Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 6/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La théorie économique propose la notion de “défaillance du marché” pour les interventions impossibles à mettre en œuvre par le biais de l'échange marchand, classées en trois catégories : difficulté à trouver un accord potentiellement mutuellement bénéfique entre les parties ; absence de contrôle total sur les biens et les ressources et sur la manière de les utiliser ; manque, incomplétude ou coût excessif de l'information nécessaire à l'échange. Dans chacun de ces cas, il serait difficile pour l'État d'intervenir car, au fil du temps, les positions de propriété sont mobiles entre les particuliers et l'État et les intérêts en matière de protection de l'environnement se déplacent non seulement entre les groupes sociaux d'un même secteur de production, mais aussi entre les différents secteurs de production et les divers groupes sociaux qui y opèrent.
L'analyse des événements imputables au changement climatique a permis d'identifier des déficiences institutionnelles au niveau global du système “capitaliste de marché” existant, au point que l'économiste Maurizio Franzini écrivait déjà en 2009 : « Notre système est singulièrement dépourvu d'institutions capables de traiter le problème de la prise de décision rationnelle en présence d'événements catastrophiques potentiels [ …]. Il manque également d'institutions capables d'aborder systématiquement le problème de l'équité intergénérationnelle et d'institutions capables de concevoir et d'assurer une répartition équitable des coûts et des bénéfices mondiaux, un problème auquel nous devrons de plus en plus faire face et qui n'est pas seulement pertinent du point de vue de l'équité »[1].
Il ne s'agit pas seulement de trouver des outils “techniques” adéquats ou des systèmes de communication et d'information opportuns et capillaires, mais aussi d'inclure les actions relatives à l'environnement dans l'intervention de toutes les administrations (publiques ou privées, centrales ou décentralisées) qui agissent selon une logique moins étroite que celle résultant de la “défaillance du marché” et offrent des solutions moins limitées que celles qui en découlent.
Un cas emblématique peut être celui du paiement de redevances pour l'utilisation de certaines zones ou pour la possession de ce que l'on appelle les “droits de pollution”, dont l'insuffisance et l'inadéquation ont été constatées dans presque tous les cas de pollutions à grande échelle à ce jour.
Une théorie différente des défaillances du marché ne peut être dérivée que d'une théorie du marché et d'un système de valeurs différents de ceux qui prévalent actuellement, dans lesquels le marché est toujours le centre indépendant de la vie sociale d'une communauté ou d'un État.
En 1992, dans une situation moins dégradée que la situation actuelle, le chef du Corps forestier italien de l'époque écrivait : « Nous avons vécu les inondations du Polesine, de Florence, de la Calabre, de la Valteline et de la Ligurie, nous avons suivi la loi 183 et nous avons compris que la question du sol est une question que l'on aborde pour libérer la conscience de la responsabilité. Il n'y a pas d'engagement constant, il n'y a pas de véritable culture de la défense des sols en termes préventifs. Il y a la culture de la réparation des dommages ». [2]
Et le groupe responsable de la recherche d'ajouter : « Une chose est la prévention, une autre est la restauration, encore une autre est la reconstruction. […] D'après les recherches effectuées, le patrimoine des travaux réalisés dans le passé dans les bassins de montagne se trouve dans un état de conservation assez satisfaisant, confirmant la qualité de l'exécution, mais pour garantir l'efficacité à l'avenir également, il est nécessaire de mettre en œuvre de toute urgence une action d'entretien soignée et continue, afin d'obtenir, dans les zones d'intervention, le maximum d'effets environnementaux grâce à un travail prudent de rétablissement du milieu naturel»[3].
Ces résultats auraient pu être utilisés pour mettre en place des travaux de conservation, même minimes, mais cela n'a pas été le cas. Pourquoi ? Des considérations amènent à penser qu'il ne s'agit pas nécessairement ou uniquement de mauvaise volonté ou de malversation, mais d'un mode de pensée incapable de hiérarchiser les problèmes à moyen et long terme dans l'action.
C'est l'idéologie du marché, du profit immédiat et du privilège de l'action à bas prix qui rend difficile la réalisation d'interventions pour la protection de l'environnement ; cet éloignement est plus facile si l'on n'est pas directement concerné et si la responsabilité des interventions est dispersée entre diverses institutions ou même déléguée à l'initiative de particuliers, comme dans le cas de la restauration et de la protection de petits ouvrages ruraux.
Si le problème est de réagir aux stimuli du marché, les évaluations à moyen et long terme se limitent aux facteurs ayant une valeur marchande élevée ou capables d'attirer des capitaux à long terme, et la protection de l'environnement ne semble pas appartenir à cette sphère de valeurs.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que les preuves scientifiques sont systématiquement sous-estimées, voire ignorées. C'est ce qui s'est passé avec l'affaire de la “vache folle”, dont la propagation de la maladie, qui s'est produite pour des causes qui n'avaient rien de naturel, a été facilitée par la remise en cause délibérée des techniques d'élevage, de sélection des aliments ou de transformation industrielle, et enfin par la réduction des moyens (notamment humains) alloués au système de contrôle à tous les stades.
Certains événements liés à l'économie et au marché démontrent qu'il ne s'agit pas d'un problème d'information. On dit que les crises de marché sont générées par une mauvaise information et de fortes asymétries, mais en octobre 1987, lors de la crise de la bourse de New York connue sous le nom de “lundi noir”, on a découvert (plus tard) que les autorités de politique monétaire concernées avaient d'une certaine manière prévu et anticipé la crise.
L'exemple des marchés financiers, bien qu'éloigné des problèmes de la protection de l'environnement, ainsi que les cas précédents, montrent l'écart entre les choix concrets des opérateurs et les résultats obtenus par les recherches scientifiques ; mieux que les autres, ce dernier cas montre également la distance entre les cas concrets et ceux prévus théoriquement, soulignant la nécessité de passer à l'analyse des catégories qui guident nos comportements dans les activités sociales et économiques, comportements qui se révèlent être tout sauf rationnels, malgré les déclarations de principe.
S'il est vrai que l'économie guide nos comportements même dans des secteurs éloignés de son champ d'action, elle présente des déséquilibres évidents, en particulier pour les évaluations qui devraient guider les comportements à moyen et long terme. Il faut donc trouver ailleurs des catégories, des paramètres, des valeurs capables d'agir efficacement là où “le marché et sa main invisible” ont aujourd'hui échoué et où l'État ne peut pas nécessairement ou exclusivement agir.
Comment réussir à mettre en œuvre cette intervention et par quels moyens, c'est la tâche d'une théorie renouvelée du “fait économique”, qui ne soit pas indépendante du “fait social”, mais fonctionnelle à celui-ci et connectée à un système de relations adapté aux besoins de l'époque.
Notes
[1]M. Franzini (2009), La crise économique, l'économie “verte” et le changement climatique. Réflexions sur les institutions du capitalisme, “Quaderni di rassegna sindacale”, n° 10, p.161
[2] Ministère des ressources agricoles, alimentaires et forestières, Fondation Sir Walter Becker (1992), Indagine sulle opere di sistemazione idraulico-forestale, p.9
[3] Ministère des ressources agricoles, alimentaires et forestières, (1992), op. cit. p.16