Luis Velasco et Yolanda Clemente, Alconchel, El País, 20/09/2025
Traduit
par Tlaxcala
Les habitants partagent des stratégies pour éviter l’ouverture de mines qui détruiraient leur environnement et leur mode de vie : « Nous sommes un territoire sacrifié pour des intérêts économiques. »
La péninsule
Ibérique est devenue une pièce clé de la stratégie européenne concernant les
minéraux essentiels nécessaires à la fabrication de produits allant des
batteries aux munitions. Sur les 60 projets approuvés par Bruxelles, 11 sont
répartis entre des communes d’Espagne et du Portugal, où la crainte de
nouvelles mines extractivistes a donné naissance à une alliance populaire pour
défendre leurs modes de vie.
À Assumar, un village portugais de 600 habitants situé à 20 kilomètres de la
frontière avec le sud de l’Estrémadure, le silence n’est rompu que par quatre
ouvriers perchés sur un échafaudage, réparant une façade. L’un d’eux descend
lentement lorsqu’on l’interroge sur les minéraux essentiels dans la région de
l’Alentejo. « Il y avait une mine il y a quelques années. Ils disent qu’ils
explorent à nouveau, mais je ne sais rien », tape-t-il dans le traducteur
Google.
Les rumeurs
de ces prospections traversent le Guadiana jusqu’aux plateaux de la région
d’Olivenza (Badajoz), où les habitants sont plus familiers avec le plan
européen visant à extraire des substances telles que le lithium, le tungstène
ou les terres rares.
Rubén Báez (51 ans), coordinateur de la plateforme antimines, accuse la société
Atalaya Mining — héritière des droits de la mine de Riotinto à Huelva —
d’effectuer des forages illégaux sur ce sol protégé par le réseau Natura 2000.
Il affirme au téléphone qu’« il est normal » que de l’autre côté de la
frontière, personne ne soit informé des explorations : « Aucune administration
n’explique rien. C’est la même entreprise qui tente de créer une ceinture
minière allant d’Aguablanca à Jerez de los Caballeros. »
L’ordre
d’expropriation adressé en 2021 à un habitant d’Alconchel (1 600 habitants)
pour rechercher de l’or et du cuivre sur sa propriété a révélé la vérité :
silence institutionnel, forages clandestins et présumée flexibilité légale dans
les rapports d’évaluation environnementale.
Il y a peu d’ombre pour se protéger des 39°C estivaux dans cette commune de
maisons blanches et de toits rouges. La terrasse du bar La Piscina
devient alors le meilleur refuge climatique.
Eli Correa, conseillère municipale de 33 ans du Parti Populaire, et José María,
un éleveur de 44 ans, se souviennent de ce moment :
« Si ce n’avait pas été pour la tentative d’expropriation, nous n’aurions
jamais su ce que préparait Atalaya », dit Correa.
Le bruit des
enfants dans la piscine d’Alconchel sert de toile de fond aux inquiétudes exprimées
par la conseillère :
« Je ne veux pas vivre avec une mine à 100 mètres de ma maison. Ni que l’eau
dont nous dépendons tous ici soit contaminée. Je veux que mon village se
développe, mais pas à n’importe quel prix. »
Le manque
d’informations, comme à Assumar, a poussé José María à parcourir toute la dehesa [pâturage forestier
communal] qui fait vivre les villages de cette région frontalière du
Portugal, durement touchée par la dépopulation et le chômage.
« Nous avons apporté à la mairie (PSOE) les coordonnées exactes et les photos
des forages. Ils n’avaient d’autorisation que sur une seule propriété et en ont
profité pour pénétrer sur les autres », accuse-t-il, assurant qu’Atalaya Mining
a été condamnée à une amende de 4 000 euros par la Confédération hydrographique
du Guadiana (CHD) pour des forages présumés illégaux.
L’entreprise
affirme au journal ne pas chercher à déclarer le projet comme stratégique et
que toutes les campagnes d’exploration menées depuis 2021 disposent « de toutes
les autorisations nécessaires », une activité « contrôlée par de nombreuses
inspections officielles ». Elle ajoute que ces forages sont « peu invasifs et
respectueux de l’environnement ».
Selon Báez, la société continue pourtant à explorer avec une licence désormais
expirée : « Dès qu’ils pourront le déclarer stratégique, ils le feront », conclut-il.
Le
gouvernement régional, dirigé par María Guardiola (Parti Populaire) en
coalition avec Vox, a refusé de répondre sur la protection environnementale du
sol et les autorisations de forage.
Sur son site ouèbe, la Junta présente l’exploitation minière comme une
opportunité de « promotion de la croissance économique » de l’Estrémadure, où
il existe « plus de 1 000 indices » pour lancer des projets viables.
Dans la Sierra de Gata (Cáceres), sept nouvelles excavations pour extraire de
l’étain et du lithium — deux matières premières stratégiques — sont déjà à
l’étude, ainsi que dans les villages de Villanueva del Fresno et Barcarrota
(Badajoz).
Des sources
du ministère pour la Transition écologique expliquent que toutes les
initiatives minières doivent passer par une évaluation environnementale à
laquelle il est possible de présenter des observations, précisant qu’à
l’exception du projet stratégique d’Aguablanca, « les autres projets
d’Estrémadure relèvent de la compétence régionale ».
Elles ajoutent qu’une « information publique » doit être réalisée pour
permettre à quiconque d’« exposer les impacts possibles ».
La plateforme Comarca Olivenza Sin Minas, qui regroupe plus de 100
personnes, affirme n’avoir eu accès à aucune information.
Martín,
avocat de 52 ans, montre sur sa propriété familiale à Táliga (660 habitants,
Badajoz) des photos prises sur le terrain voisin : on y voit des foreuses, un
bassin d’eau et des roches alentour.
« Ils sont entrés sans autorisation municipale, en cachette, comme d’habitude
», dit-il. « Ils agissent avec la même impunité que dans Mississippi Burning,
et tu es obligé d’affronter les ouvriers. S’ils sont en règle, pourquoi se
cachent-ils ? » interroge-t-il.
Selon Báez, la mairie de Táliga a ouvert une procédure de sanction après
l’inspection du SEPRONA [Service de protection de la nature de la Garde
Civile] : « La Direction générale de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines
dit que les prospections sont légales selon leur réglementation, mais elle ne
tient pas compte des règles d’urbanisme, car, selon eux, ce n’est pas de leur
compétence. »
La crainte
que l’objectif européen de ne plus dépendre de pays comme la Chine serve de
prétexte à l’ouverture de nouvelles mines se répand dans toute la péninsule.
Des centaines de villages, des montagnes de Galice et du nord du Portugal
jusqu’à l’Andalousie, en passant par les vallées de Castille-et-León, sont
concernés.
Cette inquiétude a conduit à la création, en 2023, de l’Observatoire ibérique
de la mine (MINOB), où la plateforme d’Olivenza et d’autres villages espagnols
et portugais cherchent un appui juridique pour freiner la fièvre extractiviste.
Joam Evans,
coordinateur du MINOB, décroche le téléphone depuis la Galice, où
l’exploitation minière métallique menace le travail de plus d’un millier de
familles de pêcheurs, selon lui.
Il affirme que la Commission européenne et le ministère ont invoqué des raisons
de sécurité et de défense pour refuser l’accès aux rapports d’impact
environnemental des projets stratégiques demandés au printemps.
Evans note un changement dans le discours officiel : « La transition verte est
dépassée. Ils parlent maintenant de nécessité de réarmement. Les deux mines de
tungstène, matériau utilisé pour fabriquer des munitions et des blindages, ont
un passé désastreux en matière de violations des droits du travail et de
corruption. »
Adriana
Espinosa, experte en extraction minière du MINOB et du collectif Amigas de
la Tierra, critique également le plan européen :
« Nous ne dépendrons pas moins de la Chine, et les importations depuis le Sud
global ne diminueront pas avec ces 60 projets stratégiques », affirme-t-elle.
Elle dénonce aussi des délais de recours « beaucoup trop courts » pour
décortiquer les rapports techniques d’impact environnemental :
« Nous demandons de la transparence à l’Europe, au gouvernement espagnol et aux
autonomies », souligne-t-elle.
Carla Gomes
(43 ans) parle depuis Covas do Barroso, un hameau de 350 habitants dans la
commune de Boticas, au nord du Portugal.
Les habitants luttent depuis 2018 pour arrêter « la plus grande mine de lithium
à ciel ouvert d’Europe », désormais déclarée stratégique par Bruxelles, et qui
a, selon Gomes, rendu inutilisables des terres agricoles.
Ils ont rencontré la même opacité institutionnelle que les habitants d’Olivenza
: « Le gouvernement portugais ne nous a jamais informés des permis
d’exploration. Ce projet n’a aucune garantie environnementale ni sociale »,
dénonce-t-elle.
La
plateforme citoyenne à laquelle participe Gomes est également intégrée au
MINOB, qui tiendra en octobre son assemblée annuelle à Covas do Barroso.
« Nous partageons des stratégies, mais surtout le même sentiment d’être un
territoire sacrifié pour des intérêts économiques et politiques », dit-elle, à
propos de la coordination avec les villages espagnols.
Le ministère
pour la Transition écologique assure que l’activité minière « peut être un
outil très important contre la dépopulation ».
Le plan espagnol, approuvé en 2022, prévoit l’ouverture de nouvelles mines face
à la « demande exponentielle » à venir pour les matières premières
stratégiques.
La nuit
rafraîchit l’air à Olivenza (12 000 habitants, Badajoz).
Emilio, Susan et Quini, trois enseignants membres de la plateforme antimines,
discutent autour d’une bière et de quelques fruits secs.
Une idée flotte dans l’air : l’Estrémadure est la réserve des autres.
« L’Europe veut ce que nous avons ici », dénonce Susan.
Quini enchaîne : « Ils vont hypothéquer l’avenir de nombreuses générations. »
Emilio conclut avant de payer l’addition :
« Ils nous voient comme une vache à lait. Des gens vivent ici. Il faut se
battre pour la vie de notre région. Si tu ne luttes pas pour ça, pour quoi tu
vas le faire ? »



















