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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

28/09/2023

GIDEON LEVY
La kippa tricotée des intégristes de Yom Kippour à Tel-Aviv a provoqué un désastre en Israël

Gideon Levy et Tomer Appelbaum (photos), Haaretz, 27/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En écoutant les protestations sur le “pogrom” sur la place Dizengoff de Tel Aviv le jour de Yom Kippour, la “sainteté du jour” et l'offense aux “sentiments des fidèles”, il est impossible de ne pas se rappeler les offenses quotidiennes qu'ils commettent contre nous, les personnes de gauche laïques. Mais en Israël, les laïcs n'ont pas de sentiments. Seuls les religieux ont des sentiments qui ne doivent pas être offensés.

Leurs sentiments ont été offensés ? Sur cette place, il est soudain apparu que nous avions nous aussi des sentiments. Leurs valeurs ont été profanées ? Les nôtres ont été profanées il y a longtemps. En outre, une grande partie du mal qui nous a été fait, à nous, les démocrates laïques, a été causée par les plaignants de la place Dizengoff.

Des fidèles et des opposants sur la place Dizengoff de Tel-Aviv, dimanche dernier

 Lorsque je vois des Israéliens en kippa tricotée et en chemise de shabbat d'un blanc éclatant, avec leurs franges rituelles qui pendent sur les côtés et leurs armes qui dépassent par derrière, organiser des services de prière au cœur de cette place laïque, cela me heurte profondément. Cela me rappelle qu'eux et ceux qui leur ressemblent sortent chaque vendredi soir (et d'autres nuits) pour se déchaîner contre leurs voisins bergers en portant ces mêmes vêtements festifs du shabbat, munis des mêmes armes, soutenus maintenant par des gourdins et des barres de fer.

Même si la plupart de ceux qui prient sur la place ne prennent pas une part active à ces déchaînements, il est raisonnable de supposer qu'ils les soutiennent, au moins par leur silence. Les émeutiers sont leur propre chair et leur propre sang. Ils viennent du même village, de la même yeshiva, de la même yeshiva pour femmes ou du même lycée. Cette prise de contrôle des espaces publics de Tel-Aviv par les colons et leurs complices me heurte, tout comme leurs actions me font beaucoup de mal.

Pendant des années, Israël a été façonné à leur image. Pendant des années, Israël a été entraîné dans leur sillage, jusqu'à ce qu'ils fassent finalement pencher la balance par la violence, la tromperie, l'extorsion, les menaces et la fraude. Sans eux, nous serions peut-être une démocratie. Au lieu de cela, à cause d'eux, nous sommes un État raciste d'apartheid.

Rosh Yehudi, l'organisation à l'origine de ce service de prière pur et innocent sur la place, est une preuve décisive du lien étroit entre la religion et la prise de contrôle par la force des territoires occupés. Dans la vallée de Shiloh, ils le font par la violence ; sur la place Dizengoff, de manière édulcorée. Mais les objectifs sont les mêmes.

Dans la vallée de Shiloh, il n'y a plus personne pour les arrêter. Sur la place Dizengoff, il y a soudain eu des gens pour les arrêter. Il ne faut pas pleurer sur le mal qui leur a été fait, ils ne méritent même pas des larmes de crocodile. Le mal qu'ils nous ont fait est bien plus grand.

Aucun acte de “fraternité” du type de ceux qu'ils préconisent, aucun dialogue et aucune étude commune de la Torah ne peuvent masquer le fait qu'ils sont coupables, avec le soutien de tous les premiers ministres israéliens et des forces de défense israéliennes, d'avoir transformé ce pays en un État d'apartheid. S'il n'y avait pas eu de droite religieuse, nationaliste, messianique et raciste, il n'y aurait pas eu de colons. Et s'il n'y avait pas eu de colons, il n'y aurait pas eu d'occupation depuis longtemps. C'est aussi simple et vrai que ça.

Des manifestants se heurtent à la police, dimanche soir à Tel Aviv

Lorsqu'ils viennent sur la place Dizengoff, ils apportent avec eux leur idéologie arrogante et nationaliste. Et le comble de leur audace, c'est qu'ils sont venus sur la place au nom de la liberté, du libéralisme et de la démocratie. Les colons et leurs complices, les membres de Rosh Yehudi et leurs partisans, sont la communauté qui prive par la force leurs voisins palestiniens de ces valeurs. Et maintenant, ils essaient de faire progressivement la même chose à Tel Aviv. Ils n'ont pas le droit de bénéficier du libéralisme. Ils en sont les ennemis.

Voir des membres du mouvement Garin Torani - de jeunes juifs religieux qui se déplacent en groupe dans les quartiers de la ville - au cœur de Tel-Aviv me heurte également. Quiconque a visité ces dernières années les villes palestiniennes qui sont devenues des villes mixtes judéo-arabes en 1948 sait ce que les membres de ce mouvement ont l'intention de faire : judaïser, provoquer, organiser une prise de contrôle par la force et, en fin de compte, pousser les habitants à partir.

Allez à Ramle, à Lod ou à Acre et vous verrez. Là-bas, ils heurtent de nombreux sentiments. Et maintenant, il est bon et nécessaire de les bloquer à Tel Aviv. On trouve de tout dans le mouvement Garin Torani, sauf de bonnes intentions.

Oui, la kippa tricotée est devenue un symbole qui suscite la résistance. Beaucoup de ceux qui la portent en portent la responsabilité. C'est le symbole que portent de plus en plus d'officiers de Tsahal et de hauts fonctionnaires de l'administration “civile” israélienne en Cisjordanie, ainsi que de nombreux juges, journalistes et hommes politiques - trop nombreux.

La kippa tricotée fait de son porteur un suspect jusqu'à preuve du contraire. La kippa tricotée a entraîné un désastre pour Israël. Et cela doit être dit.

GIANFRANCO LACCONE
La convivance, cette inconnue
Réflexions sur la dernière AG de l’ONU

Gianfranco Laccone, Comune-Info, 26/9/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les signes de changement se multiplient : nous devons en prendre note et essayer de trouver la meilleure façon de convivre sur la planète, nous, les animaux, les plantes.

Raoul Dufy, Paysage avec le bâtiment du Siège de l’ONU, Aquarelle sur papier, 1952

 La 78ème session de l’assemblée générale de l’ONU qui vient de s’achever nous donne l’occasion de réfléchir à partir du thème de la discussion de cette année (« Rétablir la confiance et raviver la solidarité mondiale : accélérer l’action menée pour réaliser le Programme 2030 et ses objectifs de développement durable en faveur de la paix, de la prospérité, du progrès et de la durabilité pour tout le monde ») et de la manière dont il a été diversement interprété par les différents pays.

La donnée la plus importante, malheureusement, est la nouvelle baisse de crédibilité de cette institution, qui est passée au second plan, même dans les chroniques internationales, après le G20 quelques jours plus tôt. Lors de ce dernier, les signes d’un changement dans les relations entre les pays étaient devenus évidents (la non-invitation de l’Ukraine par l’Inde - le pays hôte -, compensée par l’absence physique de la Russie et de la Chine) ; le communiqué final a minimisé le conflit en Europe, considéré comme une guerre parmi d’autres dans le monde, réitérant, mais en les rendant plus vagues, les concepts de souveraineté et d’autodétermination.


Bref, la confusion est grande sous le ciel : les USA - vainqueurs de l’affrontement avec l’URSS - ne parviennent pas, trente ans après, à affirmer une hégémonie, le “KO technique par abandon” essuyé en Afghanistan ayant été un signal contraire, et leur concurrent économique mondial - l’UE - est en crise, flanqué d’autres “puissances émergentes” qui discutent même entre elles d’une éventuelle monnaie commune. Un autre signal, encore peu souligné, a été l’admission de l’Union africaine (UA, qui regroupe 55 États du continent) au sein du G20, à laquelle une partie du groupe (Australie, Canada, Argentine, Mexique, Corée du Sud, Arabie saoudite et Turquie) s’est fermement opposée. L’Afrique commence à ne plus être un fantôme dans le système des relations mondiales, non seulement en raison de la présence de personnes originaires d’États africains à la tête de nombreuses institutions internationales, mais aussi en raison d’une subjectivité qui, bien que très difficilement, commence à prendre forme.


Hassan Karimzadeh

Mais la situation n’est pas excellente : un système de relations se met en place qui privilégie les relations bilatérales ou sur des espaces délimités, sur les relations globales des grands systèmes qui ont échoué même dans la tentative de gouvernance commerciale à travers l’OMC, sur laquelle tous les partisans de l’économie de marché avaient misé il y a trente ans pour parvenir à une coordination du système mondial. L’actuelle “guerre des céréales” sur la mer Noire en est la démonstration la plus claire : l’OMC (Organisation mondiale du commerce) est née après l’Accord sur l’agriculture et le commerce des denrées alimentaires, qui complétait ainsi le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), en transférant les règles des transactions financières au marché des produits agricoles et en initiant un mécanisme de régulation des différends qui tendrait à éviter que les guerres commerciales ne se transforment en véritables conflits.

En Ukraine, en revanche, un différend de nature territoriale (non contrôlé par l’ONU et “oublié” par ceux qui sont aujourd’hui “intéressés” par le conflit) s’est transformé en un affrontement plus large avec l’invasion de la Russie, entraînant dans son sillage tous les instruments (embargos, restrictions au transfert de capitaux, limitations de la liberté, déportations, violations des droits humains et des accords) que les mécanismes mis en place au cours des trente dernières années auraient dû permettre d’éviter ou de résoudre rapidement. Par un effet boule de neige, les conséquences ont atteint les endroits les plus éloignés et les populations les plus diverses, mises dans le même panier par le marché mondial. Un marché qu’il est impossible de redimensionner, même avec les politiques autarciques les plus strictes, et dans lequel on ne sait pas comment surmonter l’autonomie insuffisante des États individuels (on revendique l’autonomie locale, mais on se rend compte ensuite qu’une agrégation supranationale avec des pouvoirs souverains est nécessaire pour résoudre les problèmes).

L’Union européenne et tous les pays du continent ne sont pas sortis grandis d’une session de l’ONU que tous les analystes ont jugée “léthargique” et qui a vu des jeux politiques se dérouler ailleurs sur les questions débattues.

Ils n’ont pas brillé par l’innovation, même terminologique, et l’impression est qu’ils répètent l’occidentalisme hégémonique à travers une “démocratie de façade”, qui est la cause principale de l’impasse onusienne. Sur le changement climatique, enfin, on attend les résultats des élections de 2024 aux USA pour voir où finira ce qui reste des objectifs de l’Agenda 2030.


Calvi, 2012

La réaffirmation de la nécessité de l’aide à l’Afrique m’a semblé du même mauvais aloi, comme si cela n’avait pas toujours été le cas (plus correctement défini comme colonialisme), et posait le même problème aux néolibéraux au gouvernement un peu partout (en Europe et ailleurs) que l’aide aux zones défavorisées : ne pas “gaspiller” les ressources dans les endroits considérés comme des zones sinistrées et les allouer plutôt là où c’est plus commode. Il aurait peut-être été plus d’actualité de parler de coopération à haut niveau, de dialoguer avec les structures qui guident les économies du monde, sachant au passage que certaines d’entre elles, comme l’OMC, sont dirigées par une femme (nigériane) qui était auparavant numéro deux de la Banque mondiale.

Mais plus encore, j’ai été frappé par la manière dont les parties impliquées dans le conflit ukrainien se sont renvoyé la balle. Dans un précédent article, j’avais souligné la difficulté d’utiliser l’embargo comme une arme contre l’ennemi : souvent, dans un système de relations multilatérales, les politiques contre “l’ennemi” se retournent comme un boomerang. Les Européens, les Italiens en premier lieu, le savent bien en ce qui concerne le prix du pétrole et du gaz, après le blocus du commerce avec la Russie.

En ce qui concerne le commerce des céréales, la liste des principaux pays producteurs comprend la Chine, l’Inde et la Russie, suivies de l’UE, des USA, du Canada, ainsi que de l’Australie et de l’Ukraine. En revanche, si l’on dresse la liste des pays exportateurs dans le monde, c’est la Russie qui arrive en tête, suivie de l’UE (France, Roumanie et Allemagne), du Canada, des USA et de l’Ukraine.

Bref, aucun pays africain n’est sur le terrain dans ce conflit, qui voit plutôt toutes les puissances économiques directement impliquées dans le conflit gérer le commerce des céréales. Les pays africains, en revanche, sont les principaux importateurs, au premier rang desquels l’Égypte, victimes d’un conflit dans lequel ils n’ont aucune possibilité d’intervenir. 

Pour l’Égypte aussi, on peut parler d’un cas exemplaire, en raison des effets secondaires (imprévus) qui se produisent quelques décennies après le début des “politiques de développement”. Après avoir été à l’époque impériale romaine le grenier de l’empire grâce aux providentielles crues alluvionnaires annuelles du Nil, elle a perdu cette prérogative depuis les années 1960, suite à la construction du barrage d’Assouan et à la transformation économique. La “révolution verte” a permis la généralisation de l’irrigation et la production de fruits, légumes, céréales et textiles à haut rendement pour l’exportation, ainsi que la création d’un système industriel. Bref, les choses ont suivi un autre chemin et aujourd’hui tout embargo alimentaire pose des problèmes à ce grand pays très peuplé du fait de l’approvisionnement réduit de la céréale de base de son alimentation.

Mais, à mon avis, l’aspect le plus évident est l’eurocentrisme de la vision des politiciens continentaux : bien qu’ils évoluent sur des plans différents (du lorgnage allemand vers la réforme des relations multipolaires, à l’intervention française complexe visant à répondre aux carences du système social mondial, à celle au nom de l’UE qui a posé la nécessité d’avoir un plus grand équilibre des relations internationales et moins de distances sociales à côté de la solution aux conflits de guerre), toutes les interventions finissent par poser le “problème” des migrants, allant même jusqu’à demander, dans l’intervention italienne, un engagement international des Nations Unies elles-mêmes pour cette lutte.

Qu’en dire ? Face aux guerres qui semblent se multiplier dans le monde et à l’incapacité des “occidentaux”, symptôme de leur hégémonie mondiale réduite, à faire de leur conflit russo-ukrainien un problème plus important que d’autres conflits, à commencer par ceux du Moyen-Orient, le déplacement de l’attention vers les migrations, qui sont clairement un problème dérivé des autres (changement climatique, guerres, crise économique) a reçu un accueil froid - pour ne pas dire sceptique - de la part de l’assemblée.

Car si les problèmes sont autres, il faut les résoudre en commençant par les guerres pour éviter les situations de “crise humanitaire”, et si le problème est spécifique parce que les autres ne peuvent pas être résolus, la première réponse à donner est de faciliter et de rendre le voyage légal et transparent : créer des bureaux spéciaux dans les ambassades, fournir des documents avant le départ (garantir la sécurité), fournir les moyens de transport (et ainsi revitaliser ce secteur en crise perpétuelle) pour atteindre les pays d’arrivée.

Mais peut-être que cette façon de penser n’appartient qu’à quelques privilégiés : quelques rêveurs, les aliens trouvés au Pérou, et… le Pape.

 

Discours de Bassolma Bazié, Ministre d'État, ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale du Burkina Faso, à la 78ème  AG de l'ONU

 

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
NO FUTURE : ces lendemains qui ne chantent plus


 Luis E. Sabini Fernández, 26/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La notion de futur s’est considérablement modifiée.

Je suis assez âgé pour le savoir par expérience et pas seulement intellectuellement.

L’avenir révolutionnaire que le socialisme en général et le marxisme en particulier, critiquant la religion chrétienne qui plaçait la félicité dans “l’au-delà” et la revendiquant pour notre en-deçà, pour notre avenir même sur terre (sur la Terre), malgré son apparente prétention à des améliorations concrètes de la vie humaine, n’a pas cessé d’être une revendication post vitam.

 

 Le laboureur rouge, de Boris Zvorykin (1872-1945), 1920 : “Dans les champs sauvages, sur les décombres du féodalisme et du capital, nous labourerons notre champ”.

La description même de l’URSS comme “paradis des travailleurs” révèle son caractère de mauvais coup (comme un jeu de bonneteau). Elle a probablement été faite en toute mauvaise conscience, car au moins les échelons supérieurs de la nomenklatura le savaient : en URSS, la condition de la classe ouvrière était un néo-esclavage. Et de ce côté-là, l’accès au paradis était définitivement inaccessible.

Mais il y avait tout un peuple qui était plein d’espoir. C’est ainsi que la présence, l’existence de l’URSS a été vécue, grosso modo, entre les années 1950 et les années 1980 (avant, dans les années 1920, le feu révolutionnaire ne traversait aucun paradis et plus tard, dans les années 1980, les concessions tactiques successives à l’establishment ont mis fin à l’espoir du feu et à l’espoir du paradis).

La référence au futur (“socialiste”) exprimait le caractère d’un alibi idéologique, bien qu’en général les personnes qui adhéraient à de telles “convictions” (par exemple tous les membres des partis communistes et même socialistes), ne se percevaient guère comme l’objet d’une temporalité fallacieuse.


 

Le crash du futur socialiste

1956 est une année clé pour la “chute de ces engagements”, celle d’un socialisme naïf et massifié (certainement pas pour l’intelligentsia, qui a longtemps été impliquée dans des débats et des luttes à la vie à la mort).

Car pendant près de 40 ans, la liturgie officielle soviétique a ignoré les “accidents” de l’anarchisme, du trotskisme, du conseillisme et autres “malformations”, les considérant comme des anomalies qui n’altéraient pas le corpus (sacré) révolutionnaire.

Le 20e Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) a alors mis en évidence le caractère endogène du mal. D’un certain mal (et non de tous les maux, comme la droite traditionnelle a immédiatement tenté de l’exploiter en disculpant, comme s’ils n’existaient pas, le colonialisme, le racisme, le militarisme classique, bref le capitalisme).

C’est lorsque le 20e congrès du PCUS a révélé que Staline était un assassin, un dictateur omnipotent. 

1956 a été la première démolition de l’aspiration socialiste à l’avenir (que l’on appelait encore “le futur” [1]).

Le marxisme avait commis un abus intellectuel, un outrage psychique en logeant les rêves de manumission dans “l’avenir”. Et il a commis, en outre, une vulgaire répétition de l’appel des prêtres chrétiens à tolérer les iniquités du présent pour trouver le bonheur dans le futur.

La prétention scientifique à connaître “le futur” a alors fonctionné comme un alibi idéologique.

Car, stricto sensu, on ne peut pas connaître, ni même percevoir, l’avenir.

C’est le scientisme socialiste qui a imposé cette revendication, en modifiant notre propre localisation temporelle et spatiale : le passé était reconnaissable et séparable de toute rêverie passée. Il était certes difficile de le reconnaître, de le retrouver. Le travail historique, la recherche documentaire, pouvaient nous rapprocher asymptotiquement de lui, de ce que nous avions vécu. Notre présent s’évanouissait de seconde en seconde, notre passé devenait de plus en plus insaisissable.

Mais cette temporalité ne commence pas avec le socialisme. C’est l’optimisme bourgeois qui a développé l’idée de futur, un futur toujours meilleur.


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Edward Bellamy, combinant ses origines usaméricaines et l’expansion irrésistible des idées socialistes en Occident dans la seconde moitié du XIXe siècle, a écrit un roman utopique – Cent ans après ou l’An 2000 - d’un techno-optimisme radical, soutenant une société de rêve basée sur de nouveaux gadgets technologiques qui rendraient la vie agréable et enviable : véhicules motorisés tels que les hélicoptères, sermons religieux par téléphone, lave-vaisselle et autres appareils électroménagers, cartes de crédit. Bellamy l’a publié en 1892, alors que tous ces nouveaux gadgets, aujourd’hui banalisés, commençaient à faire leur apparition.

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Ce conte utopique, d’une simplicité candide, est l’une des dernières versions de la grande saga utopique de la modernité avec une charge entièrement positive. Il est très significatif qu’avec la création de l’Union soviétique en 1917, ce genre ait presque disparu dans sa version optimiste et positive. En 1920, Evgueni Zamiatine écrit Nous autres, dans la toute nouvelle URSS, qui raconte une société aux habitations vitrées, c’est-à-dire à la vie quotidienne sans secrets, et à l’esprit plutôt étouffant. Au bout d’un certain temps, il est emprisonné par son ami Joseph Staline. Mais ce dernier sera “magnanime” : il sera emprisonné pendant “seulement” 6 ans, puis exilé (de nombreux récalcitrants et dissidents commenceront dans les années 1930, lorsque Zamiatine sera finalement condamné, à “payer” leurs “déviations” (ou trahisons de la “dictature du prolétariat”), d’un emprisonnement beaucoup plus long et sévère, ou carrément de leur vie.

Notre temporalité, que nous avions l’habitude de décrire comme passé-présent-futur, comptait tout au plus deux membres ou instances tangibles, concrètes : notre présent et le passé que nous construisions ou défaisions au fur et à mesure. L’avenir n’était pas là. Il n’a jamais existé. Notre réalité a toujours été celle que nous abandonnions, en entrant dans notre présent, qui devient invariablement un passé continu (les rythmes, psychologiquement, peuvent varier et l’on peut sentir un présent continu à certains moments et à d’autres, un présent très fugace).

L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 a porté un coup fatal à l’idée même de futur. L’option politique a été radicalement rejetée, dans un certain sens, par Francis Fukuyama [2] dans un essai dans lequel il soutenait que l’avenir était déjà arrivé et qu’il s’agissait du système démocratique, de libération des capitaux, sans aucune perspective de changement politique en vue. Même si, des années plus tard, il tentera de faire l’autocritique de son opinion très hâtive, il est clair que l’idée d’un futur socialiste est entrée dans une crise irréversible.

La notion toxique de futur socialiste (qui devait servir d’aspiration, de stratégie de vie) en tant que “nécessité historique”, en tant qu’avenir inévitable, a très clairement révélé son invraisemblance, et sa projection politique a été mortellement blessée.

Le système de pouvoir fonctionnait d’une manière radicalement différente, dépouillé de cette image politiquement chargée d’un futur socialiste, affirmant le présent comme source de pouvoir et de satisfaction. Le monde dans lequel nous vivons, qui nous occupe, nous contraint, nous conditionne par une perpétuelle présentification, nous façonne. Nous percevons que c’est précisément ce qui est valable aujourd’hui, dans notre moment historique.

Cette présentification de nos sociétés s’est opérée par le biais d’une hybris technologique qui a permis à nos sociétés de plus en plus modernisées de répondre à toutes les nouveautés et possibilités offertes par les déploiements technologiques : aujourd’hui, on peut voyager plus vite et dans plus d’endroits ; le tourisme est une activité de loisir de plus en plus permanente et structurée dans nos vies.

Nous avons éliminé les saisons de notre alimentation et nous pouvons manger (presque) indifféremment, n’importe fruit ou légume, pendant les douze mois de l’année (l’accès matériel, c’est autre chose...).

Il en va de même pour la couverture énergétique, qui s’étend à de plus en plus de régions.

Bien sûr, tout cela a un coût, celui d’une usure planétaire de plus en plus importante. Mais compte tenu de la complexité des interrelations techniques, économiques, financières et de travail, il est très difficile de percevoir clairement, par exemple, les coûts environnementaux du fait que presque tout le monde a “presque tout” (et le téléphone portable en premier lieu, incarnation de la présentification consumériste de notre monde actuel).


Le téléphone portable : un élément clé de la vie au présent perpétuel

Le passé et l’avenir ont été mis en crise par une “présentisation” sans clémence et incessante. Le passé avec ses souvenirs, le futur avec ses projets.

Comment prétendre se souvenir de mon père, de ma sœur, de cette autre petite amie, de cette maison confortable, alors que nous avons assez de mal à vivre au jour le jour ! 

Car notre temporalité ne naît pas d’elle-même. Mais de tout l’attirail technologique qui est censé nous assister”.

Toutes les aides, toutes les choses que nous considérons comme des aides, mais qui en réalité nous conditionnent. Mais, bien sûr, sans nous le dire. L’hétéronomie devient très claire avec les adolescents, ceux qui sont déjà entrés dans la roue de la communication cybernétique, soutenue, permanente, mais ils ne sont que des apprentis et des consommateurs. Mais elle nous concerne et nous gouverne tous.

Tout le monde a déjà vécu cette anecdote triviale qui consiste à dire à son amie, à sa cousine ou à son père que l’on a envie d’une pizza et, quelques heures plus tard, son téléphone portable lui propose un flot de pizzerias toutes plus alléchantes les unes que les autres.

Cela révèle que le téléphone portable n’est pas comme les anciens objets technologiques qui nous entouraient de manière inerte. Le téléphone portable agit.

Il contre-agit (à proprement parler, il contre-attaque). C’est de l’intelligence artificielle. Et il n’y a même pas de dialogue socratique, celui qui, même sans être égalitaire, est à la recherche de la vérité. Non, il y a une panoplie innombrable d’invitations, dont beaucoup sont accessibles pour l’utilisateur du téléphone portable, ou plutôt c’est lui qui est “accédé”.

La situation actuelle, avec les “formes cachées de propagande” [3], comme le disent les personnes interrogées dans The Social Dilemma [4], est grave (au sens médical du terme ; elle peut causer la mort). Il ne s’agit pas ici des prouesses des bots, de la 3G, de la 4G, de la 5G, des vitesses de transmission, du téléchargement et d’autres inventions éblouissantes (et toxiques), mais des résultats sociaux qui sont de plus en plus clairs : les utilisateurs sont modifiés, défiés, interrogés à partir, par exemple, d’applications mobiles. Le résultat décrit dans The Social Dilemma (Le dilemme social) est le suivant : « chaos massif, indignation, manque de civilité, manque de confiance les uns envers les autres, solitude, aliénation, plus de polarisation, plus de piratage électoral, de populisme, de diversion et d’incapacité à réfléchir aux vrais problèmes ».

Les personnes interrogées dans cette docufiction, qui ont tous été à un moment donné des personnes clés des hauts-lieux du numérique actuels (anciens employés de Google, Twitter, Facebook, etc.), parlent de “monstres numériques hors de contrôle”. La description d’un futur par Jaron Lanier est frappante, au vu des affrontements croissants, des difficultés de compréhension qu’il voit poindre aux USA : “guerre civile, dans 20 ans au max”. “Nous détruirons notre civilisation par une ignorance délibérée”. Il précise : « nous pourrions ne pas être en mesure de résoudre la question du climat, nous pourrions dégrader les démocraties du monde et les faire tomber dans une sorte d’autocratie dysfonctionnelle, nous pourrions ruiner l’économie mondiale, nous pourrions ne pas survivre ».

Même l’auto-protagonisme déplaisant que cet USAméricain attribue aux USA et à leur peuple, ainsi qu’à leur nombrilisme (impérial, délibéré ou non), doit être considéré comme une part de vérité. Car si les USA ne sont pas seuls et n’ont pas réalisé leur rêve impérial de 1945, ils s’en sont pas mal rapprochés. Et c’est particulièrement visible dans les profils technologiques qui nous gouvernent, dans les modalités consuméristes qui nous ravagent.

Les personnages de cette docufiction posent bien le diagnostic final en écartant toute attitude de rejet primitiviste et absolu ; l’un des protagonistes (Tristan Harris) affirme clairement que ce qui a envahi nos vies est “à la fois une utopie et une dystopie".

Le dilemme social ne donne en tout cas aucune piste pour sortir du merdier.

Un autre personnage fait remarquer, de manière conciliante, qu’“il faut accepter que les entreprises veuillent faire de l’argent”, ce qui signifie que le problème et la solution ne transcendent pas ce que nous appelons le capitalisme. Mais sa description est essentielle : « le malheur, c’est qu’il n’y a pas de lois, pas de règles, pas de concurrence et que les entreprises agissent comme une sorte de gouvernement de facto ». Bref, une dictature. Parce qu’une entreprise, un dirigeant, une église qui agit pour son seul intérêt, sans rendre de comptes, c’est de la dictature.

Le problème est que c’est ainsi que le grand capital a agi dans tous les temps et circonstances “nécessaires” : c’est ainsi que l’extractivisme “originel” s’est développé à partir de 1492 ; c’est ainsi que la pétrochimie s’est développée, en pleine hybris, empoisonnant la planète entière ; c’est ainsi que la médecine, le Big Pharma, s’est développée, au-dessus de toutes les lois, générant l’iatrogénèse.

Jonathan Cook explique bien l’historique de cette question : « Les graines de la nature destructrice trop évidente du néolibéralisme d’aujourd’hui ont été plantées il y a longtemps, lorsque l’Occident “civilisé et industrialisé” a décidé que sa mission était de conquérir et d’assujettir le monde naturel en adoptant une idéologie qui fétichisait l’argent et transformait les humains en objets à exploiter ». [5]

Cook dit bien “néolibéralisme”. Dans toutes les Amériques, comme en Europe, c’est la catégorie conceptuelle de base, le cadre culturel dans lequel nous évoluons.

Et avec l’effondrement du socialisme, nous n’avons pas seulement perdu un rêve malheureux, nous avons aussi perdu, semble-t-il, la capacité de rêver, car je relève ici une autre observation de Cook lui-même, aussi révélatrice que la précédente : « l’idéologie qui est devenue une boîte noire, une prison mentale, dans laquelle nous sommes devenus incapables d’imaginer une autre façon d’organiser notre vie, un autre avenir que celui auquel nous sommes destinés en ce moment. Le nom de cette idéologie est le capitalisme ». Fukuyama reloaded. Le dilemme social ne va pas jusque-là.  

La notion de futur a donc pratiquement disparu. Et on ne peut que s’s’en réjouir : les mirages sont toujours de mauvais maîtres.

Sauf que la notion de no-future est si dévastatrice.

Parce que si l’idée d’un futur connaissable devient facilement oppressive, l’idée de ne pas avoir d’avenir est encore plus radicalement terrifiante.

 


No Future, par Maria Llovet, 2010

 

 Notes

[1] J’ai connu les effets du 20ème Congrès dans ma famille. Un oncle très imbu de lui-même et de son communisme, après avoir d’abord nié l’existence du 20ème  congrès, puis expliqué avec condescendance qu’il s’agissait de versions de “la presse bourgeoise”, a un jour pris une cuite qui a duré des mois (ayant retrouvé sa sobriété grâce à des mains très amicales, il est devenu un antistalinien fervent, comme tout son parti : il a perdu la plate-forme mais pas la ferveur, désormais “accroché au pinceau”).

[2] La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992, dans lequel l’auteur considère que la lutte des classes, et donc, de manière hégélienne, l’histoire - en tant que lutte des idéologies - est terminée.

[3] Voir ce que Vance Packard a écrit il y a plusieurs dizaines d’années. Et ce qui s’est passé depuis.

[4] Docufiction usaméricaine réalisé epar Jeff Ortowski. Avec Tristan Harris, Jaron Lanier, Shoshana Zuboff et d’autres. Septembre 2020. Visible sur Netflix ou ici gratuitement

[5]  Pourquoi le monde part en couilles

 

27/09/2023

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
Lo futuro: otra crisis de nuestro tiempo

 Luis E. Sabini Fernández, 26/9/2023

Ha sobrevenido un cambio sustancial en la noción de futuro.

Tengo edad suficiente como para conocerlo experimentalmente y no sólo intelectivamente.

El futuro revolucionario que auspició el socialismo en general y el marxista en particular, criticando a la religión cristiana que depositaba la bienaventuranza en “el más allá” y reclamándola para nuestro más acá, para nuestro mismísimo futuro en la tierra (en la Tierra), pese a su aparente reclamo de mejoras concretas en las vidas humanas, no dejó de seguir siendo un reclamo postexistencial.


El Arador rojo, por Boris Zvorykin (1872-1945), 1920 : “En los campos salvajes, sobre los escombros del feudalismo y del capital, araremos nuestro campo”

La misma calificación de la URSS como “paraíso de los trabajadores” revela su  carácter de mala jugada (tipo juego de la mosqueta). Probablemente hecho con mala conciencia, pues al menos los peldaños superiores de la nomenklatura lo sabían: en la URSS, la condición obrera era una neoesclavitud. Y por ese lado, el acceso al paraíso era definitivamente inalcanzable.

Pero había todo un pueblo esperanzado. Así se vivió la presencia, la existencia de la URSS, grosso modo entre los ’50 y los ’80 (antes, en los ’20, el fuego revolucionario no pasaba por paraíso alguno y después, en los ’80, las sucesivas concesiones tácticas a lo establecido acabaron con la esperanza del fuego y la del paraíso).

La remisión al futuro (“socialista”) expresaba el carácter de coartada ideológica, aunque en general la gente que adhería a tales “convicciones” (por ejemplo todos los afiliados de los partidos comunistas y hasta socialistas), difícilmente se percibieron en su condición de objeto de una temporalidad tramposa.


El crac del futuro socialista

1956 fue un año clave para la “caída de estas investiduras”; la de un socialismo ingenuo, masificado (no por cierto para la intelectualidad, hace mucho enzarzada en debates y luchas de vida y muerte).

Porque durante casi 40 años la liturgia oficial soviética había sorteado los “accidentes” del anarquismo, el trotskismo, el consejismo y otras ‘malformaciones” como anomalías que no dañaban el corpus (sagrado) revolucionario.

El vigésimo congreso del Partido Comunista de la Unión Soviética (PCUS) puso entonces sobre el tapete el carácter endógeno del mal. De algún mal (y no de todo el mal, como la derecha tradicional trató inmediatamente de aprovechar, exculpando,  como si no existiera, el colonialismo, el racismo, el militarismo clásicos, el capitalismo en suma).

Fue cuando el vigésimo congreso del PCUS reveló que Stalin era un asesino, un dictador omnímodo. 

1956 fue el primer derribo de la aspiración socialista de lo porvenir (que todavía se mencionaba como “el futuro”.[1]

El marxismo había cometido un abuso intelectual, una tropelía psíquica alojando en “el futuro” los sueños de manumisión. Y había cometido, además, una vulgar repetición de la apelación de los sacerdotes cristianos a tolerar las iniquidades del presente para que pudiéramos encontrar la bienaventuranza en nuestro futuro.

La pretensión científica de conocer “el futuro” funcionó, entonces, como coartada ideológica.

Porque, strictu sensu, no se puede conocer, ni siquiera percibir, lo porvenir.

Fue el cientificismo socialista el que forzó esa pretensión, alterando nuestra propia ubicación témporoespacial: el pasado era reconocible y separable de todo ensueño pasado. Era por cierto arduo reconocerlo, recuperarlo. El trabajo histórico, la investigación documentaria, nos podía acercar asintóticamente a él, a lo vivido. Nuestro presente se esfumaba segundo a segundo, se hacía nuestro pasado cada vez más inasible.

Esa temporalidad, empero, no empieza con el socialismo. Fue el optimismo burgués el que amplió la idea de futuro; el porvenir que auguraba siempre algo mejor.


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Edward Bellamy, conjugando su origen estadounidense y la expansión imparable de las ideas socialistas en Occidente en la segunda mitad del Siglo XIX, escribe una novela utópica          El año 2000–, de tecnooptimismo radical, apoyando una sociedad de ensueño sobre la base de los nuevos adminículos tecnológicos que harían la vida agradable, envidiable; vehículos motorizados, como helicópteros,  sermones religiosos por vía telefónica, lavavajillas y otros electrodomésticos,  tarjetas de crédito. Pensemos que Bellamy la publicó en 1892, cuando toda esa ristra de enseres, hoy cotidianos, apenas si estaban despuntando.


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Este relato utópico, de candorosa simplicidad es una de las últimas versiones de la gran saga utópica de la modernidad con carga totalmente positiva. Es muy significativo que con la instauración soviética, 1917, ese género casi desaparece, en su versión optimista, positiva. En 1920, Yevgeny Zamyatin escribe Nosotros, en la flamante URSS, narrando una sociedad con viviendas con paredes de vidrio, es decir con vida cotidiana sin secretos, y con un espíritu bastante asfixiante. Que le valdrá, al cabo de un tiempo, una cárcel dictada por su examigo Josef Stalin. Que será empero, “magnánimo”: estará preso “apenas” 6 años y luego el exilio (muchos discrepantes y disidentes empezarán en la década del ’30, en que Zamyatin es finalmente condenado, a “pagar” sus “desviaciones” (o traiciones a la “dictadura del proletariado”), con prisiones mucho más largas y duras, o con la vida, directamente.

Nuestra temporalidad, que acostumbrábamos a calificar como pasado-presente-futuro, tenía a lo sumo dos miembros o instancias, asibles, concretas: nuestro presente y el pasado que íbamos construyendo o deshaciéndose a nuestro paso. Lo futuro no estaba. No estaba nunca. Nuestra realidad siempre ha sido la que hemos ido abandonando ingresando a nuestro presente, que se va haciendo pasado continuo, invariablemente (los ritmos, psicológicamente, pueden, variar y uno puede sentir un presente continuo a veces y otras, uno muy fugaz).

El colapso soviético, en 1991, dio un golpe mortal a la idea misma de futuro. La opción política llegó a ser radicalmente descartada en cierto sentido, por Francis Fukuyama[2] en un ensayo en que sostenía que el futuro ya había llegado y era el sistema democrático, de capitales liberados, sin perspectiva de cambios políticos a la vista. Aunque años más tarde, ensayará una autocrítica ante su apresuradísimo dictamen, lo que sí quedaba claro era que la idea de futuro socialista había entrado en crisis, irreversible.

La tóxica noción de futuro socialista (que quería servir como aspiración, para nuestras estrategias de vida) como “necesidad histórica”, como futuro inevitable, reveló tan claramente su inverosimilitud, y su proyección política había sido herida de muerte.

El sistema de poder operó de modo radicalmente distinto, deslastrado de esa imagen, políticamente cargada, de un futuro socialista. Afirmando lo presente como fuente de poder, y de satisfacción. El mundo que vivimos ocupándonos, exigiéndonos, condicionándonos mediante una presentización perpetua, fue configurándonos. Percibimos que es precisamente, lo que tiene vigencia hoy, en nuestro momento histórico.

Esa presentización de nuestras sociedades ha operado mediante una hybris tecnológica que ha permitido a nuestras sociedades cada vez más modernizadas atender  todas las novedades y posibilidades que los despliegues tecnológicos permiten: hoy se puede viajar más rápido y a más lugares; el turismo es una actividad de distracción cada vez más permanente, estructurada en nuestras vidas.

Hemos suprimido la estacionalidad de nuestros alimentos y podemos comerlos (casi) indistintamente, cualesquiera de ellos, los doce meses del año (asunto muy distinto es el acceso material...)

Lo mismo, la cobertura energética, cada vez mayor y en más ámbitos.

Claro que todo eso se hace con un costo, un desgaste planetario, cada vez mayor. Pero dada la complejidad de las interrelaciones técnicas, económicas, financieras, laborales, se hace muy difícil percibir con claridad, por ejemplo, los costos ambientales de que casi todos tengamos “casi todo” (y el celular en primer lugar, epítome de la presentización consumista de nuestro mundo actual).


El celular: pieza clave del vivir en un presente perpetuo

Con la presentización inclemente, sostenida, han entrado en crisis el pasado, y lo futuro. El pasado con sus recuerdos; lo futuro, con sus proyectos.

¡No damos abasto para vivir cada día!, ¡cómo vamos a pretender recordar a mi padre, a mi hermana,  a aquella otra novia, aquella casa tan acogedora! 

Porque nuestra temporalidad no nace desde sí misma. Sino de toda la parafernalia tecnológica que supuestamente “nos asiste”.

Todas las asistencias, todo lo que nosotros consideramos asistencias, pero que en realidad nos condicionan. Pero, claro, sin decírnoslo. La heteronomía se hace muy clara con los adolescentes, aquellos que ya entraron en la rueda de la comunicación cibernética, sostenida, permanente, pero apenas son aprendices y consumidores. Pero nos atañe, y nos rige, a todos.

Todos han experimentado esa anécdota trivial de decirle a tu amiga, a tu prima, o tu padre, que tiene deseo de comer pizza y a las pocas horas, el celular te ofrece una chorrera de pizzerías, a cada cual más tentadora.

Eso revela que el celular no es como los viejos objetos tecnológicos que nos rodeaban inertes. El celu actúa.

Contraactúa (en rigor, contraataca). Es inteligencia artificial. Y no hay diálogo siquiera socrático; aquel que aun sin ser igualitario, está a la búsqueda de la verdad. No, lo que hay es una panoplia innumerable de invitaciones, a muchas de las cuales el usuario del celular accede, mejor dicho, es “accedido”.

La situación actual, con “formas ocultas de propaganda”,[3] como la explicitan los entrevistados en The Social Dilemma [4]  es grave (en el sentido médico del término; que puede causar la muerte). No se trata aquí de los hallazgos de bots, del 3G, 4G, 5G, de las velocidades de transmisión, carga informativa y otros inventos deslumbrantes (y tóxicos), sino de los resultados sociales que se ven cada vez más claramente: los usuarios son modificados, desafiados, interrogados desde, por ejemplo, aplicaciones del celular. El resultado que transmiten en The Social Dilemma: ‘caos masivo, indignación, falta de civilidad, falta de confianza en el otro, soledad, alienación, más polarización, más hackeo de elecciones, populismo, distracciones e incapacidad de pensar en problemas reales.’

Sus entrevistados, todos ellos en su momento personal clave de los actuales emporios digitales (exempleados de Google, Twitter, Facebook, etcétera) nos hablan de “monstruos digitales fuera de control”. Llama la atención la descripción de un futuro que verbaliza Jaron Lanier, a la vista de los crecientes enfrentamientos, las dificultades de entendimiento que observa desplegándose en EE.UU.: “guerra civil, en no más de 20 años”. "Destruiremos nuestra civilización con ignorancia voluntaria". Explicita: “no podamos resolver la cuestión climática, tal vez degrademos las democracias del mundo, y las hagamos caer en una especie de autocracia disfuncional, quizás arruinemos la economía global, quizá no sobrevivamos.”

Hasta al desagradable autoprotagonismo que este estadounidense atribuye a EE.UU. y a su gente,  y a su nosística (imperial, voluntaria o no), hay que concederle su cuota de verdad. Porque, aunque los EE.UU. no están solos ni han logrado cumplir su sueño imperial de 1945, se han acercado bastante. Y se nota particularmente en el perfil tecnológico que nos gobierna, la modalidad consumista que nos estraga.

Los personajes de este semidocumental aciertan en el diagnóstico final desechando toda actitud de rechazo primitivista y absoluto; uno de los personajes-protagonistas (Tristan Harris) aclara que lo que se ha encaramado en nuestras vidas es “una utopía y una distopía al mismo tiempo.”

The Social Dilemma no da, por cierto, pista alguna para salir del atolladero.

Otro de los personajes señala, conciliador que “debemos aceptar que las empresas quieran ganar dinero”, con lo cual el problema y la solución no trascienden lo que llamamos capitalismo. Pero su descripción es clave: “lo malo es que no haya leyes ni reglas ni competencia y que las empresas actúen como una especie de gobierno de facto.” Dictadura, en una palabra. Porque una empresa, un líder, una iglesia que actúa por sí y ante sí, no rinda cuenta, es dictatorial.

El problema es que así ha actuado el gran capital en todas las épocas y circunstancias “necesarias”: así fue el extractivismo “originario” de 1492 en adelante, así se desarrolló la petroquímica; en plena hybris envenenando todo el planeta; así se ha desarrollado la medicina, el Big Pharma, por encima de toda ley, generando iatrogenia.

Historiando esta cuestión, muy bien explica Jonathan Cook: “Las semillas de la naturaleza destructiva actual del neoliberalismo, algo demasiado obvio, se plantaron hace mucho tiempo, cuando el Occidente ‘civilizado e industrializado’ decidió que su misión era conquistar y someter el mundo natural al adoptar una ideología que fetichizaba el dinero y convertía a la gente en objetos a explotar.” [5]

Cook dice bien: “neoliberalismo”. En todo el continente americano, como en el europeo, ésa resulta la categoría conceptual básica; el marco cultural en el que nos movemos.

Y con el quiebre del socialismo, no sólo perdimos un sueño nefasto; también perdimos, aparentemente la capacidad de soñar, porque, aquí señalo otra observación del mismo Cook, tan reveladora como la anterior: “la ideología que se ha convertido en una caja negra, una prisión mental, en la que nos hemos vuelto incapaces de imaginar otra forma de organizar nuestra vida, cualquier otro futuro que al que estamos destinados en este momento. El nombre de esa ideología es capitalismo.” –Fukuyama redivivo–. Hasta allí no llega The Social Dilemma.

De ahí que la noción de futuro haya virtualmente desaparecido. Y no tendríamos más que alegrarnos; siempre un espejismo es un mal acondicionador.

Si no fuera porque la noción de no-futuro (no future) es tan devastadora.

Porque la idea de un futuro cognoscible se torna fácilmente opresiva. Pero la de no tener futuro se nos presenta como mucho más radicalmente aterradora.

 


No Future
, por Maria Llovet, 2010


 Notas

[1]   Conocí en mi familia los efectos del vigésimo congreso. Un tío muy pagado de sí mismo y de su comunismo, luego de negar primero la existencia del vigésimo congreso y explicar luego, condescendientemente, que se trataba de versiones de “la prensa burguesa”, un buen día inició una borrachera, que le duró meses (recuperada su sobriedad en base a manos muy amigas, se hizo antiestalinista ferviente, como todo su partido: perdió la plataforma pero no el fervor, ahora “colgado del pincel”).

[2]  El fin de la historia y el último hombre, Planeta, Barcelona 1992, en el que el autor da por concluida la lucha de clases, y por consiguiente, hegelianamente la historia –como lucha de ideologías.

[3]   Véase lo que escribió Vance Packard hace décadas. Y lo que ha sobrevenido desde entonces.

[4]  Semidocumental norteamericano dirigido por Jeff Ortowski. Con Tristan Harris, Jaron Lanier, Shoshana Zuboff y otros. Septiembre de 2020. Se puede ver en Netflix o aquí gratis