L'auteur est
étudiant en droit à l'Université Bar-Ilan, à Ramat Gan (Tel Aviv).
Lundi soir, le
film jordanien Farha a été projeté au théâtre Alsaraya de Jaffa. Le film
contient une scène dans laquelle un nouveau-né est laissé à mourir de faim afin
de « ne pas gaspiller une balle sur lui ». En réponse, le
gouvernement sortant s'est prononcé contre le film et le cinéma qui l'a
projeté, affirmant qu'il ne présente pas les FDI sous un jour positif. Le
ministre de la Culture Hili Tropper et le ministre des Finances Avigdor
Lieberman ont déjà annoncé qu'ils examineraient la possibilité de révoquer le
budget du théâtre.
La
productrice Deema Azar et l'acteur Ashraf Barhom présentent Farha lors
du festival des Journées du cinéma palestinien, dans la ville de Ramallah, en
Cisjordanie, en novembre. Photo : FILM LAB PALESTINE/ REUTERS
Le film n'est pas flatteur pour les FDI, mais la solution n'est pas de le faire
taire, mais plutôt de parler sérieusement de ce qui s'est réellement passé
pendant la guerre de 1948. Nous devons nous rappeler à quoi ressemblait une
guerre « sans la Haute Cour et sans B'Tselem », et avoir une
discussion publique de fond sur la guerre et ses victimes, et pas seulement un
débat mesquin sur « qui a commencé », comme si la réponse justifiait
de faire du mal à des innocents. Mais selon les ministres Tropper et Lieberman,
une telle discussion n'est pas nécessaire, et toute personne qui soulève ces
questions devrait se voir retirer son financement.
La productrice du film
affirme que Farha est une œuvre artistique qui ne prétend pas être un documentaire,
et que les critiques à son encontre et à l'encontre du cinéma qui a choisi de
le projeter sont donc étranges. Sommes-nous censés accepter l'idée qu'une œuvre
culturelle qui ne plaît pas à quelqu'un n'a pas le droit d'exister ? Cette
conception est particulièrement troublante car elle est le fruit d'une attitude
qui nie les faits et insiste pour dire que la Nakba et le peuple palestinien,
ça n’existe pas. La réaction des ministres au film fait écho à l'amendement sur
la “loyauté culturelle” que Miri Regev a essayé de promouvoir autrefois, mais
alors que l'initiative de Regev s'est immédiatement attirée les foudres des
artistes et d'une grande partie des médias, aucune critique de Tropper et
Lieberman ne se fait entendre.
Tropper et Lieberman,
ministres du gouvernement sortant de “guérison et de changement”, ont
essentiellement montré que rien n'a changé et qu'ils souhaitent perpétuer les
politiques de Regev et du gouvernement précédent. Ils n'incarnent pas une
alternative intellectuelle et idéologique, mais choisissent plutôt d'être une
imitation du gouvernement de droite de Netanyahou. Il n'est donc pas surprenant
que le public choisisse l'original plutôt que la copie.
La critique du ministre
de la Culture n'est pas cohérente avec la position d'unité et de conciliation
qu'il est censé soutenir. Par exemple, lors de la remise des Ophir Awards
l'année dernière, il a déclaré : « Lorsque les choses sont clarifiées de
manière appropriée et respectueuse, c'est bienvenu ». Et aussi : « Pour
ma part, j'ai une identité claire. Entre autres choses, elle inclut le fait
d'être juif, sioniste et patriote israélien, c'est mon identité. J'en suis
heureux, j'en suis fier, mais précisément parce que j'en suis si sûr, je n'ai
aucun problème à écouter et à accepter la critique ».
Si vous n'avez
aucun problème avec la critique, ministre Tropper, je m'attendrais à ce que
vous soyez le premier à faire la queue pour voir le film. Mais vous demandez la
suppression du financement sans même l'avoir vu. Ce n'est pas ainsi que l'on
exprime une identité sûre.
Je suis allé au théâtre
Alsaraya de nombreuses fois. Je peux témoigner de la grande qualité des films
qui y sont projetés et du fait que ce cinéma présente une véritable coexistence
fondée sur l'égalité intellectuelle et culturelle.
L'un des films que j'y ai vu était Tantoura,
un documentaire sur les crimes de guerre présumés commis par des combattants
des FDI dans le village dont le film porte le nom. Ce film n'est pas non plus
flatteur pour les FDI, et il a également été projeté à la Cinémathèque de Tel
Aviv. Mais, bien sûr, Hili Tropper et Avigdor Lieberman ne sont pas sur le
point d'arrêter le financement de la Cinémathèque de Tel Aviv.
Ce qu'ils
veulent faire à Alsaraya donnera une base et une légitimité à la politique du
gouvernement Netanyahou-Ben-Gvir, qui pourrait effectivement chercher à
supprimer le financement de la Cinémathèque. Et alors, avec le recul, nous
comprendrons que non seulement la gauche [sic] a perdu dans les urnes, mais qu'elle
n'a même pas fait l'effort d'être un acteur sur le terrain.
Se tourner vers le passé pour parler
du présent. Revenir sur une année décisive pour la Palestine et se rendre
compte que, plus de soixante-dix ans plus tard, rien n'a changé. Placer
l'histoire en 1948, lorsque les Britanniques sont partis et que les Israéliens
ont commencé la dévastation systématique d'une terre et de ceux qui y avaient
vécu jusqu'alors, pour dire que depuis lors, le peuple palestinien continue de
souffrir d'une occupation qui semble interminable.
Dépeindre, à travers le
personnage d'une adolescente, la tragédie mais aussi la détermination de toute
une population contrainte à l'errance et à l'apatridie (comme le résume Tawfiq
Saleh "pour toujours" dans Les Dupes (1972), basésur le roman Des hommes dans le soleil de l'écrivain palestinien Ghassan Kanafani).
L'adolescente s'appelle Farha et son nom donne le titre au film de Darin J. Sallam (au Festival du film de Rome), une réalisatrice jordanienne qui fait ses débuts en long métrage avec une œuvre d'une grande maturité, puissante, dense et poignante.
Rajaa Natourestune
journaliste, poètesse et défenseuse des droits humains palestinienne née dans le
village de Qalansawe, dans le Triangle sud de l'actuel District central
israélien (Samarie). Elle est titulaire d'une maîtrise en sciences politiques
obtenue à l'université de Bradford, au Royaume-Uni. Elle travaille actuellement
comme correspondante étrangère aux Pays-Bas pour le quotidien Haaretz. @RajaaNatour
La collection de films que Netflix exhibe fièrement n'a rien de
réjouissant : ils se concentrent tous sur la victimisation et l'occupation, au
lieu d'oser affronter les problèmes internes des Palestiniens.
Netflix a lancé le 14 octobre la collection "Palestinian Stories", qui comprendra 32 films réalisés par des Palestinien·nes ou racontant des histoires palestiniennes, ce qui a déclenché la colère de divers groupes sionistes opposés au mouvement BDS de boycott d'Israël [NdT]
Cet article ne contient ni recommandations de
visionnage ni pitié. Netflix a récemment lancé une collection de films
palestiniens intitulée "Histoires palestiniennes". Rien ne justifie,
ni sur le plan artistique ni sur le plan politique, la frénésie médiatique
arabo-palestinienne qui a accompagné sa sortie.
Sur le plan politique, le lancementne signale pas nécessairement un changement
d'attitude du populaire service de streaming à l'égard des Arabes et des
musulmans, dont les représentations sur Netflix sont encore effroyablement
stéréotypées. La démarche n'est pas non plus courageuse ni "audacieuse",
comme l'a affirmé Ameen Nayfeh, un cinéaste palestinien vivant et travaillant à
Ramallah, dans une interview accordée à CNN.
En tant qu'entreprise capitaliste, Netflix a
apparemment compris - en particulier après les récents événements survenus dans
le quartier de Sheikh Jarrah àJérusalem
-Est et dans des villes mixtes en Israël - que le récit palestinien gagne en
popularité au niveau international et devient "sexy". En conséquence,
elle a traduit cela en une brillante opération commerciale. En termes de
réalisation, il n'y a là rien de nouveau sous le soleil, ni
dans la manière dont le cinéma palestinien raconte le récit national, ni en
termes de contenu.
Une scène de
"Giraffada". Crédit : Pyramide International / Netflix
Avant d'aller plus loin, il est important de
savoir quel type de films a été sélectionné, quels cinéastes palestiniens ont
été honorés par leur inclusion, et quand chaque film est sorti en salle - car
ces questions sont essentielles à la discussion.
Pour leur réouverture, les cinémas semblent nous avoir préparé une pochette-surprise de feel good movies , dont le fleuron est l’hagiographique L’oubli que nous serons, avec l’inévitable Javier Cámara, spécialiste, avec le don qu’il a de se faire rougir le bout du nez pour exprimer des émotions intenses, du mélo.
Que
pouvait-on attendre de 200 mètres, d’Amine Nayfeh,
co-production qataro-italo-suédo-jordanienne ? Mustafa habite
chez sa mère, à 200 mètres de sa femme et leurs trois enfants,
séparé d’eux par le Mur israélien ; lorsque son fils a un
accident et que Mustafa veut aller le voir à l’hôpital, ces 200
mètres deviennent, suivant un schéma maintenant bien établi, une
odyssée de 200 km. Qu’apporte cette énième variation sur le
système d’apartheid routier israélien et de check-points où les
Palestiniens s’entassent comme des poissons pris dans la nasse ?
Dans
Paradise now, de 2005, où jouait déjà Ali Suliman, celui-ci
menait, sur les chapeaux de roues, une discussion passionnée sur
l’emploi de la violence, avec une Palestinienne de la diaspora
revenue au pays avec un point de vue occidental. Ici, il a pour
co-passagère Anne, une jeune Allemande qui filme plus vite que son
ombre, artifice de narration qui ne se prend pas vraiment au sérieux,
et qui sert à Nayfeh à se moquer lui-même, et à se justifier, des
ficelles éculées qu’il emploie. L’identité d’Anne est
longtemps mystérieuse : ne serait-elle pas une espionne
israélienne (ici, apparaît la hantise de la manipulation, comme
dans Omar, chef-d’œuvre
de Hany abu-Assad, de 2013) ? Effectivement, on finit par
découvrir qu’elle parle hébreu couramment, et que son père est
juif ; son naïf fiancé, Kifah, se met alors en colère et
essaie de s’emparer de sa caméra et peut-être de la casser, comme
dans Five broken cameras, film que les Israéliens avaient
tenté de faire passer pour palestinien (en jouant grossièrement de
l’ambiguïté entre le héros à la caméra, palestinien, et celui
qui le filmait, qui, lui, est juif) et qui était en fait l’œuvre
de la propagande israélienne. Kifah, en faisant des reproches à
Anne, parle aussi de ce film : pourquoi veux-tu nous filmer ?
pour montrer combien les Palestiniens sont malheureux et que les
gentils Israéliens s’occupent de nous ? Five brokencameras avait en effet pour but d’enfermer les Palestiniens
dans une attitude victimiste et une stratégie légaliste et
judiciaire (filmez les violences israéliennes, réunissez des
preuves, adressez-vous aux tribunaux, mais surtout ne sortez pas de
la légalité ; pendant ce temps, le Mur et les expropriations
de Palestiniens avançaient).
Mais
Mustafa tranche le débat en obligeant Kifah à rendre sa caméra à
Anne, confirmant ainsi le statut de fétiche de l’objet et la
pertinence de la stratégie qui va avec, et ridiculisant la position
que représente Kifah, traité de révolutionnaire à la manque (sa
manie d’arracher des drapeaux israéliens n’a d’autre résultat
que de retarder Mustafa dans son itinéraire vers l’hôpital). Cela
permet même au réalisateur de traiter Kifah de raciste, parce qu’il
se met en colère contre une fille qui veut aider les Palestiniens,
parce qu’elle est a un père juif. On nous suggère même qu’une
Européenne à moitié juive peut mieux aider les Palestiniens que
les Palestiniens eux-mêmes, divisés par leurs querelles internes. A
ce propos, il y a une curieuse séquence, où des Palestiniens
empêchent un jeune co-passager d’escalader le Mur, en criant :
« Ce secteur de mur est à nous »...La séquence se
termine brutalement par un fondu au noir, et on n’en saura pas
plus.
Où
nous mène donc le réalisateur ? Quelles perspectives pour la
famille de Mustafa et tous les Palestiniens pris au piège du Mur et
de toutes les chausse-trapes administratives mises au point par les
Israéliens pour leur pourrir la vie ? Le dénouement est
stupéfiant de futilité : Mustafa continue à téléphoner tous
les soirs pour souhaiter une bonne nuit à ses enfants et à leur
envoyer des signaux lumineux ; mais il a trouvé un système
d’éclairage avec des ampoules de toutes les couleurs qui ravit la
famille ! A quoi bon lutter, quand le bonheur, c’est simple
comme une ampoule… Salwa, la femme de Mustafa l’a compris depuis
longtemps, elle qui, tranquillement collaborationniste, a sollicité
pour son fils un stage d’été dans un club de foot israélien, le
Maccabi de Haïfa, et qui reproche à son mari de leur compliquer
bêtement la vie par son entêtement à ne pas demander la
nationalité israélienne.
Le
site du quotidien tunisien La Pressenous éclaire
sur les non-dits du film : 200 mètres « nous fait
vivre de façon perceptible les « indignités » terribles
de la vie quotidienne des Palestiniens ». C’est-à-dire qu’il
sollicite seulement notre compassion : ce film « n’est
pas du tout dans le discours de la « Cause ». [...]c’est
le cinéma de la « Cause » avec du discours au premier
degré sur la « Cause » qui a fait fuir beaucoup de gens
devant la « Cause » parce qu’il nous donne une
impression de déjà vu ». Difficile de faire mieux dans le
sens de la contre-vérité : alors que les grands films engagés
d’Elia Suleïman ou Hany abu-Assad étaient de vrais coups de
poing, les gentils films victimistes de leurs épigones délavés
tournent en rond, accumulant les redites insipides.
Face
à son fiancé, Anne se défend en disant : « Je voulais
juste comprendre cette merde de situation » : il y a bien
longtemps qu’on a compris, et les films qui veulent encore nous
éclairer sur les difficultés pratiques des Palestiniens sont
parfaitement anachroniques : aujourd’hui, il faut aller plus
loin. Certes, ce sont les hasards de la production et de la
programmation qui amènent ce film en salle après la nouvelle
agression d’Israel contre Gaza, et cette situation nouvelle qu’est
la solidarité des Palestiniens au-delà de leurs différences de
statut légal, voulues par Israel pour les diviser.
Mais
les hasards du calendrier montrent bien que cette histoire familiale
entre un Palestinien de Cisjordanie qui refuse de demander la
nationalité israélienne et sa femme pourvue de cette nationalité
expose une situation trop conforme aux intérêts israéliens et de
toute façon dépassée.