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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

31/03/2022

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
À l'occasion du 40e anniversaire de la guerre des Malouines : quelques leçons à retenir

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 31/3/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

En 1982, j'étais au Nicaragua. C'était les premières années de la révolution sandiniste et je travaillais dans l'armée. Un jour d'avril, quelqu'un dont je ne me rappelle malheureusement pas le nom m'a demandé si j'étais prêt à aller aux Malouines pour combattre aux côtés du peuple argentin dans la lutte pour récupérer les îles de la domination coloniale britannique.

J'avais un peu plus de 25 ans et je n'avais encore jamais été confronté à un dilemme éthique d'une telle ampleur. Cela signifiait apporter une contribution à la juste aspiration de l'Argentine à récupérer la souveraineté d'un territoire qui, par l'histoire et la justice, lui appartient, mais cela signifiait aussi me mettre aux ordres d'une dictature satrape, violatrice des droits humains, ce pour quoi elle était répudiée par la grande majorité de l'humanité décente de la planète.


Bien que le contingent qui avait été autorisé à combattre n'ait pas rejoint le combat, il était impossible d'éviter la polémique interne née de la nécessité de résoudre la controverse morale qui nous a tourmentés pendant plusieurs semaines.

«Les Malouines sont argentines» : banderole exposée par l’équipe nationale argentine à La Plata, avant un match face à la Slovénie, en juin 2014

La résolution de cette lutte intime a fourni de précieux outils de gestion politique pour l'avenir. L'un d'eux était de comprendre que la dimension tactique doit toujours être subordonnée à l'évaluation et au sens stratégique. Dans ce cas, l’enjeu stratégique était la responsabilité argentine et latino-américaine de récupérer les Malouines comme un impératif de notre propre condition d'hommes et de femmes de ce temps.
La contradiction éthique à laquelle a été confrontée la décision sur le comportement le plus correct à assumer dans cette situation, a mis en évidence et indique sans équivoque qu'il n'y a aucun obstacle ni aucune limite connue à la nécessité de combattre le colonialisme et l'impérialisme dans toutes leurs manifestations et avec toutes les méthodes à notre disposition. 
Nous, Latino-américains de cette époque, ne pouvons pas vivre dans le doute quant à la manière dont nous devons nous comporter face à certains faits et situations. En ce sens, une conscience critique nous oblige à réfuter l'imposition coloniale qui, en Amérique latine, exerce encore - au XXIe siècle - un contrôle sur les Malouines, Porto Rico et d'autres pays et territoires des Caraïbes.
Se réveiller chaque jour en sachant que la squame coloniale continue de s'étendre comme un cancer dans certaines régions d'un continent qui a décidé d'être libre il y a plus de 200 ans, circonscrit l'idée que la tâche n'est pas encore achevée. Aux premières heures du 2 avril 1982, Ronald Reagan et le général Leopoldo Galtieri ont eu une conversation téléphonique tendue qui a duré environ cinquante minutes. Le dictateur argentin ne s'est pas senti à l'aise ou satisfait une fois l'entretien avec le président usaméricain terminé. Galtieri avait secrètement espéré obtenir un soutien clair de Reagan, ou au moins une neutralité effective et complice qui permettrait d'éviter une réaction utilisant toute la force de ses armes. Au contraire, le président usaméricain avait essayé à plusieurs reprises de convaincre le général de s'abstenir d'une opération de guerre aux Malouines, et l'avait averti que l' « agression », comme il l'appelait, provoquerait une réponse sûre et énergique de Margaret Thatcher. Enfin, il aurait proposé une médiation face à l'imminence d'un conflit international.

Le 16 juin 1982, un mois et demi après l'annonce par les USA de leur soutien inconditionnel à la Grande-Bretagne, Galtieri reconnaît publiquement dans un message au pays la défaite des troupes argentines face aux forces britanniques. Quelques jours plus tard, Galtieri lui-même, dans une interview avec la journaliste Oriana Fallaci, reconnaît avec amertume et déception, entre autres, le rôle des USA dans la défaite, qualifiant leur action de « trahison ». 
Le même jour et le même mois de juin, Nicanor Costa Méndez, diplomate de carrière, anticommuniste invétéré, très proche des USA et ministre des Affaires étrangères du gouvernement argentin, dut reconnaître la capitulation qu'il attribuait à la supériorité militaire et technologique de la Grande-Bretagne et de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), acceptant avec amertume la participation décisive des USA, qui agissaient davantage comme membre de l'alliance militaire qui unit les deux pays que comme membre du Traité interaméricain d'assistance réciproque (TIAR). Le ministre argentin des Affaires étrangères a ensuite annoncé de manière surprenante le démantèlement du système de défense et du pacte hémisphérique face au mépris du gouvernement usaméricain pour ses résolutions.


Fresque murale rappelant la guerre des Malouines dans une rue de Buenos Aires, en Argentine. Photo Juan Mabromata/AFP

Le désarroi amer et douloureux des généraux argentins face à l'abandon yankee, qui a même conduit Galtieri à les traiter de traîtres, a montré que leur formation les empêchait de comprendre l'essence impérialiste de la politique étrangère usaméricaine, dans laquelle il existe une longue histoire de liens avec les pays au sud du Rio Bravo, invariablement basés sur leurs intérêts économiques, leur expansion et leur domination, plutôt que sur des principes et des engagements éthiques et politiques.

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
En el 40 aniversario de la guerra por Malvinas : algunas enseñanzas para recordar

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 31/3/2022

En 1982 me encontraba en Nicaragua. Se vivían los primeros años de la revolución sandinista y yo trabajaba en el Ejército. Un día de abril, alguien cuyo nombre lamentablemente no he podido recordar me preguntó si estaba dispuesto a ir a las Malvinas a combatir junto al pueblo argentino en la lucha por recuperar las islas del dominio colonial británico.

Tenía poco más de 25 años y nunca antes me había visto obligado a enfrentar un dilema ético de tamañas dimensiones. Se trataba de hacer un aporte a la justa aspiración argentina de rescate de la soberanía de un territorio que por historia y por justicia le pertenece, pero también significaba ponerse a las órdenes de una dictadura sátrapa, violadora de los derechos humanos por lo que era repudiada por la amplia mayoría de la humanidad decente del planeta.

Aunque la incorporación al combate del contingente que había dado el visto bueno para su participación en la contienda no se concretó, fue imposible evitar la controversia interna que emergió de la necesidad de resolver la polémica que en términos morales nos acosó durante varias semanas. 


Juli, Rosario

La resolución de dicho forcejeo íntimo entregó valiosos instrumentos de manejo político de cara al futuro. Uno de ellos fue entender que la dimensión de lo táctico siempre debe subordinarse a la evaluación y sentido de lo estratégico. En este caso, lo estratégico era la responsabilidad argentina y latinoamericana de recobrar las Malvinas como imperativo de nuestra propia condición de hombres y mujeres de este tiempo.

La contradicción ética que encaraba la decisión sobre el comportamiento más correcto a asumir en esta situación, señalaba y señala inequívocamente que no hay impedimento alguno ni límite conocido ante la necesidad de combatir al colonialismo y al imperialismo en todas sus manifestaciones y con cualquier método a nuestro alcance.

Los latinoamericanos de esta época no podemos vivir dudando del comportamiento que se debe contraer ante algunos hechos y algunas situaciones. En este sentido, la conciencia crítica nos obliga a refutar la imposición colonial que en América Latina ejerce todavía -en el siglo XXI- el control sobre las Malvinas, Puerto Rico y otros países y territorios del Caribe.

Despertarse todos los días sabiendo que la costra colonial continúa extendida como un cáncer en algunas áreas de un continente que decidió ser libre hace más de 200 años, circunscribe a la idea de que la tarea aún no ha sido culminada

Durante aquella madrugada del 2 de abril de 1982, Ronald Reagan y el General Leopoldo Galtieri, mantuvieron un tenso dialogo vía telefónica que duró aproximadamente cincuenta minutos.  El dictador argentino no se sintió cómodo ni satisfecho una vez finalizada la entrevista con el presidente estadounidense.  Galtieri tenía la secreta esperanza de obtener un claro respaldo de Reagan, o al menos una efectiva y cómplice neutralidad que contribuyera a impedir una reacción británica en la que podría emplear todo el poder de sus armas. Por el contrario, el mandatario estadounidense había intentado en reiteradas ocasiones convencer al general que se abstuviera de una operación bélica en las Malvinas, y le advirtió que una “agresión”, como la calificó, provocaría una segura y enérgica respuesta de Margaret Thatcher. Finalmente le habría ofrecido intermediar ante el inminente conflicto internacional.

 El 16 de junio del año 1982, un mes y medio después de que Estados Unidos anunciara su apoyo irrestricto a Gran Bretaña, Galtieri reconoció públicamente en un mensaje al país, la derrota de las tropas argentinas a manos de las fuerzas británicas. Pocos días más tarde, el propio Galtieri en entrevista concedida a la periodista Oriana Fallaci, entre otras cosas admitió con amargura y decepción el papel de Estados Unidos en la derrota llegando a calificar el proceder norteamericano como una “traición”.

En el mismo día y mes de junio, Nicanor Costa Méndez, diplomático de carrera, inveterado anti comunista, muy cercano a Estados Unidos y Ministro de Relaciones Exteriores del gobierno argentino,  debió reconocer la capitulación que adjudicó a la superioridad militar y tecnológica de Gran Bretaña y la Organización del Tratado del Atlántico Norte (OTAN), aceptando con amargura  la determinante participación de Estados Unidos, que actuó más como integrante de esa alianza militar que une a los dos países, que como miembro del Tratado Interamericano de Asistencia Reciproca  (TIAR). A continuación, el canciller argentino de manera sorprendente, anunció la desarticulación del sistema y pacto de defensa hemisférico ante el desconocimiento de sus resoluciones por parte del gobierno estadounidense.

30/03/2022

ANTONIO MAZZEO
Israël et le Maroc signent un accord historique d'échanges économico-militaires

Antonio Mazzeo, Africa ExPress, 26/3/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L'industrie aéronautique militaire et civile du Maroc se renforce grâce à l'assistance technique et financière d'Israël. Le 23 mars, un accord de coopération « historique » a été signé entre le ministre marocain de l'industrie et du commerce, Ryad Mezzour, et le président du conseil d'administration d'IAI - Israel Aerospace Industries, Amir Peretz [ancien leader du parti travailliste, ancien ministre de la défense, né à Bejaâd au Maroc et possédant la double nationalité israélienne et marocaine, NdT].


« Ce mémorandum s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la Déclaration de coopération Maroc-Israël qui a été signée à Rabat le 22 décembre 2020, par laquelle les deux pays ont exprimé leur volonté de promouvoir une coopération bilatérale dynamique et innovante dans le domaine de l'investissement technologique », rapporte le site spécialisé Israeldefense.

L'accord stipule notamment que les autorités gouvernementales marocaines et les dirigeants de la holding industrialo-militaro-financière israélienne lanceront des programmes visant à promouvoir l'impression 3D et la production de pièces internes pour les cabines, les moteurs et les aérostructures, ainsi que la création d'un centre de recherche et de développement en ingénierie au Maroc pour fournir des composants d'aéronefs à l'industrie nationale marocaine, avec l'assistance et les conseils techniques d'IAI.

Le gouvernement marocain a expliqué aux médias que l'accord avec les Israéliens répond aux « priorités de promotion de la formation avancée, de l'emploi et de la production nationale, ainsi que de la recherche et de l'innovation ».

« Ce que nous avons scellé est un partenariat stratégique pour les deux pays », a expliqué le ministre Ryad Mezzour. « Celal ouvre la voie à une collaboration fructueuse dans l'industrie aérospatiale. L’accord tire parti de l'expérience d'IAI et de l'expertise technologique de notre plateforme aérospatiale et constitue un moteur de croissance pour l'investissement et le développement dans ce secteur industriel très avancé ».

Pour le groupe israélien, le mémorandum avec le Maroc est une étape supplémentaire dans le renforcement de sa présence sur le marché continental africain. « Je suis convaincu de l'incroyable potentiel qui existe aujourd'hui au Maroc et nous n'en sommes qu'au début », souligne Amir Peretz, PDG d'IAI. « Ensemble, nous allons créer des équipes qui feront de notre vision une réalité. Les industries israéliennes et le Maroc vont conjointement promouvoir et commercialiser des projets dans le domaine de l'aviation ».

Au cours de son séjour au Maroc, la délégation d’IAI a également visité le complexe industriel de Nouaceur (dans la région de Casablanca-Settat) où sont effectués les travaux de maintenance et de modernisation des avions, ainsi que l'IMA, l'Institut des métiers de l'aéronautique de Casablanca.

À la mi-février, le quotidien financier Globes de Tel Aviv, citant des sources anonymes de la défense israélienne, a rapporté que les forces armées marocaines et les responsables d'IAI avaient conclu un accord pour l'achat d'un certain nombre de systèmes de défense antimissile « Barak MX ADS » pour un montant de 500 millions de dollars.

Selon IAI, le "Barak MX ADS" est un système de missiles "capable de se défendre contre des menaces aériennes multiples et simultanées, telles que des missiles de croisière, des drones, des hélicoptères, provenant de sources et de distances différentes". Le système de missiles se décline en plusieurs modèles : le "Barak MRAD", d'une portée opérationnelle de 35 km, le "Barak LRAD", de 70 km, et le "Barak ER", de 150 km. "Ils sont soutenus par des radars de différentes portées et configurations", ajoute IAI. "Tous ses composants (le centre de gestion de combat, les lanceurs avec intercepteurs et radars) peuvent fonctionner à partir d'une infrastructure permanente ou être montés à bord de camions et transférés sur des sites opérationnels temporaires."

En plus du système de missiles "Barak", le Maroc a également l'intention d'acheter un lot de drones kamikazes "Harop" (avions sans pilote armés de bombes et d'explosifs qui explosent à l'impact avec la cible) aux industries aérospatiales israéliennes. Le "Harop" est un petit avion sans pilote (2,5 mètres de long), mais il peut transporter une charge de 20 kg d'explosifs et voler pendant sept heures consécutives jusqu'à 1 000 kilomètres.

A l'occasion de la visite au Maroc du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, les 23 et 24 novembre 2021, après la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays dans le cadre des accords dits d'Abraham, il a été décidé d'implanter dans deux usines industrielles marocaines la production de mini-drones et d'avions sans pilote auto-explosifs, en utilisant le savoir-faire et les technologies d’IAI - et de sa filiale BlueBird Aero Systems.

Au cours des réunions avec les autorités de Rabat - selon les rapports de la société de renseignement israélienne "JaFaJ", qui surveille le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord - le ministre Gantz s'est dit prêt à discuter avec l'administration usaméricaine pour faciliter la vente de chasseurs-bombardiers F-35 de cinquième génération et d'autres systèmes d'armes avancés au Maroc, en réponse au réarmement de l'Algérie voisine, qui négocie avec la Russie l'achat d'un lot de chasseurs Su-57 "Felon".

De nouvelles commandes militaires entre le Maroc et Israël pourraient être facilitées par l'accord de coopération économique signé le 20 février lors de la visite à Rabat de la ministre israélienne de l'économie, Orna Barbivay. En 2021, la valeur des échanges entre les deux pays a dépassé 70 millions de dollars.

 

 

 

 

29/03/2022

JORGE MAJFUD
Qui est piégé dans la guerre froide ?
Réponse à un article du Monde sur la « gauche latina pro-Poutine »

Jorge Majfud, 29/3/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le quotidien Le Monde a publié le 27 mars un vaste réquisitoire contre les « intellectuels de gauche » latino-américains, selon lequel nous n'approuvons pas l'invasion de Poutine mais rejetons sur l'OTAN la responsabilité d'avoir provoqué le conflit. Ignacio Paco Taibo II a été accusé d'avoir dénoncé « la nouvelle censure des éditeurs russes par la Foire internationale du Livre de Guadalajara », ce qui ne signifie pas non plus qu'il approuve la censure russe des médias occidentaux.


En ce qui me concerne, le journal français offre un échantillon d'interprétations légères du genre: 

« Dans une série de tribunes publiées dans le quotidien argentin Pagina 12, l’intellectuel uruguayen Jorge Majfud porte la voix de cette gauche qui reste très discrète sur le sujet, et expose « pourquoi une bonne partie de la gauche mondiale soutient Poutine ». « Poutine est trop intelligent pour les leaders d’Occident », lance-t-il, tirant le fil de la posture anti-OTAN et anti-Etats-Unis avec ceci : « L’unique argument que les pouvoirs hégémoniques comprennent est celui des bombes atomiques. »

Et le journal d’enfoncer le clou :

« La guerre russe, « c’est tristement simple », est une « réaction » à une « action largement exercée par Washington », écrit-il encore.

Je ne suis ni la voix de la gauche, ni discrète et encore moins timide. Dites-le à ceux qui nous menacent et nous accusent d'être des radicaux, simplement parce que nous ne nous alignons pas sur le radicalisme belliciste des gentils ou le deux poids deux mesures qui conduit des personnages infâmes comme Condoleezza Rice à affirmer que l'invasion « viole les lois internationales ». Ou un George Bush encore plus néfaste, qui a condamné Poutine pour avoir lancé une guerre “sans provocation et sans justification." Ou le président Joe Biden, déclarant que Poutine est “un criminel de guerre”, un titre qu'il n'accepterait jamais pour aucun ancien président de son pays.

Sans compter les doubles standards classiques des racistes camouflés qui ont magiquement ouvert les frontières de l'Europe pour accueillir les réfugiés ukrainiens, une politique qui aurait été tout à fait correcte si ces mêmes frontières n'avaient pas été fermées à ceux qui fuyaient le chaos de l'Afrique et du Moyen-Orient, chaos produit par les invasions, les pillages, les massacres et les guerres des puissances nord-occidentales pendant deux siècles. Sans parler de l'ouverture magique des frontières par Washington pour accueillir 100 000 réfugiés ukrainiens, ou des rapports sur les facilités que les Ukrainiens trouvent pour traverser la frontière avec le Mexique, cette même frontière qui a toujours été fermée aux réfugiés du sud, enfants et femmes, réfugiés du chaos créé par Washington en Amérique centrale, dans les Caraïbes et au-delà, avec ses dictatures et ses massacres depuis avant, pendant et après la guerre froide. C'est le cas d'Haïti, bloqué et ruiné depuis qu'il est devenu le premier pays libre des Amériques en 1804 et saigné à blanc jusqu'à hier, par la France, par les dictatures des Duvalier, par la terreur des paramilitaires de la CIA, les coups d'État contre Aristide ou l'imposition néolibérale qui ont ruiné le pays, pour ne citer qu'un exemple. Lorsque ces personnes ont fui le chaos, elles ont été pourchassées comme des criminels. En 2021, nous avons assisté à la chasse aux Haïtiens à la frontière, à cheval, comme on chassait les esclaves au XIXe siècle.

Les journalistes des chaînes occidentales ont été encore plus directs, qui ont rapporté la tragédie des Ukrainiens comme quelque chose d'inadmissible, vu que ce sont des "chrétiens blancs", des "gens civilisés", des "blond·es aux yeux bleus". Ou des hommes politiques, comme le député polonais du parti au pouvoir Dominik Tarczyński, qui a fièrement confirmé qu'ils étaient ouverts à l'immigration ukrainienne parce qu'ils étaient des "gens pacifiques", mais qu'ils n'accueilleraient pas un seul réfugié musulman. Zéro. Sur des chefs nazis violents comme Artiom Bonov, réfugiés dans son pays, silence radio.

Comme exemple à suivre, Le Monde a salué "le jeune président chilien, Gabriel Boric" qui a « condamné sans ambages « l’invasion de l’Ukraine, la violation de sa souveraineté et l’usage illégitime de la force » ». En d'autres termes, si vous ne comprenez pas que la réalité est un match de football et que vous devez être à cent pour cent dans un camp sans critiquer l'autre, c'est parce que vous êtes dans un camp sans critiquer l'autre.

Ce n'est pas un hasard si, depuis des générations, les puissances impériales n'ont pas accepté d'être appelées par ce nom. Pour elles, ce n'est pas le moment de mentionner l'impérialisme occidental. Ce n'est jamais le bon moment pour parler d'impérialisme, à moins qu'une autre puissance militaire ne songe à faire de même.

Le Monde nuance lorsqu'il me cite à nouveau sur un point que nous répétons depuis des mois avant la guerre : « Que l’on considère que l’OTAN est le premier responsable du conflit en Ukraine ne signifie pas que l’on soutient Poutine, ni aucune guerre… ». Mais dans sa façon de penser, ce n'est là qu’un détail sans importance. La thèse est autre : la critique de l'OTAN est due au fait que « l'anti-américanisme reste ancré dans le sous-continent ». Comme le vieil argument enfantin selon lequel « ils nous détestent parce que nous sommes riches et libres ».

Récemment, John Mearsheimer, professeur à l'université de Chicago et expert de la région, a accusé les USA d'être responsables de la guerre en Ukraine dans The Economist et The New Yorker. Il y a quelques jours, Noam Chomsky m'a rappelé que non seulement il avait mis en garde, il y a des années, contre le danger d'une guerre si on ne maintenait pas la neutralité de l'Ukraine, mais aussi que « George Kennan, Henry Kissinger, le chef de la CIA et pratiquement tout le haut corps diplomatique qui connaissait un tant soit peu la région étaient du même avis. C'est fou ».

C'est fou, mais il y a une explication : la cupidité sans limite des marchands de mort, contre lesqujels le président et général Eisenhower lui-même avait mis en garde dans son discours d'adieu comme étant un danger majeur pour la démocratie et les politiques des USA.

Maintenant, que nous soyons d'accord avec Kissinger et la CIA elle-même sur les causes du conflit ne signifie pas que nous soyons d'accord sur les objectifs. Un exemple que j'ai signalé dans mon livre La Frontière sauvage résume tout : la CIA a inoculé à la population latino-américaine l'idée que les dictatures fascistes d'Amérique latine devaient combattre le communisme et que, par exemple, Salvador Allende allait faire du Chili un nouveau Cuba, alors que ses agents et analystes rapportaient le contraire : s'ils n'avaient rien fait, il est fort probable qu'en raison de la politique de ruine de l'économie chilienne menée par Washington, Allende aurait perdu les élections suivantes. Mais l'objectif était de créer un laboratoire néolibéral sous la tutelle d'une dictature, comme si souvent auparavant. La CIA a promu dans la presse latino-américaine et même dans les rues avec des tracts et des affiches un discours auquel elle ne croyait pas et dont elle se moquait même. Aujourd'hui encore, la « menace communiste » inexistante est répétée avec fanatisme par ses majordomes, des politiciens pro-oligarchie à la presse et ses journalistes honoraires et mercenaires.

Pour se faire une idée de la poursuite de cette manipulation médiatique, il suffit de considérer que les agences secrètes occidentales disposent de budgets plusieurs fois supérieurs à ceux qu'elles avaient en 1950 ou 1990 et qu'elles ne les utilisent pas uniquement pour former des milices néonazies en Ukraine, ce qu'elles ont appelé, comme dans tant d'autres pays, « autodéfense ». Des forces d'autodéfense qui n'ont pas servi à empêcher une invasion russe ou la chose même que le président Zelenski veut maintenant négocier, la première exigence de la Russie : la neutralité de l'Ukraine.

Alors, est-ce que ce sont les critiques de gauche qui sont piégés dans la guerre froide ou les mercenaires des grandes entreprises, de l'OTAN et des multiples interventions impérialistes ?

RAÚL ZIBECHI
Ne nous laissons pas écraser par la géopolitique

 Raúl Zibechi, La Jornada, 25/3/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La géopolitique, c'est la pensée et les manières de voir le monde impériales, au service des États les plus puissants. C’est ainsi qu’elle est née et continue de l'être, même si certains intellectuels insistent sur une sorte de géopolitique « de gauche », voire « révolutionnaire ».

La géopolitique est apparue au début du XXe siècle chez les géographes et les stratèges militaires du Nord, qui ont établi un lien entre les réalités géographiques et les relations internationales. Le terme est apparu pour la première fois dans un livre du géographe suédois Rudolf Kjellén, intitulé L'État comme forme de vie. L'amiral usaméricain Alfred Mahan a développé la stratégie de domination navale, tandis que Nicholas Spykman a délimité les régions d'Amérique latine où les USA doivent maintenir un contrôle absolu pour assurer leur domination mondiale.

La géopolitique était très développée dans l'Allemagne du début du 20e siècle et s'est généralisée sous le nazisme. En Amérique latine, les militaires de la dictature brésilienne (1964-1985), comme Golbery do Couto e Silva, se sont appuyés sur la géopolitique pour défendre l'expansion du Brésil, pour finir d'occuper l'Amazonie et devenir l'hégémon régional.


Sécurité alimentaire et guerre d'Ukraine, par Ahmad Rahma, Turquie

Je ne suis pas intéressé par l'approfondissement de cette discipline, mais plutôt par ses conséquences pour le peuple. Si la géopolitique s'intéresse aux relations entre les États, et en particulier au rôle de ceux qui cherchent à dominer le monde, les grands absents de cette pensée sont les peuples, les multitudes opprimées qui ne sont même pas mentionnées dans ses analyses.

Nombre de ceux qui justifient l'invasion de l'Ukraine par la Russie remplissent des pages dénonçant les atrocités commises par les USA. L'un d'eux, José Luís Fiori , nous rappelle que « les États-Unis ont effectué 48 interventions militaires dans les années 1990 et se sont engagés dans plusieurs guerres sans fin au cours des deux premières décennies du XXIe siècle » (https://bit.ly/36hrNbt).

Il ajoute qu'au cours de cette période, les USAméricains "ont mené 24 interventions militaires dans le monde et 100 000 bombardements aériens, et rien qu'en 2016, sous l'administration de Barack Obama, ils ont largué 16 171 bombes sur sept pays ».

La logique de ces analyses est la suivante : l'empire A est terriblement cruel et criminel ; mais l'empire B est beaucoup moins nuisible parce que, évidemment, ses crimes sont beaucoup moins nombreux. Puisque les USA sont une machine impériale qui tue des centaines ou des dizaines de milliers de personnes chaque année, pourquoi élever la voix contre quelqu'un qui n'en tue que quelques milliers, comme la Russie ?

Il s'agit d'une manière servile  et calculatrice de faire de la politique qui ne tient pas compte de la douleur humaine, qui considère les gens comme de simples numéros dans les statistiques de la mort, ou qui les considère comme de la chair à canon, comme des numéros sur une échelle qui ne mesure que les profits des entreprises et des États.

Au contraire, nous, les gens d'en bas, mettons en avant le peuple, les classes opprimées, les couleurs de peau et les sexualités. Notre point de départ ne sont pas les États, ni les forces armées, ni le capital. Nous n'ignorons pas qu'il existe un scénario global, des nations expansionnistes et impérialistes. Mais nous analysons ce scénario afin de décider comment agir en tant que mouvements et organisations d'en bas.

Dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, écrit en 1916 pendant la Première Guerre mondiale, Lénine a analysé le capitalisme monopoliste comme étant la cause de la guerre. Mais il n'a pas pris parti et s'est efforcé de transformer le carnage en révolution.

C'est ainsi que travaillait Immanuel Wallerstein. Sa théorie du système mondial vise à comprendre et à expliquer le fonctionnement des relations politiques et économiques sur une planète mondialisée, afin de promouvoir la transformation sociale.

Ce sont des outils utiles pour les peuples en mouvement. Car comprendre le fonctionnement du système, loin de nous conduire à justifier l'un ou l'autre des pouvoirs en conflit, nous amène à prévoir les conséquences qu'il aura sur ceux qui sont en bas de l'échelle.

Les zapatistes appellent le chaos systémique que nous vivons une "tempête" et considèrent également qu'il est nécessaire de comprendre les changements dans le fonctionnement du capitalisme. En ce qui concerne le premier point, la conclusion est que nous devons nous préparer à faire face à des situations extrêmes, que nous n'avons jamais connues auparavant. Avons-nous pensé que les armes atomiques pourraient être utilisées dans les années à venir ?

En ce qui concerne le second point, bien que les zapatistes n'en parlent pas explicitement, autant que je m'en souvienne, il est clair que les 1 % les plus riches ont détourné les États-nations, qu'il n'y a pas de moyens de communication, seulement des médias d'intoxication, et que les démocraties électorales sont des contes de fées, sinon des excuses pour perpétrer des génocides. Par conséquent, ils ne se laissent pas enfermer dans la logique de l'État.

Nous vivons une époque dramatique pour la survie de l'humanité. Nous devons lever les yeux et ne pas nous laisser entraîner dans ce bourbier géopolitique. Lorsque le brouillard est si épais qu'il est impossible de distinguer la lumière de l'ombre, fions-nous aux principes éthiques pour continuer notre cheminement.