01/08/2025

GIDEON LEVY
Ce n’est pas juste une guerre, c’est un génocide, et il est commis en notre nom

Gideon Levy, Haaretz, 30/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Deux importantes organisations israéliennes de défense des droits humains ont nommé ce que d’autres continuent de nier : la campagne menée à Gaza n’est pas seulement brutale ou disproportionnée, elle vise délibérément à détruire un peuple. Les preuves sont accablantes, l’intention indéniable et le silence complice.


Un journaliste montre le résumé du rapport « Notre génocide » publié par B’Tselem lors d’une conférence de presse à Jérusalem, lundi. Photo Maya Alleruzzo/AP

Le moment est venu. Il n’est plus possible de tourner autour du pot et d’éviter de donner une réponse. Nous ne pouvons plus nous cacher, éluder, marmonner, apaiser et obscurcir. Nous ne pouvons pas non plus nous accrocher à des sophismes juridiques sur la « question de l’intention » ou attendre la décision de la Cour internationale de justice de La Haye, qui ne sera peut-être rendue que lorsqu’il sera trop tard.

Il est déjà trop tard. C’est pourquoi le moment est venu d’appeler l’horreur par son nom – et son nom complet est génocide, l’extermination d’un peuple. Il n’y a pas d’autre façon de le décrire. Sous nos yeux horrifiés, Israël commet un génocide dans la bande de Gaza. Cela n’a pas commencé aujourd’hui, cela a commencé en 1948. Mais aujourd’hui, les preuves sont suffisantes pour appeler par son nom monstrueux ce qui se passe dans la bande de Gaza.

C’est un moment de désespoir, mais aussi de libération. Nous n’avons plus besoin d’éviter la vérité. Lundi, dans le sous-sol d’un hôtel de Jérusalem-Est, deux importantes organisations israéliennes de défense des droits humains ont annoncé que les dés étaient jetés. B’Tselem et Physicians for Human Rights ont déclaré qu’elles étaient parvenues à la conclusion qu’Israël commettait un génocide. Elles l’ont fait devant des dizaines de journalistes du monde entier et une représentation honteusement clairsemée des médias israéliens.

D’une fiabilité et d’un courage incomparables, ils ont franchi une étape historique. Il était évident que leurs porte-parole n’avaient pas la tâche facile. Le malaise était palpable dans la salle de conférence.

B’Tselem a intitulé son rapport « Notre génocide » – et c’est bien d’un génocide qu’il s’agit, et c’est le nôtre. Cette déclaration dramatique a été accueillie en Israël avec un mépris quasi total. Mais cela aussi prouve la gravité de la situation. Le génocide est presque toujours nié par ceux qui le commettent.

La signification est grave. Vivre dans un pays dont les soldats commettent un génocide est une tache indélébile, un visage déformé qui nous regarde dans le miroir, un défi personnel pour chaque Israélien. Ce terme soulève de profondes questions sur le pays et notre part dans ce crime. Il nous rappelle d’où nous venons et soulève des questions difficiles sur notre avenir. Le plus facile maintenant, c’est la charge de la preuve. La confirmation juridique viendra peut-être de La Haye, mais les preuves morales s’accumulent chaque jour.

Un enfant palestinien souffrant de malnutrition dans le camp d’Al-Shati à Gaza, la semaine dernière. Photo Jehad Alshrafi/AP

Depuis des mois, les rares personnes en Israël qui voient dans la bande de Gaza une question d’intention souffrent. Israël a-t-il vraiment l’intention de commettre un génocide, ou a-t-il peut-être provoqué ces résultats sans le vouloir ? Cette question est désormais superflue. Ce n’est pas le nombre de morts et l’ampleur des destructions qui l’ont fait disparaître de l’ordre du jour, mais la manière systématique dont elles sont perpétrées.

Lorsque vous détruisez 33 hôpitaux sur 35, l’intention est claire et le débat clos. Lorsque vous effacez systématiquement des quartiers, des villages et des villes entiers, les doutes quant à vos intentions n’ont plus lieu d’être. Lorsque vous tuez chaque jour des dizaines de personnes qui font la queue pour obtenir de la nourriture, la méthode a été prouvée sans l’ombre d’un doute. Lorsque vous utilisez la famine comme arme, il n’y a plus aucun doute possible.

Il ne manque plus rien pour comprendre que ce qui se passe à Gaza n’est pas le dommage collatéral d’une guerre horrible, mais bien l’objectif. La famine, la destruction et la mort à grande échelle sont le but, et de là, le chemin vers la conclusion est court : le génocide.

Israël a clairement l’intention de détruire la société palestinienne dans la bande de Gaza, de la rendre invivable. Il a l’intention de la nettoyer ethniquement, que ce soit par le génocide ou le transfert de population, de préférence les deux.

Manifestation organisée par Standing Together à Tel Aviv la semaine dernière. Photo Tomer Appelbaum

Cela ne signifie pas que la cabale aboutira complètement, mais elle va dans le sens de cette solution absolue. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, père de cette cabale et son principal exécutant, l’appelle « victoire totale », et cette victoire est le génocide et le transfert de population. Netanyahu et son gouvernement ne feront aucun compromis. Pendant ce temps, les partis juifs de l’opposition n’ont personne qui s’y oppose vraiment.

Israël n’a plus personne pour arrêter cette marche vers le génocide ; il n’y a que ceux qui l’ignorent. Aussi effrayant que cela puisse paraître, le danger existe que cela ne s’arrête pas à Gaza. Ils ont déjà mis en place l’infrastructure idéologique et opérationnelle nécessaire à cet effet en Cisjordanie. Les citoyens arabes d’Israël pourraient bien être les prochains sur la liste. Il n’y a personne pour l’arrêter, et nous devons l’arrêter.

➤Lire le rapport de B'Tselem en français

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