Quelqu’un l’a conçu, il y a eu des discussions sur les avantages et les inconvénients, des alternatives ont été proposées, et tout ça s’est déroulé dans des salles de conférence climatisées. Pour la première fois depuis le début de la guerre de vengeance à Gaza, il est clair qu’Israël a un plan – et celui-ci est ambitieux.
Gideon Levy, Haaretz, 20/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Adolf
Eichmann a commencé sa carrière nazie en tant que chef de l’Agence centrale
pour l’émigration juive au sein de l’agence de sécurité chargée de protéger le
Reich. Joseph Brunner, le père du chef du Mossad David Barnea, avait trois ans
lorsqu’il a fui l’Allemagne nazie avec ses parents, avant la mise en œuvre du
plan d’évacuation.
La semaine dernière, Barnea, le petit-fils, s’est rendu à Washington afin de discuter de l’« évacuation » de la population de la bande de Gaza. Barak Ravid a rapporté sur Channel 12 News que Barnea avait déclaré à ses interlocuteurs qu’Israël avait déjà entamé des pourparlers avec trois pays sur cette question, et l’ironie de l’histoire s’est cachée, honteuse. Un petit-fils d’un réfugié victime d’un nettoyage ethnique en Allemagne discute de nettoyage ethnique, et aucun souvenir ne lui vient à l’esprit.
Pour «
évacuer » deux millions de personnes de leur pays, il faut un plan. Israël y
travaille. La première étape consiste à transférer une grande partie de la
population dans un camp de concentration afin de faciliter une expulsion efficace.
La
semaine dernière, la BBC a publié un reportage d’investigation basé sur des
photos satellites, montrant la destruction systématique menée par les Forces de
défense israéliennes dans toute la bande de
Gaza, village après village, des localités sont rayées de la carte, rasées pour
faire place à un camp de concentration, afin que la vie à Gaza ne soit plus
possible.
Les
préparatifs pour le premier camp de concentration israélien battent leur plein.
Une destruction systématique est en cours dans toute l’enclave afin qu’il n’y
ait plus aucun endroit où retourner à part le camp de concentration.
Pour
mener à bien ces travaux, des bulldozers sont nécessaires. La BBC a présenté
deux offres d’emploi. L’une décrivait « un projet de démolition de bâtiments à
Gaza nécessitant des conducteurs de bulldozers (40 tonnes). Le salaire est de 1
200 shekels (308€) par jour, repas et hébergement compris, avec la possibilité
d’obtenir un véhicule privé ». La deuxième annonce précisait que « les horaires
de travail sont du dimanche au jeudi, de 7 h à 16 h 45, avec d’excellentes
conditions de travail ».
Israël
commet en silence un crime contre l’humanité. Il ne s’agit pas ici de détruire
une maison ici et là, ni de répondre à des « nécessités opérationnelles », mais
d’éliminer systématiquement toute possibilité de vie dans cette région, tout en
préparant les infrastructures nécessaires pour concentrer la population dans
une ville « humanitaire » destinée à servir de camp de transit – avant expulsion vers la Libye, l’Éthiopie et l’Indonésie, les destinations
indiquées par Barnea, selon Channel 12.
Tel
est le plan pour le nettoyage ethnique de Gaza. Quelqu’un l’a conçu, il y a eu
des discussions sur les avantages et les inconvénients, des alternatives ont
été proposées, des options de nettoyage total ou par étapes ont été envisagées,
et tout cela s’est déroulé dans des salles de conférence climatisées, avec des
procès-verbaux et des décisions prises. Pour la première fois depuis le début
de la guerre de vengeance à Gaza, il est clair qu’Israël a un plan, et qu’il
est ambitieux.
Ce n’est
plus une guerre sans fin. On ne peut plus accuser Benjamin Netanyahou de mener
une guerre sans but. Cette guerre a un but, et c’est un but criminel. On ne
peut plus dire aux commandants de l’armée que leurs soldats meurent sans raison : ils meurent dans une guerre de
nettoyage ethnique.
Le
terrain est prêt, on peut passer au transfert des personnes, les annonces sont
en cours de publication. Une fois le transfert de la population achevé, et
lorsque les habitants de la ville humanitaire commenceront à regretter leur vie
parmi les ruines, entre famine, maladie et bombardements, il sera possible de
passer à la dernière étape : le placement forcé dans des camions et des avions
à destination de leur nouvelle patrie tant attendue, la Libye, l’Indonésie ou l’Éthiopie.
Si l’entreprise d’aide humanitaire a coûté la vie à des centaines de personnes, la
déportation en coûtera des dizaines de milliers. Mais rien n’empêchera Israël
de réaliser son projet.
Oui,
il y a un plan, et il est plus diabolique qu’il n’y paraît. À un moment donné,
des gens se sont assis et ont concocté ce complot. Il serait naïf de penser que
tout cela s’est produit tout seul. Dans 50 ans, les procès-verbaux seront
rendus publics, et nous saurons qui était pour et qui était contre ce plan. Qui
a pensé à peut-être laisser un hôpital intact.
Outre
les fonctionnaires et les politiciens, il y avait également des ingénieurs, des
architectes, des démographes et des membres du service budgétaire. Il y avait
peut-être aussi des représentants du ministère de la Santé. Nous le saurons
dans 50 ans.
Pendant
ce temps, le chef de l’Agence centrale pour l’émigration palestinienne, David
Barnea, a mis en place une étape supplémentaire. C’est un haut fonctionnaire
obéissant, qui n’a jamais causé de friction avec ses supérieurs. Cela vous dit
quelque chose ? C’est le héros de la campagne d’amputations massives par
talkie-walkie. Si vous l’envoyez sauver des otages, il y va. Si vous l’envoyez
préparer la déportation de millions de personnes ? Pas de problème pour lui.
Après tout, il ne fait qu’obéir aux ordres.