المقالات بلغتها الأصلية Originaux Originals Originales

Affichage des articles dont le libellé est USraël. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est USraël. Afficher tous les articles

05/10/2025

JORGE MAJFUD
Les Accords de paix de l’homme blanc accro

Jorge Majfud pour La Pluma et Tlaxcala, 5/10/2025
Traduit par Tlaxcala

 

Le 29 septembre 2025, le New York Times a rendu compte de la réunion à la Maison-Blanche entre le président Trump et le premier ministre israélien Netanyahou.
Son titre annonçait : 
« Trump et Netanyahou disent au Hamas d’accepter leur plan de paix — ou sinon… »
Le sous-titre précisait ces points de suspension : « Le président Trump a déclaré qu’Israël aurait feu vert pour “finir le boulot” si le Hamas refusait d’accepter l’accord de cessez-le-feu. »


Cessez-le-feu…
Ce n’est pas que l’histoire rime : elle se répète.
Depuis le XVe siècle, tous les accords signés par les empires européens ont été imposés par la force des armes et systématiquement violés dès qu’ils cessaient de leur être utiles ou lorsqu’ils avaient réussi à avancer leurs lignes de feu.
Destruction et spoliation, assaisonnées d’une bonne cause : la civilisation, la liberté, la démocratie et le droit de l’envahisseur à se défendre.

Ce fut, pendant des siècles, la même histoire, celle de la diplomatie entre peuples autochtones et colons blancs — en rien différente du cas le plus récent de « l’Accord de paix » proposé et imposé sous menace par Washington et Tel-Aviv à la Palestine.
C’est la même histoire : la violation de tous les traités de paix conclus avec les nations autochtones, de part et d’autre des Appalaches, avant et après 1776.
Puis, ce que les historiens appellent « l’Achat de la Louisiane » (1803) ne fut pas un achat mais une spoliation brutale des nations autochtones, propriétaires ancestrales de ce territoire aussi vaste que tout le jeune pays anglo-américain.
Aucun autochtone ne fut invité à la table des négociations à Paris, bien loin des spoliés.
Et lorsque l’un de ces accords compta un “représentant” des peuples agressés — comme dans le cas du traité cherokee de 1835 — il s’agissait d’un faux représentant, un Guaidó inventé par les colons blancs.

Il en alla de même du transfert des dernières colonies espagnoles (Cuba, Porto Rico, Philippines, Guam) aux USA.
Alors que des centaines de Sioux teignaient de rouge les neiges du Dakota pour réclamer le paiement prévu par le traité les ayant forcés à vendre leurs terres, à Paris on signait un nouvel accord de paix concernant les peuples tropicaux.
Aucun représentant des spoliés ne fut invité à négocier l’accord censé rendre possible leur libération.

Pour Theodore Roosevelt, « la plus juste de toutes les guerres est la guerre contre les sauvages (…) les seuls bons Indiens sont les Indiens morts. »
Plus au sud, il écrivit et publia : « les Noirs sont une race stupide. »
Selon Roosevelt, la démocratie avait été inventée au bénéfice de la race blanche, seule capable de civilisation et de beauté.

À cette époque, l’ethnie anglo-saxonne avait besoin d’une justification à sa brutalité et à sa manie de voler puis de blanchir ses crimes par des accords de paix imposés par la force.
Comme, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le paradigme scientifique avait remplacé la religion, cette justification devint la supériorité raciale.

L’Europe tenait la majeure partie du monde sous sa coupe grâce à son fanatisme et à son addiction à la poudre.
Les théories sur la supériorité de l’homme blanc allaient de pair avec sa victimisation : les Noirs, Bruns, Rouges et Jaunes abusaient de sa générosité tout en menaçant la minorité de la race supérieure d’un remplacement par la majorité des races inférieures.
Cela ne vous rappelle rien ?

Comme ces théories biologisantes n’étaient pas suffisamment étayées, on fit appel à l’histoire.
À la fin du XIXe siècle, l’Europe pullulait de théories linguistiques puis anthropologiques sur l’origine pure de la race noble (aryenne, iranienne), la race blanche issue des Védas hindous.
Ces histoires tirées par les cheveux — et les symboles hindous comme la croix gammée nazie ou ce que l’on appelle aujourd’hui l’étoile de David (utilisée par diverses cultures depuis des siècles mais originaire de l’Inde) — se popularisèrent comme symboles raciaux imprimés.



Ce n’est pas un hasard si, à ce moment précis, les théories suprémacistes et le sionisme furent fondés et articulés dans leurs concepts historiques, dans l’Europe blanche, raciste et impérialiste du Nord.
Même le fondateur du sionisme, Theodor Herzl, considérait que les Juifs appartenaient à la « race aryenne supérieure ».

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ces suprémacismes coexistèrent avec quelques frictions, mais pas au point de les empêcher de conclure des accords : comme l’Accord Haavara entre nazis et sionistes, qui transféra pendant des années des dizaines de milliers de Juifs blancs (de « bon matériel génétique ») vers la Palestine.
Les premiers antisionistes ne furent pas les Palestiniens qui les accueillirent, mais les Juifs européens qui résistèrent à cet accord de nettoyage ethnique.
Au moment même où l’on colonisait et spoliait les Palestiniens de leurs terres, on colonisait et spoliait le judaïsme de sa tradition.

Lorsque les Soviétiques écrasèrent les nazis de Hitler, être suprémaciste devint une honte. Soudain, Winston Churchill et les millionnaires américains cessèrent de se vanter d’être nazis. Auparavant, la déclaration Balfour-Rothschild de 1917 avait été un accord entre Blancs pour diviser et occuper un territoire de « races inférieures ». Comme le déclara le raciste et génocidaire Churchill, alors ministre de la Guerre : « Je suis tout à fait favorable à l’usage de gaz toxiques contre les tribus non civilisées. » [et il le fit en Irak, NdT]

Mais la brutale irrationalité de la Seconde Guerre mondiale mit également fin à l’ère moderne fondée sur la raison et le progrès. Les sciences et la pensée critique cédèrent la place à l’irrationalité du consumérisme et des religions.

Ainsi, les sionistes d’aujourd’hui n’insistent plus devant l’ONU ou la Maison-Blanche sur leur supériorité aryenne, mais sur leurs droits spéciaux en tant que Sémites élus de Dieu.
Netanyahou et ses escortes évangéliques invoquent mille fois la sacralité biblique d’Israël, comme si lui et le roi David ne faisaient qu’un et comme si ce peuple sémite à la peau foncée d’il y a trois mille ans était le même que les Khazars du Caucase ayant adopté le judaïsme dans l’Europe médiévale.

L’accord de Washington entre Trump et Netanyahou, destiné à être accepté par les Palestiniens, est illégitime dès le début. Peu importe combien de fois on répète le mot paix — tout comme il importe peu de répéter le mot amour pendant qu’on viole une femme. Ce sera toujours un viol, comme le sont l’occupation et l’apartheid d’Israël sur la Palestine.

Le mardi 30 septembre, le ministre de la Guerre des USA, Pete Hegseth, réunit ses généraux et cita George Washington : « Celui qui désire la paix doit se préparer à la guerre », non pas parce que Washington « voulait la guerre, mais parce qu’il aimait la paix ».

Le président Trump conclut : ce serait un affront pour les USA s’il ne recevait pas le prix Nobel de la paix.

En 1933, dans son discours devant le Reichstag, le candidat au prix Nobel de la paix Adolf Hitler déclara que l’Allemagne ne désirait que la paix. Trois ans plus tard, après avoir occupé militairement la Rhénanie, il insista sur le fait que l’Allemagne était une nation pacifiste cherchant simplement sa sécurité.

Même si le nouvel accord entre Washington et Tel-Aviv était accepté par le Hamas (l’une des créatures de Netanyahou), tôt ou tard il serait violé par Tel-Aviv. Car, pour la race supérieure, pour les peuples élus, il n’existe pas d’accords avec les êtres inférieurs, mais des stratégies de pillage et d’anéantissement : des stratégies de diabolisation de l’esclave, du colonisé, et de victimisation du pauvre homme blanc, cet accro à la poudre — désormais à la poudre blanche.


03/10/2025

RYAN GRIM/MURTAZA HUSSAIN
Comment Larry Ellison et Ron Prosor ont sélectionné Marco Rubio pour sa fidélité à Israël
Les révélations de courriels piratés

Ryan Grim et Murtaza Hussain, DropSiteNews, 2/10/2025
Traduit par Tlaxcala

Tout semble se mettre en place pour Larry Ellison. Le milliardaire cofondateur du géant technologique Oracle, qui a été épisodiquement l’homme le plus riche du monde (doublant Musk au poteau), et fervent soutien d’Israël, s’apprête à jouer un rôle de premier plan dans la refonte de TikTok aux USA. Son fils, David Ellison, est en passe de prendre le contrôle de larges pans des médias, dont CBS News, CNN, Warner Brothers et Paramount, et aurait recruté la star facho Bari Weiss, de la Free Press, pour orienter la ligne éditoriale.


Larry Ellison à la Maison Blanche avec Trump le 21 janvier 2025. Photo Andrew Harnik/Getty Images

« La famille Ellison est en train de monopoliser l’attention et les données, de la même manière que les Vanderbilt l’ont fait avec les chemins de fer et les Rockefeller avec le pétrole », résumait récemment Wired. La manière dont elle prévoit d’exploiter ce monopole devrait être testée dans ce que le président Donald Trump appelle la « Nouvelle Gaza », une zone franche techno-dystopique administrée par un Conseil de la paix dirigé par Trump et par le véhicule politique et commercial de longue date d’Ellison, Tony Blair. Ellison a donné ou promis plus de 350 millions de dollars à l’Institut Tony Blair, que Blair a utilisé pour promouvoir la vision d’Ellison : une alliance entre gouvernement, pouvoir des grandes entreprises et surveillance technologique. En fournissant l’infrastructure de bases de données et des services de cloud computing à d’autres géants comme FedEx et NVIDIA, Oracle est discrètement devenu l’une des entreprises les plus puissantes du monde.

En tant que chef de la diplomatie usaméricaine, le secrétaire d’État Marco Rubio a également joué un rôle dans les discussions sur TikTok, qui ont orienté l’entreprise vers Ellison, après avoir mené, en tant que sénateur, la charge visant à diaboliser l’application. Il a aussi été étroitement impliqué dans le lancement du plan de Trump pour l’avenir de Gaza, qui confie l’enclave à Blair. Le gendre de Trump, Jared Kushner, avait chargé l’Institut Blair au printemps dernier d’élaborer un plan pour l’après-guerre à Gaza, récemment finalisé, selon le Times of Israel.

Que Rubio se retrouve dans une position aussi centrale tient en partie à Ellison, qui a été un grand mécène de l’ancien sénateur cubano-usaméricain de Floride. Ellison a d’abord « évalué » la loyauté de Rubio envers Israël dès le début de 2015, selon des échanges de courriels inédits examinés par Drop Site. Rubio s’est fait connaître comme un jeune sénateur conservateur soutenu par le Tea Party en 2010, lançant une campagne présidentielle lors du cycle de 2016. En tant que secrétaire d’État, Rubio a engagé une répression sans précédent contre la liberté d’expression, allant jusqu’à détenir et tenter d’expulser des critiques d’Israël, précisément pour le « crime » de leur critique d’Israël.

New York, novembre 2011  : rencontre Prosor-Le Pen fille à l'ONU 

Au début de l’année 2015, Ellison échangeait des courriels avec Ron Prosor, qui terminait alors son mandat d’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies ; il est aujourd’hui ambassadeur d’Israël en Allemagne.

  L’ambassadeur d’Israël en Allemagne, Ron Prosor, s’adresse à de jeunes juifs de toute l’Europe à la Porte de Brandebourg, lors du lancement du congrès européen de la jeunesse juive CTEEN, sous le regard de Felix Klein (à droite), commissaire fédéral allemand à l’antisémitisme, le 13 décembre 2024 à Berlin. Environ 500 adolescents juifs participaient à cet événement de quatre jours, baptisé « Shabbat à travers l’Europe », dans la capitale allemande. CTEEN est l’association de jeunesse de l’organisation juive internationale Chabad.
Photo Sean Gallup/Getty Images

À l’époque, Rubio était considéré comme un sérieux prétendant dans la primaire présidentielle républicaine, qui allait finalement inclure le candidat outsider Donald Trump. Les courriels montrent le diplomate israélien et Ellison organisant une rencontre, Prosor sollicitant l’avis d’Ellison sur Rubio en tant que candidat potentiel susceptible de défendre la cause d’Israël.


Le 26 avril 2015, Prosor envoya à Ellison un courriel intitulé « Discours de Rubio », demandant au fondateur et directeur technique d’Oracle de lui transmettre une copie d’un discours du candidat. (Les courriels ne précisent pas lequel, mais Rubio avait lancé sa campagne une semaine plus tôt par un discours dénonçant « l’hostilité envers Israël » de l’administration Obama.) Le lendemain, les deux hommes échangèrent des messages indiquant qu’ils avaient dîné ensemble, et qu’Ellison allait bientôt rencontrer Rubio directement. « J’ai moi aussi passé un très bon moment, Ron. J’attends avec impatience la prochaine fois », écrivit Ellison, ajoutant : « P.S. – Je te dirai comment se passe le dîner avec le sénateur Rubio. »

28/09/2025

BAHMAN KALBASI
Dans ses déclarations, le Département d’État US applique les positions d’Israël
Entretien avec Shahid Qureshi, licencié pour non-conformité

Bahman Kalbasi, BBC Persian, 17/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Bahman Kalbasi est le correspondant de la BBC en langue persane aux Nations Unies à New York

Shahid Qureshi travaillait au Bureau des affaires publiques du Département d’État usaméricain et a récemment été licencié. Lors d’une émission spéciale, Qureshi a confié à Bahman Kalbasi : « Les condoléances aux familles des journalistes palestiniens tués par l’armée israélienne à Gaza et l’opposition des USA au nettoyage ethnique à Gaza étaient des positions que j’avais l’intention d’inclure dans les déclarations du Département d’État, conformément à la procédure habituelle, et c’est pourquoi j’ai été licencié ». Dans sa première interview accordée à un média en persan après son limogeage du Département d’État, Qureshi revient sur les événements et son expérience au sein de différentes administrations usaméricaines.

 

Bahman Kalbasi: Dans les mois qui ont suivi le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, la pression s’est accrue sur un certain nombre d’activistes et d’étudiants opposés à la guerre d’Israël à Gaza ; allant des tentatives de l’administration d’expulser certaines personnes qui n’étaient pas citoyennes américaines au licenciement d’autres personnes de leur emploi. Shahid Qureshi travaillait au service des relations publiques du département d’État américain et a été récemment licencié. Il avait tenté d’inclure, sur la base de la procédure habituelle, des condoléances aux familles de journalistes palestiniens tués par l’armée israélienne et son opposition au nettoyage ethnique à Gaza dans les déclarations du département d’État. Il affirme que c’est précisément la raison de son licenciement. C’est sa première interview avec un média persanophone depuis son renvoi du département d’État américain, dans laquelle il parle de son expérience au sein des administrations précédente et actuelle, ainsi que des événements. Je suis Bahman Kalbasi, et je m’entretiens avec cet ancien employé du département d’État américain dans un Dialogue Spécial.

 

Shahid Qureshi, merci pour l’opportunité que vous offrez à BBC Persian. Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous nous parler un peu de vous ? Où êtes-vous né ? Où avez-vous grandi ?

 

Shahid Qureshi : Oui, je suis né à Seattle en 1991. À l’université, j’ai étudié les Relations Internationales à l’Université de Washington. Mes parents sont de la ville de Saveh en Iran et sont venus en Amérique autour de la période de la révolution. Après avoir obtenu ma licence, je suis allé à Washington D.C. pour obtenir mon master dans la même discipline, les Relations Internationales.

 

Bahman Kalbasi: Comment avez-vous atterri au département d’État américain ?

 

Shahid Qureshi : Dès mon plus jeune âge, et après l’invasion de l’Irak par les, je suis devenu sensible aux guerres sans fin dans lesquelles les USA s’étaient engagés. J’avais le sentiment que l’image de l’Irak formée dans l’opinion publique américaine avant l’invasion avait contribué à justifier cette opération. Lorsque nous voyagions en Iran pour rendre visite à la famille et que nous revenions en Amérique, voir une image négative similaire se former sur l’Iran m’inquiétait sur le fait que ce qui s’était passé en Irak puisse se répéter pour l’Iran. C’est pourquoi je me suis beaucoup impliqué dans des organisations de la société civile qui travaillaient à mettre fin aux guerres en Irak et en Afghanistan et à empêcher leur répétition en Iran. En même temps, travailler au département d’État m’attirait en tant que diplomate, à la fois pour comprendre les forces qui mènent un pays à la guerre et pour aider à trouver des voies diplomatiques pour résoudre les différends plutôt que par la guerre. Je suis très heureux d’avoir pu y travailler pendant un moment.

 

Bahman Kalbasi: Lorsque vous avez rejoint le département d’État américain, que faisiez-vous exactement dans votre rôle au sein des relations publiques ? Quelles étaient vos fonctions ?

 

Shahid Qureshi : En septembre dernier, j’ai rejoint l’équipe des relations publiques du département d’État en tant que chargé de liaison médiatique pour les événements au Liban et en Jordanie. Un chargé de liaison médiatique a deux tâches principales. La première est de tenir continuellement le porte-parole du département d’État informé des derniers développements, des actualités et des questions que les médias pourraient poser avant qu’il ne monte au pupitre pour s’adresser aux journalistes. Pour mon secteur de couverture, la Jordanie et le Liban, il s’agissait de le préparer à expliquer les positions de l’administration dans ses réponses. 

La deuxième tâche du chargé de liaison est de répondre aux questions des médias, par exemple sur la position du gouvernement américain concernant un événement au Liban. Après quelques mois à ce poste, des responsables du département d’État ont décidé de me faire confiance pour la tâche plus importante de chargé de liaison médiatique pour les développements en Israël et en Palestine, ce qui, comme vous pouvez l’imaginer, au milieu de cette guerre, était une responsabilité bien plus lourde. Chaque jour, divers réseaux d’information me demandaient la position ou la réaction des USA concernant un événement de la guerre d’Israël à Gaza. 

Mon devoir, dans les administrations Biden et Trump, était d’écrire ma compréhension de la position du gouvernement américain et, avant de l’envoyer au journaliste ayant posé la question, de la montrer aux hauts fonctionnaires du département d’État dans les différents services concernés. Ils examinaient ce que j’avais écrit ligne par ligne et, s’ils le jugeaient nécessaire, supprimaient ou ajoutaient un mot ou quelques lignes. Lorsque le texte final était prêt, je l’envoyais au septième étage du bâtiment du département d’État, où se trouvent les conseillers principaux et les adjoints du secrétaire d’État, pour approbation. Ensuite, je le remettais au journaliste comme position officielle du gouvernement américain ou je le fournissais au porte-parole avant un point presse pour qu’il le place dans le dossier classé par pays, afin qu’il soit préparé à répondre si la même question était soulevée. Lorsque vous lisez dans un article de presse qu’« un porte-parole du département d’État nous a dit... », cette personne est soit moi, soit un autre chargé de liaison médiatique. Comme je l’ai dit, il y a un ou plusieurs chargés de liaison pour chaque région ou continent.

 

Bahman Kalbasi: Venons-en à la semaine qui a conduit à votre licenciement. Que s’est-il exactement passé cette semaine-là, et qu’essayiez-vous d’inclure dans les déclarations du département d’État ou vos réponses aux journalistes qui a mis en colère les hauts responsables du département d’État ?

 

24/09/2025

CHAIM LEVINSON
Plus isolé que jamais, Netanyahou va tenter de persuader Trump de tenir bon pour remporter la victoire à Gaza

L’Assemblée générale des Nations unies a démenti le grand mensonge de Netanyahu et montré que, contrairement à ce qu’il affirme, les États arabes, les USA et d’autres pays occidentaux souhaitent tous que le Hamas soit écarté. Trump doit désormais décider quelle voie permettra d’y parvenir le plus rapidement : un accord imposé à Israël ou la conquête de la ville de Gaza.

Chaim Levinson, Haaretz, 24/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou se rendra mercredi soir à une fête qui est déjà terminée. Tous les invités importants sont partis, et il arrive en même temps que l’équipe de nettoyage venue balayer les confettis. Vendredi, jour de son discours, aucun dirigeant mondial important ne sera en ville pour le rencontrer.

Il est seul, plus isolé que jamais, accroché au bord de la falaise, avec seulement la main de Donald Trump pour l’empêcher de tomber.

Paresh Nath

La 80e Assemblée générale des Nations unies a peut-être été la plus dure à l’égard d’Israël. Netanyahu, qui s’est présenté pendant des années comme un génie diplomatique, qui a méprisé tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui, qui a ignoré tous les avertissements sur la détérioration de la situation en Israël, est resté chez lui à regarder la télévision tandis que ceux qu’il considérait autrefois comme ses alliés lui tournaient le dos.

L’initiative franco-saoudienne visant à reconnaître l’État palestinien prend de l’ampleur, même si elle n’a pas de poids pratique immédiat. La réunion à huis clos entre les dirigeants arabes et musulmans et Trump au siège de l’ONU, au cours de laquelle ils ont discuté de Gaza, a été beaucoup plus significative.

Parmi les participants figuraient l’émir du Qatar et le président turc. Leur objectif : persuader Trump qu’une fin immédiate de la guerre était possible – les États arabes prendraient le contrôle de Gaza, la reconstruiraient et écarteraient le Hamas.

Il est frappant de constater que presque aucun détail de cette réunion n’a filtré dans les médias arabes. Un responsable qatari qui s’est entretenu avec Haaretz a refusé de révéler ce qui avait été dit, mais son ton suggérait une certaine satisfaction. Israël, notamment, n’avait pas été invité – et ce n’était pas à cause de Rosh Hashanah, le nouvel an juif.

Lundi, ce sera au tour de Netanyahou de rencontrer Trump à la Maison Blanche. Son discours de vendredi sera destiné à la consommation intérieure, comme d’habitude. Il répétera ses « cinq conditions » pour mettre fin à la guerre à Gaza, mais les véritables décisions seront prises à Washington.

« Trump est fortement influencé par la dernière personne qui se trouve dans la pièce avec lui », a déclaré l’un des confidents du président à Haaretz. « Netanyahou entendra de sa bouche tout ce qu’il a entendu des dirigeants arabes. »

Pendant ce temps, l’envoyé spécial Steve Witkoff, qui était également présent à New York, s’efforce de sauver le « plan Witkoff » : la libération de dix otages, un cessez-le-feu et la garantie par Trump de la fin de la guerre.

Witkoff est depuis longtemps proche de la famille régnante qatarie Al-Thani. Depuis la tentative d’assassinat ratée d’Israël contre les dirigeants du Hamas, le Qatar a coupé tout contact direct avec Israël, mais continue de négocier avec Washington.

Son espoir est de conclure un accord avec les USAméricains qui forcerait Israël à céder. Ces derniers jours, Witkoff et le Premier ministre qatari Mohammed Al-Thani ont bricolé une nouvelle lettre du Hamas proposant la libération de dix otages.

Il n’est pas certain que Witkoff parvienne à convaincre Trump, ni que Netanyahou l’emporte.

L’objectif de Netanyahou est de convaincre Trump d’attendre encore un peu, en lui faisant croire que la prise imminente de la ville de Gaza va transformer la guerre. Il montre à des journalistes amis des rapports des services de renseignement – des rapports soigneusement sélectionnés, bien sûr – qui soulignent la crainte du Hamas face à la conquête imminente de la ville. Selon lui, il ne faut plus que quelques mois, puis soit la victoire sera remportée, soit la prochaine stratégie sera prête.

Trump l’a soutenu jusqu’à présent, et Netanyahou veut plus de temps face aux pressions croissantes.

Au cœur du dilemme de Trump se trouve une question simple : qu’est-ce qui permettra de renverser le Hamas plus rapidement : un accord imposé à Israël, avec l’intervention des États arabes pour mettre fin à la guerre, ou la conquête de la ville de Gaza ?

La grande supercherie de Netanyahou est le mythe selon lequel il est le seul à vouloir se débarrasser du Hamas. La réunion de l’ONU de cette semaine a souligné un consensus qui existe depuis deux ans et que Netanyahou s’est efforcé de minimiser : les États arabes, les USA et l’Occident veulent tous que le Hamas soit renversé et remplacé par un gouvernement civil normal [sic].

Huit mois après son entrée en fonction, Trump reste difficile à cerner. Son discours à l’ONU était parfois incohérent, à l’image des divagations des complotistes antivaxx sur Facebook. Pourtant, à certains moments, il se montre vif et saisit clairement la dynamique.

Quel Trump Netanyahou rencontrera-t-il lundi : le tonton maboul à la table de Rosh Hashanah ou l’homme d’affaires qui sait flairer le mensonge ? Nous le saurons lundi.

 

 

23/09/2025

JOSHUA LEIFER
La vision de Netanyahou pour l’avenir d’Israël n’est pas Sparte, c’est pire

En tant que Premier ministre, Benjamin Netanyahou a toujours rêvé d’un Israël affranchi des contraintes et conditions imposées par les USA.

Joshua Leifer, Haaretz, 21/9/2025
Traduit par Tlaxcala


Joshua Leifer (New Jersey, 1994) est journaliste et historien. Il est chroniqueur pour Haaretz. Ses essais et reportages ont également paru dans The New York Times, The New York Review of Books, The Guardian, et ailleurs. Son premier livre, Tablets Shattered: The End of an American Jewish Century and the Future of Jewish Life (2024), a remporté un National Jewish Book Award. Il est actuellement doctorant en histoire à l’université Yale, où ses recherches se situent à l’intersection de l’histoire intellectuelle moderne, de la politique juive contemporaine, de la politique étrangère usaméricaine et de la mémoire de la Shoah. Sa thèse porte sur la politique de l’antisémitisme et la crise de l’ordre libéral.

La nuit où les forces terrestres israéliennes ont commencé leur invasion de Gaza, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a prononcé un discours au ministère des Finances dans lequel il a exposé sa sombre vision de l’avenir du pays comme un État voyou isolé. Face à l’intensification des sanctions internationales – le lendemain, l’Union européenne annonçait la suspension de composantes clés de son accord commercial avec Israël – Israël devrait devenir une « Super-Sparte », a-t-il déclaré.


Ancien consultant en management qui avait contribué à mener la révolution du marché libre en Israël, Netanyahou a expliqué que l’économie du pays devrait adopter des « marqueurs d’autarcie » et sortir « très vite » du Consensus de Washington qui régissait les affaires économiques mondiales. En d’autres termes, il s’agissait de se rapprocher du modèle de Moscou et de Pyongyang.

Pourtant, ce discours de Netanyahou esquissait non seulement une nouvelle vision pour Israël, mais aussi un tableau du nouvel ordre mondial émergent et de la place d’Israël en son sein. « Le monde s’est divisé en deux blocs », dit-il. « Et nous ne faisons partie d’aucun bloc. »

Sur scène ce soir-là, Netanyahu semblait presque encouragé par la possibilité que ce supposé non-alignement offrirait à Israël une plus grande marge de manœuvre dans son assaut contre Gaza. Mais un isolement à long terme est bien plus susceptible de menacer Israël que de le sécuriser. Chaque grand homme d’État israélien avait compris ce principe de base – du moins jusqu’à présent.

Ennemi des valeurs de l’Europe

Depuis sa première campagne pour devenir Premier ministre, Netanyahou a rêvé de se libérer des conditions et contraintes imposées à Israël par les USA, aussi minimales fussent-elles. Dans une note de 1996 intitulée A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm, un groupe de stratèges néoconservateurs et de conseillers de Netanyahou appelaient Israël à établir une nouvelle relation avec l’USAmérique « fondée sur l’autonomie ». Si Israël n’avait plus besoin d’une aide usaméricaine substantielle, pensaient-ils, Washington aurait moins de leviers pour forcer Israël à des compromis avec les Palestiniens.

Pourtant, Netanyahou a toujours imaginé Israël comme faisant partie du bloc occidental dirigé par les USA. Dans son livre de 1998, A Place Among the Nations, il soutenait qu’avec la fin de la guerre froide, Israël devait agir comme le chien de garde du nouvel ordre unipolaire, le policier de l’Occident au Moyen-Orient. « Avec personne dans la région pour contrôler en permanence leurs ambitions ou leurs plans obsessionnels d’armement », écrivait-il au sujet des « régimes militants » du Moyen-Orient, le rôle d’Israël était désormais de « sauvegarder l’intérêt plus large de la paix ». Tacitement, et parfois explicitement, les dirigeants usaméricains et européens ont adopté ce rôle pour Israël et l’ont soutenu en conséquence.

La destruction de la bande de Gaza par Israël – et la crise régionale prolongée qu’elle a déclenchée – a changé cela.

Après des mois d’inaction, alors que les forces israéliennes rendaient Gaza inhabitable, les États européens ont commencé à imposer des conséquences à Israël. Les dirigeants européens reconsidèrent également ce que sera leur relation avec Israël à l’avenir. Et ce n’est pas seulement, ni même principalement, parce que les protestations contre la guerre israélienne ont transformé la destruction de Gaza en un problème politique intérieur explosif dans les capitales européennes. C’est plutôt parce que l’Israël de Netanyahou s’est déclaré ennemi des valeurs dont la nouvelle Europe est fière : la paix, la démocratie et les droits de l’homme.

Aux USA, Israël n’a pas seulement perdu la gauche – cela est ancien – mais il a aussi commencé à perdre la droite. Sur les réseaux sociaux, des comptes et influenceurs d’extrême droite, appartenant au monde MAGA, diffusent des théories du complot antisémites délirantes sur des sujets allant des antibiotiques à l’assassinat de l’influenceur conservateur Charlie Kirk. L’ancien animateur de Fox, Tucker Carlson, a gagné en popularité en synthétisant le sentiment anti-israélien croissant dans son nationalisme « America First ». La nouvelle droite usaméricaine ne verse aucune larme pour les musulmans morts, mais se réjouit de la nouvelle image d’Israël comme une force démoniaque et sinistre.

En 2021, Ron Dermer, alors ancien ambassadeur d’Israël aux USA, avait provoqué un tollé en suggérant qu’Israël devrait privilégier le soutien des chrétiens usaméricains plutôt que celui des juifs usaméricains. Sur ses propres termes – obtenir un soutien pour les guerres d’Israël – cette stratégie a manifestement échoué. Contrairement aux évangéliques plus âgés, généralement de fervents partisans d’Israël, les jeunes chrétiens usaméricains commencent déjà à se détourner. Comme l’a récemment dit Megyn Kelly, ancienne présentatrice conservatrice de Fox, à Carlson : « Tous les moins de 30 ans détestent Israël. »

Rupture avec la politique étrangère sioniste

La démolition intentionnelle du consensus bipartisan aux USA par Netanyahou et son entourage a toujours été un pari orgueilleux. Comme une grenade mal chronométrée, elle leur a explosé au visage. Bien qu’ils n’aient pas eu tort de constater que la droite usaméricaine était en train de monter, le bureau du Premier ministre a manqué le fait que cette nouvelle droite tirait sa force de la promesse d’isolement, alimentée par la colère contre le paradigme interventionniste que les alliés les plus proches d’Israël à Washington représentaient. Formés à l’apogée du néoconservatisme, ces hommes n’avaient guère réfléchi à la perspective d’un monde post-usaméricain.

Face aux condamnations croissantes et aux sanctions internationales imminentes, Netanyahou a refusé d’arrêter l’assaut israélien. Désormais, pour poursuivre la guerre – que ce soit par survie politique étroite, messianisme mégalomaniaque ou une combinaison des deux – il propose rien de moins qu’une rupture totale avec le principe le plus fondamental de la politique étrangère sioniste.

Dès ses premières années, lorsque Theodor Herzl chercha à obtenir une audience avec le sultan ottoman, le sionisme a travaillé à obtenir et à compter sur le soutien des grandes puissances. Il réussit non par intervention divine ou plan providentiel, mais parce que les premiers dirigeants sionistes recherchaient activement de telles alliances. Ils comprenaient que pour les Juifs, comme pour d’autres petites nations, l’isolement était un piège mortel. Au cours du dernier siècle, de vieux empires sont tombés, de nouvelles puissances les ont remplacés, mais le principe est resté le même.

Après la fondation d’Israël, ses premiers dirigeants craignaient énormément que sans alliances avec des puissances régionales et mondiales plus fortes, le projet sioniste échoue. En 1949, Moshe Sharrett, alors ministre des Affaires étrangères, se lamentait : « Nous vivons dans un état d’isolement malveillant au Moyen-Orient. » David Ben-Gourion rêvait d’un accord de défense mutuelle avec les USA. Avec le temps, Israël réussit à obtenir le soutien usaméricain ; c’est sans doute l’une des raisons de sa survie.

Peut-être que l’un des aspects les plus incohérents, voire délirants, de la vision de Netanyahou est qu’il a proclamé la non-appartenance présumée d’Israël à tout bloc mondial au moment même où Israël apparaît comme le factotum capricieux de l’USAmérique. Les deux dernières années ont démontré la dépendance totale d’Israël envers les USA pour tout, des munitions au partage du renseignement. La guerre de 12 jours contre l’Iran a révélé Israël comme une sorte d’État vassal, implorant l’aide du seigneur féodal.

Il y a toutefois une chose que le récent discours de Netanyahou a bien identifié. L’ordre unipolaire post-1989 est terminé. La transition vers le siècle post-usaméricain a également menacé de faire s’effondrer le système de normes et d’institutions internationales qui s’était formé sous l’hégémonie hémisphérique, puis mondiale, des USA. Israël doit sa prospérité actuelle, sinon son existence même, à ce système.

Et pourtant, tout au long des deux dernières années de guerre acharnée, les dirigeants israéliens, Netanyahou en tête, ont semblé vouloir abattre ce système. Les actions d’Israël à Gaza ont gravement terni sa légitimité. À long terme, cependant, Israël sera voué à l’échec sans lui.

Dans son discours cette semaine, Netanyahou a puisé dans la tradition grecque, mais peut-être que la référence la plus pertinente se trouve dans la Bible hébraïque. Ce que Netanyahou propose n’est pas Sparte, mais Samson.

Mort de Samson, par Gustave Doré, 1866

01/09/2025

G. THOMAS COUSER
Comment je suis devenu antisémite


Toute ma vie, j’ai ressenti une forte affinité avec les personnes juives, mais maintenant que mon employeur, l’université Columbia, a adopté la définition de l’antisémitisme de l’IHRA*, je me retrouve soudainement qualifié d’« antisémite » parce que je m’oppose à l’oppression des Palestiniens.

G. Thomas Couser, Mondoweiss, 31/8/2025

Traduit par Tlaxcala

G. Thomas Couser est titulaire d’un doctorat en études américaines de l’université Brown. Il a enseigné au Connecticut College de 1976 à 1982, puis à l’université Hofstra, où il a fondé le programme d’études sur le handicap, jusqu’à sa retraite en 2011. Il a rejoint la faculté du programme de médecine narrative de Columbia en 2021 et a introduit un cours sur les études du handicap dans le programme d’études en 2022. Parmi ses ouvrages universitaires, citons Recovering Bodies: Illness, Disability, and Life Writing (Wisconsin, 1997), Vulnerable Subjects: Ethics and Life Writing (Cornell, 2004), Signifying Bodies: Disability in Contemporary Life Writing (Michigan, 2009) et Memoir: An Introduction (Oxford, 2012). Il a également publié des essais personnels et Letter to My Father: A Memoir (Hamilton, 2017).

Dans Le soleil se lève aussi d’Ernest Hemingway, on demande à Mike Campbell comment il a fait faillite. Il répond : « De deux façons. Progressivement, puis soudainement. » Je pourrais dire la même chose à propos de mon antisémitisme. La façon progressive a impliqué l’évolution de ma pensée sur Israël. La façon soudaine a impliqué l’adoption d’une définition controversée de l’antisémitisme par l’université Columbia, où je suis professeur adjoint.

Toute ma vie, je me suis considéré comme philosémite, si tant est que je sois quelque chose. Ayant grandi à Melrose, une banlieue blanche de classe moyenne de Boston, je n’avais aucun ami ou connaissance juif dans ma jeunesse. (Melrose n’était pas une ville exclusivement WASP (blanche, anglosaxonne et protestante : il y avait beaucoup d’Italiens et d’Irlandais usaméricains, mais dans ma classe de lycée de 400 élèves, il n’y avait qu’un ou deux Juifs.) Cela a changé à l’été 1963, après ma première année de lycée, lorsque j’ai participé à une session d’été à la Mount Hermon Academy. Mon camarade de chambre était juif, tout comme plusieurs élèves de ma classe. Nous nous entendions bien, et je suppose que je trouvais leurs intérêts et leurs valeurs plus intellectuels et plus mûrs que ceux de mes camarades de classe chez moi.

À Dartmouth, cette tendance s’est poursuivie. Mon colocataire était juif ; ma fraternité comptait plusieurs Juifs (dont Robert Reich). J’appréciais leur humour irrévérencieux, leurs expressions yiddish occasionnelles et leur scepticisme laïc. Lorsque mes amis juifs me disaient que je pouvais passer pour un Juif, je le prenais comme un compliment.

Malgré mes amis juifs, Israël était une inconnue pour moi. Je connaissais bien sûr son histoire. Ma génération a grandi en lisant le Journal d’Anne Frank ou en voyant la pièce de théâtre qui en a été tirée, un incontournable du théâtre lycéen (même, ou surtout, dans les banlieues sans Juifs comme la mienne). L’Holocauste était une histoire sacrée. Mais je n’avais aucun intérêt particulier pour l’État d’Israël, ni aucune idée à son sujet. Je n’en avais pas besoin.

Avec la conscription militaire qui nous guettait, beaucoup de gens de ma génération étaient contre la guerre ; mes amis et moi l’étions certainement. J’ai donc été surpris lorsque, pendant la guerre des Six Jours de 1967, certains de mes amis juifs se sont enthousiasmés pour la guerre, se vantant même de servir volontiers dans l’armée israélienne. De toute évidence, ils avaient un intérêt pour le sort d’Israël qui me manquait, ce qui était un peu mystérieux pour moi. Mais je supposais que leur jugement était fondé ; la guerre était justifiée, contrairement à ce que je considère aujourd’hui comme accaparement de terres. De toute façon, cette guerre a rapidement pris fin.

Peu après avoir obtenu mon diplôme, un ami proche de Dartmouth (juif) et sa femme juive, que je connaissais depuis Mount Hermon, m’ont présenté une de ses camarades de classe à Brandeis. Nous sommes sortis ensemble, sommes tombés amoureux et nous sommes mariés. Bien sûr, ça n’a pas été si simple que ça. À l’époque, il n’était pas facile de trouver un rabbin qui accepterait de célébrer le mariage d’un protestant et d’une juive laïque. Après plusieurs entretiens infructueux, nous avons engagé un rabbin qui était aumônier à Columbia. Nous avons divorcé environ cinq ans plus tard, mais l’échec de notre mariage n’avait rien à voir avec des divergences religieuses, et nous sommes toujours amis.

Au cours des décennies suivantes, j’ai obtenu un doctorat en études américaines et j’ai enseigné la littérature américaine au Connecticut College, puis à l’université Hofstra. En tant que professeur, j’avais de nombreux étudiants et collègues juifs (en particulier à Hofstra) et je m’entendais bien avec eux.

Mais Israël était toujours présent en arrière-plan. J’évitais délibérément d’y réfléchir de manière critique. Je me souviens avoir dit à un ami juif (dont la fille vit à Jérusalem) que je ne « m’intéressais pas » à Israël. J’avais le sentiment que c’était trop « compliqué ». Pas seulement ça, mais aussi source de divisions et de controverses, et je ne voulais pas prendre parti. D’autres questions politiques étaient plus importantes à mes yeux.

Bien sûr, j’étais au courant du mouvement de boycott d’Israël, qui avait rallié de nombreux universitaires, y compris des personnes que j’aimais et admirais. Même si je soutenais le désinvestissement en Afrique du Sud, je me méfiais du boycott d’Israël. Si vous m’aviez posé la question vers 2000, j’aurais répondu : « Pourquoi s’en prendre à Israël ? » Cela sous-entendait que même si le pays pouvait poser problème, il existait d’autres régimes oppressifs dans le monde.



Eh bien, il suffit de dire que ma question a trouvé sa réponse dans la réaction disproportionnée d’Israël à l’attaque du Hamas le 7 octobre. Je n’ai pas besoin de revenir sur les événements des deux dernières années. Les images incessantes de l’assaut génocidaire contre les Gazaouis ont progressivement fait évoluer mon attitude envers Israël, passant de l’indifférence bienveillante de ma jeunesse et de la méfiance prudente de l’âge mûr à une hostilité et une colère croissantes. Cette hostilité s’applique bien sûr non seulement au régime israélien, mais aussi au soutien usaméricain dont il bénéficie. J’ai le sentiment que notre complicité dans cette horreur inflige une blessure morale constante à ceux qui s’y opposent, d’autant plus que nous nous sentons impuissants à y mettre fin.

Je suis hanté par les paroles d’Aaron Bushnell, qui s’est immolé par le feu en signe de protestation : « Beaucoup d’entre nous aiment se demander : « Que ferais-je si j’avais vécu à l’époque de l’esclavage ? Ou du Jim Crow dans le Sud ? Ou de l’apartheid ? Que ferais-je si mon pays commettait un génocide ? » La réponse est : vous le faites. En ce moment même. » Après être resté longtemps inactif, j’ai rejoint Jewish Voice for Peace et je contribue au BDS, des gestes mineurs qui apaisent un peu ma conscience.

Mon attitude envers Israël a donc évolué au fil des décennies, et cette évolution s’est accélérée ces dernières années. Je pense être représentatif d’innombrables autres personnes. En dehors de l’Europe occidentale, Israël est de plus en plus considéré comme une nation paria. Et aux USA, son allié et bailleur de fonds le plus fidèle, les sondages d’opinion montrent un déclin du soutien à Israël.

Dans le même temps, la définition de l’antisémitisme, selon l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, a été élargie de sorte qu’elle s’applique désormais non seulement à la haine du peuple juif, mais aussi aux critiques de la nation israélienne qui me semblent évidentes, justes, légitimes et moralement nécessaires. Après tout, diverses institutions internationales et universitaires habilitées à porter de tels jugements ont conclu qu’Israël est un État d’apartheid qui commet un génocide.

En tant que professeur adjoint en médecine narrative à Columbia, j’ai été consterné par l’acceptation récente par l’université de cette définition élargie de l’antisémitisme, en réponse à la pression exercée par l’administration Trump, qui cherche à punir l’institution pour sa prétendue tolérance à l’égard des manifestations.

Les administrateurs universitaires aiment faire des déclarations telles que « L’antisémitisme n’a pas sa place » dans leurs institutions. Mais ils savent qu’un grand nombre de professeurs et d’étudiants sont antisémites selon la définition qu’ils ont adoptée. Que signifie pour moi, et pour d’autres professeurs comme moi, qui sommes critiques à l’égard d’Israël, d’enseigner dans une institution qui nous qualifie implicitement d’antisémites ? Nous ne serons peut-être pas licenciés, mais nous sommes certainement découragés de nous exprimer.

Cette définition semble regrettable à plusieurs égards. Tout d’abord, elle me semble logiquement erronée, car elle confond les attitudes envers un État ethnique avec les attitudes envers l’ethnie privilégiée par cet État. Cette distinction peut être difficile à faire dans la pratique, mais elle est assez claire sur le plan conceptuel. Comme Caitlin Johnstone aime à le souligner, si les Palestiniens haïssent les Juifs, ce n’est pas à cause de leur religion ou de leur ethnicité, mais parce que l’État juif est leur oppresseur.

Confondre le reproche fait à Israël avec la haine des Juifs peut être un moyen manifestement pratique d’écarter les critiques en diffamant ses adversaires, et cela soutient le discours sur la montée de l’antisémitisme. Mais cela ignore le rôle du génocide commis par Israël dans cette tendance apparente. Outre les actes véritablement antisémites, certaines activités anti-israéliennes ou antisionistes ont été considérées comme antisémites. Si l’antisémitisme a augmenté, ce n’est pas dans un vide historique.

Quoi qu’il en soit, cette définition élargie pourrait finalement s’avérer contre-productive. Effacer la distinction entre l’État d’Israël et les personnes juives risque d’inviter à étendre la haine d’Israël à l’ensemble de la communauté juive. En outre, la définition de l’IHRA risque d’affaiblir ou de supprimer la stigmatisation de l’antisémitisme. Si l’opposition à l’entreprise génocidaire d’Israël fait de moi (et de tant de personnes que j’admire) un antisémite, où est le problème ? Quand j’étais plus jeune, j’aurais été horrifié d’être accusé d’antisémitisme. Aujourd’hui, je peux hausser les épaules.

Enfin, en tant que membre de longue date de l’ACLU, je suis très préoccupé par les implications de cette définition pour la liberté d’expression et la liberté académique. Dans le cours normal des choses, le sujet d’Israël ne serait pas dans mes pensées ni à l’ordre du jour dans ma classe à Columbia. Mais ce sera en quelque sorte l’éléphant dans la pièce, n’est-ce pas ? Je serai hyper conscient de la possibilité que toute allusion à Gaza puisse être signalée comme une menace pour les étudiants juifs. Malheureusement, si moi-même et d’autres critiques d’Israël (dont beaucoup sont eux-mêmes juifs) sommes désormais antisémites, c’est parce qu’Israël et l’IHRA nous ont rendus tels.

NdT

*Voir La définition opérationnelle de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste


 

31/08/2025

FRANÇOIS VADROT
Générations dissonantes : Israël, Hamas et l’Amérique fracturée

Le dernier sondage Harvard Harris (août 2025) a produit un chiffre choc : 60 % des Américains de 18 à 24 ans déclarent soutenir Hamas plutôt qu’Israël, quand on leur demande de choisir « lequel des deux camps » ils appuient le plus. Tous les autres groupes d’âge restent massivement pro-israéliens : jusqu’à 89 % chez les 65 ans et plus.

 La statistique est authentique, confirmée par les données officielles du Harvard CAPS/Harris Poll. Mais pour l’interpréter, il faut la replacer dans son contexte : un été 2025 marqué par la reconnaissance officielle d’une famine à Gaza par l’ONU le 22 août, plus de 62 000 morts palestiniens depuis le 7 octobre 2023, et un président Trump qui multiplie les ventes de bombes et bulldozers à Israël, tout en parlant ouvertement de déportations vers l’Égypte et la Jordanie.

L’écart générationnel, miroir d’un basculement moral

Ce sondage ne signifie pas que la Génération Z « adore » le Hamas. En réalité, dans la même enquête, les jeunes sont 63 % à désapprouver la conduite du Hamas, mais 71 % à désapprouver celle d’Israël. Leur basculement exprime moins une sympathie active qu’un rejet viscéral des actions israéliennes. Les images brutes de Gaza, visibles en continu sur TikTok, nourrissent un sentiment de génocide en temps réel.

À l’opposé, les seniors restent arrimés au vieux récit fondateur : Israël comme rempart de l’Occident, héritier de la Shoah, allié naturel des États-Unis. Pour eux, les atrocités présentes ne contredisent pas le récit, elles en sont une continuation. On retrouve ici plusieurs ressorts : mémoire historique, désensibilisation après des décennies de guerres, consommation d’informations filtrées par la télévision traditionnelle, et surtout peur du chaos : les plus âgés privilégient la stabilité et les États, quitte à fermer les yeux sur l’horreur.

Le poids électoral : 9 % contre 19 %

Ce qui rend ce clivage encore plus cruel, c’est la démographie. Les 18–24 ans ne représentent que 30 millions de personnes, soit environ 9 % de la population américaine. Les 65 ans et plus sont 62 millions, soit 19 % – plus du double. Et surtout, la participation électorale des seniors dépasse 70 %, contre moins de 50 % chez les jeunes.

Résultat : la jeunesse peut bien saturer les réseaux sociaux de slogans pro-palestiniens, elle reste électoralement minoritaire et sous-représentée. Les urnes donnent mécaniquement raison aux vieux, et donc à la politique pro-israélienne.

Deux camemberts suffisent à le montrer : celui des jeunes est plus rouge (pro-Hamas), mais petit ; celui des vieux est bleu (pro-Israël), et deux fois plus large. Moralement la génération montante se révolte, politiquement elle pèse peu.

Le verrou bipartisan

On pourrait croire que ce clivage traverse les partis. Mais en réalité, sur l’essentiel, démocrates et républicains votent de la même manière : les budgets militaires, les livraisons d’armes, les résolutions de soutien. Quelques élus progressistes (AOC, Tlaib, Omar…) dénoncent Israël avec force, mais finissent souvent par avaliser des paquets budgétaires qui incluent l’armement.

Les jeunes ne sont pas dupes : ils voient que les deux camps institutionnels appliquent la même ligne de fond. D’où leur désenchantement politique : ils ne votent plus, convaincus que le système est verrouillé. Les vieux, eux, continuent à voter massivement, parce qu’ils croient encore au système – ils ont vécu dans un monde où l’illusion démocratique fonctionnait, où leur voix semblait compter.

C’est cette asymétrie qui explique la situation actuelle : une jeunesse radicalisée par Gaza mais absente des urnes, face à un bloc senior qui valide par son vote la continuité du soutien à Israël.

Collision de générations

On comprend alors pourquoi Trump, malgré une opinion globale qui bascule (60 % des Américains rejettent de nouvelles livraisons d’armes à Israël, 50 % estiment qu’Israël commet un génocide), peut continuer à agir comme si de rien n’était. Le système est porté par les seniors, qui votent, qui croient encore au processus électoral, et qui maintiennent leur fidélité à Israël.

Les jeunes, eux, vivent l’histoire autrement : ils voient la famine, les bombardements, les corps. Mais ils se savent minoritaires et désarmés politiquement. D’où leur fuite hors des urnes et leur sur-activité dans l’espace symbolique – réseaux sociaux, manifestations, actions campus. Ils deviennent la mauvaise conscience morale d’un pays dont la politique étrangère est fixée par la génération de leurs grands-parents.

En conclusion

Le chiffre des 60 % « pro-Hamas » chez les 18–24 ans n’est pas une aberration, mais le symptôme d’un basculement moral et générationnel. Il révèle une Amérique où deux réalités coexistent :

  • Les jeunes : saturés d’images brutes, révoltés par l’atrocité, désabusés par la politique, en rupture avec le récit dominant.

  • Les vieux : enracinés dans la mémoire d’Israël victime, fidèles à un système électoral qui leur donne encore du pouvoir, et donc garants du statu quo.

Entre ces deux mondes, c’est une collision. La rue et les réseaux s’indignent, les urnes verrouillent. Et pendant ce temps, les bombes continuent de tomber sur Gaza.

Sources :