Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

Affichage des articles dont le libellé est PSOE. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est PSOE. Afficher tous les articles

21/11/2024

FRANCISCO CARRION
Le Maroc utilise le changement de position de la France comme monnaie d’échange pour exiger de nouvelles concessions de la part de l’Espagne


Un homme politique marocain souligne publiquement que la démarche de Macron impose à l’Espagne d’adopter “une position plus claire et essentiellement opérationnelle”.

Francisco Carrión, El Independiente, 15/11/2024
Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

Mohamed VI avec le président français Emmanuel Macron à Rabat. Photo EFE

Il était prévisible, mais le mouvement a commencé à se manifester de toute évidence. Pour s’imposer, sans demi-mesure ni euphémisme. À peine deux semaines après la visite d’Emmanuel Macron à Rabat, méritant tous les honneurs et agrémentée d’accords d’une valeur de 10 milliards d’euros, le régime marocain offre en public les premiers témoignages exigeant de nouvelles concessions de la part de l’Espagne et l’avertissant qu’elle est à la traîne.

La thèse défendue dans les officines de Rabat est que le virage copernicien opéré par Pedro Sánchez en mars 2022 a vite et mal vieilli. Il est dépassé par les événements et manifestement insuffisant au regard de la nouvelle position du président français, ardent défenseur depuis juillet non seulement des « trois pages » du plan marocain d’autonomie pour le Sahara, mais aussi de la souveraineté marocaine sur l’ancienne colonie espagnole, dont l’Espagne reste la puissance administrante de jure.

« Il ne fait aucun doute que le soutien exprimé par Sánchez dans sa lettre à Mohamed VI le 14 mars 2022 était à l’époque un pas courageux et considérable, mais dans le contexte actuel, il ne suffit pas que  l’Espagne considère la proposition marocaine d’autonomie présentée en 2007 comme la base la plus sérieuse, la plus crédible et la plus réaliste pour la résolution de la question du Sahara », déclare Mohamed Benabdelkader, ancien ministre de la Justice (2019-2021, dans le gouvernement El Otmani II) et dirigeant de l’Union socialiste des forces populaires, une organisation sœur du PSOE et incluse dans l’Internationale socialiste* avec le soutien exprès de la rue Ferraz [siège du PSOE, NdT], dans une interview accordée au média officiel marocain Rue20.com

Cette affirmation n’est pas isolée au sein de l’establishment alaouite, même si, jusqu’à présent, on avait évité de la formuler aussi clairement en public. Pour Benabdelkader, « la nouvelle perspective qui s’ouvre au niveau régional et mondial nécessitera certainement l’adoption d’une position plus claire et essentiellement opérationnelle ». Un avertissement direct à Sánchez, lancé par un parti d’opposition mais qui pratique une loyauté absolue envers le makhzen, qui pourrait être un avant-goût de nouvelles exigences et concessions.


Sanctions commerciales

La principale serait de suivre les traces de l’Elysée et de proclamer la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. C’est l’intention du Maroc, qui a célébré un prétendu erratum publié dans le BOE [Journal officiel de l’État espagnol, NdT] l’année dernière comme un signe qu'on était sur la bonne voie. En février, El Independiente a rapporté que le gouvernement espagnol avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara dans le cadre d’un appel d’offres pour la rénovation de l’école espagnole d’El Ayoun, accompagné d’une série de documents l’identifiant comme un territoire marocain. L’information a provoqué des versions contradictoires entre les ministères de l’Education et de la Culture, respectivement aux mains du PSOE et de Sumar. Finalement, le département d’Ernest Urtasun [ministre de la Culture, NdT] a refusé de rectifier le document, affirmant qu’elle s’était produite des mois auparavant, lorsque le socialiste Miquel Iceta dirigeait le ministère.

L’un des leviers que le Maroc utilisera pour imposer de nouvelles concessions est l’atout commercial, en élargissant et en attisant le différend entre les entreprises espagnoles et françaises. Lors de la tournée de Macron, le Maroc a récompensé la nouvelle direction prise par la France avec des contrats de milliards après deux années de crise déclenchée par l’espionnage du président français et d’une bonne partie de son cabinet par les services marocains utilisant le logiciel israélien Pegasus. Le gros lot est revenu à la société française Alstom avec la fourniture de 18 trains pour la future ligne ferroviaire à grande vitesse Kénitra-Marrakech, qui, pour 1,8 milliard d’euros, était en concurrence avec les sociétés espagnoles CAF et Talgo, la société coréenne Hyundai Rotem et la société chinoise China Railway Rolling Stock Corp.

« Quelle que soit la lecture en Espagne du nouveau rapprochement de la France avec le Maroc, il est clair que les médias de notre pays voisin ibérique, en soulignant l’ampleur des projets signés entre la France et le Maroc lors de cette visite, et en insistant sur l’engagement de Paris à accompagner Rabat dans la défense de son initiative d’autonomie, auront compris deux choses importantes », argumente l’homme politique marocain. La première est que le « partenariat d’exception renforcé » entre la France et le Maroc est un signal d’alarme pour l’Espagne qui a besoin d’une stratégie plus compétitive et coordonnée sur le marché marocain. La seconde est que le président français, en plaçant la barre plus haut, a montré l’exemple que la nouvelle dynamique de la question du Sahara marocain nécessite non seulement des mots, mais des gestes, et appelle à des actions concrètes en plus des belles déclarations ». Cette semaine, l’ambassadeur de France à Rabat s’est rendu pour la première fois dans les territoires occupés du Sahara, accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires et d’une promesse d’ouverture de consulat, le prix habituel exigé par la diplomatie alaouite.

La carte du Maroc, avant et après
«Pour la France le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine»
Le ministère français des Affaires étrangères a modifié la carte du Maroc sur son site internet pour inclure le territoire du Sahara occidental dans la cartographie du pays maghrébin, profitant du voyage de Macron à Rabat.

Débloquer la cession de l’espace aérien
La stratégie du Maroc consiste également à avancer sur certains dossiers qui n’ont pas été satisfaits depuis la lettre de Sánchez à Mohammed VI en mars 2022. Parmi eux, la cession de l’espace aérien du Sahara occidental, actuellement contrôlé depuis les îles Canaries. Dans le jargon aéronautique, FIR est une région d’information de vol où est assuré un service d’information de vol et d’alerte (ALRS). L’OACI [Organisation de l’aviation civile internationale] délègue le contrôle opérationnel d’une FIR donnée à un pays, en l’occurrence, celle qui couvre les îles Canaries et le Sahara occidental relève de l’Espagne.

Le groupe de travail mis en place par le Maroc et l’Espagne depuis le virage copernicien du gouvernement espagnol dans le conflit du Sahara et le début de la « nouvelle ère » des relations hispano-marocaines se penche sur la question du transfert de la gestion, qui - s’il est réalisé - constituerait une violation du droit international. Le partenaire de la coalition s’oppose ouvertement à cette mesure. « Nous rejetons la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental. Nous rejetons également la souveraineté du Maroc sur les eaux territoriales et l’espace aérien », ont déclaré des sources de Sumar à notre journal il y a plusieurs mois. D’autres mesures qui auraient conduit à la reconnaissance du statut marocain du territoire, comme l’installation d’un centre de l’Institut Cervantes, ont été suspendues**.

Ces nouvelles exigences de Rabat, exprimées par un politicien socialiste, interviennent au milieu de l’impasse dans laquelle se trouvent les bureaux de douane de Ceuta et Melilla, complètement bloqués du côté marocain et avec le sentiment qu’ils ne seront pas ouverts parce que, pour les autorités marocaines, cela signifierait reconnaître les frontières terrestres avec l’Espagne, ce qu’elles nient avec insistance.

Le PSOE omet le Maroc dans son document cadre du Congrès

Dans ce contexte de concurrence entre la France et l’Espagne pour obtenir les faveurs du Maroc, l’absence de toute mention du Maroc et du conflit du Sahara dans le document cadre du PSOE pour son congrès qui se tiendra à la fin du mois à Séville est frappante. Le document se targue que « le PSOE a ramené l’Espagne au premier plan de la politique internationale et a porté notre prestige et notre influence à des niveaux sans précédent dans l’histoire récente de notre pays », mais omet toute référence au Maroc.
Lors du Congrès de 2021, la rue Ferraz avait cependant décrit le Maroc comme un « partenaire clé sur la rive sud de la Méditerranée », donnant un avant-goût des actions qui allaient suivre dans les mois suivants. « Nous devons continuer à renforcer ces liens et ces intérêts, ce qui nous permettra de surmonter certaines difficultés. C’est pourquoi, au cours des prochaines années, nous progresserons dans le partenariat stratégique bilatéral à long terme que les gouvernements socialistes ont toujours promu ; d’autre part, et comme elle l’a fait depuis son entrée en fonction, l’Espagne continuera à défendre en Europe le caractère stratégique que ce pays a pour l’Espagne et pour l’Europe », promettait le document.

L’Espagne et la France, par leurs actions diplomatiques de ces dernières années, ont été prises dans la rivalité entre le Maroc et l’Algérie. « L’Algérie partage avec le Maroc la tendance à considérer ses interlocuteurs en fonction de leur position sur la question. Au fil des ans, alors que le Maroc a abandonné l’option du référendum, Alger s’est accroché au principe de l’autodétermination, rendant impossible toute négociation de sortie de crise », note Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb et membre du comité de rédaction du magazine français en ligne Orient XXI. « En conséquence, le conflit du Sahara occidental s’est figé, ce qui est préjudiciable, d’une part, aux Sahraouis et, d’autre part, à l’ensemble du Maghreb, dans la mesure où cela empêche l’intégration de la région. L’Algérie perçoit désormais la coopération entre le Maroc et Israël comme une menace, ce qui accroît la tension et éloigne un peu plus la solution à la question du Sahara occidental », conclut-elle.

NdT
*Le Front Polisario fait  partie de l’Internationale socialiste en tant que membre consultatif.

** L’Institut Cervantes, qui dépend du ministère espagnol des Affaires étrangères, est dirigé par le poète grenadin Luis García Montero, militant historique d’Izquierda Unida (Gauche Unie), parti qui participe à la coalition gouvernementale de Pedro Sánchez à travers la plateforme Sumar de la vice-présidente du gouvernement Yolanda Díaz. En voyage au Maroc en mars dernier, il a déclaré : « Lors de ce voyage, la possibilité » d’ouvrir une annexe de Cervantes à El Aaiún n’a pas été envisagée.
L’Institut Cervantes compte actuellement six centres actifs au Maroc : Rabat, Casablanca, Tanger, Tétouan, Marrakech et Fès. Le projet d’en ouvrir un à El Ayoun avait suscité les critiques du Front Polisario et de l’eurodéputé Manu Pineda. Selon des sources espagnoles, 12 000 habitants d’El Ayoun parlent l’espagnol. D’autre part, une décision d’ouvrir une annexe de l’Institut à Tindouf en Algérie pour enseigner l’espagnol à des réfugiés sahraouis, prise en 2019, ne s’est jamais concrétisée. L’Institut est présent à Alger et Oran.
 

Pedro Sánchez devra faire encore un effort pour mériter une Koumiya


18/07/2023

OMAR G. ENCARNACIÓN
Les exceptions espagnoles

 Omar G. Encarnación, The New York Review of Books, 16/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT

Qualifier de séparatistes les partis et mouvements autonomistes/indépendantistes/régionalistes/nationalistes est un choix que je ne partage pas mais que je respecte. Rappelons tout de même l’origine religieuse du terme : il désignait au XVIIème siècle les dissidents de l’Église anglicane d’État. Et son acception postmoderne macronienne, inscrite dans la loi   «confortant les principes républicains », dite loi contre le séparatisme (musulman/islamiste).

Les prochaines élections anticipées en Espagne pourraient être décidées par les partis séparatistes imprévisibles du pays.

Les dirigeant·es de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) votent en faveur d’un référendum sur l’indépendance, Lleida, Catalogne, Espagne, 28 janvier 2023. Photo : Marc Trilla/Europa Press/Getty Images

Fin mai, le Premier ministre Pedro Sánchez a annoncé que les Espagnol·es se rendraient aux urnes le 23 juillet pour élire un nouveau gouvernement national. Il s’agissait d’une annonce surprise - les élections n’étaient pas prévues avant décembre - précipitée par les lourdes pertes que le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Sánchez venait de subir lors des élections locales et régionales du même mois. Si l’on se fie à l’histoire, le prochain scrutin déclenchera de nombreuses turbulences politiques. Lors des dernières élections nationales, ni le PSOE ni son ennemi juré, le Parti populaire (PP) conservateur, n’ont été en mesure de remporter une victoire suffisante pour former un gouvernement à eux seuls, faisant d’autres forces politiques, notamment les principaux partis séparatistes de Catalogne et du Pays basque, des faiseurs de rois potentiels.

Les partis séparatistes espagnols sont suffisamment fluides sur le plan idéologique pour soutenir les gouvernements de l’ensemble du spectre politique. Ils ont également le potentiel de briser un gouvernement national, comme ils l’ont fait il y a cinq ans lors de la crise séparatiste catalane, la période politique la plus précaire de l’Espagne depuis la fin de la dictature franquiste. En octobre 2017, une coalition de partis séparatistes en Catalogne a organisé un référendum sur l’indépendance que la Cour constitutionnelle espagnole avait déjà déclaré inconstitutionnel. Le Premier ministre Mariano Rajoy du PP a réagi de manière excessive en envoyant la Garde civile pour empêcher les gens de voter, en dissolvant le gouvernement régional de la Catalogne et en plaçant la région sous l’autorité directe de Madrid. Après la destitution de Rajoy à la suite d’un scandale de corruption touchant l’ensemble de son parti, Sánchez, nouvellement installé au poste de premier ministre, a ouvert des négociations avec la Catalogne, mais a rejeté les appels en faveur d’un référendum sanctionné par l’État.

En représailles, les séparatistes catalans ont retiré leur soutien à la coalition gouvernementale de Sánchez, ne lui laissant d’autre choix que de dissoudre le parlement et d’appeler à de nouvelles élections. Sánchez a remporté ces élections en 2019 et a pu former un nouveau gouvernement de coalition avec Podemos, un parti populiste de gauche, et sans le soutien des séparatistes. De nombreux observateurs, y compris l’auteur de ces lignes, n’ont pas perdu de vue que, dans leur quête de revanche, les séparatistes catalans étaient prêts à prendre le risque de laisser le gouvernement tomber entre les mains d’un parti qui les aurait traités avec plus d’hostilité que Sánchez n’aurait jamais pu le faire. Avant le référendum, il avait approuvé la réécriture de la Constitution espagnole pour transformer l’Espagne en une “nation de nations” en renforçant l’autonomie régionale dans tout le pays. Mais rien de tout cela ne comptait pour les séparatistes catalans, dont la position de victimes de Madrid attirait l’attention de la communauté internationale sur leur projet.

Malgré leur réputation bien méritée de perturbateurs et de fauteurs de troubles politiques, les partis séparatistes ont également apporté des contributions significatives à la démocratie espagnole. Ils ont introduit les libertés politiques pendant l’entre-deux-guerres, ont mené la résistance au régime autoritaire de Franco et ont assuré le succès de la transition vers la démocratie dans les années 1970. Ce qui est moins apparent, mais tout aussi important, c’est que ces dernières années, ils se sont imposés comme des remparts contre l’extrême droite. La force du séparatisme explique en partie pourquoi l’Espagne a résisté au malaise politique connu sous le nom de recul démocratique, qui se produit généralement dans les jeunes démocraties à la politique polarisée lorsque les dirigeants élus s’attaquent au système électoral, sapent l’autonomie des tribunaux et politisent l’armée. La démocratie espagnole n’a pas encore cinquante ans et ses niveaux de polarisation sont parmi les plus élevés au monde, mais au niveau national, la robustesse des partis séparatistes et leur souci des droits des minorités constituent un contrepoids puissant à l’illibéralisme.

*

L’Espagne est un État unitaire très décentralisé. Elle fonctionne selon un système de “communautés autonomes”, chacune ayant ses propres droits et compétences administratives. L’Espagne diffère en cela des États fédéralistes classiques, comme les USA, où chaque sous-unité a la même relation avec l’État central. La Catalogne et le Pays basque ont été les premiers à recevoir l’autonomie en 1979 ; en l’espace de cinq ans, l’ensemble du pays a été divisé en dix-sept communautés et deux villes autonomes en Afrique du Nord (Ceuta et Melilla). La Catalogne, le Pays basque et la Galice sont les régions les plus autonomes, en raison de leur statut de “régions historiques”, qui reconnaît que leurs revendications nationales sont antérieures au régime franquiste. Ces trois régions possèdent un patrimoine linguistique unique, mais la Galice, berceau de Franco, se distingue par l’absence d’un mouvement séparatiste fort. Au contraire, dans l’ère post-franquiste, les privations économiques et l’héritage franquiste bien ancré se sont conjugués pour faire du PP, qui promeut vigoureusement le nationalisme castillan, la force politique dominante de la région. À l’exception de la région méridionale de l’Andalousie, les quatorze communautés restantes ont été créées au terme d’un processus lent, qui a consisté à demander l’autonomie à Madrid et à organiser un référendum.

La décentralisation espagnole peut sembler aléatoire (le processus a été baptisé café para todos, ou café pour tous), mais il s’agit d’une réalisation capitale. Entre le milieu du XIXe siècle et le milieu des années 1970, les tentatives de partition de l’Espagne avaient fait échouer tous les efforts de démocratisation. Une tentative de fédéralisation de l’Espagne a condamné la Première République (1873-1874). La Seconde République, en place entre 1931 et 1939, s’est effondrée pendant la guerre civile espagnole, en grande partie parce que la droite s’est opposée à toute tentative de décentralisation du pays, craignant qu’elle ne soit le prélude à l’éclatement de l’Espagne. L’une des principales missions du régime autoritaire de Franco était d’éradiquer toute trace de distinction culturelle sur le territoire national espagnol afin de rendre le fédéralisme ou tout autre type de décentralisation inutile, voire tout à fait superflu. Les partis séparatistes, qui ont été les principaux moteurs de la tentative d’instaurer le fédéralisme en Espagne, ont été parmi les principales cibles de ce génocide culturel ; le fait qu’ils aient survécu à la dictature franquiste témoigne de leur profond enracinement dans la société.

20/01/2023

ALBERTO FREILE
Brahim Ghali, Front Polisario : « Le gouvernement espagnol a commis la deuxième trahison du peuple sahraoui en moins de 50 ans »
Interview sur TVE (Télévision espagnole)

Alberto Freile, TVE, 20/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

  • TVE interviewe le leader du Front Polisario alors que sa réélection est votée au Congrès.
  • Ghali critique le soutien de l’exécutif espagnol au plan marocain d'autonomie du Sahara.

Brahim Ghali doit être réélu au poste de secrétaire général du Front Polisario, qui tient depuis vendredi dernier son 16e congrès, le premier depuis la rupture du cessez-le-feu avec le Maroc en 2020. Une équipe de TVE s’est rendue au Sahara pour rencontrer ‘Ghali avant sa réélection, lors d'une réunion au cours de laquelle le Polisario a approuvé l'intensification de la lutte armée contre le Maroc. Avec lui, nous discutons de la possibilité d'une solution négociée pour le Sahara occidental, de la position du gouvernement espagnol et de la situation du conflit.

 

QUESTION : Quelles sont les conclusions auxquelles est parvenu jusqu'à présent ce congrès, dont le slogan est l'intensification de la lutte armée contre le Maroc ?

 

RÉPONSE : Nous avons progressé, nous avons adopté tous les documents présentés au Congrès, il reste les lettres et les recommandations à adopter par le Congrès.

 

Q : Pensez-vous, vous ou les participants au Congrès, qu'il y a encore de l’espace, qu'une solution négociée pour le Sahara occidental est encore possible dans le cadre de la communauté internationale et des Nations Unies ?

 

R : Le Front Polisario et tous ses militants n'ont jamais fermé la porte aux négociations et à une solution politique et pacifique au conflit. Mais malheureusement, notre adversaire, notre ennemi, n'a pas la même position. Il manque l’esprit et la volonté politique pour trouver une solution juste et définitive qui respecte le droit international. Nous, Sahraouis, sommes attachés à notre cause, à nos droits, nous sommes déterminés à continuer la lutte. Cela ne signifie pas que nous fermons la porte aux négociations, que nous ne considérons pas que les Nations Unies et la communauté internationale doivent assumer cette responsabilité pour parvenir à une solution juste et définitive qui permette au peuple sahraoui de décider de son avenir.

 

Q : Quelle est votre opinion sur la position du gouvernement espagnol, qui considère maintenant l'option marocaine d'autonomie pour le Sahara occidental sous la souveraineté de Rabat comme l'option la plus sérieuse, réaliste et crédible ?

 

R : Tout simplement, je suis d'accord avec l'opinion publique espagnole. Pour nous, c’est la deuxième trahison du peuple sahraoui en moins de 50 ans. Malheureusement, ce n’st pas ce que le peuple sahraoui attendait, c’est frustrant, surtout pour ceux qui ont passé des mois au sein de familles espagnoles, frustrant pour le peuple sahraoui, qui a toujours considéré les peuples de l'État espagnol comme des amis, solidaires, qui considèrent que la trahison de 75 et 76 ne doit pas se répéter. Malheureusement, ce n'était pas le cas ; c’est un autre coup de poignard dans le dos du peuple sahraoui et des peuples de l'État espagnol.

 

Q : Que devrait-il se passer pour recomposer les relations avec le gouvernement espagnol, avec le parti au pouvoir, le PSOE ? Il y a un cycle électoral imminent en Espagne et je ne sais pas si vous considérez qu'un changement politique pourrait vous être bénéfique.

 

R : Nous ne nous mêlons pas des problèmes internes de l’Espagne, nous nous intéressons à la position de l'État espagnol qui, pour normaliser les relations, doit rectifier sa position. Elle doit s'aligner sur la légalité internationale et sur la responsabilité historique, morale et légale de l’État espagnol envers la cause du peuple sahraoui.

 

Q : Cette guerre, cette fin du cessez-le-feu avec le Maroc il y a un peu plus de deux ans, semble se dérouler dans un contexte beaucoup plus technologique que la guerre qui a eu lieu entre 1975 et 1991. Je ne sais pas si vous vous considérez comme désavantagés. Comment gérez-vous ce conflit ?

 

R : L'histoire se répète. Nous n'étions pas dans un rapport de force en 1975, ni en 1976, ni même hier. Il y a un déséquilibre des forces, un mouvement de libération nationale et une armée d'invasion équipée de tous les moyens, mais nous nous adapterons à la demande et à la nouvelle situation qu’exige le type de guerre auquel nous sommes confrontés.

 

Q : Le Front Polisario reconnaît un certain nombre de victimes depuis la fin du cessez-le-feu, un nombre inférieur à une centaine. Dans le cas du Maroc, ce conflit n’existe pas, il ne reconnaît pas les blessés, il ne reconnaît pas les pertes. Je ne sais pas ce que vous pensez qu'il devra se passer pour que cette dynamique change et que l'on parle ouvertement de cette guerre.

 

R : Je pense qu'officiellement l’État marocain essaie d'ignorer cette réalité. Mais il faut aller voir les familles des victimes. Les pertes numériques, tant matérielles qu'humaines, sont considérables. Le dernier exemple est celui du 17 janvier 2023. 30 soldats marocains se sont fait exploser et ont perdu la vie sur place, 30. C’est le dernier chiffre que je peux donner, il y a eu des chiffres au cours des deux dernières années qui ont été supérieurs et inférieurs à ce chiffre. Il y a des victimes, et les familles marocaines elles-mêmes en sont bien conscientes.

 

Q : Ce Congrès qui a lieu a pris plus de temps que prévu. Nous savons qu'il y a au moins un autre leader qui a l'intention de se présenter au secrétariat général, Bashir Mustafa Sayed. Y a-t-il des positions différentes dans l'organisation sur les mesures à prendre dans un avenir immédiat ?

 

R : Non, il n'y a pas de différences sur les objectifs. C’est une démocratie, une vraie démocratie. Je pense que nous avons dépassé les autres démocraties, sur des questions comme les partis politiques et les éléments du débat national. C’est leur droit.

 

Q : Dans cette nouvelle stratégie militaire, je voudrais vous demander si vous envisagez des attaques au-delà de ce que nous connaissons comme le mur marocain, et d’aller au-delà du territoire le plus contesté jusqu'à présent.

 

R : Ce que je peux vous dire, c’est que nous devons nous adapter au slogan du 16e Congrès à l'avenir.

 

Q : Dans quelle mesure pensez-vous que ce système de corruption présumé au Parlement européen impliquant le Maroc a nui à vos intérêts ?

 

R : Je pense que le Parlement européen devrait revoir tous les accords approuvés et signés avec le Maroc au cours des 6-7 dernières années, surtout depuis 2019, je pense, même si je n’n suis pas absolument sûr, qu'ils sont affectés par cette corruption.

 

Q : Il y a eu trois décennies sans confrontations ouvertes entre le Maroc et le Front Polisario. Vous étiez dans cette guerre entre 75 et 91. Maintenant ils ont repris les armes. Je ne sais pas quel est votre sentiment personnel sur le fait que, de votre point de vue, il faille retourner à la lutte armée.

 

R : Eh bien, en toute honnêteté, ce n’est pas ce que l'on attendait. Nous nous sommes engagés dans un processus en 1991 en croyant que nous avions affaire à un monde juste, un monde qui respecte ses engagements, un monde qui respecte la légalité internationale. Trente ans nous ont montré le contraire. C’est frustrant.

 

La communauté internationale et les Nations unies étaient censées honorer cet engagement envers elles-mêmes, envers l'histoire et envers le peuple sahraoui. Mais malheureusement ce ne fut pas le cas, ils ont prolongé nos souffrances, ils auraient pu se limiter à 1992, nous sommes presque 32 ans plus tard, le peuple sahraoui est toujours victime et la communauté internationale regarde ailleurs. C’est décevant.

 

25/08/2022

OMAR G. ENCARNACIÓN
La révolte de l'Espagne vide

Omar G. Encarnación, The New York Review of Books, 17/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Omar Guillermo Encarnación est professeur d'études politiques au Bard College à Annandale-on-Hudson (État de New York), où il enseigne la politique comparée et les études latino-américaines et ibériques.  Ses recherches portent sur les causes et les conséquences des transitions vers la démocratie, le rôle de la société civile dans le processus de démocratisation et les choix politiques que font les nouvelles démocraties pour faire face à un passé difficile et douloureux.  Il est l'auteur des livres Spanish Politics: Democracy after Dictatorship (Polity Press, 2008), Democracy without Justice in Spain: The Politics of Forgetting (University of Pennsylvania Press, 2014), Out in the Periphery: Latin America’s Gay Rights Revolution (Oxford University Press, 2016), et The Case for Gay Reparations (Oxford University Press, 2021)

 Un mouvement apartidaire visant à attirer l'attention sur la dépopulation des campagnes espagnoles a commencé à façonner la politique nationale.

Le 31 mars 2019, les habitants de Madrid se sont réveillés avec une manifestation massive de quelque 100 000 personnes dans les rues, dénonçant le problème de la sangría demográfica, l’hémorragie démographique. Cette métaphore saisissante désigne une crise de dépeuplement qui a laissé de larges pans d'Espagne à peine habités. Sous la bannière de “la révolte de l'Espagne vidée”, des manifestants de vingt-quatre provinces rurales se sont plaints de la négligence des organismes gouvernementaux, de la médiocrité des services Internet, du manque d'accès aux transports et aux soins de santé, et de l'indifférence des multinationales espagnoles et de ceux qui vivent dans les centres urbains florissants du pays. Inspirées par d'autres manifestations réussies dans la capitale, comme celles qui ont conduit à la légalisation du mariage homosexuel en 2005, leurs pancartes invoquaient la rhétorique de la justice sociale et des droits humains : “Égalité pour tous”, “Mon choix de mode de vie ne me prive pas de mes droits” et “Je suis un citoyen rural, et je suis en danger d'extinction”.

Les données de l'Institut national de la statistique espagnol (INE) dressent un tableau saisissant de l'évolution démographique du pays. Quelque 90 % de la population, soit environ 42 millions de personnes, sont actuellement regroupés dans 1 500 villes qui occupent moins d'un tiers du territoire. Le reste du pays est habité par 4,6 millions de personnes, soit à peu près le nombre de personnes qui vivent à Barcelone. L'INE signale également que quelque 80 % des villages de moins de mille habitants risquent de disparaître complètement en raison du vieillissement de leur population et du départ des jeunes, ce qui explique l'abondance des villes fantômes que connaissent les voyageurs qui se rendent dans l'intérieur de l'Espagne. Selon la société immobilière Aldeas Abandonadas, ou Villages abandonnés, il existe environ 1 500 hameaux qui peuvent être achetés pour moins de 100 000 dollars, la plupart en Aragon, en Castille-et-León, en Castille-La Manche, en Estrémadure et dans La Rioja. Ces cinq régions intérieures - connues sous le nom de cœur de l'Espagne parce qu'elles ont été le berceau du royaume d'Espagne et de son empire colonial - représentent 53 % du territoire national, mais n'abritent que 15 % de la population. La province de Zamora, en Castilla y León, a vu sa population chuter de plus de 30 % depuis 1975, alors que la population de l'ensemble du pays a augmenté de 30 % au cours de la même période.