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01/09/2024

HANNA ALSHAYKH
Notre Yalu, notre histoire: un jour, les exilés reviendront dans le village qu’Israël a détruit


Ma famille comprend quatre générations de Palestiniens vivant en exil, aspirant à la justice et à un retour légitime.

Hanna Alshaikh, Middle East Eye, 13/8/2021
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Vers 23 heures, on a frappé à la porte de la maison de mon grand-père à Amman, alors que je préparais mes bagages en vue d’un vol de retour pour Chicago le lendemain.

Un voisin et membre de l’association communautaire de Yalu était venu apporter un livre. Ayant appris que mon grand-père, connu dans tout le village palestinien sous le nom d’Abou Hussein, avait une petite-fille en visite des USA qui souhaitait en savoir plus sur le passé de Yalu, il a insisté pour que je reçoive un exemplaire de ce livre avant mon départ.

J’ai été émue par la générosité de cet homme et par ce texte, qui revêt une grande importance sentimentale et politique pour ma famille et pour les originaires de Yalu. Il s’agit du livre de Rabhi Mustafa Alyan, kay la nunsi yalu: alqaryat alfilastiniat almudamaratta كي لا ننسي يالو: القرية الفلسطينية المدمرة (« Pour que nous n’oubliions pas : Yalu, le village palestinien détruit »).


Aujourd’hui, plus de cinq décennies plus tard, au cours d’une conversation sur la destruction des villages palestiniens et les pertes humaines, mon grand-père sourit encore lorsqu’il évoque la beauté de Yalu.


 En 1967, Israël a procédé à un nettoyage ethnique de notre village, Yalu. Ses habitants faisaient partie des quelque 300 000 Palestiniens qui ont été transformés en réfugiés par Israël lors de la guerre de 1967, connue sous le nom de Naksa ou « revers » pour les Arabes et les Palestiniens. Mais contrairement à de nombreuses autres terres palestiniennes colonisées, Israël n’a jamais remplacé les habitants de Yalu par des colons. Pour se venger de la résistance locale lors de la guerre de 1948, Israël a décidé de laisser les terres vides, illustrant ainsi la logique raciste du sionisme qui considère la vie des Palestiniens comme une menace.

En 1975, le Fonds national juif canadien a transformé Yalu et deux villages voisins en Parc du Canada, qu’Israël cite aujourd’hui comme un exemple de son engagement en faveur de l’environnement. Mais pour les Palestiniens qui ont été violemment chassés de leurs maisons, aujourd’hui enfouies sous ce parc, celui-ci est le symbole de la destruction des arbres, des cultures, des maisons et des vies palestiniennes.

Notre histoire réfute les mythes perpétués par Israël pour justifier ses crimes de guerre, passés et présents. Elle souligne également la résilience et la détermination des Palestiniens exilés à reprendre possession de leurs terres et de leur destin politique.

Un paysage parsemé de joyaux

Yalu et les villages voisins d’Imwas [Emmaüs] et de Bayt Nuba étaient autrefois connus sous le nom de villages de Latroun, situés entre la Cisjordanie et la Ligne verte, qui délimitait ce qui est devenu Israël après la Nakba de 1948. Les villages de Latroun étaient situés près d’une route stratégique qui reliait Jérusalem à la côte palestinienne.

La vie à Yalu avant sa destruction en 1967 était digne, mais non sans difficultés. Ma famille de paysans était propriétaire des terres sur lesquelles elle vivait et dont elle tirait sa subsistance, se rendant parfois dans les grandes villes palestiniennes pour y vendre ses excédents de production. Mon arrière-grand-père possédait un acre et demi [0,6 hectare] de terre sur laquelle notre famille plantait le blé, l’orge et le maïs qui lui assuraient une subsistance de base.

Comme dans de nombreux autres villages palestiniens, le paysage de Yalu était parsemé d’arbres fruitiers. Les anciens de la famille se souviennent de la douceur des figues, des abricots, des pommes, des raisins et des pêches cultivés chez eux, ainsi que de l’abondance des oliviers. Aujourd’hui, plus de cinq décennies plus tard, au milieu d’une conversation sur la destruction des villages palestiniens et les pertes humaines, mon grand-père sourit encore lorsqu’il évoque la beauté de Yalu.

Lorsqu’il était temps de presser les olives pour obtenir de l’huile, ils se rendaient avec leurs olives fraîchement cueillies à Beit Ur al-Tahta, un village près de Ramallah, pour utiliser son pressoir. En 1967, les habitants de Yalu n’ont pas pu faire ce voyage. En juin, les soldats israéliens les ont forcés à marcher vers la Cisjordanie et la Jordanie avec rien d’autre que les vêtements qu’ils portaient sur le dos, pour y vivre en tant que réfugiés.

Résistance de masse

« Ils étaient enchaînés », c’est ainsi que mon grand-père décrit l’état des Palestiniens deux décennies avant la destruction de notre village. Les autorités coloniales britanniques ont désarmé les Palestiniens en réponse au soulèvement arabe de 1936-1939, un moment de résistance massive à la collusion entre l’impérialisme britannique et le colonialisme sioniste. Mon grand-père se souvient que la police britannique imposait une peine automatique de six mois à toute personne trouvée en possession d’un simple couteau à cran d’arrêt.


Photo non datée du village de Yalu avant sa destruction par Israël. Le village est situé entre la Cisjordanie occupée et la Ligne verte (Palestineremembered.com).

Orphelin de 18 ans à l’époque, mon grand-père se souvient que l’ambiance à Yalu avant la Nakba de 1948 était « misérable ». Les milices sionistes qui allaient former le noyau de l’armée israélienne ont tenté de s’emparer de Yalu et des villages voisins, mais les habitants ont infligé aux forces sionistes bien armées une rare défaite.

Les paysans de la région de Latroun ont risqué leur vie pour obtenir des armes afin de défendre leurs terres. Ceux qui possédaient des terres en ont vendu une partie pour s’armer ; certaines femmes ont offert l’or de leur dot et l’ont vendu pour aider à armer la résistance locale. Ces forces de Latroun ont participé à la bataille de Bab al-Wad, et la défaite qui s’en est suivie a incité Yitzhak Rabin, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, à prendre sa revanche en 1967.

La résistance de Yalu a hanté Rabin et Moshe Dayan, alors ministre israélien de la défense. Rabin et Dayan ont donné l’ordre d’expulser les habitants, montrant ainsi qu’en dépit des affirmations israéliennes ultérieures, le nettoyage ethnique de Yalu et des localités voisines était en fait prémédité. Israël a commis des crimes de guerre en s’emparant des terres et en expulsant les habitants.

Les habitants des villages ont été rassemblés dans un champ à l’extérieur de Yalu ; trois d’entre eux sont morts au cours de la marche. Les survivants se souviennent des cris des enfants, de la faim et de la soif extrêmes qu’ils ont endurées. Selon Alyan, qui est l’auteur du livre que notre voisin m’a remis, les trois hommes se sont effondrés de faim avant que les soldats israéliens ne les abattent.

Alyan a également indiqué que six personnes ont été tuées sous les décombres de leurs maisons, dont un bébé d’un an. Les anciens de notre famille se souviennent avec horreur de l’histoire d’un vieil homme aveugle à Yalu, qui a été écrasé sous les décombres de sa maison parce qu’il n’a pas pu s’enfuir à temps. Les forces israéliennes ont utilisé des explosifs et des bulldozers pour raser le village, détruisant plus de 500 maisons et bâtiments.

Rasé de fond en comble

La souffrance ne s’est pas arrêtée là. Les soldats israéliens ont tué cinq personnes âgées de 17 à 60 ans qui tentaient de retourner à Yalu. Une semaine après leur expulsion initiale, un commandant israélien a ordonné aux réfugiés de Latroun de rentrer chez eux ; à leur arrivée, des soldats israéliens leur ont dit que la région était une zone militaire fermée et qu’ils n’avaient pas le droit d’y entrer. Cinq d’entre eux ont refusé ces ordres et ont été massacrés sur place, leurs corps étant cachés à leurs familles, selon Alyan. Les autres ont regardé de loin les bulldozers israéliens raser leurs maisons et leurs arbres.


En 2009, des militants pacifistes israéliens se souviennent des crimes de guerre commis par Israël à Yalu. Photo Ayman Nimer/Palestineremembered.com

Après cette attaque dévastatrice, les autorités militaires israéliennes ont changé de cap, indiquant aux habitants des villages de Latroun qu’ils ne devaient pas rentrer chez eux, mais plutôt se rendre à Amman. Des membres de ma famille élargie et d’autres habitants de Yalu ont marché vers la Jordanie, en traversant le pont Allenby, détruit par les bombes.

Ces membres de la famille ont été portés disparus pendant des semaines, voire des mois. Mon grand-père allait de camp de réfugiés en camp de réfugiés en Jordanie, cherchant chaque soir la famille de son frère.

À l’âge de six ans, mon père a été exilé de son pays d’origine. Un souvenir marquant de son enfance a été de partir avec son père à la recherche de sa tante et de ses cousins disparus. Ils ont fini par être retrouvés, mais d’autres n’ont pas eu cette chance.

Le droit au retour est un droit sacré pour les habitants des trois villages de Latroun, dont ma famille, qui vit toujours dans des camps de réfugiés et en exil, loin de ses terres et de ses biens. Pour nous, réaliser ce droit signifie lutter contre le sionisme et contre les dirigeants palestiniens qui ont trahi nos droits.

En 1993, ma famille a regardé avec horreur et dégoût Yasser Arafat serrer la main, sur la pelouse de la Maison Blanche, de l’homme qui avait ordonné la destruction de notre village. Aujourd’hui, alors que l’Autorité palestinienne tue et torture les Palestiniens, elle représente un régime de collaboration qui a sapé notre droit au retour, détourné nos institutions nationales et travaillé sans relâche pour protéger les intérêts israéliens en échange d’une poignée de dollars et d’un pouvoir illusoire.

Enraciné dans la mémoire

À chaque grain de terre dans Yalu.
À chaque arbre qui se tient encore debout, défiant le temps
Et au mépris de l’occupation
Et qui attend le retour de son peuple sur sa terre

Dans les terres occupées d’abord
Et dans toutes les parties du monde ensuite
À tous les enfants de Yalu.
Qui sont nés et ont grandi en exil
J’offre ce livre,
Pour que Yalu reste
ancré dans les mémoires
Jusqu’au jour du retour
Et si Dieu le veut, ce sera bientôt.

C’est par ces mots qu’Alyan ouvre l’histoire de son village. Cette dédicace illustre le caractère intergénérationnel de la lutte palestinienne et la responsabilité de chaque génération de transmettre à la suivante cet engagement envers la terre.

Mon grand-père avait six ans lorsque le soulèvement arabe de 1936-1939 a commencé. Mon père avait six ans lorsque Yalu a fait l’objet d’un nettoyage ethnique, ce qui a fait de lui un exilé. J’avais sept ans lorsque la deuxième Intifada a éclaté. Pour de nombreux Palestiniens exilés de ma tranche d’âge, cet événement a été déterminant pour notre conscience politique.

Jeune enfant, j’ai manifesté à Chicago contre les meurtres de Palestiniens par Israël et l’attaque de la mosquée al-Aqsa. En mai dernier, de jeunes enfants de ma famille ont manifesté pour condamner le bombardement massif de Gaza par Israël, l’attaque de la mosquée Al-Aqsa et la tentative de nettoyage ethnique de Sheikh Jarrah et Silwan.

Nous sommes quatre générations vivant en exil, aspirant à la justice et à notre retour légitime à Yalu. Nous portons une immense douleur, tout comme les 300 000 autres réfugiés de 1967, les millions de réfugiés de la Nakba et les dizaines de personnes à Silwan et Sheikh Jarrah qui luttent aujourd’hui contre l’effacement colonial.

Leur résistance aujourd’hui met en lumière le refus des Palestiniens d’abandonner leur lutte de libération. J’ai été élevé dans la connaissance et l’amour de cette terre comme si j’avais moi-même vécu à Yalu. Nous avons l’intention d’y retourner ensemble. Nos aînés ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour nous épargner la douleur de la dépossession, et nous rendons hommage à leur sacrifice en œuvrant pour mettre fin à la Nakba.

Hanna Alshaikh (1993) est née à Chicago dans une famille originaire du village palestinien de Yalu, près de Latroun, nettoyé ethniquement partiellement en 1948 et entièrement en 1967, les sionistes le rasant entièrement. Elle est chercheuse en histoire intellectuelle arabe et palestinienne dans le cadre du programme de doctorat conjoint d’histoire et d’études du Moyen-Orient de l’Université de Harvard (Cambridge, USA). Ses recherches portent sur le rôle de la diaspora palestinienne dans le discours politique du monde arabe, et plus particulièrement sur les Palestiniens des USA et leur participation transnationale à la formation du mouvement national palestinien. Son travail se situe à l’intersection de l’histoire intellectuelle arabe et palestinienne, de l’histoire des activistes, des études sur la diaspora, des études arabo-usaméricaines et de l’histoire des mouvements sociaux usaméricains. Hanna est titulaire d’une maîtrise du Center for Middle Eastern Studies de l’université de Chicago, où elle a rédigé un mémoire sur l’histoire sociale palestinienne à la fin de la période ottomane. Auparavant, Hanna était professeure adjoint d’études religieuses à l’université DePaul (Chicago), où elle a donné un cours sur l’islam et un cours sur la religion et la politique au Moyen-Orient. Elle est aussi la coordinatrice du projet Palestine à l’Arab Center Washington DC. @yalawiya

 

24/08/2024

ARI SHAVIT
La survie du plus fort, un entretien avec Benny Morris (2004)
Une plongée dans la psycopathie sioniste


 Ari Shavit, Haaretz, 8/1/2004
Traduit et présenté par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Ari Shavit (Rehovot, 1957) a été journaliste au quotidien Haaretz de 1995 à 2016, quand il a quitté le journal suite à des accusations de harcèlement sexuel de la part d’une consœur usaméricaine rencontrée à Los Angeles. Il lui a présenté des excuses publiques et privées et a disparu de la vie publique pendant 2 ans. En 2018, dans un entretien avec la juriste Orit Kamir, auteure de la loi isrélienne sur le harcèlement sexuel, il déclare : « J’ai réalisé que j’avais été aveugle au pouvoir que j’avais en tant qu’homme blanc privilégié ». Il est l’auteur du livre à succès Ma terre promise (JC Lattès, 2015)

Benny Morris (Kibboutz Ein HaHoresh, 1948) est un historiographe israélien qui a ouvert la voie à ceux qu’il a appelé les « nouveaux historiens » israéliens, lesquels ont, chacun à sa manière, remis en cause par leurs travaux le narratif sioniste. À la différence d’Ilan Pappé -contraint à l’exil en Grande-Bretagne en 2007 -, et avec lequel il a polémiqué sur la nature exacte de la Nakba de 1948, Morris est resté sioniste, malgré la longue liste de crimes commis par les sionistes tout au long de l’histoire de l’État d’Israël, qu’il a étudié et en partie mis au jour. Son itinéraire et son discours sont emblématiques de l’implosion de la gauche israélienne, qui s’est fait hara kiri depuis un bon quart de siècle, retournant “à la maison”. De lui on peut lire en français Victimes : Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste (Complexe/INHTP, 2003, 852 pp.) [voir à la fin de l’article]. L’entretien ci-dessous a fait sensation lors de sa parution il y a 20 ans et apporte une perspective effrayante sur le génocide en cours à Gaza. Ce que dit Morris en 2004, Netanayahou & Co. le font en 2024. Plongée dans la psychopathie sioniste, qui n’a fait que s’aggraver depuis lors. Accrochez-vous, ça va secouer !

Benny Morris affirme qu’il a toujours été sioniste. Les gens se sont trompés en le qualifiant de post-sioniste, en pensant que son étude historique sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens avait pour but d’affaiblir l’entreprise sioniste. C’est absurde, dit Morris, c’est totalement infondé. Certains lecteurs ont simplement mal lu le livre. Ils ne l’ont pas lu avec le même détachement, la même neutralité morale que celui qui l’a écrit. Ils sont donc arrivés à la conclusion erronée que lorsque Morris décrit les actes les plus cruels perpétrés par le mouvement sioniste en 1948, il les condamne, que lorsqu’il décrit les opérations d’expulsion à grande échelle, il les dénonce. Ils ne concevaient pas que le grand documenteur des péchés du sionisme s’identifie en fait à ces péchés. Qu’il pense que certains d’entre eux, au moins, étaient inévitables.

Il y a deux ans, des voix différentes ont commencé à se faire entendre. L’historien considéré comme un gauchiste radical a soudain affirmé qu’Israël n’avait personne à qui parler. Le chercheur accusé de haïr Israël (et boycotté par l’establishment universitaire israélien) a commencé à publier des articles en faveur d’Israël dans le journal britannique The Guardian.

Alors que le citoyen Morris s’est avéré être une colombe pas tout à fait blanche comme neige, l’historien Morris a continué à travailler sur la traduction en hébreu de son énorme ouvrage « Righteous Victims : A History of the Zionist-Arab Conflict, 1881-2001 », écrit dans l’ancien style de la recherche de la paix. Dans le même temps, l’historien Morris a achevé la nouvelle version de son livre sur le problème des réfugiés, qui va renforcer les mains de ceux qui abominent Israël. Ainsi, au cours des deux dernières années, le citoyen Morris et l’historien Morris ont travaillé comme s’il n’y avait aucun lien entre eux, comme si l’un essayait de sauver ce que l’autre s’obstinait à éradiquer.

Les deux livres paraîtront le mois prochain. Le livre sur l’histoire du conflit sioniste-arabe sera publié en hébreu par Am Oved à Tel Aviv, tandis que Cambridge University Press publiera « The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited » (il a été publié à l’origine, chez CUP, en 1987). Ce livre décrit avec une précision effrayante les atrocités de la Nakba. Morris n’est-il pas effrayé par les implications politiques actuelles de son étude historique ? Ne craint-il pas d’avoir contribué à faire d’Israël un État presque paria ? Après quelques instants de dérobade, Morris admet que oui. Parfois, il est vraiment effrayé. Parfois, il se demande ce qu’il a fait.

Il est petit, rondouillard et très intense. Fils d’immigrants anglais, il est né au kibboutz Ein Hahoresh et a été membre du mouvement de jeunesse de gauche Hashomer Hatza’ir. Dans le passé, il a été journaliste au Jerusalem Post et a refusé de faire son service militaire dans les territoires occupés depuis 1967. Il est aujourd’hui professeur d’histoire à l’université Ben-Gourion du Néguev, à Be’er Sheva. Mais assis dans son fauteuil, dans son appartement de Jérusalem, il n’endosse pas le costume de l’universitaire prudent. Loin de là : Morris crache ses mots, rapidement et énergiquement, débordant parfois sur l’anglais. Il ne réfléchit pas à deux fois avant de lancer les déclarations les plus tranchantes et les plus choquantes, qui sont loin d’être politiquement correctes. Il décrit avec désinvolture des crimes de guerre horribles, peint des visions apocalyptiques le sourire aux lèvres. Il donne à l’observateur le sentiment que cet individu agité, qui a ouvert de ses propres mains la boîte de Pandore sioniste, a encore du mal à faire face à ce qu’il y a trouvé, à gérer les contradictions internes qui sont son lot et notre lot à tous.

Viol, massacre, transfert

Benny Morris, la nouvelle version de votre livre sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens doit être publiée dans le mois qui vient. Qui sera le moins satisfait de ce livre : les Israéliens ou les Palestiniens ?

« Le livre révisé est une arme à double tranchant. Il s’appuie sur de nombreux documents qui n’étaient pas à ma disposition lorsque j’ai écrit le livre original, la plupart d’entre eux provenant des archives des forces de défense israéliennes. Ces nouveaux documents montrent que les massacres perpétrés par les Israéliens ont été beaucoup plus nombreux que je ne l’avais pensé. À ma grande surprise, il y a également eu de nombreux cas de viols. Au cours des mois d’avril et de mai 1948, des unités de la Haganah [la force de “défense” d’avant la création de l’État, précurseur des FDI] ont reçu des ordres opérationnels indiquant explicitement qu’elles devaient déraciner les villageois, les expulser et détruire les villages eux-mêmes.

« En même temps, il s’est avéré qu’il y avait une série d’ordres émis par le Haut Comité arabe et par les niveaux intermédiaires palestiniens pour retirer les enfants, les femmes et les personnes âgées des villages. Ainsi, d’une part, le livre renforce l’accusation portée contre la partie sioniste, mais d’autre part, il prouve également que beaucoup de ceux qui ont quitté les villages l’ont fait avec l’encouragement de la direction palestinienne elle-même. »

Selon vos nouvelles conclusions, combien de cas de viols israéliens ont été recensés en 1948 ?

« Une douzaine. À Acre, quatre soldats ont violé une jeune fille et l’ont assassinée, ainsi que son père. À Jaffa, des soldats de la brigade Kiryati ont violé une fille et tenté d’en violer plusieurs autres. À Hunin, en Galilée, deux filles ont été violées puis assassinées. Il y a eu un ou deux cas de viol à Tantura, au sud de Haïfa. Il y a eu un cas de viol à Qula, dans le centre du pays. Dans le village d’Abu Shusha, près du kibboutz Gezer [dans la région de Ramle], il y avait quatre prisonnières, dont l’une a été violée à plusieurs reprises. Et il y a eu d’autres cas. En général, plus d’un soldat était impliqué. En général, il y avait une ou deux filles palestiniennes. Dans une grande partie des cas, l’acte s’est terminé par un meurtre. Étant donné que ni les victimes ni les violeurs n’aimaient rapporter ces événements, nous devons supposer que la douzaine de cas de viols qui ont été rapportés et que j’ai trouvés ne représentent pas toute l’histoire. Ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg ».

Selon vos conclusions, combien d’actes de massacre israéliens ont été perpétrés en 1948 ?

« Vingt-quatre. Dans certains cas, quatre ou cinq personnes ont été exécutées, dans d’autres, le nombre était de 70, 80, 100. Il y a également eu beaucoup d’exécutions arbitraires. Deux vieillards sont aperçus en train de marcher dans un champ - ils sont abattus. Une femme est trouvée dans un village abandonné - elle est abattue. Il y a des cas comme celui du village de Dawayima [dans la région d’Hébron], où une colonne est entrée dans le village avec tous les fusils et a tué tout ce qui bougeait.

« Les cas les plus graves sont ceux de Saliha (70-80 tués), Deir Yassin (100-110), Lod (250), Dawayima (des centaines) et peut-être Abu Shusha (70). Il n’y a pas de preuve sans équivoque d’un massacre à grande échelle à Tantura, mais des crimes de guerre y ont été perpétrés [cela fera l’objet d’une polémique avec Ilan Pappé, qui avait soutenu le travail d’enquête de Teddy Katz, NdT]. A Jaffa, il y a eu un massacre dont on ne savait rien jusqu’à présent. Il en va de même à Arab al Muwassi, dans le nord. Environ la moitié des actes de massacre ont été commis dans le cadre de l’opération Hiram [dans le nord, en octobre 1948] : à Safsaf, Saliha, Jish, Eilaboun, Arab al Muwasi, Deir al Asad, Majdal Krum, Sasa. Lors de l’opération Hiram, il y a eu une concentration inhabituellement élevée d’exécutions de personnes contre un mur ou à côté d’un puits, de manière ordonnée.

« Ce n’est pas un hasard. C’est un modèle. Apparemment, les différents officiers qui ont participé à l’opération ont compris que l’ordre d’expulsion qu’ils avaient reçu leur permettait d’accomplir ces actes afin d’encourager la population à prendre la route. Le fait est que personne n’a été puni pour ces actes de meurtre. Ben-Gourion a étouffé l’affaire. Il a couvert les officiers qui ont commis les massacres ».

Ce que vous me dites ici, comme si c’était en passant, c’est que dans l’opération Hiram, il y avait un ordre d’expulsion complet et explicite. Est-ce exact ?

« Oui. L’une des révélations du livre est que le 31 octobre 1948, le commandant du front nord, Moshe Carmel, a ordonné par écrit à ses unités d’accélérer l’expulsion de la population arabe. Carmel a pris cette mesure immédiatement après une visite de Ben-Gourion au Commandement du Nord à Nazareth. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que cet ordre émane de Ben-Gourion. Tout comme l’ordre d’expulsion de la ville de Lod, signé par Yitzhak Rabin, a été émis immédiatement après la visite de Ben-Gourion au quartier général de l’opération Dani [juillet 1948]. »

Êtes-vous en train de dire que Ben-Gourion était personnellement responsable d’une politique délibérée et systématique d’expulsion massive ?

« A partir d’avril 1948, Ben-Gourion projette un message de transfert. Il n’y a pas d’ordre explicite écrit de sa part, il n’y a pas de politique globale ordonnée, mais il y a une atmosphère de transfert [de population]. L’idée du transfert est dans l’air. L’ensemble des dirigeants comprend qu’il s’agit de l’idée. Le corps des officiers comprend ce qu’on attend d’eux. Sous Ben-Gourion, un consensus sur le transfert est créé ».

Ben-Gourion était un « transfériste » ?

« Bien sûr. Ben-Gourion était un transfériste. Il avait compris qu’il ne pouvait y avoir d’État juif avec une minorité arabe importante et hostile en son sein. Un tel État n’existerait pas. Il n’aurait pas pu exister.

Je ne vous entends pas le condamner.

« Ben-Gourion avait raison. S’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, un État n’aurait pas vu le jour. Cela doit être clair. Il est impossible de l’éluder. Sans le déracinement des Palestiniens, un État juif n’aurait pas vu le jour ici ».

Quand le nettoyage ethnique est justifié

Benny Morris, depuis des décennies, vous faites des recherches sur la face cachée du sionisme. Vous êtes un expert des atrocités commises en 1948. En fin de compte, justifiez-vous tout cela ? Êtes-vous un défenseur du transfert de 1948 ?

« Il n’y a aucune justification pour les actes de viol. Rien ne justifie les actes de massacre. Ce sont des crimes de guerre. Mais dans certaines conditions, l’expulsion n’est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de 1948 aient été des crimes de guerre. On ne peut pas faire une omelette sans casser des œufs. Il faut se salir les mains ».

Nous parlons du meurtre de milliers de personnes, de la destruction d’une société entière.

« Une société qui veut vous tuer vous oblige à la détruire. Quand on a le choix entre détruire ou être détruit, il vaut mieux détruire. »

Le calme avec lequel vous dites cela a quelque chose d’effrayant.

« Si vous vous attendiez à ce que j’éclate en sanglots, je suis désolé de vous décevoir. Je ne le ferai pas. »

Ainsi, lorsque les commandants de l’opération Dani observent la longue et terrible colonne des 50 000 personnes expulsées de Lod qui se dirigent vers l’est, vous vous tenez à leurs côtés ? Vous les justifiez ?

« Je les comprends tout à fait. Je comprends leurs motivations. Je ne pense pas qu’ils aient eu de remords de conscience, et à leur place, je n’aurais pas eu de remords de conscience. Sans cet acte, ils n’auraient pas gagné la guerre et l’État n’aurait pas vu le jour. »

Vous ne les condamnez pas moralement ?

« Non.

Ils ont perpétré un nettoyage ethnique.

« Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient le nettoyage ethnique. Je sais que ce terme est complètement négatif dans le narratif du XXIe  siècle, mais quand le choix est entre le nettoyage ethnique et le génocide - l’anéantissement de votre peuple - je préfère le nettoyage ethnique. »

Et c’était la situation en 1948 ?

« C’était la situation. C’est ce à quoi le sionisme a été confronté. Un État juif n’aurait pas vu le jour sans le déracinement de 700 000 Palestiniens. Il était donc nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population. Il fallait nettoyer l’arrière-pays, les zones frontalières et les routes principales. Il fallait nettoyer les villages d’où l’on tirait sur nos convois et nos campements ».

Le terme « nettoyer » est terrible.

« Je sais que cela ne sonne pas bien, mais c’est le terme qu’ils utilisaient à l’époque. Je l’ai adopté à partir de tous les documents de 1948 dans lesquels je suis plongé ».

Ce que vous dites est difficile à écouter et à digérer. Vous semblez avoir le cœur dur.

13/05/2024

MARIE VATON
This is the story of Malak, a Syrian heiress who fell in love with a charismatic Palestinian
Rima Hassan’s family story

Marie Vaton, L'Obs, 5/1/2024
Translated by Fausto Giudice, Tlaxcala

Marie Vaton is a French journalist and author, working for the weekly L'Obs since 2008. FB

From the series STORIES OF EXILE (3/4). In 1948, just after the creation of the State of Israel, hundreds of thousands of Palestinians set off into exile. Among them was Jamil, with his parents and four siblings. His life would soon be summed up in the Neirab refugee camp in Syria. His granddaughter Rima Hassan, founder of the Action Palestine France movement and candidate for La France Insoumise in the European elections on June 9, tells us all about it.

Malak and her granddaughter Rima, in the Neirab camp. PERSONAL ARCHIVE

In the camp, she was known as “The Aleppine”, and this was no compliment. Aleppo, however, was not far from Neirab. Barely thirteen kilometers separated the camp from the big Syrian city. But Malak didn't look like the others. With her long suit, light-colored coat and white silk veil that she tied into a turban over her head, the young woman stood out among the refugees. And with good reason: Malak was neither a refugee nor a Palestinian. Yet it was here, in these 15 overcrowded hectares and makeshift barracks, that she, the heiress of the Hananos, one of Syria's wealthiest families, had lived all her life. Banished, disinherited because she fell madly in love with Jamil, a handsome, charismatic 24-year-old Palestinian who worked on her father's farm.

The story is romantic. It recounts the strange and mad destiny of a family after the Nakba (“catastrophe” in Arabic), following the creation of Israel in 1948. It tells what exile produces in the way of thwarted trajectories and shaken destinies. It speaks of a Palestinian identity that has been battered by history. “My paternal great-grandparents, the Mobaraks, lived in Salfit, a large village in the mountains near Nablus, until the first Arab-Israeli war of 1948,” Jamil and Malak's 31-year-old granddaughter, Rima Hassan, tells L'Obs. The founder of the Observatoire des Camps de Réfugiés [The Observatory of refugee camps] and the Action Palestine France movement grew up in the Neirab camp in Syria until she was 10, like her parents before her. And like thousands of Palestinians “forced into exile” by Israeli soldiers during the 1948 Arab-Israeli war.

On April 9, 1948, the massacre at Deir Yassin, an Arab village west of Jerusalem, stormed by Israeli paramilitary militias of the Irgun and the Lehi, marked the beginning of panic - and exodus - for the vast majority of Palestinians. Hundreds of thousands left their villages and headed into exile: Jamil was visiting the north of the country with his parents and four siblings. They were caught up in the turmoil. Like everyone else, they travelled on foot. Occasionally, a tractor pulled up and carried the family to the next village. At the Lebanese border, the refugees were transported to the major cities of Lebanon and Syria, Homs, Hama and finally Aleppo. The end of the journey for the Mobarak family.

In the Neirab refugee camp

On the way, they stop for a few months at a hostel in Kfar Takharim, run by a wealthy family of Arab intellectuals, the Hananos. The patriarch, Ibrahim, is no ordinary man. He is a national hero of Syrian independence, celebrated throughout the country since his death thirteen years ago. In his youth, the MP had played an active part in the Arab nationalist movement against the Ottomans, then against the French army occupying Syria.

One day, Jamil stops in front of the family's beautiful home. Suddenly, a young girl emerges and rushes into a cart parked out front. It's Malak. Their eyes meet. Jamil immediately decides that she will be his wife. The young heiress is won over too. She doesn't dream of a princess' destiny. Having already spurned several suitors, she has alienated part of her family. So who cares if marrying Jamil is a mismatch? For six months, she battles in court to have her union with the young refugee accepted. And it doesn't matter if her marriage costs her all her property and inheritance.

Malak Hanano, Rima Hassan's grandmother, and Jamil Hassan, her grandfather. PERSONAL ARCHIVE

To enable her young husband to set up his own business, she sold her jewelry and gave him a caterpillar tractor. The young couple settled in the village of Al Neirab, near Aleppo. They had 11 children and experienced a number of tragedies. Salwa, their eldest, was just 2 years old when she was found dead, smothered in silt on the riverbank, after having escaped her mother's vigilance for a few moments. A fourth baby lived only a few hours after birth. Nabiha, Rima Hassan's mother, arrived two years later, in 1958.

As the children grew up, the family moved to the Neirab refugee camp, a few kilometers from their village. It was here that a school was opened by UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East). In her Memoirs, Nabiha records her earliest memories as a little girl. She remembers the “big barracks” designed for soldiers during the French Mandate, in which “up to eight families” crammed together, separated by sheets stretched as partitions. Toilets? A hole dug in the ground. Her mother, Malak, is ashamed of her origins and hides them. Her suits, her pumps, her brand-name perfumes, her handbag and the good manners she tries to instill in her children don't go down well with the other refugees. The Aleppine is a middle-class woman lost in a lawless zone. Her husband, Jamil, clings to his dreams of emancipation. Every evening, he hammers home to his children: “For us to be able to return to Palestine, we need neither war nor arms, but education.”

In the camp, the question of return becomes a burning issue. The Palestinian identity is forged there, in the tents and misery, in the humiliation of the lost territories, and the inanity of United Nations Resolution 194 of December 11, 1948, which instituted a right of return for Palestinians - and which was never applied. It stipulates that “those who decide not to return must receive compensation for the loss of their property”. But the Palestinians received nothing. The Arab-Israeli war changed the situation, and Prime Minister David Ben-Gurion was not in favor of the return of the exiles: “It would not be an act of justice to repatriate the Arabs to Jaffa, but madness. Those who declared war on us must bear the consequences after suffering defeat.”

Neirab camp, Syria, 1950. PERSONAL ARCHIVE

In 1949, Lebanon closed its border with Israel. The following year, the “Absentees’ Property” law authorized the Israeli government to confiscate unoccupied Palestinian land, thus hindering any possibility of return. The Six-Day War in 1967 ended in a crushing Israeli victory, burying any dream of imminent return home.

Emigration to Saudi Arabia

Neirab is Syria's densest camp. As the years went by, the wooden barracks solidified, first in clay, then in cement. Neirab became permanent. The temporary became permanent, reflecting the hybrid status of refugees in the country. The Palestinian identity becomes one of exile. Accepted, tolerated, but above all a camp identity. Palestinians in Syria have the right to own a company or a business, but they have no access to citizenship. A child born in Syria to a Palestinian father, even if born in Syria, is considered a Palestinian, not a Syrian, national. In the 1970s, the oil boom in the Gulf countries gave Jamil a chance, and he emigrated to Saudi Arabia. His daughter Nabiha landed a job in the same country, teaching natural sciences and mathematics at a girls' school.

Nabiha as a student. PERSONAL ARCHIVE

The young woman, viscerally free and secular, arrives at Riyadh airport in skin-tight jeans, her hair loose and five volumes of Lenin's works in her backpack, unaware that veiling is compulsory in the kingdom and that the Communist author is banned. One day, a convoy of Cadillacs and Rolls-Royces circles the city and parks in front of the Mobarak home. A delegation of men, led by the mukhtar (the town mayor), knocked on the door. Jamil opens the door: it's a marriage proposal. They offer him 1 million ryals (around €240,000, USD 260,000) for his daughter's hand in marriage. Nabiha then hears loud voices and her father's firm “no”. “And why not?” asks the mukhtar. “I don't want to see my daughter dressed all her life in black, like a crow,” replies Jamil.

Every summer, Nabiha returns to the Neirab camp in Syria. One day, she met Ahmad, a friend of her brothers: “He was tall and elegant, with his beige pants, his impeccable white shirt and his black belt,” she wrote in her memoirs, written at the end of her life. He asked her to marry him. The young woman was 23 and let herself be tempted. “Are you sure, Nabiha? I've got a bad feeling about this” says her father. You're beautiful, you're free, you can find someone else.” This was Jamil's last piece of advice to his daughter. He died a few months later in a work accident in Riyadh.

In August 1982, Nabiha married Ahmad, in an atmosphere weighed down by the absence of her brothers, who had left to fight in Lebanon, where civil war had been raging for several months. Their marriage quickly fell apart. Ahmad was born and raised in the camp, like Nabiha. But he was not protected by the aristocratic ancestry of a Syrian mother. “My father grew up in poverty and violence,” says Rima Hassan.  “At the age of 5, he was shining shoes in Aleppo with his cobbler father.” Nabiha's return to the camp sealed the end of her freedom. At Ahmad's request, she stopped working at the UNRWA school where she was a teacher. She became pregnant, once, twice - twins -, three times, four times. And finally, in 1992, Rima was born. The sixth and last of a family that was beginning to crack.

Nabiha then wakes up: she knows all too well the fate of the little Palestinians who are born, live and die in the camp, endlessly reproducing the cycle of misery and resentment. She knows the cost of clinging to lost illusions. At home, she suffocates. Her husband prevents her from going out and forces her to wear the veil. Nabiha realizes she has to leave everything behind. She filed for divorce and applied for several visas: first to Canada, where one of her brothers had emigrated, then to France, where her sister lived.

Nabiha (right), with her daughter Rima in her arms and her sister on the left. PERSONAL ARCHIVE

Nabiha and Rima as a child. PERSONAL ARCHIVE

Finally, in 1995, she obtained a visa for France. In Niort, where she arrived, she worked tirelessly. By day, she gave Arabic lessons and worked as a hospital caregiver; by night, she worked in a restaurant as a cook. She spends her rare spare hours at the library learning French, a sine qua non for obtaining a permanent job. And above all, to bring her children, who had stayed in the camp with their father and Malak, their grandmother. It will take her six years to achieve this. And eight more to obtain French nationality: “My mother thought she would have to sing the Marseillaise at the ceremony. So, for days on end, she listened to it over and over, making us rehearse with her,” recalls Rima.

Rima's return to Syria

In 2005, Malak died of a stroke in the camp. Nabiha was heartbroken. In 2011, the Syrian civil war prevented her from returning to Neirab to visit her mother's grave. And her health was declining. Cancer had been eating away at her for years. “But even when she was ill, she never stopped working,” says Rima. Between her chemotherapy sessions, she obtained her baccalaureate, began studying history at university, and set up a Syrian-Lebanese restaurant. She remarried, divorced again. Then she wrote her Memoirs in a few days, on her hospital bed, in perfect French. Her diary ends thus: “I am satisfied with everything I have done in my life. I am so happy to have my children with me so often, to feel surrounded. I still have one wish: to regain enough energy to be able to return to Syria and see the rest of my family again. “

Her daughter, Rima, took charge. In May 2023, three years after her mother's death, she returned to Neirab. She found her father, whom she hadn't seen for twenty years. She recognized the old house where they used to live, “so little changed”. And then she went to visit the grave of her grandmother, her beloved Malak and her silk scarves. As fate would have it, “she was buried in one of the camp's five cemeteries, right next to my paternal grandfather's grave”. On her plaque, someone had engraved her title of nobility. Malak, the Aleppine, the bourgeois, the foreigner. Faithful to the destiny of the Palestinians, even in death.

Rima Hassan in May 2023, in the former house of the Neirab camp where she lived until she was 10. PERSONAL ARCHIVE