Parmi les nombreuses images de la situation tragique de Valence, l’une d’entre elles m’a frappé par sa valeur symbolique. Il s’agit d’un amoncellement de voitures entre les immeubles, dans une étroite rue en pente de la ville espagnole ; empilées au hasard, comme si elles avaient été entassées dans une grande casse automobile, précédées et entremêlées de poubelles, elles sont regardées avec incrédulité, étonnement et résignation par les personnes qui se trouvent à sa base. Mais il s’agissait en fait de voitures neuves, garées le long des rues de la ville et entraînées vers le bas par la furie de l’eau qui s’était abattue pendant quelques heures et qui, en une seule journée, avait dépassé la quantité d’eau qui, en règle générale, tombe en un an.
Je dis « en règle générale », mais la règle n’est plus respectée désormais, sauf, approximativement, dans la quantité totale de précipitations qui, dans la zone méditerranéenne, arrivent sous des formes différentes que par le passé : peu de neige (mais quand elle arrive, elle est abondante), beaucoup de fortes pluies (qui mouillent souvent les gens plus par le bas que sur la tête en raison de la force avec laquelle elles tombent), beaucoup de grêle et de nombreux phénomènes divers tels que des tornades, des ouragans, des éclairs en quantités jamais vues auparavant. Les images sont frappantes parce qu’elles concernent la destruction des signes de « notre » civilisation occidentale: voitures, autoroutes, supermarchés avec garages souterrains, villes couvertes de béton et d’asphalte, systèmes d’alerte électronique, la structure de la gouvernance. Tout ce qui a explosé en Espagne n’était pas « arriéré » et un vestige d’un système économique industriel obsolète ; au contraire, c’était le fruit de ce que notre civilisation a de mieux à offrir, y compris le mécanisme de consommation des services liés à notre vie. Progressivement, nos villes (l’Espagne n’est pas différente de l’Italie ou de l’Allemagne) ont abandonné la construction de services sociaux (hôpitaux, écoles, administrations) pour devenir des centres de repos (immenses quartiers dortoirs) et de tourisme de consommation rapide. Ce ne sont plus les vacances de la bourgeoisie naissante du XVIIIe siècle que Goldoni décrivait dans sa Trilogie de la villégiature, mais les vacances au pas de course que l’on prend le week-end, en dormant dans les chambres d’hôtes qui ont remplacé les maisons des centres historiques en provoquant la « gentrification » (transformation des quartiers populaires des centres historiques en structures haut de gamme ou commerciales) ou encore dans les bus verts phosphorescents qui sillonnent l’Europe de long en large.
Pour en revenir à la catastrophe espagnole, conséquence évidente du changement climatique, elle n’est pas très différente des catastrophes italiennes de ces dernières années, si ce n’est par l’ampleur des dégâts et des morts. En outre, la faible ampleur des catastrophes italiennes étaient dues au hasard, à la nature pédoclimatique des localités touchées, à la structure hydrographique et à la répartition de la population, et non aux structures socio-économiques existantes. En effet, il y a le paradoxe que les forces politiques de gouvernement - centrales et locales - des deux États, inversement réparties, ont accumulé le même échec et montré la même incapacité à « prévoir » et à « gouverner » le désastre. S’il n’était pas tragiquement criminel Si l’attitude des fascistes espagnols cassant des voitures et en tabassant des dirigeants n’était pas tragiquement criminelle, elle serait risible : qu’ont fait leurs petits copains du gouvernement central en Italie ? Ont-ils été beaucoup plus capables ? Ont-ils changé les choses maintenant qu’ils gouvernent ce pays ? En réalité, l’idéologie industrialiste qui guide nos élites (qu’elles soient de gauche ou de droite) est la même et elle est en faillite. L’industrie et ses institutions : les associations professionnelles, les syndicats, les coopératives, les structures - étatiques ou privées - qui guident l’éducation, la santé, les secours et les urgences, ont toutes échoué, et en substance ce n’ était pas leur faute. Il est désormais clair que la catastrophe de 2005 USA - les inondations en Louisiane causées par l’ouragan Katrina, avec 1 392 morts et 125 milliards de dollars de dégâts - malgré la responsabilité considérable de l’administration Bush, n’était que partiellement due à l’incapacité administrative et à l’idéologie économique particulière qui croyait au progrès illimité fourni par le marché. La réalité d’aujourd’hui confirme l’incapacité de toute idéologie (socialiste ou capitaliste) à avoir une relation positive avec l’environnement, puisqu’elles placent l’industrie et le marché (social ou du capital) au-dessus de la relation de coopération entre les êtres vivants, du respect de leurs différents besoins, de la prise en compte des temps et des modes de relation avec la Nature. Nous avons déjà écrit que les eaux ont leur propre chemin et que leur respect est un impératif, indépendant de notre époque et de nos structures sociales.
Ce n’est pas un hasard si l’une des vidéos sur la catastrophe espagnole montre la petite ville d’Almonacid de la Cuba sauvée des eaux par un barrage construit en bordure de la localité pendant l’empire romain, il y a deux mille ans (et qui, heureusement, n’a pas été démoli au cours des siècles suivants).
De plus, les connaissances que nous acquérons ne nous ouvrent pas les yeux sur situation réelle. Le phénomène de la DANA (Depresión Aislada en Niveles Altos - dépression isolée à niveau élevé, ou gouttefroide), que j’avais déjà mentionné en parlant des inondations en Romagne dans un article précédent (ici) est bien connu, à tel point qu’il est expliqué avec des mots simples, accessibles même aux administrateurs, dans un spectacle amusant de Giobbe Covatta « 6 degrés » qui présente ironiquement l’effet de l’augmentation future de la température de notre planète. L’Agenda 2030 a été créé dans le but d’éviter ou au moins de réduire tout ce qui est en train de se produire.
Il n’y a pas de solutions alternatives, les politiques foncières doivent être modifiées et nous devons dire adieu au symbole du progrès : la voiture alimentée par des combustibles fossiles. Comment construire cet avenir ? Il y a une image qui, au milieu de la douleur, nous redonne de l’optimisme : face à la situation d’abandon que tant de vivants (hommes et animaux) ont vécue en Espagne, en Italie, au Maroc, au Bangladesh, face au pillage auquel certains ont été tentés de se livrer, il y a des milliers d’hommes (et d’animaux) qui ont travaillé en coopération ; équipés d’outils rudimentaires, ils ont œuvré pour sauver et reconstruire. Les anges de la boue que nous avons vus à Florence après les inondations de 1966 ont été vus en Romagne et à Valence, et opèrent dans un esprit de coopération dans toutes les autres parties du monde, ridiculisant les énormes progrès technologiques qui sont censés changer nos vies, mais qui en réalité ne les améliorent en rien.
Soixante ans plus tard, ce sont toujours les mains, la pelle et l’esprit de solidarité qui donnent de l’espoir au monde.
Nous sommes profondémentpréoccupés par la détérioration de la situation en Israël et à Gaza, en particulier par l'impact du conflit actuel sur les Palestiniens
innocents, notamment les enfants et les femmes. L'extension de l'opération militaire
israélienne dans la zone de Rafah constitue une menace grave et imminente à laquelle la communauté internationale
doit répondre de toute urgence.
Près de 28 000
Palestiniens ont ététués et plus de 67 000 blessés, et nous avons assisté au déplacement de 1,9
million de personnes (85 % de la population) àl'intérieur de Gaza, à la destruction
massive d'habitations et à des dégâtsconsidérables aux infrastructures civiles vitales, y compris les hôpitaux.
Nous avons expriméà plusieurs reprises notre condamnation totale des attaques terroristes aveugles
du Hamas du 7 octobre et exigeons la libérationimmédiate et
inconditionnelle des otages encore détenus.
Nous avons affirmé tout aussi clairement qu'Israël a le droit de se défendre contre de telles
attaques, mais que cela ne peut se faire que dans le respect du droit
international, y compris le droit international humanitaire (DIH) et le droit international
des droits de l'homme. La réponse doit être conforme aux principes de
distinction, de proportionnalité et de précaution.
Il est important de noter que le droit international humanitaire impose
clairement à toutes les parties à un conflit l'obligation d'assurer la protection des civils. Les attaques
terroristes odieuses commises par le Hamas et d'autres groupes armés ne justifient
pas et ne peuvent pas justifier une quelconque violation du droit international
humanitaire dans la réponse militaire, avec les conséquences qui en découlent pour la
population civile de Gaza.
Nous partageons la préoccupation du Secrétairegénéral des Nations
unies, exprimée dans sa lettre au Conseil de sécurité du 7 décembre, concernant les
souffrances humaines effroyables, la destruction physique et le traumatisme
collectif des civils, ainsi que les risques auxquels ils sont confrontés,étantdonné que, selon lui,
aucun endroit n'est sûrà Gaza. Depuis lors, la situation n'a fait que se détériorer.
En raison d'un accès humanitaire nettement insuffisant pour répondre aux besoins essentiels de la
population, les Nations unies estiment que 90 % des habitants de Gaza sont confrontésà une insécurité alimentaire aiguë et à un risque sérieux de famine.
Nous prenons également note des mesures provisoires contraignantes imposées par la Cour internationale
de Justice le 26 janvier dans la requête de l'Afrique du Sud contre Israël, et de sa conclusion
qu'au moins certains des actes ou omissions que l'Afrique du Sud allèguequ'Israël a commis à Gaza peuvent
entrer dans le champ d'application des dispositions de la Convention sur le génocide, et qu'il existe
un risque de préjudiceirréparable pour les droits en question dans l'affaire.
Nous avons clairement exprimé notre point de vue selon lequel un
cessez-le-feu humanitaire immédiat est requis de toute urgence pour éviter de nouveaux
dommages irréversiblesà la population de Gaza. Cette position a été soutenue par une
très large majoritéàl'Assemblée
générale des Nations unies en décembre, dont 17 États membres de l'UE.
Nous sommes profondémentpréoccupés par les allégations selon lesquelles du personnel de l'Office de secours et de travaux des
Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) pourrait avoir étéimpliqué dans les attentats du 7 octobre contre Israël.
Nous soutenons pleinement la décision du commissaire général de l'UNRWA, M.
Lazzarini, de mettre immédiatement fin aux contrats des personnes impliquées, ainsi que le
lancement d'une enquêteindépendante
approfondie par les Nations unies.
Dans le même temps, nous avons clairement indiqué que l'UNRWA doit êtreautoriséà fonctionner pour
poursuivre son travail essentiel, qui consiste à sauver des vies
et àremédieràla situation humanitaire catastrophique à Gaza, et que le
soutien de l'UE à l'UNRWA doit être maintenu. Il n'y a aucune chance de parvenir à l'augmentation
massive et durable de l'aide humanitaire qui est nécessaire de toute
urgence, grâceà un accès humanitaire complet, sûr et sans entrave, sans que l'UNRWA ne joue un
rôle central.
Nous rappelons que la CIJ a ordonnéàIsraël de prendre des
mesures immédiates et efficaces pour garantir la fourniture des services de base et de l'aide
humanitaire dont la population de Gaza a un besoin urgent. Ces ordonnances sont
contraignantes.
Dans le contexte
du risque d'une catastrophe humanitaire encore plus grande posé par la menace
imminente d'opérations militaires israéliennes à Rafah, et compte tenu de ce
qui s'est produit et continue de se produire à Gaza depuis octobre 2023, y
compris l'inquiétude généralisée concernant d'éventuelles violations du DIH et
du DIDH par Israël, nous demandons que la Commission entreprenne un examen
urgent pour déterminer si Israël respecte ses obligations, y compris dans le
cadre de l'accord d'association UE/Israël, qui fait du respect des droits de
l'homme et des principes démocratiques un élément essentiel de la relation ; et
si elle considère qu'il est en infraction, qu'elle propose des mesures
appropriées au Conseil.
Enfin, nous ne devons pas perdre de vue l'impératif d'adopter une
perspective politique pour mettre fin au conflit. La mise en œuvre de la solution
des deux États est le seul moyen de s'assurer que ce cycle de violence ne se répète pas. L'UE a la responsabilitéd'agirpour que cela devienne une réalité, en coordination
avec les parties et la communauté internationale, y compris en organisant une conférence de paix
internationale, comme convenu par le Conseil européen le 26 octobre.
Compte tenu de son rôle dans cette affaire, nous adressons également une copie de cette lettre au
vice-président Borrell. Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente,
l'expression de nos salutations distinguées.
Joaquín
Urías (Séville, 1968) est professeur de droit constitutionnel, ancien avocat auprès
de la Cour constitutionnelle et militant espagnol des droits de l'homme.
NdT :
un policier est intervenu lors d’un concert à Murcia pour obliger la chanteuse
Rocio Saiz à couvrir ses seins avec un drapeau LGBTQI+. Cet incident a apporté
un peu de sel dans la campagne insipide pour les élections générales du 23 juillet 2023.
Ci-dessous le point de vue d’un juriste.
Depuis dix
ans, chaque fois que la chanteuse Rocío Saiz chante “como yo te amo” lors d'un
concert, elle le fait en montrant ses seins. Elle le fait, entre autres, comme
un acte militant, pour rendre visible le corps féminin.
Dans la
société dans laquelle nous vivons, le fait pour une femme de montrer ses seins
est encore une provocation. Montrer ses tétons en public a toujours été un
privilège masculin. Sur la plage, à un concert ou dans une fête, il est courant
que les hommes se mettent torse nu sans que cela ne soit considéré comme
indécent ou ne suscite de rejet. Les femmes, en revanche, ont toujours été
confrontées à un interdit moral sévère selon lequel leurs seins, et en
particulier leurs tétons, ne peuvent être exposés à la vue de tous. La
sexualisation des seins en a fait non seulement quelque chose d'intime, l'objet
d'un désir masculin omniprésent, mais aussi quelque chose de moralement
interdit.
Dans les
systèmes autoritaires, toujours masculins et patriarcaux, cette morale devient
un droit. Dans toute dictature qui se respecte (même dans les dictatures
communistes qui prétendaient transformer le monde à l’enseigne de l'égalité),
les valeurs traditionnelles en matière de sexualité font loi. Les juges, la
police et tout le système répressif sont utilisés pour punir toute personne
dont le comportement ou les idées remettent en cause la morale traditionnelle.
Le franquisme et le régime islamique des ayatollahs, les idées de Trump et
celles de Poutine ne sont pas différentes. Ils punissent tous ceux qui baisent
la mauvaise personne et ceux qui montrent leurs seins.
Face à
cela, les sociétés démocratiques reposent sur un idéal de liberté qui exige
l'espace le plus large possible pour exprimer toute dissidence sans être maltraité
pour ça. La démocratie repose sur deux valeurs qui n'en sont pas moins séduisantes
et utopiques pour autant : l'égalité et la liberté. La première est une
condition nécessaire, la seconde un but et une méthode. L'essence de la liberté
démocratique réside dans la possibilité de remettre en cause le pouvoir pour
être soi-même comme on le souhaite. Tant le pouvoir politique et économique que
le pouvoir majoritaire qui impose des valeurs et des jugements moraux.
C'est
pourquoi le combat féministe est essentiellement démocratique. Il s'agit
d'atteindre l'égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi de reconquérir
des espaces de liberté que les femmes ont perdus pendant des siècles. Il en va
de même, par exemple, de la lutte pour les droits des LGTBI, à la recherche de
l'égalité comme cadre permettant d'exercer librement le droit de chaque
personne à être comme elle le souhaite, au-delà des limites étroites de ce que
la religion et la morale conservatrice considèrent comme bien ou mal. La seule
limite étant le respect de la liberté et de la personne d'autrui.
Et c'est
pourquoi les libéraux espagnols autoproclamés sont souvent (et paradoxalement)
des liberticides idéologiquement plus proches de l'autoritarisme que de la
véritable démocratie. Ils disent défendre le libre licenciement ou la liberté
des prix des loyers parce qu'ils recourent au jeu dialectique qui consiste à
appeler liberté ce qui est dictature : que les puissants ou les plus riches
puissent impunément imposer leur volonté aux moins favorisés en les empêchant
d'avoir des conditions d'emploi ou d'accès à un logement décent. Le test décisif
de ces soi-disant libéraux, c'est lorsqu'ils sont confrontés à des valeurs
morales. Vous n'entendrez jamais Isabel Díaz Ayuso [présidente de la
Communauté de Madrid, Parti Populaire] ou ses acolytes de VOX défendre le
droit de montrer ses seins, l'éducation sexuelle, le droit de toujours parler
sa propre langue ou tant d'autres droits. Ils caricaturent le féminisme ou le
mouvement LGTBI parce qu'ils craignent que la lutte pour l'égalité ne conduise
à une société sans privilèges. Démocratique.
C'est
pourquoi, pendant la dictature franquiste, la morale chrétienne a imprégné une
grande partie de notre système juridique. Il en reste des vestiges évidents,
comme le délit de blasphème. D'autres, comme l'adultère ou le scandale public,
ont heureusement été supprimés de notre code pénal, bien que ce dernier ait dû
attendre 1988. Cependant, il semble que les politiciens, juges et policiers
conservateurs se languissent de ce droit de la morale chrétienne et qu'à la
moindre occasion, ils en profitent pour le récupérer (en détournant les règles
existantes). Les exemples prolifèrent en ces temps d'involution démocratique.
Dans une
démocratie, ce n’est pas un crime de se promener nu·e dans la rue. Ça ne peut
pas l’être. Récemment, la Cour d’appel de Valence a été confrontée au cas d’Alejandro,
un militant nudiste qui, confronté à des sanctions policières successives pour
obscénité, a tenté d’entrer nu dans la salle d’audience où son appel était
entendu. Il a obtenu gain de cause, mais a dû subir l’humiliation démocratique
des juges qui ont déclaré que son comportement tombait dans un “vide juridique”.
Ce que les juges appellent un vide juridique, d’autres l’appellent démocratie.
Le fait est
que ce n’est pas un délit, ni punissable, mais notre police, si peu formée à la
protection des droits et si diligente à la protection de la morale, n’est pas
toujours d’accord. Les femmes souffrent particulièrement de ce harcèlement
policier, car elles sont soumises à un concept de nudité plus large que celui
des hommes, qui, dans leur cas, inclut les seins.
Alors que
Rocío Saiz chantait l’amour avec enthousiasme, les seins à l’ air, à Murcia, un
policier local lui a ordonné de s’ arrêter et a ensuite tenté de la
sanctionner. Après le scandale, les autorités ultraconservatrices de cette
communauté autonome ont tenté de faire profil bas et même le ministère public a
demandé une enquête sur le policier. Mais ce n’est pas le seul cas, et il n’y a
pas non plus le même rejet social lorsque la police inflige injustement une
amende à une femme pour avoir montré ses seins.
La tendance
à l’autoritarisme s’ insinue dans notre société par des failles bien connues. L’une
des pires est la loi
dite bâillon, conçue par le gouvernement conservateur et maintenue par la
volonté explicite du parti socialiste. Cette loi permet à la police de punir n’importe
quel citoyen pour tout ce qui lui semble irrespectueux, et c’ est l’ une des
façons dont la morale est récemment devenue une loi. Parmi les très nombreuses
conduites punissables incluses dans cette loi figure la commission d’actes obscènes”.
Le caractère obscène ou non de l’acte est laissé à l’appréciation de l’ agent
qui agit. Si l’agent en question estime que la poitrine d’une femme est
obscène, il inflige une amende à la femme qui l’ exhibe, tout comme il peut
infliger une amende à une personne qui se promène nue sur la plage ou à des
personnes qui ont des relations sexuelles dans un parc public. On parle peu de
cette tâche de nos forces de sécurité transformées en justiciers moraux à l’iranienne.
Bien sûr, tout cela est très antidémocratique.
Face à la
tentative de réduire nos droits, des gestes comme celui de Rocío Saiz sont
admirables. La régression démocratique que nous vivons et qui se manifeste par
le succès électoral d’options, comme VOX, qui nient les droits humains nécessite
des actes individuels courageux qui ne semblent pas venir de nos hommes
politiques. Espérons qu’un jour les candidats socialistes qui défendent encore
la loi bâillon se décideront à l’abroger et que les candidat·es de Sumar
qui jouent des coudes pour s’ inscrire sur les listes comprendront que c’ est
la démocratie qui est en jeu. En attendant, il s’avère que les autocrates ont
vraiment peur des nichons. Respect à celles qui les montrent, exposent leur
corps et subissent une répression qu’ elles ne méritent pas.
Omar Guillermo Encarnación est professeur d'études
politiques au Bard College à Annandale-on-Hudson (État de New York), où il
enseigne la politique comparée et les études latino-américaines et
ibériques.Ses recherches portent sur
les causes et les conséquences des transitions vers la démocratie, le rôle de
la société civile dans le processus de démocratisation et les choix politiques
que font les nouvelles démocraties pour faire face à un passé difficile et
douloureux.Il est l'auteur des livres Spanish Politics: Democracy
after Dictatorship (Polity Press, 2008), Democracy
without Justice in Spain: The Politics of Forgetting (University of
Pennsylvania Press, 2014), Out in
the Periphery: Latin America’s Gay Rights Revolution (Oxford
University Press, 2016), et The Case for Gay Reparations (Oxford
University Press, 2021)
Un mouvement apartidaire visant à attirer
l'attention sur la dépopulation des campagnes espagnoles a commencé à façonner
la politique nationale.
Le 31 mars 2019, les habitants de Madrid se sont réveillés
avec une manifestation massive de quelque 100 000 personnes dans les rues, dénonçant
le problème de la sangría demográfica, l’hémorragie démographique. Cette
métaphore saisissante désigne une crise de dépeuplement qui a laissé de larges
pans d'Espagne à peine habités. Sous la bannière de “la révolte de l'Espagne
vidée”, des manifestants de vingt-quatre provinces rurales se sont plaints de
la négligence des organismes gouvernementaux, de la médiocrité des services
Internet, du manque d'accès aux transports et aux soins de santé, et de
l'indifférence des multinationales espagnoles et de ceux qui vivent dans les
centres urbains florissants du pays. Inspirées par d'autres manifestations
réussies dans la capitale, comme celles qui ont conduit à la légalisation du
mariage homosexuel en 2005, leurs pancartes invoquaient la rhétorique de la
justice sociale et des droits humains : “Égalité pour tous”, “Mon choix de mode
de vie ne me prive pas de mes droits” et “Je suis un citoyen rural, et je suis
en danger d'extinction”.
Les données de l'Institut national de la statistique
espagnol (INE) dressent un tableau saisissant de l'évolution démographique du
pays. Quelque 90 % de la population, soit environ 42 millions de personnes, sont
actuellement regroupés dans 1 500 villes qui occupent moins d'un tiers du
territoire. Le reste du pays est habité par 4,6 millions de personnes, soit à
peu près le nombre de personnes qui vivent à Barcelone. L'INE signale également
que quelque 80 % des villages de moins de mille habitants risquent de
disparaître complètement en raison du vieillissement de leur population et du
départ des jeunes, ce qui explique l'abondance des villes fantômes que
connaissent les voyageurs qui se rendent dans l'intérieur de l'Espagne. Selon
la société immobilière Aldeas Abandonadas, ou Villages abandonnés, il existe
environ 1 500 hameaux qui peuvent être achetés pour moins de 100 000 dollars,
la plupart en Aragon, en Castille-et-León, en Castille-La Manche, en
Estrémadure et dans La Rioja. Ces cinq régions intérieures - connues sous le
nom de cœur de l'Espagne parce qu'elles ont été le berceau du royaume d'Espagne
et de son empire colonial - représentent 53 % du territoire national, mais
n'abritent que 15 % de la population. La province de Zamora, en Castilla y
León, a vu sa population chuter de plus de 30 % depuis 1975, alors que la
population de l'ensemble du pays a augmenté de 30 % au cours de la même
période.
Omer
Benjakob est reporter et rédacteur sur les questions de technologie
et cybernétique pour Haaretz en anglais. Il couvre également Wikipédia
et la désinformation en hébreu. Il est né à New York et a grandi à Tel Aviv. Il
est titulaire d'une licence en sciences politiques et en philosophie et prépare
une maîtrise en philosophie des sciences. @omerbenj
Des membres de la commission d'enquête du
Parlement européen sont venus en Israël pour enquêter sur Pegasus, et ont été
surpris de découvrir des contrats avec leur pays d'origine. Sur le marché animé
des logiciels espions en Europe, voici les principaux concurrents de NSO
NSO et ses concurrents sur le marché européen des logiciels espions
Des représentants de la commission d'enquête du Parlement
européen sur le logiciel espion Pegasus se sont récemment rendus en Israël et
ont appris du personnel de NSO que la société a des contrats actifs dans 12 des
27 pays membres de l’UE. Les réponses de la société israélienne de cyberguerre
aux questions de la commission, qui ont été obtenues par Haaretz,
révèlent que la société travaille actuellement avec 22 organisations de
sécurité et de police dans l'UE.
Des représentants du comité se sont rendus en Israël ces
dernières semaines pour s'informer en profondeur sur l'industrie locale de la
cyberguerre, et ont eu des discussions avec des employés de NSO, des
représentants du ministère de la Défense et des experts locaux. Parmi les
membres du comité figurait un député catalan dont le téléphone portable a été
piraté par un client de NSO.
Le comité a été créé après la publication du Projet
Pegasus l'année dernière, et son objectif est de créer une réglementation
paneuropéenne pour l'acquisition, l'importation et l'utilisation de logiciels
de cyberguerre tels que Pegasus. Mais pendant que les membres du comité étaient
en Israël, et surtout depuis leur retour à Bruxelles, il a été révélé qu'en
Europe, il existe également une industrie de la cyberguerre bien développée -
et que nombre de ses clients sont des pays européens.
Le logiciel espion Pegasus de la société israélienne et les
produits concurrents permettent d'infecter le téléphone portable de la victime
de la surveillance, puis de permettre à l'opérateur d'écouter les
conversations, de lire les applications contenant des messages cryptés et de
fournir un accès total aux contacts et aux fichiers de l'appareil, ainsi que la
possibilité d'écouter en temps réel ce qui se passe autour du téléphone
portable, en actionnant la caméra et le microphone.
Lors de leur visite en Israël, les eurodéputés ont voulu
connaître l'identité des clients actuels de NSO en Europe et ont été surpris de
découvrir que la plupart des pays de l'UE avaient des contrats avec la société
: 14 pays ont fait affaire avec NSO dans le passé et au moins 12 utilisent
encore Pegasus pour l'interception légale des appels mobiles, selon la réponse
de NSO aux questions de la commission.
En réponse aux questions des députés, la société a expliqué
qu'à l'heure actuelle, NSO travaille avec 22 « utilisateurs finaux »
- des organisations de sécurité et de renseignement et des autorités chargées
de faire respecter la loi - dans 12 pays européens. Dans certains de ces pays,
il y a plus d'un client. (Le contrat n'est pas conclu avec le pays, mais avec
l'organisation exploitante). Dans le passé, comme NSO l'a écrit au comité, la
société a travaillé avec deux autres pays - mais les liens avec eux ont été
rompus. NSO n'a pas révélé quels pays sont des clients actifs et avec quels
deux pays le contrat a été gelé. Des sources dans le domaine de la cybernétique
indiquent que ces pays sont la Pologne et la Hongrie, qui ont été retirées
l'année dernière de la liste des pays auxquels Israël autorise la vente de
cybernétique offensive.
Certains membres de la commission pensaient que l'Espagne
avait pu être gelée après la révélation de la surveillance des dirigeants des
séparatistes catalans, mais des sources sur le terrain ont expliqué que
l'Espagne, qui est considérée comme un pays respectueux de la loi, figure
toujours sur la liste des pays approuvés par le ministère israélien de la Défense.
Les sources ont ajouté qu'après l'éclatement de l'affaire, Israël, NSO et une
autre entreprise israélienne travaillant en Espagne ont exigé des explications
de Madrid - et se sont vu assurer que l'utilisation des dispositifs israéliens
était légale. Les sources affirment que le contrat entre les sociétés
israéliennes et le gouvernement espagnol n'a pas été interrompu. Pendant ce
temps, en Espagne, il a été révélé que les opérations de piratage - aussi
problématiques soient-elles en termes politiques - ont été effectuées
légalement.
L'exposition de l'ampleur de l'activité de NSO en Europe
met en lumière le côté moins sombre de l'industrie cybernétique offensive : Les
pays occidentaux qui opèrent selon la loi et le contrôle judiciaire des écoutes
de civils, par opposition aux dictatures qui utilisent ces services secrètement
contre les dissidents. NSO, d'autres sociétés israéliennes et de nouveaux
fournisseurs européens sont en concurrence pour un marché de clients légitimes
- un travail qui n'implique généralement pas de publicité négative.
Ce domaine, appelé interception légale, a suscité ces
dernières années la colère d'entreprises technologiques telles qu'Apple
(fabricant de l'iPhone) et Meta (Facebook est le propriétaire de WhatsApp, via
lequel le logiciel espion a été installé). Ces deux entreprises ont intenté un
procès à NSO pour avoir piraté des téléphones via leurs plateformes et mènent
la bataille contre ce secteur. Le domaine suscite également un grand malaise en
Europe, qui a mené une législation complète sur la question de la
confidentialité de l'internet, mais cela ne signifie pas qu'il n'y a aucun
intérêt pour ces technologies ou leur utilisation sur le continent.
La semaine dernière encore, il a été révélé que la Grèce
utilisait un logiciel similaire à Pegasus, appelé Predator, contre un
journaliste d'investigation et contre le chef du parti socialiste. Le Premier
ministre a affirmé que les écoutes étaient légales et fondées sur une
injonction. Predator est fabriqué par la société cybernétique Cytrox, qui est
enregistrée dans le nord de la Macédoine et opère depuis la Grèce. Cytrox
appartient au groupe Intellexa, détenu par Tal Dilian, un ancien membre haut
placé des services de renseignement israéliens. Intellexa était auparavant
situé à Chypre, mais après une série d'incidents embarrassants, il a transféré
son activité en Grèce. Alors que l'exportation du Pegasus de NSO est supervisée
par le ministère israélien de la Défense, l'activité d'Intellexa et de Cytrox
ne l'est pas.
L’ex-chef du renseignement grec Panagiotis Kontoleon, qui a
démissionné dans le cadre d'un scandale lié à l'espionnage présumé d'un
politicien de l'opposition, à Athènes en juillet. Photo : YIANNIS PANAGOPOULOS -
AFP
Aux Pays-Bas également, un débat public a récemment eu lieu
après qu'il a été révélé que les services secrets ont utilisé Pegasus pour capturer
Ridouan Taghi, un baron de la drogue arrêté à Dubaï et accusé de 10 meurtres
choquants. Bien que l'utilisation ait été légale et activée contre un élément
criminel, aux Pays-Bas, on a voulu savoir pourquoi les services secrets étaient
impliqués dans une enquête interne de la police néerlandaise, et après le
rapport, il y a eu des demandes pour un auto- examen concernant la manière dont
le logiciel espion a été utilisé aux Pays-Bas.
Outre les sociétés israéliennes actives sur le continent,
il s'avère que l'Europe compte un certain nombre de fabricants de logiciels
espions. La semaine dernière, Microsoft a révélé un nouveau logiciel espion
appelé Subzero, qui est fabriqué par une société autrichienne située au
Lichtenstein, appelée DSIRF. Ce logiciel espion exploite une faiblesse
sophistiquée de type « zero-day » pour pirater les ordinateurs.
Contrairement à NSO, qui a attendu plusieurs années avant d'admettre qu'elle
travaille avec des clients en Europe, les Autrichiens se sont défendus. Deux
jours après la révélation de Microsoft, ils ont réagi durement et expliqué que
leur logiciel espion « a été développé uniquement pour un usage officiel
dans les pays de l'UE, et que le logiciel n'a jamais été utilisé à mauvais
escient ».
En Europe, les entreprises de logiciels espions sont plus
expérimentées : il y a quelques semaines, les enquêteurs de sécurité de Google
ont révélé un nouveau logiciel espion nommé Hermit, fabriqué par une société
italienne appelée RSC Labs, un successeur de Hacking Team, un concurrent ancien
et familier, dont la correspondance interne a été rendue publique par une
énorme fuite à Wikileaks en 2015. Hermit a également exploité une faiblesse de
sécurité peu connue pour permettre le piratage d'iPhones et d'appareils
Android, et a été trouvé sur des appareils au Kazakhstan, en Syrie et en
Italie.
Dans ce cas également, il y a une indication que les
clients de RCS Labs, qui est situé à Milan avec des succursales en France et en
Espagne, comprennent des organisations européennes officielles d'application de
la loi. Sur son site web, elle fait fièrement état de plus de « 10 000
piratages réussis et légaux en Europe ».
D'autres logiciels espions pour téléphones portables et
ordinateurs ont été révélés par le passé sous les noms de FinFisher et FinSpy.
En 2012, le New York Times a rapporté comment le gouvernement égyptien a
utilisé ce dispositif, initialement conçu pour lutter contre la criminalité,
contre des militants politiques. En 2014, le logiciel espion a été trouvé sur
l'appareil d'un USAméricain d'origine éthiopienne, ce qui a éveillé les
soupçons selon lesquels les autorités d'Addis-Abeba sont clientes du fabricant
britannico- allemand, une société appelée Lench IT Solutions.
L'eurodéputée néerlandaise Sophie in 't Veld [groupe Renew Europe, NdT], qui est membre de
la commission d'enquête Pegasus, a déclaré à Haaretz : « Si une
seule entreprise a pour clients 14 États membres, vous pouvez imaginer
l'ampleur du secteur dans son ensemble. Il semble y avoir un énorme marché pour
les logiciels espions commerciaux, et les gouvernements de l'UE sont des
acheteurs très enthousiastes. Mais ils sont très discrets à ce sujet, en le
gardant à l'abri des regards du public ».
Les entreprises comme NSO sont confrontées à un dilemme :
révéler l'identité des gouvernements clients qui utilisent légalement ses
outils permettra de faire face aux critiques publiques d'organisations telles
que Citizen Lab, des médias et des élus, mais mettra en péril les accords
futurs, compte tenu des clauses sur l'abus de confiance et des contrats de
confidentialité conclus avec ses clients.
« Nous savons que des logiciels espions sont
développés dans plusieurs pays de l'UE. L'Italie, l'Allemagne et la France ne
sont pas les moindres », a déclaré in 't Veld. « Même s'ils
l'utilisent à des fins légitimes, ils n'ont aucun appétit pour plus de
transparence, de surveillance et de garanties. Les services secrets ont leur
propre univers, où les lois normales ne s'appliquent pas. Dans une certaine
mesure, cela a toujours été le cas, mais à l'ère numérique, ils sont devenus
tout-puissants, et pratiquement invisibles et totalement insaisissables ».
NSO n'a pas répondu à la demande de commentaire de Haaretz.