Branko Marcetic,
Jacobin, 2/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
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En seulement six mois de présidence, Donald Trump et ses alliés ont transformé la déportation en une menace explicitement politique contre les opposants et les critiques. Le dernier en date, et le plus médiatisé, est Zohran Mamdani*.
Chaque
pays procède à des expulsions, point final d’un processus bureaucratique qui détermine l’éligibilité d’une personne à rester
dans un pays. Parfois, par exemple si la personne a commis un crime grave, ce
processus se déroule pendant qu’elle est derrière les barreaux. Dans de
nombreux autres cas, il s’agit d’une série d’audiences devant des juges de l’immigration,
pendant que la personne continue à vivre sa vie.
L’expulsion est le dernier
arrêt du train,
la fin de la ligne
si les arguments d’une personne
pour rester dans le
pays ne sont pas convaincants, lorsque tous les recours ont été épuisés.
L’expulsion n’est pas censée
être une punition ou une menace, et certainement pas une mesure prise à l’encontre
de vos opposants politiques. Il serait difficile de trouver des exemples de ce
genre de déportation dans le monde occidental et certainement aux USA au cours de
leur histoire récente.
Pourtant, en seulement six mois de présidence de Donald Trump,
c’est exactement ce que la déportation est soudainement devenue : une menace que les politiciens usaméricains et leurs partisans brandissent désormais avec désinvolture et régulièrement contre leurs opposants politiques, avec seulement
le plus mince prétexte qu’ils sont motivés par une quelconque violation réelle de la loi. En fait, la déportation a dépassé le stade de la simple menace et est activement et
explicitement utilisée comme une forme de punition à l’encontre de personnes
pour leur discours politique.
Le dernier exemple en date, et le plus médiatisé, s’est produit pas plus tard qu’hier, lorsque Donald Trump a menacé indirectement d’expulser le vainqueur de la primaire démocrate de New York pour le poste de maire, Zohran Mamdani. Notant que Mamdani, citoyen usaméricain, s’est engagé à empêcher les services d’immigration et de douane (ICE) d’arrêter des personnes dans la ville, un journaliste a demandé à Trump son “message au communiste Zorhan [sic] Mamdani”.
« Nous allons surveiller ça de très près, et beaucoup de gens disent
qu’il est ici illégalement », a répondu Trump. « Nous allons tout examiner ».
Pour être clair, personne n’a
dit ça : Mamdani, qui est né en Ouganda avant que sa famille n’immigre
légalement aux USA il y a plus de vingt
ans, est un citoyen usaméricain depuis qu’il a été naturalisé il y a sept ans. La référence inventée par Trump
au fait que Mamdani serait sans papiers n’était pas une simple insulte. Elle
faisait suite à ses avertissements selon lesquels, en raison de la position de Mamdani
sur les arrestations de l’ICE, « nous devrons l’arrêter » et couper les
fonds fédéraux à New York
en guise de représailles. Le sous-texte est si clair qu’il est à peine sous-jacent : Mamdani veut me défier, alors nous allons
peut-être l’expulser.
Cela faisait suite à une menace encore plus explicite et ouvertement raciste de la part du représentant du Tennessee, Andy Ogles, qui a déclaré deux jours après la victoire de Mamdani :
Zohran “little muhammad” Mamdani
est un antisémite, un socialiste, un communiste qui détruira
la grande ville de New York. Il doit être DÉPORTÉ. C’est
pourquoi je demande
qu’il fasse l’objet d’une procédure de
dénaturalisation.
Notez qu’Ogles n’a même pas
pris la peine d’accuser Mamdani de quoi que ce soit pour justifier cette décision, si ce n’est
de la possibilité qu’il devienne maire de New York. Dans sa lettre à la
procureure générale Pam Bondi, le mieux
qu’il ait pu faire a été de citer un texte de rap vieux de huit ans écrit par
Mamdani. Quelques heures plus tard, il
a réitéré sa menace – d’une manière
qui se voulait amusante, avec une caricature méconnaissable de lui-même générée
par l’IA, qui lui a donné la mâchoire carrée
et les épaules larges qui lui
font défaut dans la vie réelle.
Mais ce n’est que le dernier incident en date. Quelle a été la première chose que Trump et ses alliés ont faite lorsque le milliardaire Elon Musk, donateur de Trump, s’est brouillé très publiquement avec le président ? Ils ont menacé de l’expulser.
« Elon Musk est illégal et il doit partir. Expulsez-le immédiatement », a déclaré Steve Bannon, allié
de Trump, quelques jours après le début de la polémique, avant d’appeler le président à « lancer
une enquête officielle sur son statut d’immigrant ». Hier encore, Trump s’est
mis de la partie (c’était une journée chargée en menaces d’expulsion pour le président), lorsqu’on lui a demandé
s’il expulserait M. Musk. Il a répondu : « Nous
devrons jeter un coup d’œil ».
Lorsque
l’utilisateur de X/Twitter familièrement connu sous le nom de “the menswear guy” - connu
pour critiquer de manière
cinglante les choix de mode et l’apparence physique des personnalités de
droite, y compris le vice- président J. D. Vance - a révélé le mois dernier
qu’il était un immigrant sans papiers depuis
qu’il a été amené enfant aux USA, plusieurs utilisateurs l’ont souligné, et l’un d’entre
eux a suggéré à Vance
de faire expulser
l’homme. M. Vance et le Département social du ministère de la sécurité intérieure ont tous
deux répondu par des GIF rigolards, suggérant qu’ils examinaient la question.
« Dénaturaliser et
déporter Mehdi Hasan », a gazouillé Will Chamberlain,
avocat principal du Projet Article III, une sorte de version trumpifiée de la
Federalist Society, à propos du célèbre journaliste et critique de Trump. Deux ans plus tôt, le fondateur et président de l’Article III Project avait
menacé de la même manière non seulement de dénaturaliser et d’expulser
Hasan - encore une fois, entièrement en réponse à ses
opinions politiques - mais aussi de l’inculper et de le placer
en détention, se vantant
d’avoir déjà « choisi sa place dans le goulag de Washington ».
Une menace joyeuse
Ce qui est remarquable ici, ce n’est pas
seulement la façon dont la déportation est devenue une menace occasionnelle
dans le discours politique de droite ou le fait qu’elle soit lancée entièrement
en réponse aux discours et aux activités politiques que la trumposphère n’aime
pas. C’est l’allégresse sadique avec laquelle elle est lancée :
avec un GIF de Jack Nicholson souriant et hochant la tête d’un air malveillant
ou avec la vantardise
de « créer un tableau de March Madness [tournoi de basket-ball
universitaire, NdT] pour célébrer la déportation imminente de Mehdi ».
C’est un signe de la façon
dont la droite ne considère plus l’expulsion comme un simple élément du
processus bureaucratique d’immigration, mais comme un outil qu’elle peut
utiliser contre ses ennemis politiques et comme
outil de répression - un objectif
qui est loin de l’intention originale de l’expulsion, que ce soit aux USA ou dans
d’autres pays partageant les mêmes idées.
Et ne vous y trompez pas :
elle est déjà utilisée comme une arme de répression politique, dans le cadre d’un assaut
de l’ensemble du gouvernement contre
la liberté d’expression par le mouvement Trump. La plupart
des gens connaissent maintenant Mahmoud Khalil, le détenteur d’une carte verte, nouveau père et militant pro-palestinien ciblé
par l’expulsion expressément en raison de ses opinions politiques. Plus récemment, Mario Guevara, un journaliste dont la demande
de carte verte était en cours et qui a été arrêté pour avoir
couvert une manifestation à Atlanta, a lui aussi fait l’objet d’une procédure d’expulsion.
En fait, après avoir menacé pendant des années de
« donner un coup de fouet » à une campagne de « dénaturalisation
massive », Trump semble aujourd’hui être en train de le faire. Lundi, des
rapports ont révélé
que
son ministère de la Justice
donne la priorité
au retrait de la citoyenneté aux citoyens naturalisés qui commettent certains crimes
graves, y compris
le terrorisme, l’un des objectifs de la campagne
étant de « mettre fin à l’antisémitisme ».
Compte tenu de la définition libérale que Trump et son
mouvement ont donnée à ces termes - qu’ils ont utilisés à plusieurs reprises
pour désigner des critiques d‘Israël ou des militants et des messages
sur les médias sociaux - il est presque certain que ce sera le cas.
Malheureusement, l’utilisation de la
législation sur l’immigration à des fins de répression politique n’est pas sans précédent dans l’histoire usaméricaine, puisqu’elle a été utilisée dans le cadre
de la première “peur rouge”, lors des raids Palmer, pour arrêter des milliers et
déporter des centaines d’immigrés de gauche en raison de leurs opinions
politiques, ainsi que dans le cadre de la seconde
“peur rouge”, de type maccarthyste. Mais ces épisodes
sont largement considérés aujourd’hui comme
des épisodes profondément
honteux, des taches dans l’histoire usaméricaine lorsque le système
politique n’a pas été à la hauteur de l’éthique la plus chère au pays.
Une nouvelle déchéance
Ce que fait aujourd’hui l’administration
Trump ne risque pas seulement de répéter ces épisodes honteux, mais place les USA au coude à coude avec une liste
de gouvernements autoritaires honteux - y compris
ceux que Trump lui-même a critiqués pour leur piétinement des libertés
fondamentales.
L’année dernière, Freedom House, qui est
largement financée par le gouvernement usaméricain, a désigné la “révocation de la
citoyenneté” comme l’une des principales tactiques utilisées par les
gouvernements autoritaires pour punir les opposants politiques. Parmi ces gouvernements figurent
certains des noms les plus dictatoriaux et despotiques qui soient,
aussi éloignés que possible de ce que la plupart
des USAméricains ordinaires considèrent comme de bons États épris
de liberté : Bahreïn, l’Égypte, le Koweït, les Émirats arabes unis et le Myanmar, qui ont tous
retiré leur nationalité à des centaines de journalistes, d’activistes et d’autres
dissidents au cours des dernières années.
Un nom en particulier ressort : le gouvernement nicaraguayen de Daniel
Ortega, dont Trump a sanctionné les responsables lors de son premier mandat,
les accusant de “saper la
démocratie” et l’État de droit. La déportation
et la déchéance de nationalité sont des caractéristiques du règne d’Ortega
: il y a tout juste deux ans, il a déporté et révoqué la
nationalité de 222 prisonniers politiques, avant de déchoir 94 autres
Nicaraguayens, dont des écrivains, des journalistes et des personnalités
religieuses, de leur nationalité.
Réfléchissez-y un instant : Trump se comporte, selon
ses propres critères,
comme un homme fort qui sape la démocratie et l’État de droit.
Il y a peu de raisons
de penser que les menaces
de Trump resteront
limitées aux citoyens
naturalisés, qui ne constituent pas une catégorie
distincte de citoyens
mais ont exactement la même position,
les mêmes droits et les mêmes privilèges que les
citoyens nés dans le pays : tout argument utilisé pour priver l’un de sa
citoyenneté peut être utilisé contre l’autre. N’oublions pas que Trump a déjà
pris une mesure cruelle à l’encontre des migrants - en les expulsant sans
procédure régulière vers une prison brutale au Salvador - avant d’admettre en privé que son plan était de faire la même chose aux citoyens américains.
Mamdani lui-même a semblé le
reconnaître dans sa réponse à la menace de Trump de l’arrêter, qu’il a accusée de « représenter non seulement une attaque contre
notre démocratie, mais une tentative
d’envoyer un message à tous les
New-Yorkais qui refusent de se cacher dans l’ombre : si vous vous exprimez,
ils viendront pour vous ». Il a ajouté
que les New-Yorkais « n’accepteraient pas cette intimidation », et il pourrait
avoir raison - même la gouverneure conservatrice de
New York, Kathy Hochul, qui a refusé de soutenir Mamdani jusqu’à présent, a
averti : « si vous menacez de vous en prendre illégalement à l’un de
nos voisins, vous cherchez la bagarre avec vingt millions de New-Yorkais - à
commencer par moi ».
Les menaces de Trump et de ses alliés d’expulser
Mamdani et d’autres opposants politiques constituent un nouveau coup bas
honteux dans la politique usaméricaine récente. Quoi qu’en dise la trumposphère, les excès qu’il a déjà commis en matière d’immigration et d’expulsion n’ont pas été populaires, une majorité du pays estimant que les actions de
l’ICE sont allées trop loin. Il y a fort à parier que ce dernier excès sera à
nouveau perçu avec dégoût par un public qui croit encore aux idéaux usaméricains
fondamentaux, comme le droit de dire ce que l’on pense et de ne pas être
harcelé par un dirigeant tyrannique.
NdT
*Zohran Kwame Mamdani est né en 1991 à Kampala, en Ouganda. Ses parents sont Mahmood Mamdani, un universitaire ougandais d'origine indienne goudjaratie d'obédience chiite duodécimaine, et Mira Nair, une réalisatrice indo-usaméricaine d'ascendance pendjabie hindoue, récipiendaire de la Caméra d'or au Festival de Cannes 1988 pour son film Salaam Bombay! Son deuxième prénom Kwame a été inspiré par l'homme d'État ghanéen Kwame Nkrumah. Ses parents ignoraient que ce nom signifie en langue akan qu'une personne est née à un samedi (il est né à un vendredi et aurait donc porter le nom Kofi).
Le phénomène Mamdani donne du grain à moudre aux caricaturistes de tous poils, pro et contra, certains épinglant l'hostilité de la vieille garde du parti Démocrate à l'égard du candidat. Ci-dessous, un choix
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