées par l’ennemi, que ce soit dans la Bekaa, le sud du pays ou la banlieue sud de Beyrouth, en particulier dans les zones mixtes multiconfessionnelles, était accusée de collaborer avec l’écosystème de la résistance, et donc avec la résistance elle-même. Leur punition, malgré leur statut de civil, est tout simplement le bombardement par des missiles lourds de dizaines de tonnes d`explosifs, comme le phosphore, interdits à l’échelle internationale, dont les sources se promènent entre notre mer et notre ciel violés, matin et soir, avec des armes données à Israël par le partenaire usaméricain.
Ce même partenaire qui a empêché, et empêche toujours, l’armée libanaise de posséder des armes, même défensives, qui lui permettraient de résister à la domination aérienne israélienne, et de protéger ainsi les civils et le territoire libanais. D’ailleurs c’est ce qui a justifié historiquement la résistance populaire libanaise sous toutes ses formes.
Cependant, à l’exception de quelques cacophonies ici et là, amplifiées par les médias anti-résistance, et malgré le bombardement de diverses zones résidentielles accueillant des personnes déplacées, faisant des centaines des morts et blessés, Israël a échoué. Il n’a pas réussi à déclencher le conflit confessionnel sur lequel il misait. Depuis le début des déplacements forcés, les Libanais ont accueilli chaleureusement leurs frères déplacés, quelle que soit la confession à laquelle ils appartenaient, en particulier dans les zones connues pour leur tendance à la « pureté sectaire ».
C’était rafraîchissant à entendre et à voir. Les différents dialectes régionaux ont commencé à se mélanger sur toute la carte du pays, à l’image de ce à quoi une nation devrait ressembler. Je l’ai remarqué un jour à Tripoli et un autre jour dans mon village, où l’on pouvait entendre un mélange de dialectes régionaux que l’on n’avait jamais l’habitude d`entendre.
À Achrafieh, un quartier christianisé depuis la guerre civile, où je suis allée aider dans une cuisine ouverte par un ami pour nourrir les personnes déplacées, un peu perdue, j’ai arrêté un passant et lui ai demandé l’adresse que j’avais sur moi. L’homme a souri et m’a répondu, à ma grande surprise, avec un « pur » accent du sud, qui m’est tombé dans les oreilles comme une note juste dans une symphonie de cacophonie sectaire, à laquelle, malheureusement, nous étions trop « habitués » pour nous attendre à entendre cet accent dans cet endroit.
Achrafieh, Tariq El Jdideh, le Chouf, Zghorta, Akkar, Jbeil [Byblos], Batroun, Deir al-Ahmar... Tous ces lieux sont en train de devenir un environnement incubateur, selon la définition israélienne.
Une définition insidieuse et dangereuse, que la récente déclaration de la ministre allemande des affaires étrangères Annalena Baerbock, qui a justifié les bombardements de civils, a rendu encore plus dangereuse si elle est adoptée comme précédent dans les guerres futures.
Et je me suis interrogée : que penserait cette ministre “intelligente” [ouais, enfin…,NdlT], dont le gouvernement a utilisé hier une frégate de la FINUL pour intercepter un drone libanais lancé par la résistance vers l’ennemi avec lequel elle est engagée dans une bataille féroce ? Et si nous utilisions la définition israélienne élargie d’un écosystème, mais dans le sens inverse, et avec une petite réflexion sur la performance collective de l’Occident depuis un an jusqu’à aujourd’hui, que ce soit au Liban ou en Palestine ? Quelles seront les conséquences ?
Intuitivement, les États-Unis d’Amérique, avec leur composante sioniste, et la majorité des pays européens complices de la guerre d’Israël, deviendront aussi, dans ce sens, un environnement nourricier ! Avec une différence morale majeure, ils sont une couveuse pour les criminels de guerre, qu’ils soutiennent par la parole, les actes, les armes et la diplomatie.
Aujourd’hui, Israël ressemble plus que jamais à une base militaire avancée pour l’Occident collectif. Le poids d’une entité qui n’a aucune morale, aucun respect pour le droit international ou les considérations humanitaires. Son « écosystème » l’encourage à poursuivre sa brutalité en s’abstenant, en plus de le soutenir en armes et en expertise, de le punir, même au prix de la vie de ses citoyens, comme c’est le cas pour la FINUL.
D’autre part, l’adhésion aux lois internationales pendant les guerres, qui étaient destinées à préserver notre humanité, est presque une faiblesse dans la performance de la résistance contre un ennemi psychologiquement perturbé et brutal.
Dans un monde qui observe depuis plus d’un an le génocide à Gaza, en Cisjordanie et en Palestine en général, en plus de ce qu’il a commencé à faire au Liban, surtout depuis les assassinats que le monde « libre » a traités comme s’il s’agissait d’un comportement légitime, suivi du massacre des bipeurs, le bombardement de civils sous le prétexte qu’ils sont l’environnement incubateur de la résistance, pour ensuite les déplacer et les prendre pour cible. Tout cela fait que l’idée de viser l’environnement de soutien de l’ennemi, qui est au moins les colons armés et au plus les soutiens internationaux, est un objectif que les personnes endeuillées peuvent considérer comme plus que légitime, et c’est très dangereux.
Depuis le début de l’agression contre le Liban, des amis européens et usaméricains, notamment de pays qui soutiennent farouchement Israël, nous appellent pour prendre de nos nouvelles. Ils nous disent qu’ils sont de tout cœur avec nous et nous demandent s’ils peuvent nous aider d’une manière ou d’une autre.
Il est vrai que nous avons besoin de toute l’aide possible, et nous en sommes reconnaissants, mais ce dont nous avons vraiment besoin, c’est qu’ils influencent positivement les politiques de leurs gouvernements afin d’empêcher leurs dirigeants fascistes de faire d’eux et de leur pays une simple couveuse pour le monstre.
Si cette définition d’incubateur échappe à tout contrôle, elle pourrait conduire à des représailles aveugles dans une réaction qui exprime le désespoir face à une justice internationale défaillante. Une justice qui, aujourd’hui plus que jamais, semble brisée et impuissante.
Le simple fait d’y penser m’effraie. Mon Dieu, que l’avenir de cette planète est sombre !

NdlT

*Le Liban compte 18 communautés confessionnelles : quatre musulmanes, douze chrétiennes, une druze et une juive. Depuis 1943, le système politique en vigueur est confessionnaliste, ce qui a eu des conséquences tragiques (notamment la guerre civile de 1975-1990)

 

 

09/10/2024

DOHA CHAMS
Un monde qui finit et un autre qui ne commence même pas : Beyrouth, octobre 2024

Doha Chams, Al Araby Al Jadid, 4/10/2024

Original : عالم ينتهي وآخر لا يبدأ

Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

 Rouler dans la rue, c’est ce que je ressentais, comme si mes pieds étaient devant moi et que mon corps les rattrapait. Parfois, je restais comme ça un moment, je faisais une pause pour retrouver un équilibre que je me sentais sur le point de perdre, puis je me remettais à marcher de plus en plus lentement, malgré moi, comme une vieille femme seule et désemparée qui porte un poids trop lourd pour elle.


Beyrouth ces derniers jours. Photo Diego Barra Sanchez/The New York Times/Redux/Laif

Il fallait que je sorte. Je suis allée à la banque, j’ai récupéré l’« argent de poche» mensuel de mon dépôt qui avait été bloqué pendant six ans. Puis j’ai marché comme une vagabonde, comme une machine en ruine, comme le van numéro 4 qui, malgré toutes les destructions, circule encore de la banlieue dévastée qui m’a amenée ici, jusqu’à la rue Hamra.

Je marche en me persuadant que je suis en train de visiter l’endroit et non pas d’errer, sans savoir quoi faire. C’est comme si mes intestins flottaient dans mon ventre, aussi erratiquement que le font les astronautes sur la lune à cause de l’apesanteur.

Près du journal As-Safir, qui était à son apogée quand Israël est entré dans Beyrouth en 1982, et dont les employés se tenaient devant sa porte pour empêcher les soldats d’entrer, divers réfugiés de nos patries arabes sinistrées et des déplacés des lieux bombardés, que ce soit les banlieues, le sud, la Bekaa ou même Beyrouth, après qu’Israël a bombardé avant-hier un de ses immeubles résidentiels et assassiné trois dirigeants palestiniens, dont l’un était une de mes connaissances.

Irakiens, Syriens, Soudanais, et Égyptiens, ainsi que les pauvres d’Éthiopie, des Philippines ou du Bangladesh.

Près d’un rassemblement de personnes déplacées, un petit magasin express s’active pour répondre à leurs besoins, et au coin de la rue, je m’attarde devant une petite librairie qui a ouvert ses portes pour je ne sais quelle raison. Je lis les titres des livres proposés, essayant de trouver quelque chose pour me distraire de la tristesse indescriptible qui m’étreint. Comment échapper à la tristesse qui vous habite ?

Une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue de noir, comme si elle était en deuil, sort de l’intérieur, une cigarette allumée à la main, pour me demander si j’ai besoin d’aide. Son visage est fatigué, comme si elle n’avait pas dormi depuis des jours. Elle me demande, mais elle me regarde un instant, et puis c’est comme si elle me reconnaissait de quelque part. Elle pose sa cigarette allumée sur le bord du cendrier, puis tend la main avec empressement pour me serrer la main en se présentant par son nom complet, comme si j’étais une vieille amie qu’elle avait enfin rencontrée. Je maudis ma mémoire défaillante tout en essayant de sourire pour camoufler mon ignorance de la personne à qui je parlais. Mais une chaleur émanait de ces yeux, et de ses paumes qui se resserraient autour de ma main.

J’ai regardé ses yeux rougis d’avoir tant pleuré, et elle a regardé à son tour mes yeux gonflés, et nous n’avons pas pu nous empêcher de pleurer ensemble, silencieusement et sans bruit.

Nous étions des étrangères, mais ce que nous pleurions était la même chose. Me voilà enfin en train de pleurer. J’ai laissé mes larmes, retenues par la colère et une douleur unique, couler tranquillement comme si elles avaient enfin trouvé un endroit sûr pour se déverser sans provoquer la jubilation de qui que ce soit.

Elle a pleuré, j’ai pleuré. Sans un mot. Nous nous sommes assises sur un divan coincé entre les nombreux livres poussiéreux de cette librairie étroite, à l’angle de deux rues, rendue encore plus exiguë par le nombre de livres et d’objets qui s’y trouvaient. Une pièce sans lumière, aussi sombre que le ciel à l’extérieur, comme si elle venait d’ouvrir ses portes après une longue période de fermeture. L’odeur était mélangée, entre l’atmosphère d’un pub, remplie d’odeurs de cigarettes éventées, de boissons et de vie nocturne, et l’odeur des livres que personne n’a achetés depuis longtemps. Nous pleurons en silence, puis chacune de notre côté, nous sortons un mouchoir de la boîte, nous essuyons nos larmes et nous ne disons rien. Au bout de quelques minutes, elle soupire et dit avec un sourire triste : « Tu bois du café ? »

J’étais soulagée de pleurer ensemble. Je suis allée jusqu’au quartier Bristol. Devant un petit magasin de téléphonie, deux jeunes hommes étaient assis en train de fumer. J’ai entendu l’un d’eux dire à l’autre qu’il n’osait pas aller voir son magasin dans la banlieue, non pas par crainte des bombardements israéliens « auxquels on est habitués », mais par crainte de constater la destruction de son gagne-pain.

Siham dort également dans la zone portuaire où elle travaille comme infirmière bénévole. La nuit de l’assassinat, vers l’aube, ses jambes l’ont trahie lorsqu’elle a constaté que sa maison, située à quelques rues de l’endroit où les Israéliens ont bombardé la zone, semblait s’effondrer dans la lumière des premiers rayons de l’aube. Elle est restée quelques minutes dans la lumière de l’aube naissante, puis a quitté l’endroit dévasté et a repris la route vers son lieu de travail.

Dans l’immeuble Concorde de la rue de Verdun, près de la rue Hamra, je me rends dans un centre de visas pour me renseigner sur certaines conditions en vue d’une invitation professionnelle dans un pays étranger. Le centre se trouve au cinquième étage du bâtiment, et le journal Al-Akhbar pour lequel je travaillais se trouve au sixième étage. D’habitude, je passe saluer mes collègues. Mais aujourd’hui, je n’ai pas pu.

Je pars en me disant que mon passage devant les deux journaux pour lesquels j’ai travaillé pendant vingt et un ans n’était peut-être pas une coïncidence. Peut-être que mon travail de reporter sur le terrain en temps de guerre me manquait. Lorsque je l’ai fait, j’ai eu l’impression de contribuer à la défense de ma patrie. Quelque chose qui donnerait un sens à ma vie dans ce pays qui a été « conçu » par les colonisateurs lorsqu’ils ont « dessiné la carte de l’Orient » pour qu’il soit une arène de conflits et de compromissions pour ceux qui détiennent le pouvoir, et non un pays sûr pour son peuple. Aujourd’hui, ils veulent le redessiner. Dans quel but, n’est-ce pas évident ?

Le surplus de pouvoir dont jouit le brutal Israël et la galaxie de puissants intimidateurs qui le soutiennent les fait jouir. Ce n’est pas grave. Allez, on y va. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Voyons comment ça se termine.

Sur le chemin du retour, au détour d’un virage, je croise un ancien collègue. Nous sommes à deux mètres l’un de l’autre et il sourit de surprise, heureux de me voir, mais les yeux aussi gonflés que les miens. J’ai envie de pleurer encore pour savoir comment il va, mais il ne dit pas un mot, il me serre dans ses bras sans rien dire, et il pleure aussi.

 

17/08/2024

DOHA CHAMS
“Les effacés” : massacres familiaux

Doha Chams, Al Araby, 16/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Jusqu’à la fin du mois de juillet dernier, plus de cinq cents familles ont été rayées des registres d’état civil de la bande de Gaza. Elles ont été complètement anéanties, il n’y a plus personne. Certaines familles ne comptent plus qu’un ou deux membres. Quelqu’un qui, dans l’horreur de la catastrophe, pourrait souhaiter ne pas avoir survécu, comme je l’aurais fait.

L’imagination diabolique d’Israël, avec son appétit génocidaire, a inventé un nouveau type de massacre : les « massacres familiaux ». Quelle étrange juxtaposition que ces deux mots : à l’oreille, à l’esprit, au cœur.


Cette photo du 21 avril 2023 fournie par Ahmed al-Naouq, réfugié en Turquie, à l’agence Associated Press montre sa nièce Tala al-Naouq, son frère Mohammed al-Naouq, Alaa al-Naouq, son père Nasri al-Naouq, Mahmoud al-Naouq et Dima al-Naouq à Deir Al Balah, dans la bande de Gaza. Des générations entières de familles palestiniennes de la bande de Gaza assiégée ont été tuées par des frappes aériennes Ahmed al-Naouq précise qu'aucun des 21 membres de sa famille, dont 13 enfants, tués lors d'une frappe israélienne sur la maison de sa famille n'appartenait au Hamas.

Vous vous dites que vous avez l’habitude d’entendre chacun des deux mots qui composent cette incroyable expression, seuls, dans deux mondes complètement séparés, voire opposés : le monde effervescent, luxuriant et bruyant de la vie et le monde sinistre de la mort, muet et mortel dans sa sauvagerie et sa primitivité modernisée.

Piscines  pour familles. Restaurants pour familles. Entrées réservées aux familles. Parcs d’attractions pour familles. Films pour familles. Albums de famille. Les massacres, c’est quoi ? Deux mots qui s’annulent l’un l’autre. Non, ce n’est pas une faute de frappe, même si cela y ressemble. C’est le nom d’un nouveau péché.

La juxtaposition des deux mots est étrange. Comment ce mot terrible a-t-il pu se faufiler dans les familles ? Comment sa férocité s’est-elle jetée sur la douceur du mot et l’intimité qui accompagne la multiplication humaine ? Qui aurait pu l’insérer avec son agressivité effrontée si Israël, son auteur, ne l’avait pas inséré dans la phrase ?

Lorsque l’on parle d’Israël, il ne s’agit plus d’une simple insertion dans une phrase. Il s’agit d’une occupation, d’une colonisation forcée et violente, d’un effacement du sens originel. Le viol de la paix par la brutalité, des parcs familiaux par les décombres, des parcs d’attractions par les éclats de roquettes, des fosses profondes bientôt remplies par les restes des familles. Les mots font ce que font les chiffres lorsqu’on leur ajoute un zéro. Ils prennent de la valeur et deviennent le contraire d’eux-mêmes.

Comment des massacres peuvent-ils être familiaux ? C’est un nouveau nom pour le crime génocidaire d’Israël à Gaza.

Vous vous souvenez des photos que vous aviez vues dans les archives d’une organisation qui s’occupe de photos anciennes, en sépia et en noir et blanc. Des photos collectées par un collectionneur dans les archives négligées d’anciens studios photo de Sidon et de Beyrouth. Des studios qui ont disparu et dont les archives sont devenues vides de sens avec l’invention des appareils photo perfectionnés, puis des téléphones portables. Les photos ne sont pas identifiables. La plupart d’entre elles sont des portraits de famille où tous les membres de la famille se sont rassemblés pour capturer un moment qui prouve qu’ils sont un groupe connecté, et qui fait connaître leur identité. Des enfants jouent autour de leurs parents dans un vieux restaurant. D’autres photos, peut-être d’un barbecue en plein air au bord d’une rivière avec une grosse pastèque nageant dedans, attendant d’être refroidie. Des balançoires dans la nature, ou des nageuses en bikini coquin posant au bord de la mer. Des photos d’écolières avec leurs bavoirs et leurs rubans noués dans les cheveux, assises dans leur salle de classe, des photos de garçons nus, ou des photos de jeunes mariés qui ont emprunté leur costume de mariage à un studio photo, comme c’était la norme.

Il s’agit de photos de famille, alors comment les massacres peuvent-ils être familiaux ? C’est un nouveau nom pour le crime de génocide, mais il est plus exact. Le premier rassemble des étrangers, le second des parents.

Au Liban, nous avons aussi eu notre part de massacres familiaux, ceux qui ont été réduits en morceaux sous les décombres, ou qui ont été dispersés dans l’air comme de la poussière par des armes conçues pour effacer, et pas seulement pour tuer. « Effacé » est le nouveau terme que la barbarie contemporaine a ajouté aux dictionnaires de la brutalité que nous connaissions de nos guerres précédentes. Dans notre guerre civile libanaise, au cours de laquelle on a enlevé certains d’entre nous et fait disparaître d’autres par la force, nous connaissions des termes tels qu’enlevés (aux points de contrôle de l’identité religieuse), disparus de force (aux points de contrôle des belligérants) et disparus tout court  (remis à Israël par ses alliés mais non reconnus par eux). Chacun de ces termes a ses propres circonstances et une signification précise. Mais nous n’avons pas été « effacés » au sens invasif du terme. Il s’agit d’une catastrophe dont je ne mesure même pas toute l’ampleur. Il me faut du temps pour en comprendre la brutalité, pour saisir ce que signifie commettre un tel péché, avec préméditation et détermination, contre l’instinct de survie de l’humain.

Oui, nous avons connu des massacres familiaux commis par Israël lors de ses nombreuses agressions contre le Liban, mais il s’agissait de coïncidences. Je me souviens, par exemple, de la famille Al-Barji de Cana, au Sud-Liban, dont les membres ont été tués lors de l’agression israélienne des Raisins de la colère, ou de la famille Bzea de Zibqin, également au Sud-Liban. Je me souviens très bien de la façon dont ces familles, qui étaient presque anéanties, ont essayé de se réunir grâce à un montage de photos des martyrs d’une même famille en une seule grande photo : les anciens au centre pour signifier leur valeur et leur respect, puis les enfants et leurs épouses, puis les petits-enfants, et même les nourrissons. C’est ainsi que les Barajis ont résisté à l’anéantissement. À Gaza, il n’y a aucune trace des maisons, ni des quartiers où elles se trouvaient.

La seule trace laissée est celle des plateformes de médias sociaux, remplies de la volonté de ceux qui étaient certains de « l’inévitabilité du martyre » et n’attendaient que leur tour.

Il n’y a pas eu de massacres génocidaires au Liban. Mais l’intention était claire à Gaza, et les Gazaouis l’ont compris avant tout le monde. Gaza, où les Israéliens connaissent tous ceux qui respirent : Où vit-il ? À quel étage ? Avec qui ? Sur quel lit dort-il ? Avec qui ? Quels types de cuisinières se trouvent dans la cuisine ?

« On commence aujourd’hui par la famille Shihab ? », pourrait dire un soldat à son collègue dans le cockpit d’un avion de guerre perfectionné, avant de lancer ses missiles à 20 000 mètres d’altitude. Il est assis en toute sécurité dans son avion, tout comme un gameur est en sécurité devant son écran d’ordinateur.

« Quelle famille on va anéantir aujourd’hui ? » dit le soldat en bâillant. « La famille Saidam, la famille Abu Daqqa ou la famille Dawas ? »

« Allons-y », dit le copilote. « Commençons par leurs maisons, pétrissons-les avec et ne leur laissons aucune raison d’avoir une tombe. Nous voulons toute la terre, sans un seul Palestinien dessus, dessous ou dans sa mémoire. Nous voulons une terre propre et vierge, même si c’est par la force. Une terre amnésique, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Infectons-la. Nous n’en laisserons aucun, pas même un grain de poussière, et nous aurons tout ». C’est ce que dit le pilote colon à son collègue dans le cockpit de l’avion de guerre perfectionné, alors qu’il franchit le mur du son et s’amuse beaucoup. Effaçons-les, crient-ils ensemble. Jouons.

 

 

03/04/2024

DOHA CHAMS
Un mundo que parece un mundo
El Sr. Guterres en el paso fronterizo de Rafah

Doha Chams, Al Araby Al Jadid, 29/3/2024
Traducido por Ricard González Samaranch


Doha Chams es una periodista y bloguera libanesa. Vive en Beirut.


El anciano está de pie frente al paso fronterizo cerrado. Detrás de él, se alinean interminables convoyes de camiones de ayuda pudriéndose bajo el sol del desierto del mediodía. Frente a él, decenas de micrófonos se disputan el espacio, esperando oír lo que tiene que decir. Es el funcionario de la ONU de más alto rango que llega aquí. Hay un cierto afán que casi se puede reconocer en su insistencia en venir él mismo. La palidez de la edad y de la vida de oficina se dibuja en su rostro flácido. El aire sopla mezclado con el polvo del desierto y su pelo canoso revolotea, aliviando la monotonía de su imagen oficial.

 

La visita en sí cuenta como un paso en la diplomacia. Aquí, en el paso fronterizo de Rafah, con su sudadera y su pelo al viento, el Secretario General parece más bien un abuelo afectuoso que ha venido a comprobar lo que les pasa a algunos de sus vecinos en esta humanidad. Esperamos lo que tiene que decir con la impaciencia de quien no se cansa de albergar esperanzas. Dice, como si fuera la primera vez que tantea el terreno minado con los pies: “¡La denegación de ayuda al norte de Gaza por parte de Israel es inaceptable!”

 

¡Qué eficaz, tío! El aire libre no parece cambiar nada en las expresiones de preocupación de la ONU.

 

Geográficamente, al menos, la declaración de Guterres parece inapropiada. Al otro lado del muro, los gazatíes del norte, del sur y del centro pasaban hambre y eran asesinados de las formas más horribles, las veinticuatro horas del día, en el momento de su declaración.

 

Su expresión “diplomática”, en un momento en que no hay mejor expresión lingüística que los insultos y los calificativos, parece mucho más perjudicial que el poco bien que hizo con su presencia.

 

Geográficamente, la declaración del Secretario General fue totalmente inoportuna, teniendo en cuenta su cargo, su esfuerzo, y la gravedad del acontecimiento. Ahora bien, sí fue muy indicativa de la impotencia de las Naciones Unidas, aunque intentara mostrar lo contrario. La incapacidad del mundo para acudir en ayuda humanitaria, para actuar con honor y valentía como lo hizo, por ejemplo, Sudáfrica, frente a complejos cálculos de intereses y al miedo al equilibrio de poder.

 

La visita de Guterres al paso cerrado por voluntad de Estados Unidos, Israel y Egipto reveló que, quizá sin saberlo, hemos estado perdiendo un tiempo precioso esperando la ayuda del mundo.

 

Y por eso, ¿cómo permanece todavía viva esa esperanza? ¿Es esperanza en la humanidad? ?De dónde viene? ¿Cuándo hemos visto al mundo acudir en ayuda de los oprimidos como una madre solícita? ¿O es la desesperación de esperar cualquier otra cosa? ¿Una esperanza que “sale del aburrimiento”, como dice la canción de Ziad Rahbani?

 

Desde hace meses, nuestra mirada suplicante se dirige al mundo, y cuando decimos el mundo, no nos referimos a un país concreto o a un gobierno concreto. El mundo, en el sentido de poder frenar a Israel, es en realidad Occidente, ya que nuestro mundo árabe también está ocupado, aunque de una forma más insidiosa que el crudo colonialismo de los colonos en Palestina.

 

Poco a poco, cada vez que el nivel de barbarie de Israel subía y a su malvada imaginación se le ocurría una nueva forma de exterminar y humillar a los palestinos, mirábamos a Occidente, que creíamos que era el símbolo de la civilización, sólo para encontrar individuos aquí y allá, que realmente tenían conciencia y humanidad, que, como nosotros, ponían el grito en el cielo, al no estar habituados a lo que veían y oían. Pero, al igual que con nosotros, nadie en el mundo se preocupaba por ellos.

 

Israel desnuda a los hombres, desnuda y viola a las mujeres, mata a las mujeres embarazadas disparándoles en el estómago, roba el oro de las mujeres desplazadas y quema los enseres que llevaban consigo para afrontar los rigores del exilio.

 

El mundo no somos nosotros ni estos individuos o pequeñas asociaciones, sino “ellos"” es decir, los poderosos con dinero y poder que ocupan los círculos de decisión, sus hombres y mujeres, y su financiación. Son los conglomerados de la economía, las armas y los medios de comunicación, un eje transnacional del poder de los intereses desprovistos de toda cobertura religiosa, moral o jurídica, tan fríos como el metal del que está hecha el arma. Un mundo cuyo corazón ha sido ocupado por una calculadora que se burla de cualquier ley que no esté respaldada por la fuerza.

 

El mundo son ellos.

 

Y es a ellos a quienes dirigimos nuestra mirada cada vez que se alza el salvajismo, esperando al menos una mirada de asco ante lo que hacen los bárbaros del siglo XXI. Una palabra que dé alguna esperanza a nuestros corazones de que se detenga el genocidio que desde hace seis meses se produce cada día, cada semana, cada mes. Pero sólo oímos frases calculadas con la precisión de quienes temen por sus intereses. Frases redondeadas que no dicen nada y, al hacerlo, dicen otra cosa. Que al monstruo se le ha dado permiso para completar lo que está haciendo.

 

Biden está pensando, Biden está consultando, Biden afirma, Biden está a punto de, Biden está casi diciendo, Biden está nervioso, Biden le ha colgado el teléfono a Netanyahu, hay señales de desacuerdos entre Biden y Netanyahu, el desacuerdo puede profundizarse, Netanyahu está saboteando las negociaciones, él está ganando tiempo, Argelia hace una propuesta de alto el fuego, Estados Unidos la veta con el pretexto de que tiene otro proyecto de resolución, Israel está matando, aniquilando, disparando con sus francotiradores, asesinando, destruyendo a diestro y siniestro. Israel desnuda a los hombres, desnuda a las mujeres y las viola, mata a las mujeres embarazadas disparándoles en el estómago, roba el oro de las mujeres desplazadas y quema los enseres que llevaban consigo para afrontar los rigores del exilio, envía a todos desnudos a donde dice que es seguro, y allí los mata.

 

Finalmente, hace unos días, con el telón de fondo de la farsa Biden/Netanyahu y las elecciones usamericanas, Washington dio marcha atrás en su veto. No para aprobar el proyecto de resolución de Mozambique para un alto el fuego en Palestina, Dios no lo quiera, sino simplemente por una abstención arrogante y condescendiente que permitió que el proyecto, débil en su contenido y con pocas probabilidades de ser eficaz, fuera aprobado.

 

El mundo, con sus representantes en el Consejo de Seguridad, se alegra de la resolución, que Estados Unidos tuvo a bien no bloquear para castigar a Netanyahu por su insubordinación. Aplauden calurosamente, y es palpable su alivio, en contraste con el ceño fruncido del representante usamericano en el Consejo.

 

Las pantallas de todo el mundo retransmiten la escena en la que se agasaja aquellos que permitieron la victoria. ¿Y después? ... Vuelta a la “rutina” de cubrir nuevas masacres israelíes y noticias sobre la intención de Netanyahu de invadir Rafah, donde en el lado opuesto del muro prohibido se encontraba el Secretario General de las Naciones Unidas.

 

Estimado Sr. Guterres. Probablemente sea usted un buen abuelo. Váyase a jugar con sus nietos, si eso es todo lo que el mundo puede hacer para detener el monumental genocidio que comenzó hace 75 años en Palestina, bajo su vigilancia, y que ahora se está completando en Gaza. No nos deje ni siquiera con la esperanza. Así, solo nos quedará “el mar detrás de nosotros, la muerte frente a nosotros”* ... La resistencia es inevitable.


*Nota de Tlaxcala

 En abril de 711, jinetes musulmanes cruzaron el estrecho de Gibraltar y avanzaron muy rápidamente en la Península Ibérica. Estaban bajo el mando de Tariq ibn Ziyad, la mano derecha de de Mûsa ibn Nûsayr, el gobernador de Ifriquía (actual Magreb).Este hombre, que llevaba sangre bereber en las venas, era el comandante de los ejércitos de Occidente, estacionados en la región de Tánger, que contaban con entre siete y doce mil hombres. La mayoría de ellos eran bereberes que no querían otra cosa que enfrentarse al rey visigodo de Hispania Rodrigo. Cuando desembarcó, y como sus tropas necesitaban ser galvanizadas (tenían frente a sí a 70 000 soldados cristianos), se cuenta que Tariq ibn Ziyad ordenó quemar todas las naves, y proclamó: “Mis queridos jinetes. Estáis cerca del objetivo final. Tenéis ante vosotros un enemigo poderoso y detrás de vosotros un mar furioso que devora a quienes le hacen frente. Muerte delante, muerte detrás. Pero la victoria sobre el enemigo os salvará de ambos peligros. Sabed luchar como héroes. ¡Alá es el más grande!” Desde entonces, el lugar donde el general musulmán tomó el control del campo de batalla se conoce como Yabal Tariq, y pronto Gibraltar.

 

 

 

DOHA CHAMS
Un monde qui a l’air d’un monde
Monsieur Guterres à Rafah

Doha Chams, Al Araby Al Jadid, 29/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Doha Chams est une journaliste et blogueuse libanaise. Elle vit à Beyrouth

 Le vieil homme se tient devant le poste-frontière fermé. Derrière lui, d’interminables convois de camions d’aide s’alignent, pourrissant sous le soleil du désert de midi. Devant lui, des dizaines de microphones se bousculent, attendant de capter ce qu’il a à dire. Il est le plus haut fonctionnaire des Nations unies à arriver ici. Il y a un certain empressement, presque reconnaissable, dans son insistance à venir lui-même. La pâleur de l’âge et de la vie de bureau se lit sur son visage flasque. L’air souffle mêlé à la poussière du désert et ses cheveux gris voltigent, atténuant la monotonie de son image officielle.

La visite elle-même est un pas en avant dans la diplomatie. Ici, au poste frontière de Rafah, avec son sweat-shirt et ses cheveux au vent, le Secrétaire général ressemble davantage à un grand-père affectueux venu voir ce qui arrive à certains de ses voisins dans cette humanité. Nous attendons ses propos avec l’impatience de ceux qui ne se lassent pas d’espérer. Il dit, comme si c’était la première fois qu’il foulait du pied ce champ de mines : « Le refus d’Israël d’apporter de l’aide au nord de Gaza est inacceptable ! »

Quelle efficacité, tonton ! Le grand air ne semble rien changer aux inquiétudes de l’ONU.

Géographiquement, au moins, la déclaration de Guterres semble inappropriée. De l’autre côté du mur, les habitants de Gaza, au nord, au sud et au centre, mouraient de faim et étaient tués de la manière la plus horrible qui soit, 24 heures sur 24, au moment où il a fait sa déclaration.

Son expression « diplomatique », à une époque où il n’y a pas de meilleure expression linguistique que les insultes et les épithètes, semble bien plus préjudiciable que le peu de bien que sa présence a apporté.

Sur le plan géographique, la déclaration du Secrétaire général était totalement inappropriée, compte tenu de sa position, de ses efforts et de la gravité de l’événement. Elle était cependant très révélatrice de l’impuissance des Nations unies, même s’il a essayé de montrer le contraire. L’incapacité du monde à apporter une aide humanitaire, à agir avec honneur et courage comme l’a fait, par exemple, l’Afrique du Sud, face à des calculs complexes d’intérêts et à la peur de l’équilibre des forces.

La visite de Guterres au point de passage fermé par la volonté des USA, d’Israël et de l’Égypte a révélé que, peut-être sans le vouloir, nous avons perdu un temps précieux à attendre l’aide du monde.

Alors, comment cet espoir reste-t-il vivant - est-ce l’espoir en l’humanité ? D’où vient-il ? Quand avons-nous déjà vu le monde venir en aide aux opprimés comme une mère attentionnée ? Ou est-ce le désespoir d’attendre autre chose ? Un espoir qui « sort de l’ennui », comme le dit la chanson de Ziad Rahbani ?

Depuis des mois, notre regard suppliant se tourne vers le monde, et quand nous disons le monde, nous ne parlons pas d’un pays ou d’un gouvernement en particulier. Le monde, dans le sens où il peut arrêter Israël, est en fait l’Occident, car notre monde arabe est également occupé, même si c’est d’une manière plus insidieuse que par le colonialisme brut en Palestine.